Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO à RMC le 20 juin, sur la privatisation de Gaz de France, le service public et la concurrence.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-C. Mailly
(FO)
RMC Info
8h35
J.-J. Bourdin
le 20 juin 2006
Q- Merci d'être avec nous ce matin. Alors, cette fameuse fusion, elle est reportée à septembre. Le Gouvernement va présenter le 28 juin en conseil des ministres le projet de loi permettant cette fusion GDF/SUEZ. Débat ensuite au mois de septembre, au Parlement, lors d'une session extraordinaire. J.-C. Mailly, trois syndicats, dont le vôtre, appellent à la grève aujourd'hui à Paris et en régions, pour protester contre la privatisation de GDF... Quelle forme, cet appel à la grève aujourd'hui ?
R- Ecoutez, c'est un appel à la grève...
Q- Il y aura des coupures ou pas ?
R- Ce n'est pas sûr. C'est un appel à la grève de trois organisations syndicales pour protester contre la privatisation de GDF, c'est ça le problème de fond.
Q- Bon, privatisation ou la fusion ?
R- Les deux sont liées. Il faut bien comprendre, il y a deux ans, le ministre de l'Economie et des Finances de l'époque, N. Sarkozy, fait voter au Parlement une loi disant " on ouvre le capital de GDF et d'EDF mais on prend l'engagement que jamais la part de l'Etat ne descendra en dessous de 70 % ". C'est il y a deux ans, ça. Et deux ans après, au moins déjà pour GDF, le Gouvernement dit : " eh bien si, il faut faire la fusion avec Suez, entreprise privée, donc à partir de là il faut privatiser GDF ". Donc deux ans après, on revient complètement sur un engagement qui a été pris. Premier élément. Deuxième élément, que Suez soit menacée, mais est-ce que l'on se pose des questions ? Pourquoi Suez est menacée aujourd'hui, qui est responsable de la nature du capital de Suez, par exemple ? Le fait qu'il y ait 30 % du capital déjà détenus par des fonds de pension ou des fonds financiers, ça explique une fragilité. Personne ne se pose cette question là. Quand j'entends le responsable de Suez dire " il faut privatiser GDF pour faire la fusion mais pas question pour...
Q- Le PDG dit : " si la fusion avec GDF n'est pas engagé cet été, Suez cherchera d'autres options pour protéger l'avenir du groupe et protéger l'avenir des 160.000 salariés du groupe.
R- Attendez, qu'il y ait un problème sur Suez, personne ne le nie, mais y compris l'Etat d'une manière directe ou indirecte - il y a des organismes tels que La Caisse des Dépôts, qui pourraient intervenir sur Suez, sauf que le patron de Suez dit " il n'est pas question de nationaliser quoi que ce soit ". Je ne revendique pas la nationalisation de Suez, qu'on se comprenne bien. Il faut que GDF se privatise pour protéger Suez, mais pas question de faire autre chose. Donc, ce qu'il faut voir à travers ça, c'est qu'il y a plein de contradictions dans ce dossier. Moi, je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement qui par exemple a une conception libérale de la construction européenne, comme les autres gouvernements, accepte qu'EDF aille acheter des entreprises en Italie, et quand une entreprise italienne dit " j'aimerais bien, moi, intervenir sur le marché français ", " ah non, surtout pas ". Alors, il y a une contradiction. Ou alors il a une conception moins libérale de l'Europe, et qu'il le dise. Voyez, il y a plein de contradictions.
Q- Oui, mais, J.-C. Mailly, si l'Italien intervient sur le marché français, les emplois, chez Suez, pourraient être aussi menacés.
R- Mais je dis bien, il y a une menace sur Suez ; c'est évident, mais cette menace sur Suez, est-ce que la seule solution c'est de dire " on va privatiser GDF ? " Quelle est la garantie ?
Q- Vous pensez que l'on veut sauver Suez au détriment de GDF ?
R- Au détriment, je n'en sais rien, mais qui donne la garantie, par exemple, qu'un
nouvel ensemble, constitué Suez/GDF, ne serait pas demain OPAble ?
Q- Alors, certains disent : " c'est un ensemble qui sera beaucoup plus
puissant...
R- Plus gros.
Q- ... plus gros, qui va pouvoir mieux défendre les intérêts français, parce que par exemple pouvoir acheter le gaz auprès des fournisseurs, à un meilleur prix, comme il sera plus puissant.
R- Là aussi, tout vient de quoi ? Tout vient des engagements pris par les gouvernements, au niveau européen, en terme de libéralisation de l'énergie. L'Europe a conduit à ce que les contrats long terme soient remis en cause, ce qui a perturbé le marché international de l'énergie, ce qui a fait réagir les Russes, notamment, on a vu tous les problèmes ces derniers temps. Mais vous savez que quand le Gouvernement dépose le dossier à Bruxelles, puisque l'un des effets du retard c'est que l'on aura la réponse de Bruxelles avant. L'un des éléments c'est de dire " on est en train de constituer un concurrent à EDF ". Est-ce que c'est l'objet ? Est-ce qu'il est important qu'en France, il y ait une deuxième entreprise importante qui soit concurrente d'EDF ?
Q- Certains...
R- Moi non. Moi j'étais plutôt favorable, à l'époque, à ce que l'on fusionne deux trucs qui marchaient bien, EDF et GDF. Et à l'époque, on m'a dit : " ah ben non, Bruxelles ne voudra jamais ". Et là, on nous dit que " ah mais Bruxelles pourra accepter un prix réglementé de l'énergie ". Eh bien, j'attends de voir, ce n'est pas aussi évident que ça.
Q- Pour en revenir au prix du gaz, parce que c'est ce qui nous importe, nous consommateurs, évidemment tous les experts - on peut se méfier des experts, mais quand même - tous les experts disent : " De toute façon, le prix du gaz va augmenter dans les années qui viennent, puisqu'il est
indexé sur le prix du pétrole ". Bien. Donc si le prix du gaz augmente, il va falloir négocier ce prix avec les fournisseurs, les grands fournisseurs, la Norvège, la Russie, l'Algérie et d'autres pays qui fournissent le gaz. Si on constitue un gros groupe, nous aurons plus de poids pour négocier le prix du gaz avec ces fournisseurs.
R- Attendez, est-ce que l'on ne se pose pas la question : et s'il y avait un service public de l'énergie au niveau européen ? Si on avait choisi cette voie, on serait encore plus important pour pouvoir négocier. Voyez, ça, ce sont, moi ce que je considère un peu comme des artifices. Je veux dire, le prix du gaz, notamment parce qu'il est indexé sur le prix du pétrole, comme vous le disiez, à juste titre, effectivement, va augmenter. Mais là, on n'a pas de garantie, quoi que ce soit, que cette opération là...Vous savez, en général, quand ça a été privatisé dans le domaine énergétique, on l'a vu partout, ça n'a pas fait baisser le prix, quoi qu'on en dise.
Q- Mais que craignez-vous avec la privatisation au-delà des prix ?
R- Il y a le problème des prix, il y a le problème... A un moment donné, quand on fait une fusion en entreprises il y a des doublons, il y aura un problème d'emploi et...
Q- Je voudrais rester sur les prix un instant, J.-C. Mailly, vous n'êtes pas certain qu'une privatisation va entraîner une augmentation plus importante du prix du gaz ?
R- On n'est pas certains mais en tous les cas, pour le moment, les privatisations qui ont été faites...
Q- L'Etat restera régulateur du prix, dit-il.
R- Oui, mais attendez, est-ce que Bruxelles a donné son feu vert là dessus ?
Q- Pas pour l'instant.
R- Eh ben voilà. Moi j'attends, parce que ce n'est pas évident que Bruxelles accepte, compte tenu de la conception libérale de l'Europe, qu'il y ait encore des tarifs réglementés. Des tarifs sociaux, peut-être, mais des tarifs réglementés, on est loin d'être sûr de ce type de choses. Donc il y a l'aspect prix, effectivement, et il y a l'aspect conséquences en chaîne. GDF privatisée constitue un nouvel ensemble, concurrent d'EDF. Que va dire demain le patron d'EDF, quel qu'il soit ? Attendez, il va se tourner vers l'Etat en disant : " maintenant vous m'avez construit un nouveau concurrent, moi j'ai besoin d'argent pour concurrencer, être en situation logique de concurrencer ". Et on va lui dire " ah ben non, l'Etat n'a pas d'argent, on ne peut pas vous aider ". Donc on ouvre le capital d'EDF. Il y a risque de cascade derrière ça, même si on nous dit aujourd'hui " ah, pas question ; EDF c'est le nucléaire, pas question de privatiser ". Mais on nous disait ça il y a deux ans pour GDF aussi. Donc il y a une très grande prudence. Moi, je comprends l'inquiétude des salariés de Suez, parce que, effectivement, l'entreprise est menacée. Ce que l'on dit c'est qu'il n'y a pas qu'une seule réponse possible qui serait, qui passerait obligatoirement par la privatisation de GDF. Il y a des instruments, il n'y en a plus beaucoup mais il y en a encore, telle que la Caisse des Dépôts, puisque ça tient aussi aux collectivités locales. L'eau, qui fait partie du groupe Suez, c'est aussi un service public, qu'on le veuille ou non.
Q- Alors, ce qui est étonnant dans ce projet de fusion, c'est que les salariés de
GDF et les salariés de Suez ne sont évidemment pas d'accord...
R- Mais c'est normal.
Q- Et les salariés de Suez sont, eux, favorables à la fusion...
R- C'est logique.
Q- Ils expliquent : s'il y a une OPA d'Enel sur Suez, eh bien les pools Environnement et Services de Suez - 70.000 salariés chacun - seraient vendus à des fonds de pension. Attendez, je rappelle qu'il y a déjà 30 % du capital de Suez qui est détenu par des fonds de pension.
R- Oui, c'est vrai.
Q- Moi, je comprends les salariés de Suez qui disent que pour eux, c'est peut-être plus rassurant d'avoir GDF que d'avoir Enel ou une autre entreprise, ça je peux le comprendre. Ceci étant, ils ne sont pas concurrents entre eux. Les salariés d'EDF, de GDF et de Suez n'ont pas obligatoirement la même façon de voir les choses mais ils ne se bagarrent pas entre eux, pour me faire comprendre, parce que l'on considère qu'il y a d'autres solutions possibles, que de faire une fusion qui passe par la privatisation de GDF. Quand le patron de Suez dit : " attendez, si vous ne vous décidez pas rapidement, nous on fera d'autres choix ". Attendez, c'est lui qui va [faire] un peu de chantage ? C'est le marché qui va dire à l'Etat : " voilà ce que vous devez faire ". Déjà, moi, j'avais été choqué quand c'est le Premier ministre qui annonce à la télé, sans en avoir parlé à personne : " eh ben voilà, j'ai décidé, ça va être la fusion ". Attendez, ce genre de chose ne se discute pas comme ça et on voit bien, d'ailleurs, que ça crée des remous, y compris dans la majorité même.
Q- Et y compris dans les syndicats puisque les syndicats sont divisés. Chez vous, par exemple, à Force Ouvrière, les syndiqués Force Ouvrière de chez Suez sont favorables à la fusion. Ils ne sont pas contradictoires pour autant avec les...
R- Ils comprennent les salariés de GDF qui défendent le service public de GDF, mais ce n'est pas pour uniquement une question de statut. En même temps, eux, disent : " ben oui, nous on est menacé ". Si la fusion était amenée à se faire, ce que je ne souhaite pas, est-ce que demain l'Europe ne dira pas, tant sur le marché français que sur le marché belge " il y a une situation de monopole " ? Parce que la fusion Suez/GDF conduirait à accroître le monopole, parce que Suez c'est aussi Electrabel en Belgique, et on exigerait de vendre un morceau de Suez ou d'Electrabel en Belgique, que pourrait racheter Enel - encore Enel - ou Véolia, ou je ne sais pas, moi. Donc, rien n'est
garanti en la matière, et je veux dire, c'est une décision qui a été prise de manière brutale et qui remet en cause - encore une fois, ce n'est pas un hasard- un élément important qui relève selon nous du service public. C'est là la différence que l'on a avec d'autres organisations. Nous, on est très attaché aux valeurs républicaines : pas la nationalisation de Renault, c'est évident, ça fabrique des voitures. Mais le gaz, l'électricité, ça fait partie, pour nous, du service public.
Q- On sait que pour diminuer les factures il y a aussi le développement des
énergies renouvelables, c'est l'une des solutions...
R- Oui.
Q- Est-ce que la fusion, oui ou non, favoriserait le développement des
énergies renouvelables ?
R- Ecoutez, je n'en sais rien et pas obligatoirement.
Q- Bon. Pas obligatoirement.
R- Pas obligatoirement. Attendez, les énergies renouvelables, qui se développent, effectivement, leur développement va surtout être dû au fait que le prix de l'énergie augmente de manière importante, donc c'est une question, aussi, à un moment, de rentabilité.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 juin 2006