Texte intégral
Q - Tout le monde est d'accord pour dire qu'il y a urgence, mais pas de cessez-le-feu immédiat. Ce matin, on apprend qu'Israël aurait obtenu le feu vert de Rome pour poursuivre ces bombardements. Monsieur le Ministre, vous êtes extrêmement déçu ?
R - Oui, je suis déçu car, hier, il y avait plusieurs enjeux. Le premier, c'était en effet d'écrire qu'il fallait arrêter immédiatement les hostilités ; c'était ce que la France demandait. Nous y sommes allés dans ce sens et je dois dire qu'on a beaucoup entendu parler d'humanitaire. Je me suis simplement permis de dire que la première des choses pour aider ces personnes, c'est peut-être de faire en sorte que les bombes ne leur tombent pas dessus ; c'est la première étape de l'humanitaire. Nous n'avons pas été suivis là-dessus mais nous l'avons été pour le reste.
Les Américains, il y a quelques jours, parlaient encore de l'envoi d'une force militaire internationale sous le commandement de l'OTAN alors que le cessez-le-feu n'aurait pas encore existé. Nous avons indiqué qu'il n'était pas possible, qu'il n'était pas pensable qu'une force internationale soit mise en place au Liban alors qu'un cessez-le-feu durable, un accord politique pour un cessez-le-feu durable ne serait pas trouvé. Cela a été accepté et figure dans la déclaration présidentielle d'hier, voilà l'enjeu.
La diplomatie française a gagné sur cette partie ; d'abord, un accord politique entre les parties, un cessez-le-feu durable, et uniquement à ce moment-là, une force internationale sous mandat de l'ONU et pas de forces de l'OTAN.
Q - Cette force est un projet cher à Jacques Chirac, quel rôle précis pourrait jouer la France dans cette force ?
R - Dans la mesure où il y aurait un accord que nous avons détaillé hier - puisque la France a présenté un plan avec les principes d'une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies -, nous avons demandé qu'il y ait une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, au niveau ministériel, au début du mois d'août ou à la fin du mois de juillet, afin que nous puissions présenter ce plan.
Ce plan, de quoi s'agit-il ? D'un côté, pour Israël, le désarmement du Hezbollah, la résolution 1559, nous avons toujours condamné le Hezbollah, il faut le désarmer ; la libération des deux soldats israéliens sans condition aucune et une zone tampon au sud du Liban. Du côté libanais, nous voulons à tout prix que l'on puisse garantir la souveraineté du Liban, c'est-à-dire déployer l'armée libanaise au sud du pays ; les fermes de Chebaa doivent revenir au Liban et les prisonniers libanais qui sont aujourd'hui en Israël doivent être libérés.
Cela correspond aux termes de l'accord et si nous l'obtenons, la France peut tout à fait participer à une force multinationale, sous le mandat de l'ONU, et nous avons demandé que le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, soit reconnu comme le seul acteur dans cette affaire.
Q - Les Israéliens ont accepté l'idée de cette force internationale. Ils ne veulent plus d'une force du type FINUL qui n'est là que pour compter les points. Ils réclament un véritable mandat, un véritable engagement, une force susceptible de subir des pertes et d'en infliger. La France est-elle prête à perdre des soldats au Sud-Liban ?
R - C'est ce que je vous disais, il faut faire extrêmement attention aux mots. Nous pensons que la force internationale, multinationale, ne peut être mise en oeuvre que s'il y a un cessez-le-feu durable.
Q - Oui, mais quel sera son mandat ?
R - Son mandat sera de s'assurer du désarmement du Hezbollah et du déploiement de l'armée libanaise qu'elle devra entraîner, former, pour la mettre en place progressivement. Cette force devra aussi veiller à ce que le cessez-le-feu soit respecté.
Je crois qu'aucune solution purement militaire ne pourra venir à bout du Hezbollah, ni du côté israélien ni du côté d'une force multinationale. Nous ne devons pas suivre la voie des trois "B" : Bassora, Bagdad, Beyrouth, car ce serait terrible et, en tout cas, la France ne le souhaite pas. Nous disons donc oui à un accord politique entre les parties, entre le gouvernement libanais et le Hezbollah d'un côté, entre le Liban, Israël et la communauté internationale de l'autre.
Q - Un cessez-le-feu, la nécessité de rétablir la souveraineté du Liban et de faire appliquer la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU, à savoir le désarmement du Hezbollah, mais qui se chargera de ce désarmement ?
R - C'est tout l'enjeu de cet accord politique. Je viens de vous le dire, je ne crois pas à une solution purement militaire, il faut trouver une solution progressivement, avec des négociations et un dialogue politique. Vous savez, la violence ne mène à rien nulle part, en particulier dans cette région du monde. Nous pensons que le panorama est extrêmement préoccupant.
L'Iran et les Etats-Unis peuvent jouer un rôle très important dans la région. Il faut à tout prix que la spirale de la violence n'aboutisse pas à la formation de deux blocs avec, non pas les arabes et les juifs, mais les musulmans et les occidentaux.
Q - Il faut donc parler avec tout le monde ?
R - C'est très important. Vous me parlez d'une force internationale, mais, il ne faut pas que l'on aboutisse à une force OTAN ou une force seulement occidentale. Sinon, comment voulez-vous que les pays arabes, dont les populations et les opinions publiques bougent actuellement, voient arriver sur leur sol, au coeur de leur souveraineté, une force qui serait purement occidentale ? Nous tomberions alors dans une guerre des civilisations.
C'est tout ce que la France - et le président de la République, à plusieurs reprises depuis trois ans, l'a dit - veut éviter.
Q - Il faut donc parler avec la Syrie et l'Iran ?
R - En tout cas, nous pensons que l'Iran, qui est un grand pays, une grande civilisation, doit jouer un rôle dans la région. Nous avons une discussion concernant le nucléaire avec ce pays. C'est vrai que nous avons décidé, à six, les membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne, de tendre la main en faisant des propositions sur le plan nucléaire, sur le plan économique et politique à l'Iran. Si l'Iran ne saisit pas cette main, nous nous sommes mis d'accord pour nous tourner vers le Conseil de sécurité. Mais, en dehors de cette discussion, nous devons en ouvrir une autre sur la stabilisation de la région. L'Iran peut et doit jouer un rôle de stabilisation dans la région.
Q - Le Liban est aujourd'hui dans une situation complètement ubuesque, avec une armée quasiment inexistante, deux membres du Hezbollah dans son gouvernement.
Il faut aussi discuter avec le mouvement chiite et faudra-t-il aussi l'intégrer dans l'armée libanaise et lui donner plus d'importance au sein du gouvernement libanais ? Est-ce une solution ?
R - Ce qui est certain en tout cas, c'est qu'en effet, la solution ne peut venir que d'une transformation progressive du Hezbollah, mouvement armé, en un mouvement politique. Je sais que le dire ainsi paraît franchement naïf, mais c'est la seule solution. Pourquoi ? Parce que, le Hamas du côté palestinien, le Hezbollah du côté libanais, sont des mouvements armés qui tirent leur popularité de l'humiliation des opinions publiques arabes et de la pauvreté.
A côté d'une négociation politique, il faudrait avoir un grand soutien économique. Prenons l'exemple de la santé publique : pourquoi ne pas élaborer un grand plan concernant les hôpitaux dans cette région ? Ou un plan concernant les universités aussi, pour la formation de la jeunesse ? Si vous laissez ce sentiment d'humiliation se développer, vous aurez des mouvements comme le Hamas et le Hezbollah qui profiteront de la dureté de la vie quotidienne pour proposer des crèches pour les enfants, des appartements sociaux pour ceux qui sont pauvres et ainsi de suite
Il faut que nous élaborions un grand plan et dans ces conditions, puisqu'il faut de l'argent, l'Occident d'une part mais également les pays arabes d'autre part, qui ont aussi beaucoup d'argent en raison des ressources tirées du pétrole et du gaz, devraient à leur tour prendre toutes leurs responsabilités. Je le pense profondément.
Q - Autres conditions posées par Israël pour arrêter les bombardements, c'est la libération des soldats enlevés au Sud-Liban. Aujourd'hui, vous rencontrerez les familles de ses soldats, qu'allez-vous leur dire ?
R - J'ai déjà rencontré la famille du caporal Shalit, ce soldat de 20 ans qui possède également la nationalité française et qui a été enlevé près de la bande de Gaza il y a un mois maintenant.
Je voudrais tout simplement dire aux familles des soldats enlevés, que la France a d'abord condamné ces enlèvements, que ce soit du côté du Hamas que de celui du Hezbollah. Nous l'avons toujours fait. Nous avons également demandé la libération sans condition de ces trois hommes. Concernant le caporal Shalit, j'ai rencontré, du côté palestinien, M. Mahmoud Abbas il y a trois jours, mais aussi, du côté israélien, Ehud Olmert. Avec eux, j'ai pu aborder, à la fois la question de la libération du caporal Shalit mais aussi celle de la libération de prisonniers palestiniens qui sont incarcérés en Israël depuis plus de 25 ans.
Q - Très rapidement, Monsieur le Ministre, hier, nous recevions ici Olivier Haruth qui est porte-parole de l'armée israélienne et qui a réclamé un rôle, une intervention de la France plus importante pour la libération de ces deux soldats.
R - Pour des raisons de confidentialité que vous comprendrez, je ne peux pas parler trop en détail de cette affaire. Mais ce que je peux vous dire, c'est que nous sommes en contact quotidien avec les Palestiniens et en particulier, avec le président de l'Autorité palestinienne. Moi, je suis quotidiennement en contact. Je me suis beaucoup investi et j'espère que nous aurons la libération du caporal Shalit très bientôt.
Q - Merci d'être resté avec nous, Monsieur le Ministre. La semaine dernière vous vous êtes rendu au Proche-Orient dans les deux camps, en Israël puis à Beyrouth où vous avez dénoncé la situation humanitaire désastreuse de la population libanaise. Aujourd'hui, Israël est accusé de violer le droit humanitaire au Liban en bombardant notamment des cibles civiles, premières victimes de cette guerre. Vous l'avez constaté, vous, sur place ?
R - J'ai surtout constaté que la situation devenait de plus en plus terrible puisque les infrastructures civiles sont touchées. L'aéroport de Beyrouth et tous les ports libanais ont été touchés, ainsi que les ponts, les routes, les autoroutes, des usines alimentaires, des centrales électriques... Nous sommes obligés de mettre en oeuvre un pont aérien et maritime pour acheminer des groupes électrogènes pour les hôpitaux, des stations d'eau potable, des rations alimentaires, des médicaments - des médicaments pédiatriques en particulier. Il y a, en effet, 700 à 800.000 personnes sur les routes d'après le Haut Comité pour les Réfugiés. J'ai demandé au Premier ministre israélien, lorsque je l'ai vu à Jérusalem, dimanche dernier, de laisser les autorités libanaises réouvrir rapidement une piste de l'aéroport.
Q - D'après vous, il y a donc une volonté délibérée de toucher des cibles civiles ?
R - Le problème, c'est que la guérilla du Hezbollah ne permet pas de discriminer d'un côté les personnes du Hezbollah et, de l'autre, la population civile. On sait que le Hezbollah est essentiellement implanté dans le Sud, mais les Israéliens bombardent l'ensemble du territoire. J'ajoute que je suis aussi allé à Haïfa, dans le Nord d'Israël, qui reçoit un nombre de roquettes incalculable par jour, alors que...
Q - ... Vous-mêmes vous avez été près...
R - Il faut remonter à 1973 pour connaître une période comme celle-là, avec des tirs de roquettes aussi important sur Haïfa, sur Tibériade, sur l'ensemble du nord d'Israël. Il faut que cela cesse et c'est pour cela que je suis très déçu de l'attitude, en particulier américaine, d'hier, parce que la première des choses qu'il faut faire dans ces conditions - surtout si on veut avoir un accord politique - c'est demander un cessez-le-feu immédiat. La communauté internationale ne s'honore pas à ne pas demander un cessez-le-feu immédiat.
Q - (un auditeur) N'est-ce pas, de la part de la diplomatie française, de la pure gesticulation tant que vous ne tiendrez pas compte du fait qu'il y a une volonté de l'axe israélo-anglo-américain, en bons démocrates qui se respectent, de remodeler le Moyen-Orient ? Pour savoir exactement ce qu'ils veulent faire, je vous conseille de vous adresser au propagandiste sioniste sur France-Inter, Bernard Guetta. Vous savez Sunnites et Chiites, ce n'est pas tout à faire l'appartenance religieuse, c'est l'appartenance à un peuple. Donc, on voit là bien ce qui se passe...
Q - (le journaliste)... C'est le nouveau Moyen-Orient souhaité par Condoleezza Rice...
R - D'abord, je crois que Bernard Guetta est quelqu'un qui est respecté par tous, même si vous ne partagez pas obligatoirement ses idées, comme moi les vôtres et vous les miennes.
La gesticulation, c'est évidemment un mot qui est blessant parce que, dans cet endroit du monde, nous ne pensons pas toujours comme les Américains. Il se trouve justement que depuis deux ans, sur le sujet libanais, les Etats-Unis et la France ont beaucoup travaillé ensemble. Ce sont ces deux pays qui ont proposé - en particulier le président Chirac -, la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies qui vise, notamment, à désarmer toutes les milices du Liban, y compris le Hezbollah. Nous n'étions pas d'accord sur l'Irak mais nous travaillons sur le Liban.
Et, après tout, les élections démocratiques du Liban de juin dernier, il y a un an, ont permis la mise en place d'un gouvernement, celui de Fouad Siniora, qui est le symbole de la restauration du Liban.
Nous ne partageons pas l'idée selon laquelle il faut remodeler le Proche et le Moyen-Orient et repenser cette région vu de l'extérieur. Nous ne pensons pas que des forces internationales puissent venir à l'intérieur d'un pays, nous pensons que la souveraineté, l'indépendance et l'intégrité de tous les pays doivent être respectées. Ce n'est pas de la gesticulation, ce sont des convictions et, croyez-moi, au Conseil de sécurité des Nations unies, dans quelques jours, je ferai entendre cette voix et n'oubliez pas que la France est membre permanent du Conseil de sécurité.
Q - Trois semaines de bombardements, c'est long. Cela va durer encore longtemps ?
R - Nous avons appelé à la cessation des hostilités. Nous allons...
Q - ... Depuis trois semaines, on appelle à la cessation...
R - Oui. Nous allons repartir sur le terrain. Nous avons défendu hier, pour la première fois, le plan français que je vous ai détaillé tout à l'heure, et qui favorise un accord politique. Nous avons déjà des avancées ; on voit bien que le gouvernement libanais et le gouvernement israélien, sur certains sujets, pourraient être d'accord.
Je crois beaucoup à la diplomatie ; il n'y aura pas de solution purement militaire à ce conflit contre le Hezbollah, ce n'est pas possible. La seule solution, c'est de pouvoir se parler. Je trouve, comme vous, que c'est très long, trop long et qu'il faut vite se mettre autour d'une table ; la France, en tout cas, fait tout pour cela.
Q - Lorsque vous avez rencontré Ehud Olmert en début de semaine, vous lui avez demandé quand, justement, cesseront ces hostilités au Sud-Liban, il vous a répondu : "Il faudra le temps qu'il faudra pour anéantir le Hezbollah, peut-être un an" ?
R - Mais il ne peut pas y avoir de solution militaire, parce que prenez cette date...
Q - ... Mais Israël...
R - ... oui, mais qui n'est pas possible. Il y a une évolution quotidienne des opinions publiques arabes et, progressivement, des manifestations de rue s'organisent. Et même si les dirigeants expriment une position moins dure sur le conflit, le peuple, l'opinion publique, les personnes qui vivent dans ces pays, sont de plus en plus remontées contre les Israéliens, et aussi, progressivement, contre l'Occident. Il faut donc faire très attention, agir très vite et montrer que l'Occident ne souhaite pas donner une leçon aux pays arabes. Il faut au contraire que chacun puisse se sentir respecté et avoir la tête haute.
Q - (Un auditeur) J'ai une tante qui habite dans le nord d'Israël et cela fait des mois, voire depuis qu'Israël a quitté le Liban, qu'ils reçoivent des "katioucha" sur la tête. Je n'ai pas entendu ni M. Douste-Blazy, ni son prédécesseur, se plaindre ou pleurer pour ces gens-là. Est-ce que les Israéliens valent moins chers que les Libanais ?
R - Vous ne pouvez pas dire cela. La France a immédiatement condamné les actions du Hezbollah et, en particulier, le 12 juillet au matin, l'enlèvement de ces deux soldats israéliens par le Hezbollah. Nous qui avons pratiquement écrit cette résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, la 1559 dont je viens de parler, et qui oblige la communauté internationale à désarmer le Hezbollah. Je suis allé à Haïfa, il y a quatre jours, avec le président de la communauté juive de France, M. Cukierman, et des parlementaires français - et je ne crois pas qu'il y ait un autre ministre des Affaires étrangères qui y soit allé -, pour affirmer justement, ma solidarité au maire d'Haïfa et à la population israélienne.
Vous savez, ce n'est pas en tenant de tels propos que nous pourrons avancer. Je crois qu'il y a, de part et d'autre, des personnes qui comprennent que si on n'agit pas maintenant, une spirale absolument infernale va se mettre en place et, permettez-moi de le redire, non seulement entre Israël et le Hezbollah, mais aussi, progressivement, entre Israël et les pays arabes, et entre l'Occident et le monde musulman. Ce serait terrible et c'est tout ce que la France, le président de la République en particulier, veut éviter depuis le début des hostilités en Irak.
Q - (Un auditeur) Moi, aussi, je voudrais revenir sur ce mot "agitation diplomatique", est-ce que ce n'est pas aveu d'impuissance militaire ? Car, si la France avait les moyens militaires d'interdire les bombardements au Liban, je crois que les Libanais préféreraient qu'il y ait par exemple des Rafales au-dessus du Liban pour empêcher les bombardements ?
R - En réalité, c'est justement ce que nous voulons éviter. Arriver avec une armée, que ce soit la France ou que ce soit un autre pays possédant une armée moderne, serait terrible si un cessez-le-feu n'était pas durable. Imaginez qu'on envoie des milliers d'Européens au Liban aujourd'hui, dans le Sud-Liban, entre des Israéliens qui bombardent et un Hezbollah qui envoie des roquettes, imaginez qu'il y ait, à un moment donné, une centaine de morts. Avec la puissance de feu d'une armée moderne, nous rentrerions immédiatement dans une guerre effrayante.
Nous ne croyons pas à une force multinationale, comme en Irak, qui viendrait à l'encontre d'une souveraineté et d'une intégrité territoriales. Nous pensons qu'il faut d'abord un accord politique. C'est très long, en effet, c'est trop long pour tout le monde. Mais la seule solution, c'est d'essayer de se parler, de tirer les fils les uns et les autres, d'essayer d'aller dans tous les pays pour voir ce qui marcherait, ce qui ne marcherait pas et, ensuite, proposer un accord politique le plus vite possible.
Nous avons quelques jours devant nous. Le Conseil de sécurité des Nations unies, dès aujourd'hui, va s'occuper de cette affaire au niveau des ambassadeurs. Je souhaite que, tout début août, au niveau ministériel, nous votions cette résolution.
Q - Sur l'engagement de la France - c'est une question récurrente, nous en parlions juste avant la revue de presse -, nous avons Frédéric qui demande si la France est prête à supporter des morts français, des soldats français.
(Un auditeur) La France est-elle prête à supporter des morts en cas de participation à la force internationale et je pense particulièrement au 58 parachutistes tués par le Hezbollah lors de la destruction du Drakkar au Liban ? Et puis, je voudrais savoir - le Hezbollah qui a mis le nord d'Israël en feu avec des milliers de réfugiés -, ce que feront la France et la Croix-Rouge en faveur des civils et des Français d'Israël. Et pourquoi, finalement, la France ne met pas le Hezbollah au rang des organisations terroristes ?
R - D'abord, la France a toujours dit qu'elle était contre une force multinationale en cas de guerre, comme je l'ai dit à plusieurs reprises ce matin. La France pourrait se poser, en effet, la question de sa participation à une force multinationale sous mandat de l'ONU, avec l'assurance que l'ONU contrôlera cette force multinationale, mais à une condition, c'est qu'il existe un accord politique entre les parties. Cet accord politique, nous l'avons défini ; nous avons même distribuer une ébauche de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, hier à Rome, et nous espérons qu'il pourra être trouver. S'il est trouvé, il y aura un cessez-le-feu durable et nous pourrons y aller. Si nous décidions de participer à cette force, il est évident qu'il faudrait aussi assumer tous les risques.
Concernant le Hezbollah, je sais que c'est une question qui peut se poser puisque le Hamas est sur la liste des mouvements terroristes au niveau de l'Union européenne. Je tiens à vous dire que ce n'est pas au moment où il faut trouver un accord politique, ce n'est pas au moment où on essaie de transformer le Hezbollah de mouvement armé - et l'on voit ce qu'il fait aujourd'hui et que nous avons condamné - vers un mouvement politique que nous devons gérer ce genre de questions.
Q - Et cela passera par la reconnaissance par le Hezbollah de l'Etat d'Israël ?
R - Il faudra, en effet, obligatoirement, qu'il y ait, de toute façon, une frontière respectée - c'est d'ailleurs prévu par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Si vous prenez un pays comme la Syrie, qui est un pays voisin, il faut qu'il y ait des postes diplomatiques syriens au Liban et des postes diplomatiques libanais en Syrie. Il faut, en effet, avancer sur le plan diplomatique. Ce n'est pas sur le plan militaire, encore une fois, que l'on pourra avancer.
Q - (Un auditeur) Je voudrais demander à Monsieur le Ministre si ce ne serait pas une éventualité que la violence qu'Israël déploie actuellement au Liban n'est pas destinée à susciter une réaction de la Syrie et ensuite de l'Iran pour qu'Israël puisse intervenir au niveau de l'Iran et régler ainsi le problème nucléaire qui, je pense, leur pose un gros problème à eux comme aux Etats-Unis d'ailleurs - puisque je pense qu'Israël est le bras armé des Etats-Unis.
R - Ce n'est pas seulement le problème des Etats-Unis et d'Israël. Je vous rappelle que le 1er juin à Vienne, la communauté internationale, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, y compris la Russie et la Chine, mais aussi l'Allemagne, a décidé - et cela a été confirmé le 12 juillet au ministère français des Affaires étrangères - de tendre la main à l'Iran sur le plan du nucléaire civil, pacifique, à des fins donc non militaires. Mais si l'Iran ne prenait pas cette main, il a été décidé de proposer des sanctions au Conseil de sécurité des Nations unies sous le chapitre 7 - article 41.
Cependant, je crois que ce que vous évoquez est évidemment un des sujets les plus importants aujourd'hui sur la planète. Si nous avons progressivement un conflit qui se dessine entre d'un côté Israël et le monde occidental, et, de l'autre, les pays arabes et l'Iran, un monde musulman, alors nous serions dans ce qu'on essaie d'éviter depuis maintenant plusieurs années, une guerre des civilisations qui est souhaitée par certains et qui serait terrible parce que cela nous entraînerait à un niveau de violence sans précédent.
Il faut donc tout faire, en dialoguant en particulier. Je parlais tout à l'heure de l'Iran. l'Iran est un grand pays qu'il faut respecter, qu'il ne faut pas caricaturer, qui a une jeunesse très bien formée et il faut bien comprendre le besoin de reconnaissance de l'Iran dans le monde - en particulier par les Etats-Unis -, et le rôle de stabilisation de l'Iran dans la région. Si le Liban est déstabilisé, vous aurez une région déstabilisée, et si la région se déstabilise, ce sera évidemment une poudrière.
Q - Philippe Douste-Blazy, nous n'avons pas parlé de la situation des Français toujours présents à Beyrouth. Qu'est-il prévu pour eux aujourd'hui, pour ceux qui veulent rester surtout ?
R - Nous avons été les premiers à réagir. Le Liban allait tellement mieux, c'est cela qui est terrible dans cette affaire, c'est que c'est un retour trente ans en arrière. Nous n'avons pas voulu organiser un plan d'évacuation du Liban car nous croyons à l'avenir du Liban. Il y a 17.500 résidents franco-libanais qui veulent rester là-bas. Nous avons organisé le rapatriement des 8.000 à 9.000 Français de passage, en vacances, des enfants en particulier. Jeudi, après le départ du dernier ferry, 8.000 Français auront été rapatriés.
Je voudrais ici rendre hommage au personnel de l'ambassade à Beyrouth, à Chypre, en Israël, car ils travaillent énormément. Ils ne dorment que trois heures par nuit et ils sont épuisés. Je voudrais vraiment les féliciter. Ils ont, en particulier, exfiltré les Français qui étaient piégés au sud du Liban. Ils ont su les ramener avec l'aide de l'armée française, de la protection civile, des ONG et de la Croix-Rouge, que je salue.
Q - (Un auditeur) Quels sont les fournisseurs des pays arabes concernant l'armement ?
R - Il est probable qu'il y ait en effet des relations avec la Syrie, en particulier, qui arme en grande partie le Hezbollah. En tout cas, ce qui me paraît aujourd'hui le plus important, c'est d'essayer de substituer une course à la négociation et au respect de l'autre à une course à l'armement. Et même si on n'a pas la même religion, si on n'a pas la même vision des choses, on doit se respecter, mais pour se respecter, il faut mieux se connaître.
Alors, je réponds à une question sur l'armement par le respect des connaissances, ce que Jacques Chirac avait appelé "le choc des ignorances" plutôt que le choc des civilisations.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2006
R - Oui, je suis déçu car, hier, il y avait plusieurs enjeux. Le premier, c'était en effet d'écrire qu'il fallait arrêter immédiatement les hostilités ; c'était ce que la France demandait. Nous y sommes allés dans ce sens et je dois dire qu'on a beaucoup entendu parler d'humanitaire. Je me suis simplement permis de dire que la première des choses pour aider ces personnes, c'est peut-être de faire en sorte que les bombes ne leur tombent pas dessus ; c'est la première étape de l'humanitaire. Nous n'avons pas été suivis là-dessus mais nous l'avons été pour le reste.
Les Américains, il y a quelques jours, parlaient encore de l'envoi d'une force militaire internationale sous le commandement de l'OTAN alors que le cessez-le-feu n'aurait pas encore existé. Nous avons indiqué qu'il n'était pas possible, qu'il n'était pas pensable qu'une force internationale soit mise en place au Liban alors qu'un cessez-le-feu durable, un accord politique pour un cessez-le-feu durable ne serait pas trouvé. Cela a été accepté et figure dans la déclaration présidentielle d'hier, voilà l'enjeu.
La diplomatie française a gagné sur cette partie ; d'abord, un accord politique entre les parties, un cessez-le-feu durable, et uniquement à ce moment-là, une force internationale sous mandat de l'ONU et pas de forces de l'OTAN.
Q - Cette force est un projet cher à Jacques Chirac, quel rôle précis pourrait jouer la France dans cette force ?
R - Dans la mesure où il y aurait un accord que nous avons détaillé hier - puisque la France a présenté un plan avec les principes d'une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies -, nous avons demandé qu'il y ait une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies, au niveau ministériel, au début du mois d'août ou à la fin du mois de juillet, afin que nous puissions présenter ce plan.
Ce plan, de quoi s'agit-il ? D'un côté, pour Israël, le désarmement du Hezbollah, la résolution 1559, nous avons toujours condamné le Hezbollah, il faut le désarmer ; la libération des deux soldats israéliens sans condition aucune et une zone tampon au sud du Liban. Du côté libanais, nous voulons à tout prix que l'on puisse garantir la souveraineté du Liban, c'est-à-dire déployer l'armée libanaise au sud du pays ; les fermes de Chebaa doivent revenir au Liban et les prisonniers libanais qui sont aujourd'hui en Israël doivent être libérés.
Cela correspond aux termes de l'accord et si nous l'obtenons, la France peut tout à fait participer à une force multinationale, sous le mandat de l'ONU, et nous avons demandé que le Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, soit reconnu comme le seul acteur dans cette affaire.
Q - Les Israéliens ont accepté l'idée de cette force internationale. Ils ne veulent plus d'une force du type FINUL qui n'est là que pour compter les points. Ils réclament un véritable mandat, un véritable engagement, une force susceptible de subir des pertes et d'en infliger. La France est-elle prête à perdre des soldats au Sud-Liban ?
R - C'est ce que je vous disais, il faut faire extrêmement attention aux mots. Nous pensons que la force internationale, multinationale, ne peut être mise en oeuvre que s'il y a un cessez-le-feu durable.
Q - Oui, mais quel sera son mandat ?
R - Son mandat sera de s'assurer du désarmement du Hezbollah et du déploiement de l'armée libanaise qu'elle devra entraîner, former, pour la mettre en place progressivement. Cette force devra aussi veiller à ce que le cessez-le-feu soit respecté.
Je crois qu'aucune solution purement militaire ne pourra venir à bout du Hezbollah, ni du côté israélien ni du côté d'une force multinationale. Nous ne devons pas suivre la voie des trois "B" : Bassora, Bagdad, Beyrouth, car ce serait terrible et, en tout cas, la France ne le souhaite pas. Nous disons donc oui à un accord politique entre les parties, entre le gouvernement libanais et le Hezbollah d'un côté, entre le Liban, Israël et la communauté internationale de l'autre.
Q - Un cessez-le-feu, la nécessité de rétablir la souveraineté du Liban et de faire appliquer la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU, à savoir le désarmement du Hezbollah, mais qui se chargera de ce désarmement ?
R - C'est tout l'enjeu de cet accord politique. Je viens de vous le dire, je ne crois pas à une solution purement militaire, il faut trouver une solution progressivement, avec des négociations et un dialogue politique. Vous savez, la violence ne mène à rien nulle part, en particulier dans cette région du monde. Nous pensons que le panorama est extrêmement préoccupant.
L'Iran et les Etats-Unis peuvent jouer un rôle très important dans la région. Il faut à tout prix que la spirale de la violence n'aboutisse pas à la formation de deux blocs avec, non pas les arabes et les juifs, mais les musulmans et les occidentaux.
Q - Il faut donc parler avec tout le monde ?
R - C'est très important. Vous me parlez d'une force internationale, mais, il ne faut pas que l'on aboutisse à une force OTAN ou une force seulement occidentale. Sinon, comment voulez-vous que les pays arabes, dont les populations et les opinions publiques bougent actuellement, voient arriver sur leur sol, au coeur de leur souveraineté, une force qui serait purement occidentale ? Nous tomberions alors dans une guerre des civilisations.
C'est tout ce que la France - et le président de la République, à plusieurs reprises depuis trois ans, l'a dit - veut éviter.
Q - Il faut donc parler avec la Syrie et l'Iran ?
R - En tout cas, nous pensons que l'Iran, qui est un grand pays, une grande civilisation, doit jouer un rôle dans la région. Nous avons une discussion concernant le nucléaire avec ce pays. C'est vrai que nous avons décidé, à six, les membres permanents du Conseil de sécurité plus l'Allemagne, de tendre la main en faisant des propositions sur le plan nucléaire, sur le plan économique et politique à l'Iran. Si l'Iran ne saisit pas cette main, nous nous sommes mis d'accord pour nous tourner vers le Conseil de sécurité. Mais, en dehors de cette discussion, nous devons en ouvrir une autre sur la stabilisation de la région. L'Iran peut et doit jouer un rôle de stabilisation dans la région.
Q - Le Liban est aujourd'hui dans une situation complètement ubuesque, avec une armée quasiment inexistante, deux membres du Hezbollah dans son gouvernement.
Il faut aussi discuter avec le mouvement chiite et faudra-t-il aussi l'intégrer dans l'armée libanaise et lui donner plus d'importance au sein du gouvernement libanais ? Est-ce une solution ?
R - Ce qui est certain en tout cas, c'est qu'en effet, la solution ne peut venir que d'une transformation progressive du Hezbollah, mouvement armé, en un mouvement politique. Je sais que le dire ainsi paraît franchement naïf, mais c'est la seule solution. Pourquoi ? Parce que, le Hamas du côté palestinien, le Hezbollah du côté libanais, sont des mouvements armés qui tirent leur popularité de l'humiliation des opinions publiques arabes et de la pauvreté.
A côté d'une négociation politique, il faudrait avoir un grand soutien économique. Prenons l'exemple de la santé publique : pourquoi ne pas élaborer un grand plan concernant les hôpitaux dans cette région ? Ou un plan concernant les universités aussi, pour la formation de la jeunesse ? Si vous laissez ce sentiment d'humiliation se développer, vous aurez des mouvements comme le Hamas et le Hezbollah qui profiteront de la dureté de la vie quotidienne pour proposer des crèches pour les enfants, des appartements sociaux pour ceux qui sont pauvres et ainsi de suite
Il faut que nous élaborions un grand plan et dans ces conditions, puisqu'il faut de l'argent, l'Occident d'une part mais également les pays arabes d'autre part, qui ont aussi beaucoup d'argent en raison des ressources tirées du pétrole et du gaz, devraient à leur tour prendre toutes leurs responsabilités. Je le pense profondément.
Q - Autres conditions posées par Israël pour arrêter les bombardements, c'est la libération des soldats enlevés au Sud-Liban. Aujourd'hui, vous rencontrerez les familles de ses soldats, qu'allez-vous leur dire ?
R - J'ai déjà rencontré la famille du caporal Shalit, ce soldat de 20 ans qui possède également la nationalité française et qui a été enlevé près de la bande de Gaza il y a un mois maintenant.
Je voudrais tout simplement dire aux familles des soldats enlevés, que la France a d'abord condamné ces enlèvements, que ce soit du côté du Hamas que de celui du Hezbollah. Nous l'avons toujours fait. Nous avons également demandé la libération sans condition de ces trois hommes. Concernant le caporal Shalit, j'ai rencontré, du côté palestinien, M. Mahmoud Abbas il y a trois jours, mais aussi, du côté israélien, Ehud Olmert. Avec eux, j'ai pu aborder, à la fois la question de la libération du caporal Shalit mais aussi celle de la libération de prisonniers palestiniens qui sont incarcérés en Israël depuis plus de 25 ans.
Q - Très rapidement, Monsieur le Ministre, hier, nous recevions ici Olivier Haruth qui est porte-parole de l'armée israélienne et qui a réclamé un rôle, une intervention de la France plus importante pour la libération de ces deux soldats.
R - Pour des raisons de confidentialité que vous comprendrez, je ne peux pas parler trop en détail de cette affaire. Mais ce que je peux vous dire, c'est que nous sommes en contact quotidien avec les Palestiniens et en particulier, avec le président de l'Autorité palestinienne. Moi, je suis quotidiennement en contact. Je me suis beaucoup investi et j'espère que nous aurons la libération du caporal Shalit très bientôt.
Q - Merci d'être resté avec nous, Monsieur le Ministre. La semaine dernière vous vous êtes rendu au Proche-Orient dans les deux camps, en Israël puis à Beyrouth où vous avez dénoncé la situation humanitaire désastreuse de la population libanaise. Aujourd'hui, Israël est accusé de violer le droit humanitaire au Liban en bombardant notamment des cibles civiles, premières victimes de cette guerre. Vous l'avez constaté, vous, sur place ?
R - J'ai surtout constaté que la situation devenait de plus en plus terrible puisque les infrastructures civiles sont touchées. L'aéroport de Beyrouth et tous les ports libanais ont été touchés, ainsi que les ponts, les routes, les autoroutes, des usines alimentaires, des centrales électriques... Nous sommes obligés de mettre en oeuvre un pont aérien et maritime pour acheminer des groupes électrogènes pour les hôpitaux, des stations d'eau potable, des rations alimentaires, des médicaments - des médicaments pédiatriques en particulier. Il y a, en effet, 700 à 800.000 personnes sur les routes d'après le Haut Comité pour les Réfugiés. J'ai demandé au Premier ministre israélien, lorsque je l'ai vu à Jérusalem, dimanche dernier, de laisser les autorités libanaises réouvrir rapidement une piste de l'aéroport.
Q - D'après vous, il y a donc une volonté délibérée de toucher des cibles civiles ?
R - Le problème, c'est que la guérilla du Hezbollah ne permet pas de discriminer d'un côté les personnes du Hezbollah et, de l'autre, la population civile. On sait que le Hezbollah est essentiellement implanté dans le Sud, mais les Israéliens bombardent l'ensemble du territoire. J'ajoute que je suis aussi allé à Haïfa, dans le Nord d'Israël, qui reçoit un nombre de roquettes incalculable par jour, alors que...
Q - ... Vous-mêmes vous avez été près...
R - Il faut remonter à 1973 pour connaître une période comme celle-là, avec des tirs de roquettes aussi important sur Haïfa, sur Tibériade, sur l'ensemble du nord d'Israël. Il faut que cela cesse et c'est pour cela que je suis très déçu de l'attitude, en particulier américaine, d'hier, parce que la première des choses qu'il faut faire dans ces conditions - surtout si on veut avoir un accord politique - c'est demander un cessez-le-feu immédiat. La communauté internationale ne s'honore pas à ne pas demander un cessez-le-feu immédiat.
Q - (un auditeur) N'est-ce pas, de la part de la diplomatie française, de la pure gesticulation tant que vous ne tiendrez pas compte du fait qu'il y a une volonté de l'axe israélo-anglo-américain, en bons démocrates qui se respectent, de remodeler le Moyen-Orient ? Pour savoir exactement ce qu'ils veulent faire, je vous conseille de vous adresser au propagandiste sioniste sur France-Inter, Bernard Guetta. Vous savez Sunnites et Chiites, ce n'est pas tout à faire l'appartenance religieuse, c'est l'appartenance à un peuple. Donc, on voit là bien ce qui se passe...
Q - (le journaliste)... C'est le nouveau Moyen-Orient souhaité par Condoleezza Rice...
R - D'abord, je crois que Bernard Guetta est quelqu'un qui est respecté par tous, même si vous ne partagez pas obligatoirement ses idées, comme moi les vôtres et vous les miennes.
La gesticulation, c'est évidemment un mot qui est blessant parce que, dans cet endroit du monde, nous ne pensons pas toujours comme les Américains. Il se trouve justement que depuis deux ans, sur le sujet libanais, les Etats-Unis et la France ont beaucoup travaillé ensemble. Ce sont ces deux pays qui ont proposé - en particulier le président Chirac -, la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies qui vise, notamment, à désarmer toutes les milices du Liban, y compris le Hezbollah. Nous n'étions pas d'accord sur l'Irak mais nous travaillons sur le Liban.
Et, après tout, les élections démocratiques du Liban de juin dernier, il y a un an, ont permis la mise en place d'un gouvernement, celui de Fouad Siniora, qui est le symbole de la restauration du Liban.
Nous ne partageons pas l'idée selon laquelle il faut remodeler le Proche et le Moyen-Orient et repenser cette région vu de l'extérieur. Nous ne pensons pas que des forces internationales puissent venir à l'intérieur d'un pays, nous pensons que la souveraineté, l'indépendance et l'intégrité de tous les pays doivent être respectées. Ce n'est pas de la gesticulation, ce sont des convictions et, croyez-moi, au Conseil de sécurité des Nations unies, dans quelques jours, je ferai entendre cette voix et n'oubliez pas que la France est membre permanent du Conseil de sécurité.
Q - Trois semaines de bombardements, c'est long. Cela va durer encore longtemps ?
R - Nous avons appelé à la cessation des hostilités. Nous allons...
Q - ... Depuis trois semaines, on appelle à la cessation...
R - Oui. Nous allons repartir sur le terrain. Nous avons défendu hier, pour la première fois, le plan français que je vous ai détaillé tout à l'heure, et qui favorise un accord politique. Nous avons déjà des avancées ; on voit bien que le gouvernement libanais et le gouvernement israélien, sur certains sujets, pourraient être d'accord.
Je crois beaucoup à la diplomatie ; il n'y aura pas de solution purement militaire à ce conflit contre le Hezbollah, ce n'est pas possible. La seule solution, c'est de pouvoir se parler. Je trouve, comme vous, que c'est très long, trop long et qu'il faut vite se mettre autour d'une table ; la France, en tout cas, fait tout pour cela.
Q - Lorsque vous avez rencontré Ehud Olmert en début de semaine, vous lui avez demandé quand, justement, cesseront ces hostilités au Sud-Liban, il vous a répondu : "Il faudra le temps qu'il faudra pour anéantir le Hezbollah, peut-être un an" ?
R - Mais il ne peut pas y avoir de solution militaire, parce que prenez cette date...
Q - ... Mais Israël...
R - ... oui, mais qui n'est pas possible. Il y a une évolution quotidienne des opinions publiques arabes et, progressivement, des manifestations de rue s'organisent. Et même si les dirigeants expriment une position moins dure sur le conflit, le peuple, l'opinion publique, les personnes qui vivent dans ces pays, sont de plus en plus remontées contre les Israéliens, et aussi, progressivement, contre l'Occident. Il faut donc faire très attention, agir très vite et montrer que l'Occident ne souhaite pas donner une leçon aux pays arabes. Il faut au contraire que chacun puisse se sentir respecté et avoir la tête haute.
Q - (Un auditeur) J'ai une tante qui habite dans le nord d'Israël et cela fait des mois, voire depuis qu'Israël a quitté le Liban, qu'ils reçoivent des "katioucha" sur la tête. Je n'ai pas entendu ni M. Douste-Blazy, ni son prédécesseur, se plaindre ou pleurer pour ces gens-là. Est-ce que les Israéliens valent moins chers que les Libanais ?
R - Vous ne pouvez pas dire cela. La France a immédiatement condamné les actions du Hezbollah et, en particulier, le 12 juillet au matin, l'enlèvement de ces deux soldats israéliens par le Hezbollah. Nous qui avons pratiquement écrit cette résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, la 1559 dont je viens de parler, et qui oblige la communauté internationale à désarmer le Hezbollah. Je suis allé à Haïfa, il y a quatre jours, avec le président de la communauté juive de France, M. Cukierman, et des parlementaires français - et je ne crois pas qu'il y ait un autre ministre des Affaires étrangères qui y soit allé -, pour affirmer justement, ma solidarité au maire d'Haïfa et à la population israélienne.
Vous savez, ce n'est pas en tenant de tels propos que nous pourrons avancer. Je crois qu'il y a, de part et d'autre, des personnes qui comprennent que si on n'agit pas maintenant, une spirale absolument infernale va se mettre en place et, permettez-moi de le redire, non seulement entre Israël et le Hezbollah, mais aussi, progressivement, entre Israël et les pays arabes, et entre l'Occident et le monde musulman. Ce serait terrible et c'est tout ce que la France, le président de la République en particulier, veut éviter depuis le début des hostilités en Irak.
Q - (Un auditeur) Moi, aussi, je voudrais revenir sur ce mot "agitation diplomatique", est-ce que ce n'est pas aveu d'impuissance militaire ? Car, si la France avait les moyens militaires d'interdire les bombardements au Liban, je crois que les Libanais préféreraient qu'il y ait par exemple des Rafales au-dessus du Liban pour empêcher les bombardements ?
R - En réalité, c'est justement ce que nous voulons éviter. Arriver avec une armée, que ce soit la France ou que ce soit un autre pays possédant une armée moderne, serait terrible si un cessez-le-feu n'était pas durable. Imaginez qu'on envoie des milliers d'Européens au Liban aujourd'hui, dans le Sud-Liban, entre des Israéliens qui bombardent et un Hezbollah qui envoie des roquettes, imaginez qu'il y ait, à un moment donné, une centaine de morts. Avec la puissance de feu d'une armée moderne, nous rentrerions immédiatement dans une guerre effrayante.
Nous ne croyons pas à une force multinationale, comme en Irak, qui viendrait à l'encontre d'une souveraineté et d'une intégrité territoriales. Nous pensons qu'il faut d'abord un accord politique. C'est très long, en effet, c'est trop long pour tout le monde. Mais la seule solution, c'est d'essayer de se parler, de tirer les fils les uns et les autres, d'essayer d'aller dans tous les pays pour voir ce qui marcherait, ce qui ne marcherait pas et, ensuite, proposer un accord politique le plus vite possible.
Nous avons quelques jours devant nous. Le Conseil de sécurité des Nations unies, dès aujourd'hui, va s'occuper de cette affaire au niveau des ambassadeurs. Je souhaite que, tout début août, au niveau ministériel, nous votions cette résolution.
Q - Sur l'engagement de la France - c'est une question récurrente, nous en parlions juste avant la revue de presse -, nous avons Frédéric qui demande si la France est prête à supporter des morts français, des soldats français.
(Un auditeur) La France est-elle prête à supporter des morts en cas de participation à la force internationale et je pense particulièrement au 58 parachutistes tués par le Hezbollah lors de la destruction du Drakkar au Liban ? Et puis, je voudrais savoir - le Hezbollah qui a mis le nord d'Israël en feu avec des milliers de réfugiés -, ce que feront la France et la Croix-Rouge en faveur des civils et des Français d'Israël. Et pourquoi, finalement, la France ne met pas le Hezbollah au rang des organisations terroristes ?
R - D'abord, la France a toujours dit qu'elle était contre une force multinationale en cas de guerre, comme je l'ai dit à plusieurs reprises ce matin. La France pourrait se poser, en effet, la question de sa participation à une force multinationale sous mandat de l'ONU, avec l'assurance que l'ONU contrôlera cette force multinationale, mais à une condition, c'est qu'il existe un accord politique entre les parties. Cet accord politique, nous l'avons défini ; nous avons même distribuer une ébauche de résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, hier à Rome, et nous espérons qu'il pourra être trouver. S'il est trouvé, il y aura un cessez-le-feu durable et nous pourrons y aller. Si nous décidions de participer à cette force, il est évident qu'il faudrait aussi assumer tous les risques.
Concernant le Hezbollah, je sais que c'est une question qui peut se poser puisque le Hamas est sur la liste des mouvements terroristes au niveau de l'Union européenne. Je tiens à vous dire que ce n'est pas au moment où il faut trouver un accord politique, ce n'est pas au moment où on essaie de transformer le Hezbollah de mouvement armé - et l'on voit ce qu'il fait aujourd'hui et que nous avons condamné - vers un mouvement politique que nous devons gérer ce genre de questions.
Q - Et cela passera par la reconnaissance par le Hezbollah de l'Etat d'Israël ?
R - Il faudra, en effet, obligatoirement, qu'il y ait, de toute façon, une frontière respectée - c'est d'ailleurs prévu par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Si vous prenez un pays comme la Syrie, qui est un pays voisin, il faut qu'il y ait des postes diplomatiques syriens au Liban et des postes diplomatiques libanais en Syrie. Il faut, en effet, avancer sur le plan diplomatique. Ce n'est pas sur le plan militaire, encore une fois, que l'on pourra avancer.
Q - (Un auditeur) Je voudrais demander à Monsieur le Ministre si ce ne serait pas une éventualité que la violence qu'Israël déploie actuellement au Liban n'est pas destinée à susciter une réaction de la Syrie et ensuite de l'Iran pour qu'Israël puisse intervenir au niveau de l'Iran et régler ainsi le problème nucléaire qui, je pense, leur pose un gros problème à eux comme aux Etats-Unis d'ailleurs - puisque je pense qu'Israël est le bras armé des Etats-Unis.
R - Ce n'est pas seulement le problème des Etats-Unis et d'Israël. Je vous rappelle que le 1er juin à Vienne, la communauté internationale, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, y compris la Russie et la Chine, mais aussi l'Allemagne, a décidé - et cela a été confirmé le 12 juillet au ministère français des Affaires étrangères - de tendre la main à l'Iran sur le plan du nucléaire civil, pacifique, à des fins donc non militaires. Mais si l'Iran ne prenait pas cette main, il a été décidé de proposer des sanctions au Conseil de sécurité des Nations unies sous le chapitre 7 - article 41.
Cependant, je crois que ce que vous évoquez est évidemment un des sujets les plus importants aujourd'hui sur la planète. Si nous avons progressivement un conflit qui se dessine entre d'un côté Israël et le monde occidental, et, de l'autre, les pays arabes et l'Iran, un monde musulman, alors nous serions dans ce qu'on essaie d'éviter depuis maintenant plusieurs années, une guerre des civilisations qui est souhaitée par certains et qui serait terrible parce que cela nous entraînerait à un niveau de violence sans précédent.
Il faut donc tout faire, en dialoguant en particulier. Je parlais tout à l'heure de l'Iran. l'Iran est un grand pays qu'il faut respecter, qu'il ne faut pas caricaturer, qui a une jeunesse très bien formée et il faut bien comprendre le besoin de reconnaissance de l'Iran dans le monde - en particulier par les Etats-Unis -, et le rôle de stabilisation de l'Iran dans la région. Si le Liban est déstabilisé, vous aurez une région déstabilisée, et si la région se déstabilise, ce sera évidemment une poudrière.
Q - Philippe Douste-Blazy, nous n'avons pas parlé de la situation des Français toujours présents à Beyrouth. Qu'est-il prévu pour eux aujourd'hui, pour ceux qui veulent rester surtout ?
R - Nous avons été les premiers à réagir. Le Liban allait tellement mieux, c'est cela qui est terrible dans cette affaire, c'est que c'est un retour trente ans en arrière. Nous n'avons pas voulu organiser un plan d'évacuation du Liban car nous croyons à l'avenir du Liban. Il y a 17.500 résidents franco-libanais qui veulent rester là-bas. Nous avons organisé le rapatriement des 8.000 à 9.000 Français de passage, en vacances, des enfants en particulier. Jeudi, après le départ du dernier ferry, 8.000 Français auront été rapatriés.
Je voudrais ici rendre hommage au personnel de l'ambassade à Beyrouth, à Chypre, en Israël, car ils travaillent énormément. Ils ne dorment que trois heures par nuit et ils sont épuisés. Je voudrais vraiment les féliciter. Ils ont, en particulier, exfiltré les Français qui étaient piégés au sud du Liban. Ils ont su les ramener avec l'aide de l'armée française, de la protection civile, des ONG et de la Croix-Rouge, que je salue.
Q - (Un auditeur) Quels sont les fournisseurs des pays arabes concernant l'armement ?
R - Il est probable qu'il y ait en effet des relations avec la Syrie, en particulier, qui arme en grande partie le Hezbollah. En tout cas, ce qui me paraît aujourd'hui le plus important, c'est d'essayer de substituer une course à la négociation et au respect de l'autre à une course à l'armement. Et même si on n'a pas la même religion, si on n'a pas la même vision des choses, on doit se respecter, mais pour se respecter, il faut mieux se connaître.
Alors, je réponds à une question sur l'armement par le respect des connaissances, ce que Jacques Chirac avait appelé "le choc des ignorances" plutôt que le choc des civilisations.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juillet 2006