Déclarations de M. Dominique de Villepin, Premier ministre, et de M. Stephen Harper, Premier ministre canadien, suivies d'une conférence de presse sur les relations franco-canadiennes et la situation au Liban, Paris le 18 juillet 2006.

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Texte intégral

Permettez-moi d'abord de vous dire combien je suis heureux de recevoir ici mon ami le Premier ministre canadien, Stephen Harper. Les relations entre le Canada et la France sont des relations très anciennes, avec quatre siècles d'histoire, depuis Samuel de Champlain jusqu'à l'engagement héroïque des soldats canadiens pendant les deux conflits mondiaux. Tout cela a tissé entre nous des relations fortes. Que ce soit à Vimy ou à Beaumont-Hamel, où S. Harper était il y a quelques heures, ce sont des témoignages très forts pour nos deux pays de cet engagement canadien.
Nous avons par ailleurs des valeurs communes, que nous souhaitons défendre : c'est vrai pour le respect du droit, c'est vrai pour le respect de la démocratie et de la solidarité, c'est vrai pour l'importance des institutions multilatérales. Aujourd'hui, nous sommes convaincus que cette relation entre le Canada et la France est un atout que nous devons mettre à profit ensemble. Au-delà de cette impulsion historique qu'il nous faut développer, nous souhaitons renforcer les coopérations entre nos deux pays, et nombreux sont les domaines où cette coopération peut se développer. J'ai évoqué le domaine énergétique, nous avons aussi évoqué le domaine de l'innovation où entre les clusters canadiens et les pôles de compétitivité, nous pouvons développer de nombreux échanges supplémentaires.
Nous avons évoqué bien sûr la situation internationale, celle du Liban où j'étais hier, notre inquiétude devant la situation humanitaire et celle de nos ressortissants. Nous avons évoqué la situation à Haïti, où nos deux pays sont, vous le savez, très engagés : nous voulons pleinement appuyer le gouvernement haïtien pour que le pays puisse prendre un nouveau départ. A l'Unesco, également, après l'adoption de la Convention sur la diversité culturelle, notre priorité est de parvenir rapidement aux ratifications qui seront nécessaires pour son entrée en vigueur. La France soutient aussi le Canada dans sa volonté d'approfondir son dialogue avec l'Union européenne, et tout ce que nous pouvons faire dans ce domaine bien sûr, la France le fera. Voilà, je tiens à redire tout le plaisir que j'ai de recevoir le Premier ministre canadien à Paris et je lui laisse la parole.
Réponse du Premier ministre canadien
" Merci beaucoup.
Je suis très heureux d'avoir rencontré le Premier ministre, de Villepin, à la suite de ma visite au monument commémoratif de Vimy et de Beaumont-Hamel. J'aurai aussi le plaisir de rencontrer le président Chirac, demain.
J'ai visité Vimy, parce que nous sommes très fiers des Canadiens qui ont contribué à la libération de la France, pendant, surtout le Première Guerre mondiale. L'effort de nos soldats, qui ont défendu la justice et la liberté, est reproduit aujourd'hui en Afghanistan, où les militaires de nos deux pays se battent pour défendre la sécurité, la justice, et la liberté.
L'amitié entre nos pays, soudée par le sacrifice des Canadiens pour la libération de la France, est plus forte aujourd'hui que jamais. Le Premier ministre et moi avons eu une bonne discussion. Nous avons abordé les priorités de nos gouvernements respectifs, nos relations bilatérales et les grands enjeux internationaux.
Nous avons parlé de la situation évidemment du Liban et l'importance d'une collaboration étroite en ce qui concerne l'évacuation de nos citoyens.
La France est un partenaire d'une grande importance pour le Canada. Nos relations sont solidement enracinées dans l'histoire, la culture et la langue, et de même que dans le partage de nos valeurs, défis et intérêts communs. Nos relations sont plus dynamiques et cordiales que jamais. Ces relations bilatérales contribuent à notre prospérité. La France est un grand partenaire économique du Canada. Elle est d'ailleurs le troisième investisseur étranger chez nous. Les entreprises françaises sont très actives au Canada, et gèrent des dizaines de milliers d'emplois dans les secteurs stratégiques, comme celui de l'énergie.
Nous avons aussi discuté de l'environnement et de notre intérêt commun de faire de vrais progrès en ce qui concerne le changement climatique. La France est aussi un grand partenaire en matière d'innovation, en recherche, en sciences et en technologie. Nous avons des partenariats à forte valeur ajoutée. Nous souhaitons développer davantage de synergies entre les pôles de compétitivité français et les grands industriels canadiens, comme le Premier ministre vient de le dire.
Pour terminer, je remercie le Premier ministre de Villepin de son chaleureux accueil à Paris. "
Questions avec les journalistes
Question : Est-ce que vous pouvez nous rendre compte de votre visite d'hier au Liban, ce que vous y avez vu, et les initiatives que la France compte prendre pour favoriser la désescalade que la France veut ?
D. de Villepin : Très brièvement, j'ai eu l'occasion de rencontrer, ce matin, le président de la République pour lui rendre compte de ma visite d'hier au Liban. Visite, qui était marquée par la volonté de la France d'adresser un message fort, d'amitié et de solidarité, aux autorités libanaises et au peuple libanais. Notre souci, c'est bien sûr de contribuer à la recherche d'une solution politique. Nous savons qu'il n'y a pas de solution par la violence aux problèmes du Liban et de cette région.
Donc, ce que nous voulons encourager, c'est bien sûr la recherche d'une solution politique, et tous les efforts sont engagés à travers les différentes instances internationales. C'est vrai dans le cadre du G8 ; c'est vrai à travers l'Union européenne ; dans le cadre du Conseil de sécurité bien sûr, la priorité doit bien être la recherche d'un cessez-le-feu qui permettra de mettre fin à ces violences meurtrières. Notre souci immédiat, c'est bien sûr la trêve humanitaire. Nous le voyons, des populations civiles nombreuses sont touchées ; la souffrance de la population libanaise est immense, des populations qui sont déplacées par milliers. Il est donc très important de pouvoir apporter une réponse rapide à cette situation. Et, je ne vous le cache pas, nous sommes inquiets devant la détérioration de la situation.
Nous avons été amenés sur le plan national à prendre un certain nombre de dispositions pour permettre l'évacuation de nos ressortissants, ceux qui le souhaitaient, c'est pour cela qu'une première navette a eu lieu hier et d'autres suivront. Mais c'est la responsabilité de la communauté internationale que de tout faire pour permettre de trouver une issue rapide sur le plan humanitaire. J'ai proposé à Beyrouth une trêve humanitaire, qui permettrait d'avancer et d'avoir le temps de répondre aux urgences et aux problèmes sur le terrain. J'ai dit au gouvernement de M. Siniora notre entière disponibilité pour répondre à leurs besoins, et bien sûr, nous souhaitons pouvoir le faire avec l'ensemble de nos partenaires européens et de la communauté internationale.
Question : Avez-vous parlé du Liban au cours de l'entretien ?
D. de Villepin : Nous avons bien sûr évoqué la situation libanaise et nous partageons je crois, la même préoccupation sur le plan humanitaire. Aujourd'hui, c'est bien la priorité. Nous voyons cette population qui souffre, nous voyons cette situation qui s'aggrave. Et je pense que chaque heure, chaque jour qui passe, justifie cette mobilisation de l'ensemble de la communauté internationale.
S. Harper, Premier ministre canadien : Je veux juste mentionner seulement que tous les chefs du G8 sont arrivés à une déclaration commune sur le sujet. Je pense qu'originellement c'est une proposition du Canada, mais on est arrivés à une déclaration unanime, à cause de la détermination du président Chirac d'avoir le meilleur résultat possible. Et je pense que nous sommes unis dans une telle situation.
Question : J'ai une question pour vous deux, mais d'abord, M. de Villepin, vous rentrez de Beyrouth. J'aimerais savoir si vous considérez que c'est réaliste cette idée évoqué par Monsieur Chirac, par Monsieur Blair et par Monsieur Annan de l'envoi d'une Force internationale au Sud Liban ? Et Monsieur Harper, votre question : il s'agit de l'évacuation des Canadiens. Beaucoup sont angoissés, inquiets au Canada, et estiment que cela prend trop de temps. Il y a une manifestation de Libanais canadiens à Montréal ce soir. Pouvez-vous faire le point sur l'évacuation des Canadiens qui s'inquiètent de la situation ? Merci.
D. de Villepin : Nous connaissons tous la très grande complexité, la très grande difficulté auxquelles nous nous heurtons dans cette région. La proposition d'une force ou d'une mission de surveillance répond au souci de la sécurité des uns et des autres. La sécurité du Liban : j'ai affirmé hier la nécessité de respecter la résolution 1559, de façon à permettre au gouvernement libanais d'assurer son autorité sur l'ensemble du territoire. Et nous prenons bien sûr en compte la situation en Israël, touché par des tirs de roquettes inacceptables. Situation qui justifie aussi la sécurisation de cette région : la force vient naturellement apporter une réponse à cette exigence de sécurité. Cela doit s'apprécier dans le cadre d'un règlement plus global, puisque d'autres facteurs doivent être pris en compte. Mais l'urgence, je le redis aujourd'hui, c'est bien cette réponse humanitaire. Tous ces problèmes doivent être traités, il faut qu'ils soient traités bien sûr avec la prise en compte de cette urgence humanitaire qui doit nous conduire ensemble, la communauté internationale, à apporter des réponses adéquates.
S. Harper, Premier ministre canadien : Juste pour la première question : l'idée d'une force fait partie de la déclaration des chefs du G8, et le Conseil de sécurité des Nations unies doit considérer ces possibilités en collaboration avec les parties dans la région. En même temps, on doit dire que la déclaration indique plusieurs choses qui doivent se passer, qui devront se passer, pour assurer un cessez-le-feu et le maintien de la paix. Je pense que nous ne sommes pas en ce moment très proches de cette éventualité. Merci pour la question concernant l'évacuation. Comme je l'ai dit hier, au Canada, des centaines d'employés fédéraux travaillent pendant des journées pour arriver à une rapide évacuation. Je suis convaincu que cela va commencer très tôt. Ce sera la plus grande évacuation de citoyens canadiens de notre histoire. La vitesse, je pense, est extraordinaire, en considérant les circonstances. Le Canada n'est pas un pays avec une capacité générale d'évacuer des milliers de citoyens de n'importe quelle partie du monde, immédiatement. Mais nos fonctionnaires ont beaucoup travaillé : ils ont contacté des milliers de citoyens canadiens, ils ont assemblé très rapidement un plan et ce plan va être mis en application très vite.
Question : C'est une question pour monsieur Harper. Une famille libanaise de Montréal a été entièrement décimée lors d'une attaque israélienne. Comment réagissez-vous à cette annonce ? Et ma deuxième question porte sur Madame Gettliffe, emprisonnée au Canada. Son avocat français dénonce les conditions du déroulement du procès. Est-ce que vous pensez qu'un accord diplomatique est possible entre la France et le Canada ?
S. Harper : Pour la deuxième question, je peux dire que c'est un processus devant les tribunaux. Et les Premiers ministres ne font pas de commentaires sur de tels processus. Concernant la première question, j'ai évidemment été informé immédiatement après la mort de Canadiens au Liban. C'est évidemment une grande tragédie pour cette famille. Cela représente un exemple d'une grande tragédie pour beaucoup de familles au Liban, en Israël, à Gaza. Je dois dire quelque chose, parce que j'ai lu dans un journal que quelqu'un a dit : « Voilà, le Hezbollah va nous protéger ». Le Hezbollah veut la violence pour atteindre ses objectifs. Le Hezbollah veut la destruction d'Israël pour atteindre ses objectifs. Mais la réalité de cette situation, et on peut le voir maintenant, c'est que la violence ne réalise pas les objectifs, la violence réalise seulement la violence, et les morts, et en tout cas la mort des innocents. Et la seule solution, je pense que c'est dans la déclaration des chefs du G8 et les négociations. C'est la raison pour laquelle nous encourageons toutes les parties à poursuivre les négociations et à donner les responsabilités pour la violence à ceux et celles qui demandent la violence. Parce que la violence ne sera jamais une solution de cette crise au Moyen-Orient.Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 25 juillet 2006