Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO à Europe 1 le 29 août 2006, sur la rentrée sociale, la situation économique et les mesures gouvernementales concernant le pouvoir d'achat, notamment le chèque transport.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral


Q- Sur votre baromètre syndical, la rentrée s'annonce comment ? Tendance au beau ? Tendance orageuse ?
R- Personne ne parle d'une rentrée chaude, en ce sens où il y aurait des annonces de manifestations dans les jours à venir. Mais il y a de fortes préoccupations, telles qu'on les a exprimées ces derniers jours, notamment en matière de pouvoir d'achat, d'emploi, d'inégalités. Cela pèse lourdement.
Q- D. de Villepin, disait hier soir, que "ses résultats sont bons", que "la concertation avec les partenaires sociaux est en bonne voie", que l'on va "cibler les catégories les plus défavorisées en augmentant le pouvoir d'achat". Vous ne partagez aucun des motifs de satisfaction ? Fait-il de l'autocontentement ?
R- Un peu comme son ministre de l'Economie et des Finances, qui considère, lui aussi, que tout va bien. Or, on sait bien, y compris en terme de croissance, je prends cet exemple : si la croissance a été plus forte au deuxième trimestre, c'est essentiellement dû au fait que les entreprises ont restoqué. Donc, c'est très fragile, tout le monde le constate. Le Premier ministre, je pense qu'il a voulu apparaître un peu comme "le Père Noël au mois d'août" hier. Ceci étant, il va falloir regarder précisément les choses, et les mesures annoncées pour certaines d'entre elles, sont très floues.
Q- On va un peu dans le détail. Le chèque transport, on a quand même l'impression que vous en avez rêvé et que Villepin l'a fait, non ?
R- Le chèque transport, nous le réclamons depuis un bout de temps. Là, le Premier ministre répond favorablement en disant : il va y avoir un chèque transport sur le même modèle que le chèque restaurant, ce que nous demandions. Par contre, je veux des précisions, parce que... Et on aura une réunion nous, ce soir, technique, avec le Gouvernement. Exemple : les salariés d'Ile-de-France, qui vont travailler avec leur voiture, en bénéficieront-ils ? Ce n'est pas sûr. D'après la formule qu'a utilisée le Premier ministre, il a dit : "Là, où il y a des transports collectifs, ce sera 200 euros, là, où il n'y a pas de transports collectifs, ce sera 100". Qu'est-ce que...
Q- Une compensation.
R- ...Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ? Donc, ce n'est pas précis. Il y a avait deux points que l'on demandait, au-delà du fait d'un chèque restaurant : un, qu'il soit généralisé, pour que les salariés des PME et des TPE puissent en bénéficier. Aujourd'hui, ceux-là ne bénéficient pas du chèque restaurant. Cela passait notamment selon nous par une négociation qui devait être obligatoire avec le patronat au niveau des branches, c'est le premier point. Et que tout le monde puisse en bénéficier, que ce soit pour le transport individuel, si on va bosser avec sa voiture, ou le transport collectif. Là, où les employeurs ne prennent pas en charge la part du transport collectif, on pouvait aussi utiliser le chèque transport pour le transport collectif. Donc, là, on veut des précisions.
Q- Là, vous mégotez sur les applications alors que vous avez gagné sur le
principe.
R- Non, mais je dis, il répond... Non, ce n'est pas que je mégote, c'est qu'il faut être précis quand on est sur ce genre de chose. On avait dit : un chèque transport, cela, ok, il dit qu'on va mettre un chèque transport, c'est bien. Par contre, sur les modalités, il n'est pas obligatoire, il a dit que c'était "volontaire". Et qui va en bénéficier réellement ? On ne le sait pas pour le moment. Donc, j'attends des précisions.
Q- Que les entreprises soient amenées à prendre en charge la hausse du
prix des carburants alors qu'elles la subissent également, Mme Parisot,
dans Les Echos aujourd'hui, trouve que "l'on perd le sens du réel", je
la cite.
R- Oui, attendez...Je veux bien, mais je vais répliquer à Mme Parisot : "Mme Parisot, vous devriez lire le rapport de la Cour des comptes qui explique par exemple, que, 20 milliards d'euros de cotisations sociales, et cela n'a rien à voir avec le chèque transport, cela ne bénéficie que très peu à l'emploi, cela coûte très cher au budget, et ce sont les entreprises qui en bénéficient !" Alors, il faut arrêter ce genre de comparaison !
Q- Les entreprises paient déjà le versement transport.
R- Elles paient le versement transport aux collectivités locales.
Q- Oui.
R- Mais c'est tout à fait logique.
Q- En dix ans, cela a augmenté de 120% ?
R- Je ne pense pas que cela ait augmenté de 120%, attendez, c'est autour de 1%, hein. Cela sert à quoi ? Aux collectivités locales à entretenir le réseau de transports publics, les routes, etc. Eh bien, les entreprises en bénéficient. On ne peut pas être partisans de l'entreprise citoyenne, comme certains le disent, et puis refuser dès qu'il s'agit de payer les impôts ou quelque chose. Il y a une logique. Si on est entreprise, c'est normal aussi, par rapport à un réseau de transport public, que l'on participe, via les collectivités locales, parce que le versement transport, c'est les collectivités locales qui le perçoivent, pour améliorer le réseau de transport public. Cela me paraît logique.
Q- Autre mesure annoncée, la prime pour l'emploi, relèvement annoncé. Cela va dans le sens de vos souhaits là encore, non ?
R- C'est plus compliqué. Oui...Les gens qui vont bénéficier de la prime pour l'emploi, bien entendu, qu'ils vont être satisfaits de voir leur prime pour l'emploi augmenter. Ceci étant, ce qu'on explique depuis des années, cela ne règle pas les problèmes de fond. La prime pour l'emploi, vous la percevez si vous n'êtes pas assez payé, c'est cela la signification de la prime pour l'emploi. C'est aussi une aide aux entreprises ; c'est le salarié qui la perçoit, par un crédit d'impôt, mais c'est une aide aux entreprises. Cela permet aux entreprises de ne pas augmenter les salaires. Et c'est cela le côté pervers. C'est pour cela que ça me choque aussi. Quand les employeurs ou le Gouvernement se réclament libéraux, de voir les fonds de l'Etat servir à payer des salaires - ça revient à cela - à la place des employeurs. C'est cela aussi la prime pour l'emploi. Oui, les 100 et quelque euros de plus, les gens vont la percevoir, et c'est tout à fait logique. Ceci étant, ce serait mieux si c'était directement du salaire.
Q- C'est peut-être pour réfléchir à tout cela que D. de Villepin annonce "une conférence sur l'emploi et les revenus". Là encore, c'est quelque chose que vous souhaitiez, non ?
R- Non, nous n'étions pas demandeurs, d'autres organisations, oui. FO, n'était pas demandeur d'une telle conférence, parce que...Bon, si il s'agit de faire le point sur l'évolution, on peut toujours regarder. Mais cela, tout le monde l'a ce point sur point sur l'évolution, pas besoin de faire une conférence pour cela. Je pense que là, c'est plus répondre aux souhaits des uns, ou déminer ce que peuvent annoncer d'autres, sur le plan politique, d'annoncer une telle conférence, avec un rapport qui sort à peu près tous les ans, le rapport du CERC que préside J. Delors, c'est un rapport qui sort tous les ans. Donc, il saisit cette opportunité pour dire : on va faire une réunion. Là je pense qu'il y a des soucis ou des motifs électoraux derrière cela.
Q- J. Delors, est-il la bonne conscience de gauche de D. de Villepin ?
R- J. Delors, est président du Conseil du CERC. D. de Villepin, utilise la présidence de J. Delors, oui.
Q- Comment expliquez-vous effectivement que, D. de Villepin annonce des choses, comme cela le lundi soir, alors qu'il va faire une conférence de presse le jeudi ?
R- Je ne sais pas. J'avoue que j'ai été un peu surpris quand il est passé à la télé hier. Attendez, il fait une conférence de presse dans deux jours. Alors, c'est peut-être parce que les ministres commençaient, les uns et les autres, à annoncer les mesures ? Il a dit, il ne va plus rien me rester à annoncer, donc je vais aller à la télé ? Peut-être, je ne sais pas ? Mais j'avoue que j'ai été un
peu surpris, oui.
Q- Qu'êtes-vous prêt à étudier comme proposition sur le dialogue social, puisque vous allez participer également à un certain nombre de réunions pour moderniser, il est peut-être temps d'y penser, au dialogue social ?
R- Oui, enfin, attendez... moderniser, cela veut tout dire et cela ne veut rien dire. Il y a trois propositions sur la table pour le moment, de la part du Gouvernement. Il y en a deux sur lesquelles on est - on avait d'ailleurs pour l'une d'entre elles souligné - la première, c'est de dire : il faut que le Gouvernement soit obligé de consulter les interlocuteurs sociaux quand il veut modifier le Code du travail, l'anti-CPE pour me faire comprendre. Cela, sur le principe, nous sommes d'accord, bien entendu. Deuxième idée : balayons un peu toutes les structures qui existent, où l'on doit désigner des militants. Et puis, il y en a certaines qui, vraisemblablement, ne servent plus à rien. Vous savez, y compris dans un département, on doit désigner 40 à 50 personnes dans des milieux divers et variés, et ce n'est pas toujours très utile, on perd son temps. Troisième...là, il y a un problème, et là on a un désaccord, c'est que l'on appelle "l'agenda partagé", d'autres parlent de "diagnostic partagé". Cela veut dire quoi "l'agenda partagé" ? On se mettrait d'accord avec le Gouvernement, le patronat et les syndicats, pour dire : voilà, un nouveau Premier ministre est nommé, voilà le programme pendant un an c'est cela ; là, ça va être de la loi, là, ça va être du contrat. Je considère que c'est pour enfermer tout le monde dans un carcan. Et cela, on ne peut pas l'accepter dans la démarche. C'est une façon...c'est l'arbre qui cache la forêt aujourd'hui également. C'est aussi, l'incapacité des uns et des autres, à pouvoir aborder des thèmes nouveaux qui font qu'on se réfugie derrière une méthode qui va enfermer tout le monde. Donc, je ne suis pas un partisan de... et ce qu'on dira au Gouvernement la semaine prochaine, là-dessus, pas partisan ce qu'on appelle "l'agenda partagé". On ne me fera jamais, sur le papier, oui, mais cela ne servira à rien, en disant : ça, c'est la loi, ça, c'est le contrat. Il y a toujours eu des dossiers qui, en fonction du contexte social, politique, économique, font qu'un jour c'est plus la loi ; un autre jour, ce sera plus le contrat ; que parfois, c'est le contrat qui génère une loi ou la réciproque. Et on est obligés de garder cette souplesse.
Q- Quel est le sens de votre participation cet après-midi aux universités d'été du Medef ?
R- Je suis invité à participer à un débat à l'université d'été du Medef, comme l'année dernière, sur le thème : "Le capitalisme a-t-il un avenir ?". Bon, je vais pouvoir dire ce que je pense du capitalisme.
Q- En a-t-il ?
R- Selon moi, il a de grosses difficultés, oui, tant au niveau européen, international, que...
Q- On peut avoir de l'avenir et des difficultés...
R- Je n'ai pas dit qu'il ne peut pas avoir d'avenir. Mais en ce moment il y a de sérieuses difficultés. Vous savez, l'un des problèmes de fond, c'est que, quand on a - je vais prendre le jargon des patrons pour me faire comprendre - c'est un modèle qui n'a plus de concurrence aujourd'hui, et quand on n'a plus de concurrence, ce n'est pas très bon. Donc, c'est cela le problème du capitalisme aujourd'hui, enfin, l'un des problèmes du capitalisme aujourd'hui. Donc, ils m'ont invité à débattre avec des économistes, etc. Je vais participer au débat. Je considère que cela fait partie de la démocratie.
Q- Cela vous arrive-t-il de vous mettre dans la logique d'un chef d'entreprise et de la trouver
fondée ?
R- Mais cela peut arriver que... Les chefs d'entreprise ont leurs préoccupations de chefs d'entreprises, et je discute avec des chefs d'entreprises. J'en ai vu pas mal cet été, par exemple, dans ceux que j'ai vu, que j'ai croisé, ils me parlaient beaucoup plus des problèmes avec leur banquier ou des problèmes de complications administratives que du CNE par exemple.
Q- Justement, le CNE, comment expliquez-vous qu'il y ait une lecture aussi radicalement différente sur le CNE. Mme Parisot dit : "il y a 40.000 emplois nets de créés", vous, vous dites : c'est du pipeau... ?
R- Non, sur 40 000 c'est ce qui ressort de l'étude du ministère du Travail. Alors, il peut y avoir 40 000 emplois qui ont été créés. Non pas les 550 000 que nous a avancé le Premier ministre, il y a quand même une nuance, je ne dis pas qu'il n'y a pas d'emplois crées. Le problème du CNE, c'est un problème de mépris. Mépris du salarié, c'est un peu comme le CPE sur ce plan-là. Comment peut-on imaginer avoir un salarié motivé et donc dans son travail quand en même temps il sait qu'il peut être viré du jour au lendemain sans expliquer pourquoi on le vire. C'est ça le problème de fond du CNE. Donc les procédures juridiques en cours vont se poursuivre sur le CNE.
Q- Le SMIC à 1500 euros, c'est de la démagogie ou c'est politiquement envisageable ?
R- Ecoutez, le SMIC, si on regarde bien ça fait 3% par an. Donc, ce n'est pas non plus quelque chose d'hyper démagogique. Si il a effectivement une croissance et qu'on peut élever les salaires et pas simplement le SMIC, 3% par an c'est jouable.
Q- Et que le SMIC soit fixé par un organisme indépendant à l'avenir, ça vous parait une lubie ?
R- C'est un débat de fond qu'il faut avoir aussi. Etre dans une République, cela signifie quoi ? Cela signifie par exemple que le SMIC doit être un SMIC identique sur l'ensemble du territoire. C'est ça que ça signifie ! Et que ce sont les pouvoirs publics, c'est le seul salaire dans le privé où les pouvoirs publics ont une responsabilité. L'idéal d'un SMIC, c'est que c'est une voiture-balai, comme au tour de France quoi. C'est une voiture-balai, tout le monde est au-dessus, le SMIC ne sert qu'à garantir que personne ne descendra en dessous. Ce n'est plus le cas aujourd'hui parce qu'il y a une pression sur les salaires, il y a beaucoup trop de salariés qui sont payés au SMIC. Mais le SMIC doit continuer après consultation des partenaires sociaux selon nous, à être fixé par les pouvoirs publics.
Q- Comment est-ce que vous allez aborder cette période de campagne électorale ? Vous dites que vous voulez pesez, dans le même temps vous réaffirmer la position traditionnellement neutre de Force Ouvrière. Vous allez regarder les programmes, vous allez commenter ?
R- On ne va pas commenter les programmes, non. On ne va pas s'amuser à ça. On va bien entendu respecter notre indépendance. Il n'y aura pas de prise de position vers qui que ce soit pendant la campagne. Ceci étant, deux choses, la vie continue pendant une campagne électorale. Deuxièmement, nous, nous pèseront, ce n'est pas lié à la campagne. Mais l'un des points clé c'est qu'il faut qu'il y ait du débat dans notre pays, y compris sur les questions économiques. Or il n'y a plus de débats sur les questions économiques. Donc nous allons nous, susciter un débat sur les politiques économiques dans notre pays puis nous verrons si on doit réagir, si on est interpellés sur le syndicalisme, comme ça été le cas il y a quelques jours, eh bien on sera peut être amenés à réagir ici ou là. Mais on conservera notre indépendance.
Q- Il existe des casus belli, qui pourraient amener les syndicats à des mouvements sociaux ?
R- Ah, peut-il toujours y en avoir sur une campagne ? Non, ce n'est pas tellement sur une campagne. C'est sur les décisions qui sont prises, on ne va pas faire de manifestations par rapport à des propos de campagnes. Mais moi, je voudrais quand même attirer l'attention sur un point essentiel, on se souvient tous de 2002. Avec le choc du premier tour de l'élection présidentielle. Je vois ici ou là experts ou autres qui pronostiquent que ce n'est pas impossible en 2007. On voit ce que ça signifie, si on arrivait encore à ce type de situation, ça signifie qu'il faut des vrais débats, des débats de fond y compris sur des questions essentielles comme les questions économiques. Que l'on ne donne pas l'impression que c'est comme ça et que l'on ne peut pas faire autrement parce que après ça mène à la catastrophe.
Q- On peut faire utile pendant huit mois avant un scrutin présidentiel ?
R- On peut toujours. Peut-être que si le Gouvernement réagit sur le chèque transport comme il le fait en ce moment, c'est peut être aussi parce qu'il y a une campagne électorale, mais un syndicaliste sait aussi faire de l'opportunisme.
Q- Opération séduction ?
R- Eh bien il essaie. Pour moi, tout ce qui compte c'est d'engranger.Source:premier-ministre, Serviced'information du gouvernement, le 29 août 2006