Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France-Inter le 30 août 2006, sur le débat politique à l'UDF, l'influence des médias et la définition de majorités nouvelles.

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Circonstance : Université d'été de l'UDF à La Grande-Motte (Hérault) du 31 août au 3 septembre 2006

Média : France Inter

Texte intégral

Q- Quelle place pour le Centre ? Entre les deux forces qui se mettent en ordre de bataille pour la présidentielle, UMP et Parti socialiste, quelle place pour l'UDF devenue autonome ? Pourrait-elle participer à une majorité parlementaire inédite, à l'issue des législatives de l'an prochain ? Son président candidat et candidat-président, pourra-t-il séduire un électeur sur dix au premier tour de l'élection présidentielle ? Votre université d'été à l'UDF commence à la fin de la semaine à La Grande-Motte. Les sondages présidentiels pour vous stagnent entre 7 et 8%, donc clairement, vous vous maintenez en première division. On ne voit pas, si j'ose dire, le titre européen à la clé ?
R- Oui, parce que vous ne regardez que la surface des choses. D'ailleurs, c'est peut-être normal. Tout l'été a servi au matraquage médiatique "Sarko-Royal". Cela a été les premières pages des magazines, comme si les Français n'avaient le choix qu'entre ces deux "photos", ces deux "images". Mais le choix des Français ne va pas du tout dans ce sens-là. Et il y a des millions de Français qui considèrent que choisir entre Sarkozy et Royal, c'est un peu court et même pour certains un cauchemar. Ces Français-là ils veulent un autre projet et une autre approche de la politique. Les deux : le projet et l'approche. Et ils ne se satisfont pas de la "peopolisation" de la vie politique, comme l'on dit, de cette politique qui n'en reste qu'à la photo et, en réalité, dont ne connaît pas les fondamentaux. Alors, nous, notre rôle, est précisément d'offrir cet autre projet et cette autre approche, et on va le voir pendant notre université d'été.
Q- Mais est-ce que ce ne sera pas justement plus difficile pour vous, si, par hypothèse, S. Royal est la candidate socialiste ? Parce qu'on dit qu'elle ratisse un peu plus au Centre, quand même, que les autres ?
R- M. Boyer, j'aime beaucoup la manière dont les journalistes en général ramènent, de manière infatigable, les mêmes questions et les mêmes personnes. Je crois au contraire que ce qui est en train de se passer en France, c'est une remise en question de ce que vous dites, et du fait que les
médias, comme en 2002, essaient d'imposer un deuxième tour tout fait,
auquel les Français ne sont pas ralliés du tout. Ils ont envie d'autre chose, ils
ont envie surtout du débat et d'entendre des propositions différentes.
Q- Alors, qui ramène aux personnes ? Dans l'interview à L'Express que vous donnez au magazine qui va sortir cette semaine, vous évoquez N. Sarkozy, dont vous dites que comme S. Berlusconi, il a une grande connivence avec les puissances d'argent, et un sens de la mise en scène des confrontations dures dans la société.
R- C'est exactement cela. Le journaliste me demande : "Est-ce que vous avez le même projet de société que N. Sarkozy ?". J'ai dit "non", pour ces deux raisons principales.
Q- "Connivences avec les puissances d'argent" !
R- Ecoutez, il suffit de regarder tous les jours. Il y a en France, aujourd'hui, des puissances très importantes qui, en particulier, ont des intérêts dans les médias, et qui poussent à ce choix tout fait, qu'ils ont choisi eux-mêmes : N. Sarkozy d'un côté, S. Royal de l'autre. D'une certaine manière, ils mettent des billes dans les deux cases. Donc, cela ne peut pour eux que rapporter le jackpot.
Q- Mais dites-le ouvertement : les puissances, là, c'est le groupe Bouygues,
c'est le groupe Lagardère, oui, non ?
R- Ce sont des puissances considérables...
Q- Ce sont ou ce ne sont pas eux ?
R- ...en particulier dans les médias, et qui ont avec l'Etat des rapports de clients, des rapports d'argent, dont la vie et le développement dépendent de la commande publique, et donc qui ont le plus grand intérêt à maîtriser, tenir les choix futurs des Français, à diriger, à orienter les choix futurs des Français, de manière qu'au bout du compte, leur avenir et leur perspective soient préservés. Vous savez bien que ce n'est pas tout à fait par hasard que de grands groupes industriels, financiers ont choisi d'avoir des développements dans les médias, et de conserver en même temps leur relation de clientèle avec l'Etat.
Q- On va parler clair : Dassault a Le Figaro, Lagardère a un nombre important de médias et Monsieur Bouygues à TF1 ?
R- Eh bien voilà, vous venez d'évoquer les trois groupes principaux.
Q- Qui soutiennent, selon vous, bien sûr, la campagne de N. Sarkozy à
venir ?
R- Et de S. Royal. Qu'ils aient le choix, que les Français, d'une certaine manière soient orientés, poussés dans un choix pré-déterminé, de manière que, ce soit sans surprise pour l'avenir. Or je crois que cela ne correspond pas à l'intérêt de la France. Et pourquoi cela ne correspond pas à l'intérêt de la France, selon moi, tenons-en au fond ? C'est parce que je ne crois pas que ces deux appareils, l'UMP et le PS, puissent à eux seuls, comment dirais-je, dans leur giron, faire des choix qui soient largement soutenus par le peuple français. Je pense que la situation devant laquelle nous sommes, qui est extrêmement lourde - situation de la dette et des finances publiques, situation du climat, de l'énergie - que cette situation-là impose une autre approche qui consiste selon moi, à élargir la majorité, et faire travailler ensemble des gens compétents, quelle que soit leur étiquette d'origine.
Q- Vous évoquez l'énergie. Iriez-vous jusqu'à dire, comme D. Paillé, ancien UDF et aujourd'hui UMP, que le groupe Suez a en fait obtenu du Gouvernement que l'on privatise GDF pour la fusion, pour échapper, lui, à une éventuelle OPA hostile ?
R- C'est le scénario que nous avons sous les yeux. Mais il faut aller plus loin. La véritable question qu'il va falloir se poser pendant le débat qui vient, c'est : au bord de la crise de l'énergie où nous sommes, et au bord de la crise du climat où nous sommes, faut-il que l'Etat se déshabille, abandonne la capacité d'action qu'il a sur le marché du gaz ? Est-ce qu'il faut nous abandonnions l'instrument, le vrai instrument de politique énergétique que nous avons et le privatiser ? Ma réponse est "non". Je pense qu'aujourd'hui, au bord de la crise que tout le monde sent menaçante sur l'énergie, sur le pétrole, sur le gaz et sur le climat, il faut au contraire que l'Etat considère
que cette activité - l'énergie, le gaz, l'électricité - mérite de sa part une stratégie de long terme pour les Français.
Q- Alors, qui rassembler autour de vous, F. Bayrou ? M. Rocard, qui n'était pas à La Rochelle, sera chez vous à La Grande-Motte, ainsi que le nouveau Sarkozyste, M. Barnier, et le toujours écolo, N. Hulot. Rocard, Barnier, Hulot, cela fait-il un gouvernement d'union
nationale ?
R- J'ai essayé de prendre trois personnalités que j'estime, et dont je sais qu'elles s'estiment entre elles, mais que la malédiction politique française interdit de voir travailler ensemble. Vous n'avez pas le droit de parler à quelqu'un qui n'est pas de votre camp, de votre étiquette ! Eh bien, je trouve cela absurde, et je pense qu'il est nécessaire que, aujourd'hui, quelqu'un défende devant les Français un autre projet - je viens d'en parler - et une autre approche, qui soit plus compréhensive, qui accepte les différences politiques, mais qui veuille faire travailler ensemble des gens qui jusqu'à maintenant sont étrangers les uns aux autres.
Q- Et si le jeu est complètement rebattu, non pas seulement à l'issue de la présidentielle, mais des législatives en 2007, peut-on imaginer que l'UDF soit partenaire d'une toute autre alliance parlementaire de majorité de Gouvernement ?
R- Je considère pour ma part que l'alliance parlementaire que nous avons aujourd'hui est trop étroite. Ce que l'on appelle parti majoritaire en France, c'est un parti qui tourne autour de 20%, que ce soit l'UMP ou le PS. Vous ne pouvez pas gouverner la France avec seulement 20% des Français. Parce que là, ce sont évidemment des intérêts de clan qui l'emportent. Et vous devez avoir au contraire une approche d'intérêt général, qui vous permette de montrer à la société française, que vous ne faites pas des choix d'intérêts pour les uns ou pour les autres, mais qu'au contraire vous prenez en charge les défis qui sont devant nous, pour le plus grand nombre.
Q- En un mot, est-ce que, en 2007, l'UDF peut travailler au Gouvernement, ou faire une alliance parlementaire de Gouvernement avec la gauche, qui serait au pouvoir, par hypothèse ?
R- Quand le Général de Gaulle est revenu au pouvoir en 1958, il a obligé à travailler ensemble ce qu'était la gauche de l'époque, la SFIO, ce qu'était le Centre de l'époque, et ce qu'était la droite de l'époque.
Q- Donc, rien n'est exclu pour l'UDF en 2007 ?
R- Pour moi, je considère qu'il faut des majorités nouvelles pour la France.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er septembre 2006