Texte intégral
N. Demorand - Bonjour F. Goulard. Ministre donc, élu breton, vous n'avez pas dit que vous étiez un fidèle de D. de Villepin, qui gagne d'ailleurs dix points, dans un baromètre IFOP/Paris Match à 38 % d'opinions favorables. Vous avez une explication d'ailleurs à cette hausse soudaine ? Une explication rapide.
R - Oui d'abord, quand on baisse beaucoup, ensuite, il y a une marche, il faut la remonter - ça, c'est une évidence. Et puis, je crois aussi, qu'après les crises du printemps dernier, je crois que les Français prennent conscience qu'on a un gouvernement qui travaille, qui fait un certain nombre de choses. Et ça, ça vaut un regain dans l'opinion, c'est naturel.
Q - Voilà, on ne pouvait pas aller plus bas, c'est normal qu'on remonte aussi. Alors juste un mot sur le paysage avant la bataille, après l'université d'été de l'UMP, le week-end dernier à Marseille, j'ai l'impression que les dés sont jetés, apothéose pour N. Sarkozy, la droite a son candidat, c'est plié, les lignes ne vont donc plus bouger dans les semaines et les mois qui viennent ?
R - Tous ceux qui connaissent la politique savent qu'à quelques mois des échéances, cela bouge encore. Simplement, moi, je préfère l'image de Marseille à celle de La Rochelle. Il vaut mieux donner une image de rassemblement, d'unité, qui n'empêche pas le débat. Moi, je suis de ceux qui pensent que nous avons à débattre, à discuter des grands thèmes de campagne, entre la droite et la gauche et à l'intérieur de chacun des camps. Tout le monde n'est pas convaincu de cela, notamment à gauche si j'ai bien compris, mais en tout cas, le rassemblement c'est mieux que la division.
Q - Vous êtes d'accord avec la ligne affichée par N. Sarkozy et notamment la thématique de la rupture ?
R - Oh ! Vous savez, la rupture c'est un mot. A d'autres époques, on avait parlé de changement dans la continuité, quand on représente un certain camp politique, il y a à la fois une continuité avec ce qui s'est passé et il faut évidemment proposer quelque chose de nouveau aux électeurs. Donc peu importe les termes, moi, je crois simplement que si le bilan est bon - et moi, j'ai toutes les raisons de penser que ce bilan sera bon - cela sert le candidat de notre camp, quel qu'il soit.
Q - Et la rupture avec l'héritage soixante-huitard, vous en pensez quoi ?
R - C'est une vieille histoire, mais c'est vrai qu'il y a des pages quelquefois tourner, il y a des habitudes de penser qu'il faut abandonner. Et c'est vrai que 196,8 c'est loin.
Q - Mais c'est quoi, pour la droite, 1968 ?
R - Ah ! Pour une bonne partie de la droite - dont je fais partie -, c'est notre jeunesse et c'est probablement...
Q - Vous faisiez quoi en 1968, vous ?
R - Moi, j'étais au lycée, en Bretagne, comme je l'ai rappelé.
Q - Sur une barricade ou pas ?
R - J'ai commencé plutôt côté barricade et j'ai fini plutôt de l'autre côté. Je me suis engagé politiquement à ce moment-là.
Q - Vous voulez dire du côté des forces de l'ordre ?
R - Non, pas tout à fait, je ne m'étais pas engagé dans les CRS. Simplement, j'avais adhéré à ce que l'on appelait à l'époque, l'Union des Jeunes pour le Progrès, qui était les Jeunes Gaullistes. Mais c'est vrai que des moments comme cela, ce sont des moments d'engagement. On choisit un camp et c'est vrai que cela marque beaucoup.
Q - Mais alors, dites-nous, pour la droite, ce qu'incarne mai 68 ?
R - Attendez pour l'université par exemple, mai 68, c'est un sacré recul, parce que très franchement, mai 68 a déstabilisé l'université française et on a eu beaucoup de mal à s'en remettre. On s'en remet, mais c'est vrai que tout n'est pas positif dans cet héritage de 68.
Q - C'est mai 68 qui explique l'état préoccupant des universités aujourd'hui ?
R - Non, non, mais il est vrai que nos universités ont beaucoup reculé à partir de 68. L'université française était brillante, elle l'a été moins et aujourd'hui, elle a fait un gros effort, elle est en train de faire sa mutation, de s'adapter aux temps modernes et 68 n'a pas été positif pour les universités françaises, je n'hésite pas à le dire.
Q - Mais ça, il faut quand même, nous l'expliquer. Parce que dans l'histoire c'est plutôt un moment d'ouverture de l'université au plus grand nombre. Pour l'école c'est pareil, c'est le moment où ces institutions, réservées avant à une certaine élite, s'ouvrent à tous. Cela s'appelle la démocratie ?
R - Faux, faux, la démocratisation de l'enseignement a commencé bien avant et c'est probablement d'ailleurs l'ouverture d'universités qui explique en partie mai 68, qui a fait craquer les anciennes structures. Mais c'est vrai que l'université s'est remise au travail tardivement et qu'elle a été bouleversée par ces mouvements. La loi Edgar Faure n'était sûrement pas une loi idéale. Aujourd'hui on a une université qui s'est ouverte sur le monde du travail, sur la société qui a des formations beaucoup plus professionnalisées. Rappelez-vous en 68, il était absolument interdit de dire qu'à l'université on préparait un métier et ça, c'est complètement une hérésie. C'est criminel vis-à-vis des jeunes de dire qu'à l'université on ne prépare pas des métiers, on prépare des gens à l'emploi. Et donc moi, je suis très sévère à l'égard du bilan de 68.
Q - Alors c'est un constat d'une banalité effrayante, excusez-moi d'être obligé de le refaire, mais l'université française est tout de même en crise, crise de débouchés, crise de moyens ou d'usage des moyens, faussés entre les universités et les grandes écoles - c'est une spécificité française. Vous qui êtes aux manettes, dites-nous que peut faire un ministre de l'Enseignement et de la Recherche ?
R - Il peut faire un certain nombre de choses, par exemple...
Q - Pour éviter aux journalistes de prononcer cette banalité de manière cyclique...
R - Mais non...
Q - La crise est endémique ?
R - Ecoutez, la crise... Entendons-nous, qu'il y ait des difficultés c'est une évidence, on connaît les problèmes de l'université, par exemple l'échec dans les premières années - ça, c'est vrai -, défaut majeur de l'orientation, on essaie, première étape, d'informer. Alors ça peut paraître une évidence, mais aujourd'hui, les futurs étudiants sont très mal informés sur les études supérieures et sur leurs débouchés. Alors on a mis en place un portail étudiant qui permet à chacun de savoir ce qu'il pourra faire après telle ou telle formation et telle ou telle diplôme. Cela n'existait pas. Il faut que chaque université dise quels sont les débouchés après un diplôme. Ca n'existait pas, en tout cas, ce n'était pas généralisé. Ça l'est désormais, c'est un vrai progrès, pour que les étudiants se guident mieux dans l'enseignement supérieur, aient donc plus de chance de trouver ensuite des débouchés. C'est un vrai changement. Deuxième changement...
Q - Un GPS donc à la sortie de l'université ?
R - Oui, c'est une bonne image, deuxième changement : on a vu avec la crise du CPE que beaucoup d'étudiants étaient extrêmement inquiets pour leur avenir professionnel. L'angoisse, c'est de trouver un job après le diplôme. Nous mettons l'accent, à cette rentrée sur les filières qui donnent un métier. Ce qu'on appelle les filières professionnalisées. Nous ouvrons à cette rentrée universitaire, 225 licences professionnelles, on sait bien que dans les études universitaires, il y a des gens qui échouent parce qu'ils ne sont pas tout à fait préparés à ça, par leurs études secondaires, par leurs aptitudes, par leurs goûts et on a un besoin en France, d'études qui préparent à des métiers en trois ans, par exemple, la licence professionnelle. Nous ouvrons une dizaine de départements d'IUT. Donc quand vous me posiez la question : que fait un ministre ? Eh ! Bien, il oriente notre offre d'enseignement supérieur dans un sens qui correspond aux besoins d'aujourd'hui et aux attentes des jeunes.
Q - Donc vous nous dites qu'en 2006, la grande réforme, c'est que l'université prépare au marché de l'emploi. C'est un peu tard quand même !
R - Elle prépare mieux au marché de l'emploi, voilà.
Q - Ce n'est pas plutôt une grande zone tampon, l'université, qui permet justement vu l'allongement des études de différer l'entrée sur le marché du travail et de tenir à la baisse les chiffres du chômage ?
R - Il ne faut surtout pas que ce soit cela !
Q - Ça ne l'est pas, dans les faits ?
R - Surtout pas, non, non.
Q - Franchement ?
R - Non, non, il ne faut pas être trop sévère avec l'université française. Ce serait une erreur. Alors c'est vrai qu'il y a beaucoup trop d'étudiants qui passent un an, deux ans ou trois ans sans diplôme. C'est vraiment quelque chose qui ne va pas et qu'il faudra changer. Mais il y a en revanche beaucoup d'étudiants qui ont une formation de très grande qualité, reconnue par les employeurs et donc, non, non, l'université a aussi des performances en matière de recherche. Donc, n'ayons pas une vision noire de l'université française, qui je le répète, s'est beaucoup transformée en dix ou quinze ans. Par exemple, est-ce que vous savez qu'il y a aujourd'hui, la moitié des ingénieurs qui sont formés dans des écoles qui dépendent d'université. C'est une véritable révolution. Vous parliez de mai 68, ça n'existait absolument pas, à l'époque.
Q - Les classements internationaux indiquent tout de même que les universités françaises ne sont - et c'est le moins que l'on puisse dire - pas au top, excusez-moi pour ce mot, cet anglicisme ?
R - Oui, elles ne sont pas au sommet.
Q - Le tableau n'est peut-être pas noir, mais gris foncé ?
R - Non, expliquons-nous, premièrement, il ne faut pas négliger ces classements internationaux, il y a là aussi compétition dans le domaine universitaire de la recherche, comme ailleurs.
Q - On est armé ?
R - Oui, nous sommes armés, mais nous ne sommes pas toujours parfaitement organisés. Notre modèle ne correspond pas au modèle international, qui est de plus en plus un modèle anglo-saxon. Et c'est vrai qu'il faut que la recherche soit plus visible au sein de nos universités. Le potentiel est là. Nous sommes un des grands pays de recherche, les Français ne le savent pas assez. On a eu un Prix Nobel à la fin de l'année dernière, une médaille Fields - c'est le Prix Nobel des mathématiques -, il y a quelques jours. Nous avons une recherche du meilleur niveau et...
Q - Oui, mais l'écart entre l'élite qui est primée internationalement...
R - C'est vrai dans tous les pays. Oui, mais tout le monde n'a pas le Prix Nobel...
Q - Evidemment tout le monde n'a pas le Prix Nobel, mais on sait très qu'en France, il y a un écart formidable entre les chercheurs de pointe et l'état en lui-même des universités ?
R - Non, nous avons besoin de mieux organiser notre recherche et notre université. Et puis c'est vrai que nous avons des spécificités françaises, qui font que dans ces classements nous sommes à priori assez mal partis, parce que notre modèle n'est pas celui du monde anglo-saxon. Alors je ne dis pas qu'il faut adopter le modèle anglo-saxon, mais quelquefois par des mesures simples, en déclarant par exemple, mieux les recherches au nom de l'université plutôt qu'à un organisme de recherche, on peut améliorer notre classement, c'est important le classement. Parce que nous avons besoin d'avoir une très bonne réputation internationale dans ce domaine-là comme dans d'autres.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 6 septembre 2006