Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "France Inter" le 11 août 2006, sur la reprise économique, les prévisions de croisssance et sur la privatisation de Gaz de France.

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Texte intégral

Q- La croissance repart doucement en Europe, la France se situe dans la moyenne, jusqu'à présent. L'objectif 2006 était entre 2 et 2,5 % de croissance en France cette année ; l'Insee et Bercy vont-il confirmer ? On va le savoir très vite ce matin. Faut-il privatiser GDF pour la fusion avec Suez ? Une partie de la majorité hésite ; la gauche est vent debout. Enjeux politiques donc, pour Bercy autant qu'économiques puisque l'on ouvrira cette saison présidentielle 2006-2007 avec une session extraordinaire du Parlement le 7 septembre, consacré à Suez-GDF. Grâce à la prévision de l'Insee, pour le deuxième trimestre 2006, on va pouvoir affiner ce matin avec vous la prévision de croissance pour l'année en cours en France. Vous étiez ces temps-ci raisonnablement optimiste.
R- C'est vrai, vous l'avez noté. J'étais raisonnablement optimiste parce que tous les indicateurs qui sont à ma disposition depuis maintenant plusieurs semaines, plusieurs mois, à Bercy, montrent que l'économie française est au vert. Je sais que lorsque je disais cela, beaucoup de nos compatriotes qui ont encore des difficultés, qui voient que la vie n'est pas facile, en doutaient. Beaucoup d'autres qui ont dans leur famille des jeunes qui retrouvent un emploi, des maris ou des femmes qui retrouvent un travail, le sentaient bien. Tous les Français consomment davantage depuis maintenant des semaines et des semaines ; pour quelle raison ? Parce que l'économie va mieux, parce que l'économie va bien. Et je vais même oser dire ce matin, avec vous, "parce que l'économie française va très bien".
Q- C'est l'Insee qui le dit, cela aussi ?
R- Les chiffres que l'Insee publie ce matin sont, n'ayons pas peur des mots, tout à fait exceptionnels. La croissance au premier trimestre 2006 aura été de 1,1 à 1,2 % contre 0,6 à 0,7 seulement escomptés. C'est-à-dire un taux annualisé d'une croissance pour la France entre 4,4 et 4,8. Du jamais vu depuis vingt ans, je crois que c'est arrivé trois fois seulement en vingt ans.
Q- On parle bien du deuxième trimestre 2006, c'est la prévision Insee : 1,1 à 1,2, le premier trimestre de l'année ayant été à 0,5 %. Donc, on va crescendo selon vous ?
R- Ce qui nous fait donc un premier semestre, lorsque l'on additionne ces deux chiffres, en rythme annualisé supérieur à 3 %. Je rappelle que la prévision du Gouvernement était de 2 à 2,5 %. Que n'ai-je entendu lorsque j'ai osé présenter cette perspective, parce qu'elle me semblait raisonnable pour la France ! Vous savez, je suis ambitieux pour mon pays, je pense que nous devons faire mieux.
Q- Donc la perspective n'est plus à 2,5 % en fourchette maximale, elle serait à 3 % ?
R- La vie m'a aussi appris beaucoup la prudence. Je mesure les tendances, elles sont toutes au vert. C'est du reste, ne nous y trompons pas, la raison pour laquelle le chômage baisse autant en France, même s'il faut encore faire davantage. On oppose souvent le fait de dire "est-ce que ce sont les emplois aidés qui créent des emplois ou est-ce la croissance ?" Il n'y a qu'une seule réponse en France et dans tous les pays du monde. Ce sont les éléments de croissance qui créent les conditions de l'emploi. C'est grâce à cela que le Gouvernement de D. de Villepin, depuis des mois enregistre des succès sur le front du chômage ; il faut aller plus loin ! Le président de la République nous a fixé comme objectif 8,5 % en avril 2007 et peut-être même 8 % courant 2007. Je le dis ce matin à nos auditeurs : la France, partie telle qu'elle est partie, qualifiée, du reste, par 150 économistes internationaux, il y a quelques jours, de "meilleure élève économique de la zone euro" - on n'avait pas entendu cela depuis des années - ; je suis sûr que ce matin...
Q- Les prévisions de croissance pour la zone sont de 2 % à peu près - 2,1-2,2 % ?
R- A peu moins, oui. Je suis sûr que ce matin, un certain nombre de nos compatriotes qui sont en vacances, doivent se dire "ce n'est pas la France que je connais !" ; eh bien si, c'est notre France, c'est notre pays. Nous travaillons d'arrache-pied. Ceci nous démontre que rien n'est impossible. Lorsque je vois que la croissance américaine, au deuxième trimestre 2006 a été en rythme annualisé de 2,5 % et que nous faisons, nous, au deuxième trimestre, deux fois mieux qu'aux Etats-Unis, je dis qu'il n'y a pas de fatalité. Alors il faut continuer, les efforts sont là pour être poursuivis. Mais l'intérêt, c'est quoi ? C'est d'abord qu'il y a plus de Français au travail que les Français consomment davantage et surtout, qu'ils ont plus de pouvoir d'achat.
Q- Est-ce qu'ils ont réellement plus de pouvoir d'achat ? Parce qu'on a un peu l'impression que les salaires piétinent tout de même. C'est porté par la consommation mais le pouvoir d'achat, lui, stagne quand même, non ?
R- Il y a des chiffres quoi sont à ma disposition, pardon de parler de chiffres mais je suis là aussi pour les mesurer, pour les commenter, les expliquer aussi à nos compatriotes. Les chiffres qui sont à ma disposition démontrent que la croissance du pouvoir d'achat n'a jamais été aussi forte que depuis six ans, tous secteurs confondus dans notre pays. Bien sûr, ce n'est pas assez, bien sûr il faut aller davantage de l'avant, bien sûr, nous nous battons avec D. de Villepin jour et nuit pour que cela s'améliore, mais voyez vous, les tendances que je vous annonce sont très encourageantes. Il faut poursuivre l'effort. En matière d'emploi, il n'y a pas de fée, il n'y a pas de coup de baguette magique,c'est la croissance, ce sont les conditions de la croissance qui créent l'emploi.
Q- Pour que l'on se fixe bien les idées ce matin sur la croissance - on a bien compris le très bon chiffre pour le deuxième trimestre -, redites-nous [quel est], pour vous, l'objectif de l'année : on est sorti des 2-2,5, et l'objectif se situe grosso modo entre 2,5 et 3, pour vous, dans la tendance 2006 ?
R- J'avais indiqué que je voyais plutôt le haut de la fourchette, par rapport à nos estimations. Je maintiens ces estimations et cette fourchette.
Q- Laquelle ? 2-2,5 ?
R- Entre 2 et 2,5, bien sûr. L'acquis de croissance, c'est-à-dire la croissance qu'a enregistrée la France depuis le premier semestre 2006, et déjà, si l'on faisait - ce n'est évidemment pas le cas de figure dans lequel je me situe, compte tenu des tendances fortes que je viens de vous décrire - si l'on se situait à une croissance 0 au troisième ou au quatrième trimestre, on aurait déjà un acquis de croissance de 1,9, c'est-à- dire pratiquement 2 %. C'est-à-dire que l'on a atteint l'objectif du bas de la fourchette de 2 à 2,5 en six mois. Donc, je suis raisonnablement optimiste, mais attention...
Q- On ne sait pas si cela va durer, il y a quand même le pétrole, le dollar qui est très bas, les taux de crédit qui se resserrent...
R- La vie m'a appris une chose, et encore plus en tant que ministre de l'Economie et des finances, c'est que rien n'est jamais acquis. Mais, voyez-vous, les tendances de notre pays sont clairement encourageantes. On n'a jamais créé autant d'entreprises en France. Le président de la République nous avait fixé comme objectif de créer 1 million d'entreprises, ce sera dépassé. Donc, voilà, nos compatriotes sont dynamiques, et cela me réjouit parce que derrière, c'est plus de foyers qui en profitent. C'est un pays qui pourra atteindre, j'en suis convaincu, l'objectif que je lui souhaite pour les dix ans qui viennent, à savoir d'être le pays le plus dynamique de toute la zone euro. On est bien parti pour cela.
Q- La privatisation de Gaz de France est-elle indispensable ? Il s'agit de fusionner avec Suez, groupe privé. Dans la majorité, certains crient "casse-cou", "c'est du libéralisme en marche à la veille de la présidentielle", avec hausse des tarifs à la clé, encore ! Bref, tout pour plaire aux Français...
R- Oui, mais quand je vois ce que disait L. Fabius en 2001, par exemple, il disait - je le cite - : "Vous ne pouvez bien vendre du gaz que si vous produisez". Or, Gaz de France ne produit que moins de 5 % de son gaz. Et donc, il faudra bien, tôt ou tard, qu'il y ait une réforme fondamentale pour permettre de l'intégrer à un autre gazier ou à un autre producteur de gaz. C'était en 2001.
Q- Cela, ça a cinq ans...
R- Mais oui, mais maintenant, cela s'est accéléré. A l'époque, le prix du baril était à 20 ou 22 dollars ; aujourd'hui, il est à 80 ; on est en guerre énergétique. Alors pourquoi, M. Fabius dit cela il y a cinq ans et maintenant, il dit le contraire ? Pourquoi M. Strauss-Kahn, lui, dit...
Q- Mais le souci, c'est avec votre majorité. Il y a une logique de la gauche, là, aujourd'hui, à dire "non".
R- Pourquoi M. Strauss-Kahn dit, lui, en janvier 2002, que le chiffre de 50 %, il ne faut pas le graver dans le seuil ? Pourquoi, maintenant, revient-il derrière ? Moi, je ne comprends pas...
Q- ...Je vais vous faire une autre citation.
R- ...Et les Français non plus. Et savez-vous pourquoi ? Parce que nous sommes en guerre énergétique. Parce que depuis, le prix du baril de pétrole a été multiplié par trois. Parce que, dans les 25 ans qui viennent, la planète, notre planète, va voir sa population augmenter de 50 % - le nombre de ses habitants. On va passer de 6 milliards d'habitants à 9 milliards d'habitants. Et tous ces habitants de notre planète, c'est légitime, veulent avoir accès au progrès. Et le progrès, c'est l'énergie. Par ailleurs, les ressources d'énergie fossile - les hydrocarbures, le gaz, le pétrole -, commencent à diminuer.
Q- On a bien compris qu'il faut un grand groupe !
R- C'est ce que j'appelle "la guerre énergétique".
Q- Et pourquoi GDF ne prend-t-il pas le contrôle de Suez à ce moment-là, plutôt que l'inverse ?
R- On peut décider, nous, comme la Bulgarie, d'être le dernier pays au monde à ne pas avoir un opérateur gazier. Gaz de France qui n'est qu'un distributeur, je le rappelle. Gaz de France ne possède pas de champs gaziers. Gaz de France achète et revend. On peut décider tout simplement pour des raisons idéologiques d'un autre âge, - même au siècle dernier, L. Fabius et D. Strauss-Kahn le reconnaissaient - on peut décider de ne pas bouger. C'est le Parlement qui décidera.
Q- Ce sont vos députés qui hésitent à suivre quand même ?
R- Non. Je me bats parce que je pense, je suis intimement convaincu, j'ai une conviction, voyez-vous, c'est que c'est l'intérêt des consommateurs, c'est la seule solution pour pouvoir leur permettre de maîtriser les prix et de leur offrir les tarifs les plus bas. Parce que plus on est gros, mieux on peut acheter. Et c'est aussi l'intérêt de la France. J'ai vu 200 parlementaires au cours de cet été, et je vais continuer à les voir, et puis ma porte est ouverte. Je peux vous dire, je le redis très clairement aujourd'hui, ce matin, à votre micro : le Gouvernement et la majorité arriveront fin prêts pour le débat du 7 septembre. Je suis convaincu que le Parlement décidera ce qui est dans l'intérêt de la France.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 août 2006