Interview de M. Bernard Van Craeynest, président de la CFE-CGC, à BFM le 20 juin 2006, sur la privatisation de GDF et l'appel à la gréve et la mobilisation des syndicats de l'entreprise.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : BFM

Texte intégral

La CFE-CGC a fait la grève aujourd'hui
pour protester contre la privatisation de GDF.
Bernard van Craeynest
Le 20/06/2006 par BFM
Hedwige Chevrillon : Vous êtes le président de la CFE-CGC, c'est la confédération des cadres. Vous avez appelé à la grève aujourd'hui pour protester contre la privatisation de GDF, un appel à la grève que vous avez fait avec la CGT et FO. À signaler quand même que le front syndical s'est déserté puisque la CFDT n'a pas appelé à cette grève. Aujourd'hui, deux constats : d'abord, le gouvernement a reporté à la rentrée le projet de privatisation de GDF et puis surtout, c'est que la grève est très peu suivie. Selon la direction, 9,90 % de grévistes en fin de matinée, c'est donc plutôt un échec ?
Bernard van Craeynest : C'est une mobilisation assez faible, effectivement, mais qui est supérieure à la précédente, ce qui prouve que bon nombre de nos collègues de GDF ont compris que ce 20 juin nous étions quand même à une étape importante du processus, même si bien évidemment celui-ci a été perturbé ces derniers jours par les turpitudes politiques.
HC : Vous aviez dit "que la grève du 20 juin sera décisive". On ne peut pas dire que c'est décisif aujourd'hui.
BVC : Non, effectivement mais il y a quand même une certaine mobilisation et, ce que je constate, c'est qu'encore une fois cela fait des jours, des semaines, que nous nous activons pour faire en sorte d'y voir clair dans ce dossier - depuis l'irruption intempestive de monsieur de Villepin le 25 février dernier dans ce dossier. Nous dialoguons avec le ministre de l'Économie et des finances, le ministre de l'Industrie, les présidents des deux groupes concernés de GDF et de Suez, et nous avons continué à nous mobiliser tout simplement parce que nous n'obtenons pas de réponses à des questions claires, simples et précises que nous posons depuis le départ, à savoir quel est le contenu précis du projet industriel. On nous explique simplement que le fait de rapprocher Gaz de France et Suez va constituer une belle entité qui va disposer d'une large surface financière permettant de faire beaucoup de choses. C'est vague.
HC : Oui. Aujourd'hui, qu'est-ce que vous demandez ? Le gouvernement a quand même entendu peut-être les syndicats, mais surtout sa majorité - en l'occurrence, les députés UMP. C'est donc repoussé à la rentrée. Le projet de fusion en lui-même serait effectif à partir de décembre selon Thierry Breton, le ministre de l'Économie que vous venez de citer. Est-ce que pour vous, cela veut dire quand même que c'est repoussé aux calandres grecques ? - parce qu'après on rentre dans l'aspirateur de l'élection présidentielle.
BVC : Je crois que ce qui est à souligner, c'est qu'une nouvelle fois un dossier important est victime des turpitudes politiciennes.
HC : Turpitudes ou turbulences ?
BVC : Les deux. Mais enfin, étant issu du milieu aéronautique, j'accepte votre deuxième proposition. Nous voyons que c'est un dossier extrêmement important concernant donc l'indépendance de l'approvisionnement énergétique de la France d'un côté et l'avenir de la maîtrise, de la gestion, de la distribution de l'eau et de l'assainissement, que ce soit pour notre pays ou pour la conquête de marchés à l'étranger. Il faut quand même peut-être se rappeler que l'eau risque d'ailleurs d'être un enjeu bien plus important que le pétrole dans les années qui viennent pour lequel il risque d'y avoir davantage de conflits. Or, nous constatons que finalement ce dossier est entièrement entre les mains des parlementaires et en particulier des parlementaires de la majorité qui, échaudés par ce qui se passe depuis quelques mois dans ce pays, en ont un petit peu assez de se voir imposées des orientations qu'ils ne partagent pas forcément.
HC : Des oukases, on peut presque dire.
BVC : Des oukases.
HC : Cela veut dire, conclusion : aujourd'hui quelle est la position de la CFE-CGC ?
BVC : Elle est constante. Nous demandons toujours des réponses aux questions que nous posons, en particulier sur le projet industriel parce que, en ce qui concerne l'eau par exemple, il n'y a pas que Suez comme acteur. En ce qui concerne ce rapprochement, au mois de février on nous a dépeint ENEL comme étant en quelque sorte un épouvantail. Nous nous apercevons depuis la semaine dernière et la visite de monsieur Prodi que nos amis Italiens, finalement, sont fréquentables et que nous pourrions tout à fait dialoguer avec eux. C'est bien sur ces secteurs stratégiques de l'énergie et de l'eau vers une politique européenne qu'il faut se tourner, parce que les problèmes qui se posent à nous, quand le gouvernement nous explique que dans son projet de loi il va garantir les tarifs encadrés qui sont censés profiter aux consommateurs et en particulier les plus en difficulté...
HC : Cela vous rassure ou ne vous rassure pas ?
BVC : Non, cela ne me rassure pas parce que regardons tout simplement ce qu'il se passe dans le domaine pétrolier. Lorsque le ministre de l'Économie convoque les patrons des grands groupes pétroliers pour leur demander de faire un effort sur les prix lorsque le brut flambe, nous voyons bien que cela n'a pas beaucoup d'effet sur les prix à la pompe. Si l'État passe en dessous de 50 %, les actionnaires majoritairement privés n'auront comme souci premier que la rentabilité de leur entreprise et je vois donc mal comment on pourra garantir ces tarifs encadrés.
HC : Oui. Pour vous en fait, votre principal souci, et à juste titre, et la position de votre syndicat, c'est de défendre les tarifs. Si jamais c'était inscrit dans le texte de loi, vous dites : 'Attention ! c'est insuffisant'. Mais alors, qu'est-ce qu'on pourrait faire de plus ?
BVC : Encore une fois, nous ne sommes pas dogmatiques vis-à-vis de ce dossier, c'est-à-dire que nous ne sommes pas figés sur la présence de l'État à 70 % dans le capital. Nous considérons simplement que la puissance publique se doit d'être en capacité d'orienter, c'est-à-dire de détenir 50 % des actions plus une. La puissance publique, ce n'est pas uniquement l'État. Cela peut être aussi la Caisse des Dépôts, cela peut être aussi un certain nombre d'entités qui ont, en ce qui concerne la Caisse des Dépôts d'ailleurs, quelques moyens supplémentaires depuis le bouclage du dossier Natexis et en particulier la sortie des Caisses d'Epargne.
HC : Oui. Ils ont quand même récupéré 7 milliards d'euro. C'est sûr que cela fait quand même un petit peu d'argent. 34 % pour vous, ce serait insuffisant ? Même en minimum de déblocage, ce serait insuffisant ?
BVC : Oui, bien entendu. Ce n'est pas ce qui permet - on le voit bien sur d'autres dossiers - d'influer sur la marche des entreprises.
HC : Une golden share, est-ce que ce serait acceptable pour vous, à condition que l'Union européenne l'accepte ?
BVC : Oui. Je crois que dans ce dossier, ce n'est pas tant d'ailleurs le fait qu'il y ait une session extraordinaire au Parlement en septembre qui pose problème, puisque de toute façon le calendrier prévoyait bien que le dossier aboutirait ou non à la fin de cette année. Ce que j'observe, c'est qu'au mois d'octobre la commission européenne se prononcera sur le projet en question. On peut en attendre un certain nombre de remarques sur les composantes de l'éventuelle nouvelle entité. Nous verrons donc bien où nous en serons à ce moment là.
HC : Oui, ils ont ouvert une enquête en tous les cas.
BVC : Oui, une enquête approfondie. C'est ce qui nous confirme d'ailleurs dans l'idée que malheureusement ce n'est pas forcément ce qui va garantir l'intégrité d'un groupe comme Suez. Pour ce qui est de la golden share, ne rêvons pas trop. Là encore, nous sommes dans un marché mondialisé et le problème de Gaz de France c'est précisément l'amont - en l'occurrence l'approvisionnement. Vous savez que nous dépendons à plus de 33 % de la Russie. On a vu quand monsieur Poutine décide de fermer le robinet vis-à-vis de l'Ukraine ce que cela peut donner.
HC : Oui. Mais justement, c'est qu'on peut - lorsque vous avez un grand, style SUEZ GDF, c'est plus facile peut-être de peser sur les décisions russes que lorsque vous êtes GDF, ou cela reste quand même un petit acteur sur le marché de l'énergie.
BVC : Est-ce que vous croyez que Total, BP, Shell ou autre grand pétrolier ont une capacité à peser sur les pays producteurs de pétrole ? Ce sont pourtant des grandes multinationales. Là encore soyons réalistes et observons que nous avons effectivement une trop forte dépendance de la Russie. Il y a d'autres sources d'approvisionnement qu'il s'agira de privilégier. Le projet d'importation de gaz liquéfié en provenance de la cote est de l'Atlantique nous semble intéressant, mais là aussi...
HC : Là, Suez est vraiment un des acteurs principaux.
BVC : Oui, mais là aussi il faut y regarder de plus près et ne pas imaginer que cela va nous permettre de résoudre tous nos problèmes.
HC : Vous avez dit qu'un plan B était possible. C'est vrai qu'on se méfie beaucoup du plan B - on se souvient que les détracteurs du 'non' disait qu'il y a un plan B et on l'attend toujours. Là, le plan B pour vous, ce serait quoi ? Ce serait éventuellement une opération croisée entre SUEZ GDF ? Comment vous... et avec Enel ?
BVC : Et éventuellement avec d'autres acteurs. Encore une fois, je crois qu'il est important de se préoccuper du renforcement de la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne sur ces matières énergétiques, car c'est vital pour notre avenir commun, pour notre industrie, pour notre activité économique.
HC : Mais ceci expliquant peut-être cela, aujourd'hui on le disait vous avez appelé à faire grève avec FO et la CGT. La CFDT n'est pas de la partie, le front syndical se lézarde un peu. Est-ce que c'est là où vous voyez quand même que lorsque le front syndical n'est pas uni, vous avez moins de force mais il est vrai que là, vous avez chacun des schémas très différents. La CGT veut un rapprochement EDF - GDF, vous même vous n'excluez pas un rapprochement avec Enel. Comment faites-vous pour essayer de vous mettre d'accord sur un projet ?
BVC : Vous savez, si nous avons des visions aussi différentes, c'est probablement parce que depuis le début de cette affaire, nous voyons que le gouvernement en dehors d'être obstiné sur ce rapprochement GDF - SUEZ, n'a pas une approche qui permet d'envisager toutes les solutions. À partir de là, il nous appartient d'étudier le dossier et de voir qu'il y a peut-être plusieurs possibilités. Chacun a son approche. L'intérêt, l'important c'est qu'au delà des positions affichées à l'instant T, je constate que nous sommes en capacité de dialoguer et, en ce qui nous concerne, nous sommes tout à fait ouverts pour faire évoluer nos positions à partir du moment où cela nous permettra d'y voir clair et d'aller vers des solutions concrètes qui résolvent les problèmes qui nous sont posés.
HC : Je rappelle que vous êtes président de la confédération des cadres. La CGT a appelé à demander un SMIC à 1 500 euro tout de suite. On sait que cela fait partie d'une des propositions du Parti socialiste, mais lui c'est à échéance 2012. Là, la hausse est le 1er juillet comme d'habitude, la hausse traditionnelle. 1 500 euro tout de suite, cela vous paraît raisonnable, normal, logique, absurde ?
BVC : Cela me paraît excessif, surtout compte tenu de l'évolution que nous avons connue ces dernières années du fait des 35 heures. Je crois qu'il faut être conscient du fait que nous sommes dans une économie ouverte, une concurrence importante et que surtout les relèvements intempestifs du SMIC, en dehors du fait qu'il faut regarder qu'il y a un certain nombre de grilles salariales dans certaines branches qui ne suivent pas, cela crée malheureusement des trappes à chômage pour les moins qualifiés. Soyons donc prudents sur ce genre d'annonce qui pourrait, malheureusement, n'être que démagogique.
HC : Là, en l'occurrence prudent, l'autre jour vous étiez pantois devant la proposition de Laurence Parisot, la présidente du Medef, en fait de transférer la part patronale des cotisations sociales - on sait qu'il y a toute une réflexion autour de la cotisation sociale - sur le salarié avec, en compensation, une augmentation du salaire brut. En quoi cela vous laisse pantois ?
BVC : Tout simplement parce que nous avons rencontré dans le cadre des rencontres bilatérales voulues par le Medef, madame Parisot le 24 mai. Nous avons eu deux heures et demi d'entretien. À aucun moment elle n'a évoqué, ou ses collègues, ce projet.
HC : On va rappeler qu'elle a fait un tour de piste. Elle a reçu aussi vos homologues Bernard Thibault, Jean-Claude Mailly et François Chérèque.
BVC : Absolument. Ce qui m'apparaît désagréable dans ce genre de solutions sorties du chapeau, c'est d'une part la justification : responsabiliser le salarié. Moi, je demande responsabiliser ou culpabiliser ? Je rappelle simplement qu'il y a plusieurs années, les feuilles de paie se sont largement enrichies avec la mention des cotisations tant salariales que patronales. Chacun voit très bien qui paye quoi. Par ailleurs, je ne suis pas dupe de la manip qui consiste à dire à l'instant T : 'Ne vous inquiétez pas. Ce sera incolore et inodore pour les salariés, puisqu'on transfèrera le salaire équivalent'. Nous savons tous que nous sommes dans un pays confronté au vieillissement de la population, qu'il va falloir consacrer de plus en plus d'argent au financement des retraites, de l'assurance maladie, de l'indépendance - ce qui veut dire que dans les mois ou les années qui viennent, il y aura probablement de nouvelles hausses de cotisations. C'est pour cela d'ailleurs que nous souhaitons que le financement de la protection sociale ne soit pas uniquement assis sur les salaires et que nous avons proposé, nous CFE -GC, une cotisation sociale sur la consommation. Mais en attendant, si demain les cotisations sociales augmentent, s'il n'y a plus que les salariés qui en payent, il n'y aura qu'eux qui seront appelés à contribuer. Ce n'est pas ce que j'appelle le paritarisme, et à ma connaissance le Medef n'est pas foncièrement contre le paritarisme.
HC : Vous rejetez donc complètement la proposition de Laurence Parisot.
BVC : Oui.
HC : Bien, ce sera votre mot de conclusion. Je rappelle que vous êtes président de la confédération des cadres de la CFE-CGC.
source http://www.cfecgc.org, le 23 juin 2006