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Créons un espace de dialogue social, vite !
Au printemps dernier, la crise du CPE a souligné, à la caricature, l'impasse où mène l'absence de dialogue social. S'il est une leçon, une seule, qui semble faire consensus sur cet épisode, c'est qu'il n'est plus possible de fonctionner comme cela. Tous les partis de gouvernement le jurent, on ne les y reprendra plus... Des intentions aux actes, nous avons souvent mesuré l'écart. Il est grand temps que le dire et le faire se réconcilient.
L'idée selon laquelle la France est impossible à réformer, que toute tentative de changement provoque invariablement psychodrames, rejets, révoltes et débouche au final sur la paralysie n'est pourtant pas nouvelle. Par quelle malédiction très franco-française n'arrivons-nous pas à dépasser les constats en reproduisant avec obstination les mêmes scénarios qui produisent les mêmes effets ?
La CFDT défend depuis longtemps la création d'un espace structuré de dialogue social dans lequel les partenaires sociaux, sur les champs du social qui les concernent, confrontent leurs analyses, leurs positions, et négocient de nouvelles protections ou les évolutions nécessaires du code du travail, avant que le législateur ne s'en saisisse. En clair, cela revient à reconnaître que les organisations patronales et syndicales, par leur connaissance de l'entreprise, du travail et de son environnement, sont à la fois légitimes et capables de construire du droit social et de le rénover.
Parmi les critiques qui sont opposées à ce renforcement du dialogue social, j'en retiens deux qui me semblent particulièrement révélatrices de nos vieux démons. Donner de l'espace à la négociation reviendrait à donner le pouvoir au Medef. Arrêtons-nous un instant. Ceux qui prétendent cela, y compris des syndicalistes, ont-ils si peu confiance dans l'action syndicale ? En France, lorsqu'on dit compromis, on entend compromission. On oppose négociation et conflit. Nous pensons à l'inverse que le rapport de force, la conflictualité, font pleinement partie de la négociation. Celle-ci commence forcément par une confrontation voulue et organisée des logiques patronales et salariales. Et quand elle se conclut, il n'y a ni vainqueur ni vaincu, mais un résultat qui doit s'apprécier en positif pour les salariés et les entreprises.
Deuxième argument, donner de l'espace à la négociation reviendrait à retirer du pouvoir aux parlementaires, issus du suffrage universel donc plus légitimes que les syndicats, de surcroît si peu représentatifs en France. C'est un procès d'intention qui a la vie dure : démocratie politique et démocratie sociale seraient forcément concurrentes, voire antagonistes. Dans un pays de tradition jacobine ce sujet est inévitablement pris sous l'angle de la légitimité de faire, l'Etat restant seul maître à bord dans la définition de l'intérêt général face aux intérêts particuliers - voire corporatistes - défendus par les partenaires sociaux. Nous pensons au contraire qu'une démocratie moderne ne saurait opposer démocratie politique et démocratie sociale. Elles se nourrissent l'une de l'autre. La démocratie sociale renforce la démocratie politique. Il n'est donc pas question de déposséder qui que ce soit mais de revaloriser le rôle de chacun. Quant à la représentativité des syndicats, la CFDT le dit sans complexe, il faut mettre en place de nouveaux instruments de mesure moins discutables, plus irréfutables qu'irréfragables, en organisant des élections de représentativité dans toutes les entreprises.
Tirer les leçons de la crise du CPE, c'est, entre autres, accepter de s'engager dans la rénovation du dialogue social. Le vouloir est une chose. Faire la preuve que l'on est capable de passer à l'exercice pratique, c'est encore mieux. Les opportunités se présentent dans le secteur privé comme dans le public. La mise à plat de notre système d'assurance-chômage en vue de favoriser le retour à l'emploi, la rénovation du contrat de travail pour construire de nouvelles sécurités pour les salariés, la modernisation de l'Etat et des fonctions publiques vont nous placer dans les prochains mois en situation de négocier. Il va s'agir d'inventer les nouvelles garanties qu'attendent les salariés dans une société en pleine mutation. Repousser sans cesse le moment d'affronter la complexité, de faire des choix de modernisation, ne profite ni aux plus fragiles, ni aux plus précaires. Cela sert au contraire les intérêts de quelques-uns : les acteurs du capitalisme le plus sauvage d'un côté et les corporations les mieux protégées et de moins en moins nombreuses de l'autre.
Le dialogue social fait encore débat et polémique en France, mais il est à l'oeuvre depuis belle lurette chez nos voisins, au nord comme au sud de l'Europe. Je suis d'ailleurs frappé par la séduction qu'exercent dans les familles politiques de la majorité comme de l'opposition les modèles nordiques. Non qu'il soit inutile, bien au contraire, de regarder ce que les autres savent mieux faire que nous. Les modèles suédois et danois sont souvent cités en exemple - à juste titre - sur leurs performances en matière d'emploi, de formation, de croissance. Mais il faut aussi explorer les coulisses de leurs résultats. Ces pays ont de commun un Etat fort avec une fiscalité forte qui cohabite harmonieusement avec un dialogue social dynamique, et des syndicats réformistes. Tout cela fait système.
Les élections présidentielle et législatives de 2007 vont faire vivre le débat politique dans les mois qui viennent. C'est du moins ce qui pourrait nous arriver de mieux, nous en avons été privés en 2002. A condition toutefois que s'organise la confrontation des idées, des programmes, avec franchise et sérieux. Pour la CFDT cette période ne saurait être le temps d'une attente passive. La démocratie politique a été mise à rude épreuve le 21 avril 2002. La démocratie sociale n'a pas fait toutes ses preuves. Les deux sont à moderniser pour n'en faire qu'une, une démocratie moderne capable de répondre aux attentes des salariés, des citoyens.Source http://www.cfdt.fr, le 30 août 2006