Interview de M. Julien Dray, porte-parole du PS et de M. François Baroin, ministre de l'outre-mer, à "RTL" le 11 juillet 2006, sur l'impact du coup de tête Zinedine Zidane, lors de la coupe du monde de football.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Jean-Michel Aphatie : Bonjour, nous sommes ensembles pour parler de football : du geste de Zinedine Zidane. Ce geste vous a-t-il choqué, Julien Dray ?
R- Julien Dray : Il a choqué tout le monde, évidemment, parce que ce n'est pas habituel de voir un joueur donner un coup de tête, et que ce n'est pas dans l'esprit sportif. Mais ce sont des gestes qui peuvent arriver dans un moment d'énervement, d'égarement, de tension. Et puis, je pense qu'on avait tellement fait de Zinedine Zidane une sorte de dieu, qu'il est redevenu humain. C'est-à-dire un personnage qui, aussi, peut craquer à un moment donné, surtout quand, visiblement, il a subi, depuis plusieurs dizaines de minutes, des insultes à répétition, et qu'il a, à un moment, craqué sous la pression qui s'exerçait sur lui.
Q- Cela, c'est une hypothèse !
R- Julien Dray : Visiblement, il s'est passé quelque chose. Il ne donne pas un coup de tête par plaisir.
Q- Non, bien sûr, mais on ne sait pas quoi. François Baroin, avez-vous été choqué ?
R- François Baroin : Oui. Je crois que ma première réaction a été la stupéfaction par le geste et, immédiatement, de la tristesse. Parce que, malgré tout, ils vont comprendre, tout de suite, que c'est une image qui va rester. On avait fait tellement de cette finale, à la fois le jubilé de Zidane, on rêvait tous qu'il porte la coupe du monde. Et, voir cette image spectaculaire à la télé, où il descend les marches de l'escalier qui conduit aux vestiaires, avec cette coupe du monde à côté. C'est une image qui restera, mais qui va s'estomper, je crois, avec le temps. Et on doit, d'abord, lui dire merci.
Q- Un grand champion se doit à l'exemplarité ? Avoir fait un tel geste ne demande-t-il pas, de la part des responsables politiques que vous êtes, au fond, une condamnation claire parce que beaucoup de gens qui regardent ne doivent pas reproduire, évidemment, ce type d'acte, Julien Dray ?
R- Julien Dray : Je pense qu'il faut laisser au football sa place. C'est-à-dire que c'est un sport, c'est un jeu. Et il faut faire attention parce que je trouve que, ces derniers jours, le football est devenu - et c'est une question que je me pose à moi-même - un tel événement, on lui donne une telle portée que, évidemment, après chaque acte devient un acte qu'il faut interpréter, analyser. Je crois que c'est trop, c'est trop ! Et, à partir de là, le football change de nature, et je pense que ce n'est pas bien. C'est un sport, c'est un jeu. Il y a une passion qui s'exprime, il y a une pression, effectivement. Mais c'est beaucoup, aussi, sur la tête - c'est le cas de le dire - de ces sportifs, et je crois que ce n'est leur rôle. Ils ne sont pas là pour porter tout cela. Ils sont là pour exercer un jeu dans lequel nous rentrons, nous participons, et puis, point à la ligne. Et, à force de vouloir trop donner de sens à ce sport, on ne comprend plus rien ou, plus exactement, après, on a des déconvenues. Alors, évidemment, ce n'est pas bien ce qui s'est passé. Il a été sanctionné : l'arbitre est là pour ça, d'ailleurs.
Q- François Baroin ?
R- François Baroin : Oui. En plus, Zidane est une icône, mais c'était devenu un demi-dieu. Et il a montré, en fait, tout simplement qu'il était humain. Je pense aux éducateurs, en fait. Ce sont plus les éducateurs, sur les stades des districts, dans chaque département, où ils devront expliquer à chaque gosse que ce qu'a fait Zidane, ce n'est pas bien. C'est pour cela, qu'on aura besoin d'une explication de Zidane, dans les jours qui viennent, pour savoir pourquoi il a eu ce coup de sang, pourquoi il a eu ce coup de folie, et pourquoi il a fait ce geste. En plus, Materazzi, semble-t-il, est un dangereux récidiviste et, malgré tout, la provocation dans les stades de foot existe au plus petit niveau, dans les promotions d'honneur comme dans le foot professionnel. C'est leur métier. Je suis d'accord avec Julien Dray : on doit rester dans le cadre du sport, même si le foot a un tel impact sur les peuples et une telle force de l'image avec, imaginez, trois milliards de personnes qui ont regardé ce que l'on a vu, qui ont donc vu l'image ! On fait porter, sur les épaules de ces footballeurs - de surcroît devenus des idoles, et de surcroît devenus des surhommes - une responsabilité absolument immense. On demande à cette équipe de France de répondre à toutes les misères de la société française. C'est beaucoup. Il faut rappeler que c'est un sport, et c'est pour cela que c'est plutôt vis-à-vis des éducateurs et des jeunes qui aiment le foot, de leur faire comprendre que ce qu'a fait Zidane n'est pas bien, on ne le fait pas sur un stade.
Q- L'équipe de France était reçue, lundi, à l'Elysée, et le président de la République, dans l'hommage qu'il leur a rendu, a dit spécifiquement à l'attention de Zinedine Zidane : "A ce moment difficile de votre carrière, vous avez l'affection de la nation et son respect aussi". Alors, de la part de celui qui a prôné la tolérance zéro, lors de sa campagne présidentielle, n'y a-t-il pas une contradiction, François Baroin ? C'est tiré par les cheveux ?
R- François Baroin : Oui, c'est un peu tirer les bords. C'était la fin de Zidane. Je suis de la génération Platini, donc Platini reste très haut. Et Zidane, pour tous ceux qui ont appris le football, ou qui ont grandi avec lui et, surtout, qui ont attendu les conquêtes mondiales ou européennes pour le football français, c'est un monstre sacré. Et on retiendra de Zidane, essentiellement, son caractère magique, son caractère artistique, son caractère créatif. Il a été l'un des plus grands créateurs du football moderne. Et il restera, dans l'Olympe du football, un personnage immense. Et on ne peut pas, non plus, résumer la carrière de Zidane, même si cette sortie-là, même si cette image-là, restera un peu. Elle s'effacera, elle jaunira et le propre du président, c'est aussi de savoir dire "merci" à des grands enfants de la république, et à des grands enfants du sport français.
Q- Julien Dray ?
R- Julien Dray : Je crois qu'il appartient à Zidane - et je crois que c'est cela qui est important - de s'expliquer. Je crois qu'il va le faire dans les jours qui viennent - c'est ce qu'il a dit, d'ailleurs - d'expliquer ce qui s'est passé, d'expliquer le contexte. Et je pense, d'ailleurs, qu'il fera oeuvre de pédagogie, y compris pour les jeunes sportifs sur les stades. Parce qu'avec l'autorité qu'il a acquise, il sera en situation de pouvoir, justement, expliquer ce qu'il ne faut pas faire. Et, en même temps, je me disais - en regardant ce qui vient de se passer, en regardant cette finale - paradoxalement, c'est celle qui va nous rester en tête le plus longtemps possible. Ce n'est pas une finale comme les autres, et cette image-là, terrible, on va en parler encore pendant des années et des années. Beaucoup plus, même, que si on avait remporté la coupe du monde à la fin. Il restera ce moment tragique parce que, ce qui était une fête, est devenu une sorte de tragédie.
Q- Cette fois-ci, avec l'équipe de France, le symbole "black-blanc-beur" n'a pas marché. Savez-vous pourquoi, Julien Dray ?
R- Julien Dray : Je pense, justement, parce qu'il ne faut pas faire : peut-être que c'est l'erreur que l'on a commise en 98. C'est-à-dire, vouloir donner plus d'interprétation à un événement. Que cet événement, c'était un match de foot, c'était un moment de fête. Point à la ligne. On a voulu lui donner une portée politique, on a eu peut-être tort, parce qu'on a donné, à partir de là, des idées. On a fait porter, plus exactement, des idées qui n'étaient pas portées par ce match de foot. Donc, il faut rester à ce stade-là, à ce qu'était cette finale, en 98 : une belle finale. Il faut rester à ce qui est, aujourd'hui, ce match : un beau match. Point à la ligne. Et vouloir faire porter, à cette finale, tout le poids de la nation, de l'intégration, de tous ces symboles, d'après moi, a été une erreur. C'est pour cela qu'il ne vaut mieux pas la recommencer. C'est la France, point à la ligne. C'est une équipe de foot : point à la ligne.
Q- Etes-vous d'accord avec cette analyse, François Baroin ?
R- François Baroin : Oui, c'est la France, c'est l'équipe de France de football. Alors, elle est un reflet sincère de la France dans sa diversité. Dans l'équipe de France, vous aviez la moitié d'Outre-mer. Beaucoup de gens ont découvert, à cette occasion, qu'on avait des territoires avec des sportifs magnifiques - cela ils le savaient - mais, en même temps, c'était avec un visage sincère, mais c'est l'équipe de France de football. Ce n'est pas la société française, ce ne sont pas les responsables qui mènent des politiques publiques. On est passionné, on les adore, on les aime. Elle est "black, blanc, beur". C'est l'expression de sa diversité mais, "black, blanc, beur", en 98, cela fait, malgré tout, Le Pen, au deuxième tour en 2002. Donc, ce n'est pas un combat politique, une équipe de France. C'est une merveilleuse aventure collective qui nous fait rêver dans un sport magnifique et collectif.
Julien Dray, François Baroin, qui attendent tous les deux - et nous aussi - que Zinedine Zidane s'explique. C'était sur RTL, ce mardi. Bonne journée !


Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 juillet 2006