Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur la restructuration d'EADS, l'industrie aéronautique et les activités de la SOGERMA, Mérignac le 29 juin 2006.

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Texte intégral

SOGERMA
Mérignac - Jeudi 29 juin 2006
Intervention de Bernard THIBAULT
Secrétaire général de la CGT
Chers amis, chers camarades,
Ma présence aujourd'hui parmi vous n'a pas d'autre signification que de vous assurer de la solidarité active de la CGT, du soutien qu'elle apporte à votre lutte en me félicitant que soit fermement maintenue l'unité autour de l'intersyndicale qui l'anime. En ce moment même celle-ci est reçue par les représentants des Ministères de l'industrie et de l'emploi pour discuter du projet industriel dont dépend l'avenir de l'entreprise.
Ce point est capital. Il est primordial pour l'avenir que vous restiez mobilisés sur la question du projet industriel autour de propositions cohérentes et robustes, qu'elle soit au centre du débat des assemblées de personnel, qu'elle constitue le ciment de votre unité et de celle de vos organisations syndicales. Quelle que soit l'issue du conflit, plus vous aurez été forts, unis et déterminés sur cette question, meilleurs seront les résultats dans tous les autres domaines.
A ce sujet je veux montrer du doigt une attitude qui prouve encore une fois, si cela était nécessaire, que nos gouvernants, tant à la tête de l'Etat qu'à celle de l'entreprise, ne veulent toujours pas comprendre ce que veulent les salariés, ce que veulent les citoyens de ce pays. Après la visite éclair de Monsieur de VILLEPIN des promesses ont été faites, des « comités de pilotage » au niveau régional et national ont été mis en place pour la réindustrialisation du site. Pourquoi les salariés, leurs élus et leurs représentants syndicaux sont ils systématiquement exclus de ces comités de pilotage, ce qui est un comble dans le secteur aéronautique ? Seraient ils incapables d'apporter leur pierre eux qui sont aux premières loges ? Inspireraient ils moins confiance que certains responsables politiques, seraient ils moins fiables que certains dirigeants d'entreprise ?
Comment pourrions nous en effet parler de la situation de la SOGERMA sans penser très fort à l'affaire des stocks options des dirigeants d'EADS qui fait fâcheusement la une de l'actualité, sur fond de retards de livraisons de l'A380 et de remise en cause du programme A350 ?
Quel que soit le résultat de l'enquête, l'opinion des salariés du groupe comme l'opinion publique retiendra à juste titre que l'appât du gain financier est un stimulant moralement douteux et socialement dangereux. Que l'enquête conclue à une pratique cupide et frauduleuse ou à un constat de méconnaissance des difficultés rencontrées dans la production industrielle, on n'aura eu le choix qu'entre une faute lourde et une grave erreur. Quelle crédibilité peut avoir un dirigeant qui d'une main se goinfre sur les résultats de l'entreprise et de l'autre brandit la réduction de la masse salariale, la remise en cause des acquis sociaux, pour finalement supprimer l'emploi ?
L'aéronautique est dans une phase de pleine croissance, avec des carnets de commandes records assurant plus de 5 années de travail, elle affiche des résultats financiers en forte hausse. Pourtant aujourd'hui nous sommes rassemblés aux portes d'une entreprise appartenant à l'un des plus grands groupes aéronautique du monde qui s'apprête à sacrifier des centaines d'emplois entraînant dans son sillage des milliers d'autres dans la région Aquitaine.
Ce qui mine toutes nos industries actuellement c'est l'abandon par les dirigeants, de stratégies industrielles tournées vers la réponse aux besoins des hommes à travers le développement durable et la qualité de l'emploi pour s'aligner sur les exigences démesurées des actionnaires.
Mais à chaque fois c'est l'emploi qui en fait les frais et notamment dans les petites et moyennes entreprises des réseaux de sous-traitance. Ce sont elles qui servent immédiatement de tampon aux aléas économiques issus de ces choix financiers. Dans le cas de la SOGERMA Mérignac, alors que rien n'est encore bouclé sur son avenir, les salariés des entreprises sous-traitantes eux sont déjà la cible de plans de suppressions d'emplois.
Rappelons les points qui font l'unanimité :
- Poursuivre les activités de la SOGERMA au sein du groupe EADS est industriellement possible.
- Développer l'activité de maintenance aéronautique, activité structurante, coeur de métier de l'établissement est une priorité, sans pour autant s'interdire des pistes de diversification complémentaires.
- La meilleure voie de « réindustrialisation » c'est de développer la SOGERMA à partir de ses activités existantes, c'est une question de volonté politique.
- L'établissement ne doit en aucun cas faire l'objet d'un décorticage sauvage prélude à la cession par appartements.
En tout état de cause, s'il devait y avoir une reprise de l'établissement ou de la SOGERMA, elle devrait impérativement se faire dans le cadre d'un montage avec une société aéronautique solide, crédible, offrant des perspectives pour tous.
Le choix que semble vouloir faire EADS d'abandonner la maintenance aéronautique est discutable et surtout non discuté. La maintenance, son influence aussi bien sur les coûts que sur la qualité de l'exploitation, son rôle déterminant dans la sécurité aérienne est une activité industrielle majeure, un maillon essentiel de la chaîne de qualité de toute la filière aéronautique. Priver notre pays, votre région de sa compétence dans ce domaine, ou même seulement en affaiblir les bases en dispersant ou en gâchant les savoir-faire, est un crime contre l'emploi et contre le bon sens industriel. Ce serait un paradoxe d'autant plus criant que l'Aquitaine avec Midi Pyrénées font partie du pôle de compétitivité « Aerospace Valley », dont la gouvernance compte parmi ses responsables ni plus ni moins qu'un haut dirigeant d'AIRBUS.
La période de moratoire que vous avez obtenue s'achève sans qu'il ait été encore possible de tracer des réponses adaptées à la situation.
Il ne serait pas concevable que, comme trop souvent, ce soit pendant les mois de juillet et août que soient annoncées les mauvaises nouvelles.
Aussi, je demanderai dès demain au Gouvernement, au nom de la CGT, qu'une nouvelle période de 3 mois permette aux représentants syndicaux de défendre les intérêts des personnels.
Pendant ces 3 mois aucune décision irrévocable ne devra être prise concernant les capacités humaines et techniques du centre de Mérignac.
Emploi et politique industrielle constituent les enjeux du développement économique et social de notre pays comme de l'Europe. Les stratégies actuelles de recherche de la rentabilité financière maximum et à court terme vont précisément à contrario de ce développement.
C'est cette logique du tout financier que nous remettons en cause, car l'expérience montre jour après jour, qu'elle est non seulement socialement meurtrière mais économiquement perverse. Freinant l'investissement et détruisant l'emploi elle hypothèque l'avenir de pans entiers de notre potentiel industriel. Ce ne sont pas les salariés de First Metal, Ford, Soferti, de Solectron, des Fonderies du Bélier qui me démentiront.
L'aéronautique, EADS ont besoin d'une toute autre ambition industrielle basée sur le développement de l'emploi et une revalorisation du travail salarié. Les perspectives sont considérables à condition que le fruit des résultats économiques soit en toute priorité investi dans les moyens industriels et humains. Le haut niveau de l'industrie aéronautique française s'est constitué pendant des décennies autour de cette logique, à partir d'un ensemble d'entreprises publiques sur la base d'une volonté politique affirmée, portée par le haut potentiel et la conscience professionnelle des collectifs de travail, aiguillonnée par leur capacité d'intervention au service du lancement de programmes nouveaux. C'est de cette tradition qu'est née la famille AIRBUS au sein d'un groupe européen qui conçoit, réalise et commercialise des produits de haute technologie parmi les plus performants au monde.
La domination actuelle de la finance sclérose les capacités de développement économique et social, nourrit le chômage et la précarité alors que ce sont des milliers d'embauches, une revalorisation du travail salarié, qui devraient faire l'actualité notamment avec un secteur aéronautique moteur tant les perspectives sont importantes. Il est aberrant que dans la situation actuelle d'expansion de l'aéronautique depuis des années, le bilan de ses effectifs soit en décroissance sur la décennie. Imposer cette réorientation nécessite un rapport de force, de gagner des droits nouveaux qui permettent aux salariés d'intervenir et remettre en cause les choix de gestion des entreprises.
La CGT continuera d'être chaque jour à vos côtés, parce qu'il y va de vos emplois, de milliers d'autres qui y sont associés, il en va de l'avenir de l'industrie de notre pays.
Votre mobilisation porte aussi l'exigence de dignité et de reconnaissance de votre place de salariés pour avoir voix au chapitre sur ce qui concerne votre avenir.
La CGT se reconnaît dans votre action.Source http://www.cgt.fr, le 11 juillet 2006