Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec I-Télé le 11 septembre 2006, sur la représentation de la France à la commémoration des attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, les relations franco-américaines, la relance du processus de paix au Proche-Orient et les otages français au Yemen.

Prononcé le

Média : I-télévision

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, bonsoir, pour représenter la France aux commémorations des cinq ans du 11 septembre, Nicolas Sarkozy était à New York aujourd'hui. Ce n'était pas plutôt la place du ministre des Affaires étrangères que vous êtes ?
R - Je rentre d'Abou Dabi où je travaillais à la reconstruction du Liban. Nous nous occupons également actuellement du dossier nucléaire iranien. Vous avez vu que M. Larijani travaille avec M. Solana, et bien sûr les Européens sont aujourd'hui très mobilisés sur le dossier nucléaire iranien. C'est tout à fait normal. Le dossier nucléaire ne peut pas attendre, et c'est ce dont nous nous occupons actuellement. En outre, vous savez que le terrorisme est un terrorisme mondial et que les répercussions en sont bien évidemment européennes. La France, on le sait depuis les attentats de Londres et de Madrid, n'est pas à l'abri, tout comme n'importe quel pays européen. Nicolas Sarkozy travaille beaucoup avec ses homologues américains comme je le fais personnellement avec Condoleezza Rice sur le terrorisme. Et donc, qu'il y aille est une très bonne chose.
Q - Avant de rentrer dans le détail de ces questions de diplomatie internationale, un petit mot de politique tout de même puisque le parti socialiste, sur cette question du voyage de Nicolas Sarkozy, l'accuse d'utiliser l'argent public pour mener sa propre campagne. Comment réagissez-vous à ça ? Concrètement, comment est-il allé à New York ? En avion de ligne ? Avec l'argent public ou pas ?
R - La seule réponse qu'on peut donner au Parti socialiste, c'est de lire les titres de la presse américaine depuis plus d'un an et demi disant que la France est aujourd'hui le partenaire le plus sérieux des Etats-Unis dans la lutte contre le terrorisme. Mettez-vous en tête qu'il ne se passe pas un jour sans que les services du ministère des Affaires étrangères ou du ministère de l'Intérieur ne travaillent avec les services américains.
Q - Nous sommes donc loin du froid glacial des jours qui ont précédé la guerre en Irak ?
R - Cela n'a strictement rien à voir. Nous pouvons tout à fait ne pas être d'accord sur certaines questions. Et nous ne sommes toujours pas d'accord sur ce qui se passe en Irak et malheureusement, l'Histoire récente, ces jours-ci, nous donne raison. En même temps, nous sommes bien évidemment tout à fait d'accord pour lutter contre le terrorisme mondial.
Q - Comment définiriez-vous la position de la France par rapport aux Etats-Unis ? Est-ce un allié vigilant, un allié exigeant ?
R - Prenons le dernier exemple en date, le Liban où nous avons beaucoup travaillé sur la résolution 1701. Nous n'étions pas toujours d'accord avec les Etats-Unis, mais nous avons travaillé toujours en confiance avec eux, et nous avons fini par nous mettre d'accord sur une résolution où la France a pris toute sa part.
C'est vrai que, aujourd'hui, le président Chirac est sur une ligne fixée depuis le Général de Gaulle. Le président fixe le cap de la France, qui est un cap d'indépendance stratégique et diplomatique.
Nous défendons des principes qui sont le respect des souverainetés des peuples, l'intégrité territoriale, l'indépendance nationale. Nous le ferons au Darfour, nous le faisons au Liban comme nous l'avons fait en Irak. Nous le ferons demain pour d'autres pays, comme l'Iran en particulier.
Q - L'une des informations essentielles de cette journée nous vient du Proche-Orient : le président palestinien Mahmoud Abbas annonce un accord entre le Fatah et le Hamas afin de former un gouvernement d'union nationale. C'est plutôt une bonne nouvelle n'est-ce pas ?
R - Bien sûr. J'espère pouvoir me rendre très prochainement dans les Territoires palestiniens car l'annonce de cette équipe gouvernementale d'union nationale permettra, je l'espère, d'avoir des contacts avec ce gouvernement. Nous sommes très attachés aux principes que nous avons demandés au Hamas de respecter : le principe de la renonciation à la violence, de façon explicite et publique, la reconnaissance d'Israël qui a droit à la sécurité et la reconnaissance des accords entre l'OLP et Israël.
Oui, donc, nous soutenons le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pour ce gouvernement d'entente nationale.
Q - Et là encore, vous souhaitez marquer l'originalité de la diplomatie française et européenne, vous vous démarquez de la ligne américaine. Est-elle trop pro-israélienne cette ligne américaine ?
R - Nous sommes au point d'équilibre entre le monde arabe et les Américains. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de solution militaire au conflit israélo-palestinien comme il n'y a pas eu de solution militaire au conflit israélo-libanais.
Q - Ceci veut-il dire qu'Israël a fait une erreur en menant la guerre au Liban ?
R - Cela signifie, tout d'abord, que celui qui a fait une erreur, c'est le Hezbollah qui n'aurait jamais dû mener ces actes et nous les avons condamnés ; il y a eu alors une riposte disproportionnée d'Israël, nous l'avons déjà dit.
Aujourd'hui il faut libérer le caporal Shalit, qui a, en outre, la double nationalité, et libérer les soldats israéliens. En même temps, il faut demander aux Israéliens de sortir de Gaza et il faut que ce blocus sur Gaza puisse être levé pour mener ensuite à un accord politique.
Comme le président l'a dit, le Quartet doit donner une impulsion nouvelle à ce processus de paix. C'est ce que je dirai à Mahmoud Abbas lorsque je le rencontrerai.
Q - J'aimerais que nous disions un mot du Yémen. Quatre touristes français ont été enlevés là-bas, d'ici, que pouvez-vous faire ? Ne se sentons pas impuissant même lorsque l'on est ministre des Affaires étrangères dans un dossier comme celui-là ?
R - En tout cas, il faut parler avec humilité et discrétion. Je peux vous dire qu'actuellement, les autorités du Yémen parlent avec les preneurs d'otages. Nous sommes en contact permanent avec les autorités yéménites et notre ambassade est en relation directe avec le ministère des Affaires étrangères, ici au quai d'Orsay.
Q - Concrètement, avez-vous des nouvelles de ces Français ? Comment vont-ils ?
R - Oui, ils vont bien mais ce qu'il faut, c'est que les preneurs d'otages les libèrent. Nous demandons leur libération le plus rapidement possible, sans aucune condition. Nous nous sommes mis, par ailleurs, en relation avec les gouvernements allemand et italien qui, eux aussi, ont eu des ressortissants qui ont été enlevés.
Au moment où je vous parle, c'est la seule chose que je puisse vous dire. Nous nous occupons de ces otages et tous nos services sont mobilisés.
Q - Mais, ces touristes français n'ont-ils pas été imprudents ? C'est une zone qui est déconseillée par le ministère des Affaires étrangères, n'est-ce pas ?
R - Oui, il est vrai qu'il faut faire très attention dans ce type de région, nous avons un site Internet dans lequel nous disons, depuis le début, que ce risque existe.
De manière générale, si vous me le permettez, dans le cadre de cette émission que nous avons passée ensemble, je voudrais dire que cinq ans après ce 11 septembre 2001, s'il y a bien une chose qu'il faut que la France défende, c'est le dialogue entre les cultures et les civilisations.
L'objectif de la France, c'est de parvenir, par l'éducation, par la formation, à combattre les ignorances.
Il n'y a rien de pire que de faire croire que l'Islam et le terrorisme sont liés, car ce n'est pas vrai. La voix de la France est d'essayer d'éviter ces radicalisations, de lutter, de manière absolue, contre le terrorisme. Mais, en même temps, nous devons veiller au respect des cultures et des civilisations.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2006