Texte intégral
Q - L'Iran a franchi le 31 août une nouvelle "date limite" fixée par la diplomatie occidentale. La négociation a-t-elle encore un sens ?
R - C'est vrai, l'Iran n'a pas répondu de manière satisfaisante à la proposition que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l'Allemagne lui ont faite le 6 juin. En particulier, il n'a pas suspendu ses activités nucléaires sensibles. La résolution 1696, votée le 31 juillet à la grande majorité du Conseil de sécurité, sous présidence française, réclamait la suspension totale des activités nucléaires sensibles, y compris l'enrichissement de l'uranium. Dans tout cela, l'Iran n'apporte pas la transparence nécessaire.
Q - Quel est l'objectif de l'Onu ?
R - Amener l'Iran à se conformer aux demandes de l'AEIA et du Conseil de sécurité. Nous en sommes à une phase de consultation pour examiner les suites. La résolution 1696 prévoit la possibilité de sanctions sur la base de l'article 41 de la charte des Nations unies. Leur adoption suppose l'approbation d'une nouvelle résolution.
Q - Le 31 août n'était qu'une étape ?
R - Le 31 août, un rapport de Mohamed El-Baradei, le directeur général de l'AEIA, a confirmé que l'Iran ne s'est pas conformé à la résolution. Le rapport était prévu par la résolution des Nations unies. C'était donc une étape nécessaire mais pas suffisante.
Q - Et maintenant ?
R - Tout en poursuivant les consultations pour l'adoption d'une nouvelle résolution, il convient de maintenir le dialogue avec Téhéran. C'est la ligne défendue par la France et nos partenaires européens. Il est très important aussi de garder l'unité de la communauté internationale. S'il devait y avoir de la part d'un, voire deux, des membres permanents du Conseil de sécurité une absence de dialogue et la montée, d'un côté comme de l'autre, d'une volonté de confrontation, la communauté internationale se diviserait.
Q - Mais peut-on vraiment nouer ce dialogue ?
R - Si chacun fait preuve du sens des responsabilités, nous pouvons trouver des solutions. Pour autant, ce dialogue doit être sincère et concret. Le Moyen-Orient a besoin de stabilité. La France attend de l'Iran qu'il participe à cet effort collectif en faveur de la paix.
Q - La priorité donnée au dialogue et à l'unité interdit toute sanction, alors que l'Iran poursuit son programme d'enrichissement...
R - De toutes façons, si la communauté internationale se divisait, l'Iran continuerait. C'est ce que certains attendent à Téhéran pour remettre en cause le régime actuel de non-prolifération. L'objectif de la France, depuis le début, est de conjuguer fermeté et dialogue, ce qui implique de travailler avec nos partenaires allemands et britanniques, d'en référer aux 22 autres membres de l'Union européenne et de chercher un accord avec la Russie, la Chine et les Etats-Unis. Dans ce bureau, le 12 juillet, avec Mmes Condoleezza Rice et Beckett, MM. Lavrov, Stenmaier et le représentant chinois, nous avons décidé le recours possible à l'article 41 du chapitre 7 de la Charte des Nations unies, c'est-à-dire le recours aux sanctions. Nous étions unis.
Q - Les Iraniens disent aussi qu'ils veulent négocier...
R - Très bien mais je vois néanmoins des ambiguïtés. Il n'y a pas de suspension et le président Ahmadinejad vient d'inaugurer une usine de production d'eau lourde !
Q - Ils ont même tiré un missile de sous-marin... Puisqu'ils ne cèdent rien et que nous continuons à vouloir négocier et à garder notre unité, jusqu'à quand est-ce tenable ?
R - La vocation même de la diplomatie est de trouver une voie lorsque tout paraît fermé. C'est par l'initiative que l'on peut y arriver, pas par la confrontation. Il faut stabiliser le Moyen-Orient et, pour cela, avoir une diplomatie active et en mouvement.
Q - Qui est sous pression, l'Iran ou la communauté internationale ?
R - Lorsque la résolution 1696 du Conseil de sécurité est votée à l'unanimité, moins une voix (le Qatar), c'est une décision lourde de conséquences. L'Iran ne peut pas choisir longtemps l'isolement.
Q - En pleine guerre du Liban, que vouliez-vous dire quand vous présentez l'Iran comme un pôle de stabilité possible ?
R - Qu'on me comprenne bien : j'ai dit que l'Iran aspire depuis toujours à se voir reconnaître un rôle régional. A lui de voir comment il entend exercer ses responsabilités, dans le sens de la stabilité ou en alimentant les tensions. La France appelle les autorités iraniennes à user de leur influence pour favoriser une solution à la crise israélo-libanaise. L'embargo sur les armes à destination du Hezbollah doit être respecté. Cette question constituera un test de l'attitude des différents acteurs régionaux concernés.
Q - Le Hezbollah n'est-il pas pour l'Iran un outil pour accentuer ou diminuer la tension ?
R - Je reste persuadé que l'Iran ne peut pas s'isoler de la communauté internationale. Il faut le considérer comme un grand pays qui peut et doit jouer un rôle dans la région. N'oublions pas les problèmes de fond dans cette région : à propos du Liban comme des Territoires palestiniens, l'humiliation ou la pauvreté fait le lit de ceux qui veulent radicaliser les populations. Il faut donc tenir rapidement une grande réunion internationale de reconstruction, pour le Liban d'abord et pour les Territoires palestiniens ensuite.
Q - La France peut-elle en prendre l'initiative ?
R - Elle le fera avec ses partenaires. La réunion aura lieu avant la fin de l'année. La plupart des pays riches devront y participer et, en particulier, les pays du Golfe.
Q - Le rôle régional que vous souhaitez voir jouer par l'Iran est-il compatible avec les propos de son président sur l'existence même d'Israël ?
R - J'ai été le premier ministre des Affaires étrangères occidental à condamner ces propos inacceptables et choquants. Nous devons donc tout faire, a fortiori parce que de tels propos ont été tenus, pour exiger de manière très ferme la suspension des activités nucléaires sensibles de la part de l'Iran.
Q - Le déploiement des contingents européens au Liban, à portée du terrorisme oriental, ne risque-t-il pas de paralyser les diplomaties occidentales, comme on l'observa à Beyrouth dans les années 1980 ?
R - Respect de la souveraineté des peuples, de l'intégrité territoriale d'un pays et de l'indépendance nationale : dans ce dossier, la France est au rendez-vous de ses valeurs ! Plus encore, nous devons être un point d'équilibre entre les mondes arabe et anglo-saxon, ce qui a toujours été la politique de la France depuis le général de Gaulle. Nous avons trouvé la voie de la restauration de la souveraineté du Liban, via l'armée libanaise qui, pour la première fois depuis 2000, s'est déployée dans le sud du pays à la demande du gouvernement libanais unanime, y compris les deux ministres proches du Hezbollah. Il faut donc tout faire pour que soit respectée la résolution 1701.
Q - On a parlé d'atermoiements français...
R - C'est exactement le contraire ! Le chef de l'Etat a demandé des garanties à l'Onu. Ainsi, pour la première fois, le commandant de la FINUL rendra des comptes à New York à une cellule stratégique dirigée par un général de corps d'armée, sous l'autorité directe du Secrétaire général des Nations unies. Une innovation pour éviter que ne puissent se reproduire les erreurs commises en Bosnie-Herzégovine
Q - La France accepte la prise de risques ?
R - Cela ne se pose pas en termes de risques mais en termes de défense de valeurs. Pour le risque terroriste, la France n'est pas plus à l'abri que n'importe quel autre pays.
Q - Quel est le rôle de la Syrie ?
R - Concernant les autorités syriennes, la résolution 1595 a mis en place une commission d'enquête internationale pour reconnaître les responsables des assassinats à Beyrouth de civils, de journalistes, de députés et, bien sûr, de Rafic Hariri en février 2005. Cette résolution a été adoptée à l'unanimité, y compris par le représentant de la Ligue arabe, l'Algérie à l'époque. Les autorités syriennes doivent se plier à ce que souhaite la commission d'enquête.
Q - Faut-il donc renouer le dialogue avec Damas ?
R - La Syrie est un grand pays mais la confiance n'existe pas actuellement avec les autorités syriennes. Pour restaurer le dialogue, la Syrie doit se conformer à la résolution 1595 comme aux autres résolutions pertinentes des Nations unies sur le Liban.
Q - L'embargo sur les armes sera-t-il respecté à la frontière syro-libanaise?
R - Du côté libanais, il s'agira d'apporter une assistance technique pour renforcer le contrôle aux frontières : les Allemands ont déjà fait savoir qu'ils étaient disposés à répondre à une demande des autorités libanaises. Du côté syrien, Kofi Annan a insisté pour que Damas exerce aussi un contrôle. Les dirigeants syriens lui ont fait savoir qu'ils entendaient respecter la résolution 1701 sur ce point. Il faudra vérifier ce qu'il en est exactement. Par ailleurs, dans la résolution 1701, on trouve les éléments d'un accord politique très fort : outre le désarmement des milices, le règlement de la situation des fermes de Chebaa est inscrit ainsi que la nécessité de parvenir à la libération des soldats israéliens faits prisonniers par le Hezbollah et des Libanais incarcérés en Israël. Une des idées serait de donner aux fermes de Chebaa un statut intermédiaire, sous tutelle de l'ONU, en attendant une solution définitive.
Q - L'accord entre les diplomaties française et américaine semble profond sur la Syrie, l'Iran, le Liban. Comment les choses se passent-elles vraiment ?
R - Nous travaillons en confiance avec les Américains mais il faut reconnaître que, durant la négociation de la 1701, la France a pris toute sa place pour faire accepter les sept points du plan de Fouad Siniora, le Premier ministre libanais. La France a été un point d'équilibre dans cette négociation. Nous nous sommes parfois opposés aux Américains mais nous avons travaillé avec le souci, pour la France, de trouver une solution à la crise et, en particulier, d'arrêter la violence.
Q - Comment la stratégie de Condi Rice peut-elle être compatible avec vos choix ?
R - Je veux rendre hommage aux positions d'ouverture de Condoleezza Rice le 31 mai sur le dossier de l'Iran. Elle a alors fait faire un pas considérable dans la relation entre les Etats-Unis et l'Iran, quand elle a dit, pour la première fois depuis 1979, que son pays était prêt, via les Européens, à parler avec Téhéran. Entre le 11 et le 12 août, Condoleezza Rice a accepté la résolution sur le Liban que nous avions largement inspirée, faisant prendre au gouvernement israélien une décision importante.
Q - A-t-elle fait évoluer le président Bush ?
R - Le discours de Condoleezza Rice à l'université du Caire, il y a un an, portait sur le multiculturalisme, sur le respect des civilisations. Un discours très proche de ce que nous disons. Elle connaît parfaitement ses dossiers. Elle sait faire bouger les lignes. Nous avons des réunions bilatérales fréquentes et nous nous parlons souvent au téléphone.
Q - Votre souvenir le plus marquant de cet été brûlant ?
R - Sans aucun doute l'ONU, le 11 août. Je voudrais à cet égard rendre hommage à Jean-Marc de La Sablière, ambassadeur de France à l'ONU, et à son équipe. Nous étions sur des voies assez divergentes avec les Américains et nous sommes arrivés à convaincre les uns et les autres qu'il fallait trouver un compromis. La voix de la France sur la souveraineté du Liban a convaincu.
Et quand, devant le conseil de sécurité, la secrétaire d'Etat américaine et la plupart des autres membres ont remercié la France pour ce qu'elle avait fait, oui, j'ai vu ce que pouvait être notre influence.
En diplomatie, c'est comme en politique : celui qui sait où il va gagne. Le président Chirac savait depuis le début de la crise où il allait.
Q - Quel est maintenant votre objectif au Proche-Orient ?
R - A court terme, créer un processus de désescalade entre Israël et les Palestiniens : la libération sans condition du caporal Shalit, le plus vite possible, et la levée du blocus de Gaza. Ensuite, reprendre les négociations. La signature d'un document d'entente nationale par l'ensemble des parties représentées au Conseil palestinien était déjà un pas dans la bonne direction ; l'annonce d'un prochain gouvernement palestinien d'entente nationale constitue une nouvelle étape qui marque une évolution intéressante. C'est une opportunité que nous devons saisir. C'est pourquoi je compte me rendre rapidement dans la région pour poursuivre le dialogue avec les responsables palestiniens et confirmer le soutien de la France au président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, dans ses efforts pour apaiser les tensions inter palestiniennes. Il est aussi indispensable que le Quartet se réunisse rapidement pour étudier les modalités d'une relance du processus de paix.
Q - Le vice-président d'Israël a déclaré que la leçon terrible de tous ces évènements c'est que, 60 ans après sa création, l'existence de l'Etat d'Israël n'est toujours pas acceptée au Moyen-Orient. Est-ce la réalité ?
R - Non. Personne ne le dit à l'exception du président iranien. Les amis d'Israël et du Liban, dont la France, ont travaillé ensemble. Nous avons condamné l'action du Hezbollah et nous reconnaissons le droit imprescriptible d'Israël à la sécurité. Depuis la venue de l'ancien premier ministre Ariel Sharon à Paris, en juillet 2005, les choses ont considérablement changé entre nos deux pays. Nous saluons les autorités israéliennes qui ont accepté ce retrait du Liban, ce qui n'était pas facile à faire sur le plan politique.
Q - Vous allez vous rendre au Darfour prochainement. N'est-ce pas là un grave échec pour la vigilance des Nations unies ?
R - La situation est dramatique et continue de se détériorer, au risque de conduire à un véritable désastre humanitaire, c'est pourquoi, lorsque j'ai pris mes fonctions, mon premier voyage africain a été dans le Darfour, en juillet 2005.
Le Conseil de sécurité vient d'adopter une résolution autorisant l'envoi d'une opération de maintien de la paix, pour succéder à l'Union africaine qui nous en faisait la demande de manière pressante.
Il est essentiel maintenant que les autorités soudanaises donnent leur accord à la venue de cette force internationale. Il en va en effet du respect de la souveraineté soudanaise. Il n'est pas raisonnable de penser qu'une force internationale puisse s'imposer ainsi sur le territoire d'un Etat souverain. C'est par consensus qu'une telle décision doit être prise. La France, pour sa part, maintiendra le contact avec les autorités de Khartoum pour trouver un accord et sortir aussi du drame du Darfour.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 septembre 2006