Texte intégral
Q- Cela fait quel effet au ministre que vous êtes, issu de la famille libérale, d'appartenir à un gouvernement qui semble négocier sa tranquillité sociale, à coups de relèvement de primes ou de nouvelles allocations ?
R- Il n'y a strictement aucune contradiction entre être libéral et être social, tout simplement. Prenons la prime transport : on a un vrai problème aujourd'hui, on connaît beaucoup de ménages à faible pouvoir d'achat, qui ont des dépenses de transport parce qu'ils habitent à 30 km de leur lieu de travail. Il est normal d'essayer de trouver une solution. On ne peut pas baisser le prix de l'essence pour tout le monde. Il faut traiter le cas particulier de ceux qui ont absolument besoin de leur voiture pour aller travailler, c'est tout.
Q- Comme dit F. Parisot, les entreprises payent déjà.
R- C'est une solution intelligente, parce que la collectivité prend une part, l'entreprise aussi, c'est facultatif, mais cela peut permettre de résoudre des problèmes très concrets. Le Gouvernement n'est pas anti-libéral, il n'est pas libéral, il est pragmatique.
Q- Et dans votre secteur, l'allocation aux étudiants, n'est-ce pas une manière d'essayer de se remettre bien avec un milieu qui vous était plutôt hostile ces derniers mois ?
R- Vous savez, l'égalité des chances, cela c'est un vrai beau principe républicain. Et donc, permettre à chacun de pouvoir étudier, notamment par une politique de bourses, c'est tout à fait légitime. On sait que, le moment où les étudiants quittent le foyer familial pour prendre un logement indépendant, c'est un moment coûteux. On a choisi de leur donner une aide à ce moment-là, je dis que c'est bien.
Q- Mais cela sent quand même un petit peu la campagne électorale, même si j'apprécie votre côté solidaire au Gouvernement...
R- Il y a deux façons de voir l'électoralisme : il y a ceux qui font des promesses en milliards, en dizaines de milliards, avec la certitude que l'on ne pourra pas les tenir - je regarde du côté de la gauche - et puis, il y a des dépenses qui sont ciblées, qui sont compatibles avec la remise en ordre des finances publiques. La prime pour les étudiants, c'est 25 millions d'euros. C'est une politique justifiée, et cela ne met pas en péril l'équilibre des finances publiques. C'est cela notre ligne.
Q- Le début de la campagne pour la présidentielle à droite ne vous plaît pas, vous l'avez dit deux fois pendant cet été : une fois dans Le Figaro, une autre, dans Le Télégramme de Brest, hier. Pourquoi tirez-vous ainsi le signal d'alarme ? Qu'est-ce qui vous inquiète ?
R- L'élection présidentielle, d'abord, on le sait, c'est fondateur dans la démocratie française. Et il faut souhaiter que nous ayons un vrai débat, c'est-à-dire que nous n'ayons pas la situation de 2002, avec une absence de confrontation entre le projet de la droite et le projet de la gauche au deuxième tour. Donc, premier point. Ceci milite pour l'unité, l'unicité de candidatures. Mais en même temps, on sait que l'électorat a des attentes nombreuses, on sait que nos familles politiques ne sont pas totalement homogènes, donc il faut en même temps avoir débat, avoir discussion, préparer un projet. Cela ne se fait pas comme cela, n'importe comment. Et cela suppose une préparation.
Q- Il n'y en a pas de débat, dans votre camp, j'entends.
R- Je dis simplement qu'il est temps que nous ayons un vrai débat sur le projet à la fois présidentiel et législatif, parce que les élections ont lieu en même temps avec le quinquennat. Le Président est élu et, dans la foulée, ce sont les députés. Donc, la majorité parlementaire sort à peu près au même moment des urnes, et le projet est le même. Il nous faut un projet commun, et il faut un projet rassembleur.
Q- Il n'y a pas de projet commun pour le moment ? N. Sarkozy a un projet, il l'a fait connaître, il le fait connaître à longueur de temps ?
R- N. Sarkozy est une personnalité éminente de notre camp, c'est le président de l'UMP. Evidemment, il y a d'autres personnalités, et il faudra - je vais employer un vocabulaire socialiste - faire la synthèse.
Q- F. Fillon dit dans VSD que le jeu est plié, et que N. Sarkozy sera le candidat de la droite. C'est exactement le type de comportement que vous dénoncez, si j'ai bien compris ?
R- Alors là, c'est vraiment du bon sens...
Q- Non, mais disons les choses sincèrement.
R- Quand on regarde les élections présidentielles dans le passé, aucune ne s'est déroulée comme on le prévoyait l'été précédent. Alors, soyons simplement prudents. Evidemment, il y a un favori des sondages aujourd'hui, évidemment, c'est une personnalité qui a des qualités tout à fait
remarquables. Simplement, ne considérons pas que les jeux sont faits. C'est le meilleur moyen d'être battu au moment de l'élection.
Q- Que lui reprochez-vous ? De pousser trop son avantage, de faire de l'abus de position
dominante ?
R- Je ne lui reproche strictement rien. Je dis qu'à droite, il y a des personnalités qui ont de grandes qualités, qui peuvent avoir leur mot à dire. Et puis n'oublions pas le président de la République qui, évidemment, aura une intervention décisive dans la campagne, il l'a annoncé, qu'il y aurait une décision de sa part, au début de l'année prochaine. Je crois qu'il faut prendre en compte l'avis du président de la République et l'opinion des différentes personnalités qui doivent peser dans la campagne présidentielle.
Q- Le candidat de l'UMP, ça n'est pas plié ?
R- Nous avons un mécanisme de décision qui veut que le candidat soutenu par l'UMP sera désigné au début de l'année prochaine.
Q- Expliquez-moi ce que sont vos différences d'approche avec le président de l'UMP ou le projet tel qu'il a pu le faire connaître ? Sur le plan institutionnel par exemple.
R- Sur le plan institutionnel, c'est vrai que j'ai mis cet exemple en avant parce que je crois que même si les questions institutionnelles ne sont pas un débat dans le grand public aujourd'hui, c'est évidemment déterminant. Moi je pense que le régime de la Vème République qui est intermédiaire entre un régime présidentiel et un régime parlementaire doit être conservé tel quel. Il est important d'avoir une légitimité présidentielle, il est important de garder une légitimité parlementaire. Il ne faut pas de concentration excessive des pouvoirs. Et moi je pense que dans le fonctionnement de nos institutions, le fait d'avoir un président qui fixe les grandes lignes et puis un Premier ministre qui est à la manoeuvre, qui est responsable devant le Parlement avec son Gouvernement, cela fait partie des grands principes des institutions de la Vème République. Voilà, c'est une opinion. Et, naturellement, il y a au sein de l'UMP des gens qui sont partisans d'un régime présidentiel, E. Balladur par exemple. Il est tout à fait normal que nous ayons des discussions sur un sujet aussi fondamental.
Q- Il peut y avoir une tentation de pouvoir personnel, à l'UMP ?
R- Il ne faut pas employer de grands mots. Il y a simplement le fait que sur des questions comme celle-là, nous devons avoir des discussions. Prenons les questions de défense. On n'en parle pas tous les jours mais dans une situation tendue comme celle que nous connaissons, ce ne sont pas des questions que l'on doit traiter trop rapidement, il faut bien réfléchir à notre politique de défense. Prenons les questions de politique étrangère. Il y a quelques mois, on les aurait laissées de côté, aujourd'hui, elles sont au premier plan. Prenons la question majeure de ce que j'appelle, la "sous-activité" de notre pays. Heureusement le chômage s'améliore mais nous avons encore un taux de chômage trop élevé, nous avons un âge de départ en retraite qui est trop précoce, nous avons une entrée dans la vie active qui, on le sait, est encore difficile. Il y a un problème en France de la sous-activité qui a des conséquences majeures en terme de croissance, en terme de problèmes sociaux, en terme de politique des quartiers... Bref, toutes les grandes questions qui sont celles d'une société comme la notre doivent faire l'objet d'une discussion avant les échéances présidentielles.
Q- Aux universités d'été de l'UMP, vous allez faire entendre ce message là ; vous allez dire : "il faut du débat, plus de débat, davantage de débat" ?
R- Constamment, moi je vais essayer d'exprimer des opinions......
Q- [inaud] ressenti ça ?
R- Mais pourquoi ? Croyez vous que l'UMP soit un parti qui refuse la discussion ? D'abord, n'oublions pas que nous venons de plusieurs familles politiques traditionnelles françaises, qui ont chacune leur tradition, chacune leur approche. Heureusement, nous sommes maintenant réunis mais cela n'empêche pas qu'une certaine diversité existe et doit s'exprimer.
Q- Il n'y a pas des moments où vous enviez la situation que connaissent les socialistes qui collectionnent les candidats mais il y en a plusieurs et ils débattent ?
R- Sûrement pas. C'est vrai que chez eux cela existe mais aussi, quand on voit les grands écarts idéologiques, quand on voit d'un côté Mme Royal, qui par moment est beaucoup plus conservatrice que l'UMP, et que de l'autre bord on a avec Fabius des gens qui se réclament d'un socialisme complètement dépassé, très franchement, je préfère la cohérence qui existe chez nous même si cette cohérence n'exclut pas les différences d'appréciation sur tel ou tel point.
Q- Vous ne pensez pas que les gens finalement ont besoin de changer de candidat et ils l'expriment - comme on a parfois besoin de changer d'air - et qu'à droite comme à gauche Sarkozy, Royal, eh bien, c'est le résultat ? Ce qui est assez logique finalement. Il ne fallait pas leur en donner l'envie.
R- C'est vrai qu'il y a un besoin de changement, c'est vrai qu'il y a des aspirations au changement, mais les personnes sont une chose, les projets politiques, je ne dirais pas que c'est autre chose mais cela existe aussi.
Q- Vous regrettez parfois d'être entré à l'UMP ?
R- Bien sûr que non, l'UMP est un parti qui nous a permis de nous rassembler, qui est bon pour la préparation des élections, donc l'UMP a été un point positif évidemment.
Q- Qu' A. Juppé soit rentré à Bordeaux pour reprendre les clefs, cela change quelque chose à la donne politique à droite ou pas ?
R- Disons que c'est une personnalité de premier plan qui revient et moi je m'en réjouis. J'ai au sein de l'UMP été à la commission exécutive à l'époque ou A. Juppé présidait l'UMP. Et j'ai beaucoup apprécié sa manière de travailler. C'est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'estime et qui a une véritable stature nationale et internationale, c'est vrai.
Q- Il a du talent mais ça c'est un petit peu la langue de bois. La question est : est-ce que cela change quelque chose dans une donne politique que l'on connaît tous, qui est celle d'une concurrence, qu'elle soit normale ou pas entre différentes personnes ?
R- D'abord, ça n'est pas de la langue de bois parce que je ne le dirais pas de tout le monde. Il a un talent remarquable et ça c'est important.
Q- Vous le diriez de N. Sarkozy ?
R- Evidemment. Mais A. Juppé est quelqu'un qui aura certainement quelque chose à dire dans les prochains mois en France.
Q- Quoi ? Vous attendez quoi de lui ?
R- Vous allez l'inviter !
Q- Pour le moment, il a envie de parler de Bordeaux.
R- Il a raison.
Q- Vous êtes le responsable de la recherche française, est-ce que l'on a des chances de voir ce thème arriver dans la campagne présidentielle, est-ce que vous vous y préparez, est-ce que vous allez essayer de l'imposer ?
R- Oui, alors l'imposer, ce n'est pas en mon pouvoir, mais il faut parler de la recherche. La recherche, c'est une banalité, mais c'est l'avenir et c'est de plus en plus l'avenir de notre économie. On ne s'en tirera pas en pratiquant une politique de bas salaire ou de recul de la protection sociale. On s'en tirera en ayant des activités de forte valeur ajoutée et cela ça s'appuie sur la recherche développement, sur l'innovation, c'est donc déterminant pour notre avenir.
Q- On a un mathématicien qui se distingue alors que la première université française est seulement 45ème dans le classement de Shanghai des 500 premières mondiales. Il y a un truc qui cloche non ?
R- Il ne faut pas négliger ce classement, il doit nous interpeller. Nous sommes en train de réformer profondément la recherche française. Vous l'avez dit, nous avons eu un prix Nobel il y a quelques mois, une médaille Fields pour les mathématiciens. La recherche française est du meilleur niveau mais on doit faire un effort d'organisation pour que l'enseignement supérieur puisse en profiter pleinement. Et puis on a aussi besoin de réformer notre recherche, c'est largement fait aujourd'hui, avec en particulier une politique d'évaluation de la recherche. Il y a des gens très bons, il y a des gens moins bons, et il faut naturellement que les moyens aillent d'abord à nos meilleurs chercheurs.
Q- Le Gouvernement peut-il encore faire quelque chose d'utile dans les huit mois qui viennent ?
R- Tous les jours, nous travaillons, j'en fais l'expérience chaque jour. Et D. de Villepin a-t-il un avenir présidentiel ?Cela vous allez bien sûr le lui demander mais il fait partie des personnalités qui ont quelque chose à dire. Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er septembre 2006