Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Directeur général de l'UNESCO,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Philippe Douste-Blazy se réjouissait beaucoup de vous accueillir et de s'exprimer devant vous, mais vous savez que l'actualité internationale l'a conduit au Proche-Orient, à Ramallah, où il se trouve et d'où il vous salue - je l'ai eu tout à l'heure au téléphone et il m'a demandé de vous le dire, bien sûr. Je vais donc prononcer en son nom le discours qu'il vous destinait.
Je suis heureux, voulait-il vous dire, de saluer les participants à cette rencontre de l'Atelier culturel, représentants des sociétés civiles de nombreux pays d'Europe, du pourtour méditerranéen et du Golfe à un moment où ils s'apprêtent à conclure leurs travaux. Je ne doute pas que ces journées de dialogue ont été denses et fructueuses. Elles sont à mes yeux la traduction d'une exigence : la nécessité de mobiliser les intelligences contre toutes les indifférences. Elles sont aussi la traduction d'une impératif : privilégier l'éducation, la culture et la connaissance au service d'une vision commune. En ouvrant à l'Elysée cet événement fondateur en présence de nombreuses personnalités des pays hôtes, le président de la République a tenu à vous témoigner solennellement tout l'intérêt que la France attache à vos débats.
J'ai souhaité pour ma part profiter de cette occasion pour vous adresser les messages suivants :
Tout d'abord, un message de reconnaissance, pour votre engagement et votre abnégation. Dans vos pays respectifs, dans vos voyages à travers le monde, vous engagez le débat sans tabous sur des questions parfois sensibles, qui touchent à l'essentiel dans la vie des sociétés. Je pense aux fractures culturelles, aux questions de mémoire et au rapport de chaque peuple à son histoire, au rôle des images et de l'écrit, à la place du facteur religieux, à la place de l'éducation. Cette reconnaissance va également aux mécènes qui ont soutenu cette initiative, et à toux ceux qui ont participé à sa mise en oeuvre, la Fondation Anna Lindh, mais aussi la plate-forme non-gouvernementale euro méditerranéenne.
Cette reconnaissance repose sur un constat, constat établi par les pouvoirs publics à l'heure de la société de l'information. Il s'agit d'une part de l'importance grandissante des sociétés civiles dans les relations internationales, et d'autre part, de l'irruption des représentations culturelles et des imaginaires dans la sphère politique. La crise des caricatures du prophète Mahomet et son retentissement à l'échelle du monde sont là pour nous rappeler à un devoir d'intelligence. Cela implique, pour les Etats comme pour les "passeurs de culture" de nouvelles exigences et de nouvelles responsabilités.
Croyez bien que les responsables politiques mesurent leur rôle à vos côtés, dans cette mission, au service de la paix et de la compréhension mutuelle entre les peuples et les cultures. Je citerai à ce propos l'une des toutes premières phrases du préambule de l'Acte constitutif de l'UNESCO "Les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix". Le combat pour la reconnaissance mutuelle et le savoir partagé, Montesquieu nous le rappelle dans ses essais sur l'éducation, n'est jamais acquis. C'est un combat toujours actuel, c'est un combat qui n'est jamais achevé, c'est un combat qui ne cesse de repousser ses propres frontières. Tel est le défi qui se présente à vous, intellectuels, pédagogues, universitaires, professionnels des médias, avocats des Droits de l'Homme, ou responsables religieux. C'est une responsabilité majeure pour les années à venir, c'est le défi qui doit être relevé par la communauté internationale afin que la société mondiale de la connaissance soit un instrument de paix et non un facteur de division.
Je ne néglige pas l'importance des forces armées, placées sous l'égide des Nations unies, dans la mise en oeuvre de processus de paix. Mais je sais que la bataille de l'éducation et de la connaissance est la meilleure arme contre les manipulations et toutes les instrumentalisations.
Vous êtes donc en première ligne pour lutter contre les malentendus, les amalgames, la diabolisation. A la culture du déni, aux falsificateurs de la mémoire, nous devons opposer, ensemble, l'exigence de la transparence et la construction d'une histoire partagée. A l'hypothèse dangereuse d'un prétendu "choc des civilisations", nous devons opposer fermement la perspective volontariste d'un dialogue entre les peuples et entre les cultures. Comme l'a dit le président de la République, ce conflit en germe est avant tout un "choc des ignorances". En oeuvrant pour la connaissance partagée, pour l'échange approfondi, en réconciliant surtout les spécificités culturelles avec l'universalité des Droits de l'Homme, vous menez ce combat, vous en êtes les sentinelles de l'avenir. Je regrette que le Processus de Barcelone n'ait pas encore suffisamment développé ce volet culturel qui est pourtant l'un des trois piliers du Partenariat euro-méditerranéen. Il m'apparaît donc essentiel de promouvoir des projets concrets dans des domaines aussi divers que la traduction, la fabrication d'images audiovisuelles, la formation, l'enseignement. Là où des avant-gardes verront le jour, ce seront des liens forts qui seront tissés entre les peuples. Là où seront combattus les idéologies de la peur, les cultures de la violence et de la haine - celles qui voudraient réduire le débat aux notions de "croisade" ou de "djihad" - ce seront autant de passerelles qui seront construites au service d'une certaine idée de l'Homme.
La France accorde d'autant plus d'importance à ces projets qu'elle n'a jamais considéré, pour sa part, qu'il fallait opposer les Etats aux sociétés civiles. Nous ne pensons pas qu'il est possible d'imposer aux sociétés une démocratie qu'elles n'ont pas choisie. Nous pensons au contraire que l'indépendance des Etats et la souveraineté des peuples, garanties par la Charte des Nations unies, doivent être le socle sur lequel doit se fonder toute action en faveur des libertés individuelles et de la protection des Droits de l'Homme.
D'où mon deuxième message, poursuit le ministre, qui est un message d'encouragement et de persévérance.
Nous sommes attentifs à votre action et à votre engagement, car ils nous semblent inscrits dans la réalité d'un mouvement qui engage de plus en plus les Etats, notamment dans le monde arabe. Si l'on suit les deux derniers rapports du Programme National des Nations unies pour le Développement (PNUD), l'idée d'un développement humain global y fait son chemin. C'est en effet la meilleure garantie pour associer la prospérité et la stabilité dans la durée. Dans le monde arabe, des réformes sont ainsi engagées, qui touchent au système éducatif, à la modernisation de l'économie, à celle des législations civiles. Elles donneront tout leur sens à des réformes sociales plus audacieuses, déjà intervenues dans certains de ces pays en dépit de la tentation du repli identitaire. Je citerai l'exemple de la réforme du Code de la famille, que l'action des ONG a d'ailleurs contribué à préparer. C'est la traduction des convergences possibles entre Etats et sociétés civiles : c'est aussi un engagement à tenir dans la durée.
Il vous revient de contribuer à la réussite dans vos pays de cette transition vers de véritables Etats de droit. Il vous revient d'oeuvrer, chacun dans son domaine, en faveur d'un processus de changement, processus qui ne peut être que graduel et maîtrisé. La France soutient le principe des réformes dans le monde arabe. Mais, comme l'a rappelé le président de la République, elles "doivent être conduites par chacun à son rythme, souverainement et dans le respect de son identité". Cette transition ne saurait se faire dans le fracas des armes, dans la spirale de l'urgence ou, pire, sous la menace.
Voilà pourquoi mon troisième message est un message d'engagement au service d'une ambition commune. C'est le sens de la politique de notre pays et de l'Union européenne en faveur du dialogue et de la paix, du développement et de la prospérité partagée.
Si les conflits du Moyen-Orient n'ont rien à voir avec le choc des cultures ou des identités, ils sont nourris, parfois de l'extérieur, parfois de l'intérieur, par des forces qui mobilisent une rhétorique de la haine. Leur persistance sans espoir de règlement politique global, leur poids dans l'imaginaire culturel des peuples de la région, risquent fort de nous y entraîner, malgré nous. Ils sont un abcès de fixation dangereux et il s'agit de tout faire pour qu'un conflit territorial ne se transforme pas en une opposition de nature religieuse.
C'est pour cette raison que la France mène un combat permanent en faveur de la diversité culturelle, désormais inscrite dans une Convention internationale, adoptée à l'UNESCO il y a un peu moins d'un an. C'est pour cette raison que notre diplomatie s'active, pour trouver une issue à ces terrains d'opposition qui nourrissent frustrations et ressentiment. Qu'il s'agisse de la crise libanaise, du conflit israélo-palestinien, de la situation en Irak, la diplomatie française oeuvre inlassablement pour qu'une solution politique équilibrée soit trouvée à ces crises.
Face à ces périls, la France a agi et n'a cessé d'être en première ligne, conformément à ses principes et à son engagement historique pour la paix sur l'ensemble du pourtour méditerranéen. Lors de la crise israélo-libanaise, nous avons conduit une action déterminée aux Nations unies, qui a abouti au vote à l'unanimité de la résolution 1701, le 11 août, à New York. Depuis lors, la France est restée engagée dans la mise en oeuvre de cette résolution, tant dans ses aspects politiques que militaires et humanitaires. Et s'il y a une bataille à gagner dans les mois à venir, c'est celle de la reconstruction, qui peut avoir un effet d'entraînement pour l'ensemble de la région.
Nous demeurons également mobilisés pour qu'une relance du processus de paix israélo-palestinien intervienne dès que possible. A cet égard, l'annonce d'un gouvernement d'Union nationale au sein de l'Autorité palestinienne représente une opportunité et peut permettre de créer les conditions d'un retour au dialogue.
S'agissant de l'Irak, qui est un élément fondamental de l'équilibre régional, il est impératif de briser la spirale de la violence. Face à l'affirmation des identités religieuses, face à la tentation du repli sur soi, il importe de recréer une dynamique politique qui intègre toutes les composantes de la société irakienne. Il importe de marginaliser les groupes terroristes faisant usage de la violence.
Sur le front de la lutte anti-terroriste, enfin, nos efforts se poursuivent sans relâche. Si nous reconnaissons l'importance d'une coordination des efforts à l'échelle mondiale, nous estimons que la réponse à ce fléau global doit être adaptée à chaque cas et doit reposer sur l'approche fine des théâtres d'opération et des réseaux. En tout état de cause, la réponse ferme ne peut être uniquement militaire. Elle est avant tout policière, juridique, financière, et surtout, politique. Vous y avez votre part car le choix du terrorisme repose sur le sentiment d'humiliation, sur le mépris de toute vie humaine, et finalement sur l'incapacité à exprimer et à dire ce qui nous rassemble et ce qui nous fait homme. Il vous revient, en tant que passeurs de culture, en tant que médiateurs entre les hommes, de redonner du sens aux mots de liberté, de responsabilité et d'humanité dans chacun de vos pays, dans le domaine intellectuel et moral qui est le vôtre.
Aussi, mon dernier message sera-t-il un message d'espoir.
Les peuples ne sont pas condamnés à subir des guerres, ni les cultures à perdre leur identité dans la mondialisation. Par ailleurs, les identités ne sont pas toutes appelées à devenir meurtrières, selon la belle expression de l'écrivain Amin Maalouf, elles sont aussi des facteurs d'intelligence approfondie et de compréhension mutuelle.
Les Arabes disent avec nostalgie de l'Andalousie qu'elle est pour eux le symbole même du "paradis perdu". Il est vrai que l'Andalousie a été à juste titre l'emblème d'une harmonie exemplaire entre musulmans, chrétiens, et juifs, fruit d'une rencontre et d'une intelligence collective. Il s'agit pour nous de transformer cette nostalgie en un projet pour les jeunes générations et pour les futurs décideurs, un projet de partenariat ouvert, respectueux des identités et riche de sa diversité. Cela sera possible si nous unissons nos efforts contre la tentation hégémonique d'une pensée qui se proclamerait une et universelle, d'où qu'elle vienne.
L'espoir de rendre actuel ce précieux héritage anime également les responsables espagnols, qui accueilleront en 2007 à Séville, en Andalousie, la prochaine rencontre de l'Atelier culturel pour le dialogue des peuples et des cultures. Le flambeau passera ensuite à la ville d'Alexandrie en Egypte, pôle du savoir et de la connaissance, au rayonnement considérable au Moyen Age, aujourd'hui ville cosmopolite ouverte sur le monde et sur les nouvelles technologies, comme en témoigne la superbe bibliothèque récemment ouverte.
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je souhaite à chacun de poursuivre ses travaux dans les meilleures conditions. Ceux-ci devraient fin 2007 faire l'objet d'un document final. Croyez bien que nous serons attentifs au fruit de vos réflexions, et que nous apporterons à vos recommandations tout le soutien qu'elles méritent. Car, je le crois sincèrement, la culture et l'éducation sont les meilleures armes contre le choc des ignorances et le fracas des arrogances. Ce combat est le vôtre, c'est aussi celui de la France.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2006
Monsieur le Directeur général de l'UNESCO,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Philippe Douste-Blazy se réjouissait beaucoup de vous accueillir et de s'exprimer devant vous, mais vous savez que l'actualité internationale l'a conduit au Proche-Orient, à Ramallah, où il se trouve et d'où il vous salue - je l'ai eu tout à l'heure au téléphone et il m'a demandé de vous le dire, bien sûr. Je vais donc prononcer en son nom le discours qu'il vous destinait.
Je suis heureux, voulait-il vous dire, de saluer les participants à cette rencontre de l'Atelier culturel, représentants des sociétés civiles de nombreux pays d'Europe, du pourtour méditerranéen et du Golfe à un moment où ils s'apprêtent à conclure leurs travaux. Je ne doute pas que ces journées de dialogue ont été denses et fructueuses. Elles sont à mes yeux la traduction d'une exigence : la nécessité de mobiliser les intelligences contre toutes les indifférences. Elles sont aussi la traduction d'une impératif : privilégier l'éducation, la culture et la connaissance au service d'une vision commune. En ouvrant à l'Elysée cet événement fondateur en présence de nombreuses personnalités des pays hôtes, le président de la République a tenu à vous témoigner solennellement tout l'intérêt que la France attache à vos débats.
J'ai souhaité pour ma part profiter de cette occasion pour vous adresser les messages suivants :
Tout d'abord, un message de reconnaissance, pour votre engagement et votre abnégation. Dans vos pays respectifs, dans vos voyages à travers le monde, vous engagez le débat sans tabous sur des questions parfois sensibles, qui touchent à l'essentiel dans la vie des sociétés. Je pense aux fractures culturelles, aux questions de mémoire et au rapport de chaque peuple à son histoire, au rôle des images et de l'écrit, à la place du facteur religieux, à la place de l'éducation. Cette reconnaissance va également aux mécènes qui ont soutenu cette initiative, et à toux ceux qui ont participé à sa mise en oeuvre, la Fondation Anna Lindh, mais aussi la plate-forme non-gouvernementale euro méditerranéenne.
Cette reconnaissance repose sur un constat, constat établi par les pouvoirs publics à l'heure de la société de l'information. Il s'agit d'une part de l'importance grandissante des sociétés civiles dans les relations internationales, et d'autre part, de l'irruption des représentations culturelles et des imaginaires dans la sphère politique. La crise des caricatures du prophète Mahomet et son retentissement à l'échelle du monde sont là pour nous rappeler à un devoir d'intelligence. Cela implique, pour les Etats comme pour les "passeurs de culture" de nouvelles exigences et de nouvelles responsabilités.
Croyez bien que les responsables politiques mesurent leur rôle à vos côtés, dans cette mission, au service de la paix et de la compréhension mutuelle entre les peuples et les cultures. Je citerai à ce propos l'une des toutes premières phrases du préambule de l'Acte constitutif de l'UNESCO "Les guerres prenant naissance dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix". Le combat pour la reconnaissance mutuelle et le savoir partagé, Montesquieu nous le rappelle dans ses essais sur l'éducation, n'est jamais acquis. C'est un combat toujours actuel, c'est un combat qui n'est jamais achevé, c'est un combat qui ne cesse de repousser ses propres frontières. Tel est le défi qui se présente à vous, intellectuels, pédagogues, universitaires, professionnels des médias, avocats des Droits de l'Homme, ou responsables religieux. C'est une responsabilité majeure pour les années à venir, c'est le défi qui doit être relevé par la communauté internationale afin que la société mondiale de la connaissance soit un instrument de paix et non un facteur de division.
Je ne néglige pas l'importance des forces armées, placées sous l'égide des Nations unies, dans la mise en oeuvre de processus de paix. Mais je sais que la bataille de l'éducation et de la connaissance est la meilleure arme contre les manipulations et toutes les instrumentalisations.
Vous êtes donc en première ligne pour lutter contre les malentendus, les amalgames, la diabolisation. A la culture du déni, aux falsificateurs de la mémoire, nous devons opposer, ensemble, l'exigence de la transparence et la construction d'une histoire partagée. A l'hypothèse dangereuse d'un prétendu "choc des civilisations", nous devons opposer fermement la perspective volontariste d'un dialogue entre les peuples et entre les cultures. Comme l'a dit le président de la République, ce conflit en germe est avant tout un "choc des ignorances". En oeuvrant pour la connaissance partagée, pour l'échange approfondi, en réconciliant surtout les spécificités culturelles avec l'universalité des Droits de l'Homme, vous menez ce combat, vous en êtes les sentinelles de l'avenir. Je regrette que le Processus de Barcelone n'ait pas encore suffisamment développé ce volet culturel qui est pourtant l'un des trois piliers du Partenariat euro-méditerranéen. Il m'apparaît donc essentiel de promouvoir des projets concrets dans des domaines aussi divers que la traduction, la fabrication d'images audiovisuelles, la formation, l'enseignement. Là où des avant-gardes verront le jour, ce seront des liens forts qui seront tissés entre les peuples. Là où seront combattus les idéologies de la peur, les cultures de la violence et de la haine - celles qui voudraient réduire le débat aux notions de "croisade" ou de "djihad" - ce seront autant de passerelles qui seront construites au service d'une certaine idée de l'Homme.
La France accorde d'autant plus d'importance à ces projets qu'elle n'a jamais considéré, pour sa part, qu'il fallait opposer les Etats aux sociétés civiles. Nous ne pensons pas qu'il est possible d'imposer aux sociétés une démocratie qu'elles n'ont pas choisie. Nous pensons au contraire que l'indépendance des Etats et la souveraineté des peuples, garanties par la Charte des Nations unies, doivent être le socle sur lequel doit se fonder toute action en faveur des libertés individuelles et de la protection des Droits de l'Homme.
D'où mon deuxième message, poursuit le ministre, qui est un message d'encouragement et de persévérance.
Nous sommes attentifs à votre action et à votre engagement, car ils nous semblent inscrits dans la réalité d'un mouvement qui engage de plus en plus les Etats, notamment dans le monde arabe. Si l'on suit les deux derniers rapports du Programme National des Nations unies pour le Développement (PNUD), l'idée d'un développement humain global y fait son chemin. C'est en effet la meilleure garantie pour associer la prospérité et la stabilité dans la durée. Dans le monde arabe, des réformes sont ainsi engagées, qui touchent au système éducatif, à la modernisation de l'économie, à celle des législations civiles. Elles donneront tout leur sens à des réformes sociales plus audacieuses, déjà intervenues dans certains de ces pays en dépit de la tentation du repli identitaire. Je citerai l'exemple de la réforme du Code de la famille, que l'action des ONG a d'ailleurs contribué à préparer. C'est la traduction des convergences possibles entre Etats et sociétés civiles : c'est aussi un engagement à tenir dans la durée.
Il vous revient de contribuer à la réussite dans vos pays de cette transition vers de véritables Etats de droit. Il vous revient d'oeuvrer, chacun dans son domaine, en faveur d'un processus de changement, processus qui ne peut être que graduel et maîtrisé. La France soutient le principe des réformes dans le monde arabe. Mais, comme l'a rappelé le président de la République, elles "doivent être conduites par chacun à son rythme, souverainement et dans le respect de son identité". Cette transition ne saurait se faire dans le fracas des armes, dans la spirale de l'urgence ou, pire, sous la menace.
Voilà pourquoi mon troisième message est un message d'engagement au service d'une ambition commune. C'est le sens de la politique de notre pays et de l'Union européenne en faveur du dialogue et de la paix, du développement et de la prospérité partagée.
Si les conflits du Moyen-Orient n'ont rien à voir avec le choc des cultures ou des identités, ils sont nourris, parfois de l'extérieur, parfois de l'intérieur, par des forces qui mobilisent une rhétorique de la haine. Leur persistance sans espoir de règlement politique global, leur poids dans l'imaginaire culturel des peuples de la région, risquent fort de nous y entraîner, malgré nous. Ils sont un abcès de fixation dangereux et il s'agit de tout faire pour qu'un conflit territorial ne se transforme pas en une opposition de nature religieuse.
C'est pour cette raison que la France mène un combat permanent en faveur de la diversité culturelle, désormais inscrite dans une Convention internationale, adoptée à l'UNESCO il y a un peu moins d'un an. C'est pour cette raison que notre diplomatie s'active, pour trouver une issue à ces terrains d'opposition qui nourrissent frustrations et ressentiment. Qu'il s'agisse de la crise libanaise, du conflit israélo-palestinien, de la situation en Irak, la diplomatie française oeuvre inlassablement pour qu'une solution politique équilibrée soit trouvée à ces crises.
Face à ces périls, la France a agi et n'a cessé d'être en première ligne, conformément à ses principes et à son engagement historique pour la paix sur l'ensemble du pourtour méditerranéen. Lors de la crise israélo-libanaise, nous avons conduit une action déterminée aux Nations unies, qui a abouti au vote à l'unanimité de la résolution 1701, le 11 août, à New York. Depuis lors, la France est restée engagée dans la mise en oeuvre de cette résolution, tant dans ses aspects politiques que militaires et humanitaires. Et s'il y a une bataille à gagner dans les mois à venir, c'est celle de la reconstruction, qui peut avoir un effet d'entraînement pour l'ensemble de la région.
Nous demeurons également mobilisés pour qu'une relance du processus de paix israélo-palestinien intervienne dès que possible. A cet égard, l'annonce d'un gouvernement d'Union nationale au sein de l'Autorité palestinienne représente une opportunité et peut permettre de créer les conditions d'un retour au dialogue.
S'agissant de l'Irak, qui est un élément fondamental de l'équilibre régional, il est impératif de briser la spirale de la violence. Face à l'affirmation des identités religieuses, face à la tentation du repli sur soi, il importe de recréer une dynamique politique qui intègre toutes les composantes de la société irakienne. Il importe de marginaliser les groupes terroristes faisant usage de la violence.
Sur le front de la lutte anti-terroriste, enfin, nos efforts se poursuivent sans relâche. Si nous reconnaissons l'importance d'une coordination des efforts à l'échelle mondiale, nous estimons que la réponse à ce fléau global doit être adaptée à chaque cas et doit reposer sur l'approche fine des théâtres d'opération et des réseaux. En tout état de cause, la réponse ferme ne peut être uniquement militaire. Elle est avant tout policière, juridique, financière, et surtout, politique. Vous y avez votre part car le choix du terrorisme repose sur le sentiment d'humiliation, sur le mépris de toute vie humaine, et finalement sur l'incapacité à exprimer et à dire ce qui nous rassemble et ce qui nous fait homme. Il vous revient, en tant que passeurs de culture, en tant que médiateurs entre les hommes, de redonner du sens aux mots de liberté, de responsabilité et d'humanité dans chacun de vos pays, dans le domaine intellectuel et moral qui est le vôtre.
Aussi, mon dernier message sera-t-il un message d'espoir.
Les peuples ne sont pas condamnés à subir des guerres, ni les cultures à perdre leur identité dans la mondialisation. Par ailleurs, les identités ne sont pas toutes appelées à devenir meurtrières, selon la belle expression de l'écrivain Amin Maalouf, elles sont aussi des facteurs d'intelligence approfondie et de compréhension mutuelle.
Les Arabes disent avec nostalgie de l'Andalousie qu'elle est pour eux le symbole même du "paradis perdu". Il est vrai que l'Andalousie a été à juste titre l'emblème d'une harmonie exemplaire entre musulmans, chrétiens, et juifs, fruit d'une rencontre et d'une intelligence collective. Il s'agit pour nous de transformer cette nostalgie en un projet pour les jeunes générations et pour les futurs décideurs, un projet de partenariat ouvert, respectueux des identités et riche de sa diversité. Cela sera possible si nous unissons nos efforts contre la tentation hégémonique d'une pensée qui se proclamerait une et universelle, d'où qu'elle vienne.
L'espoir de rendre actuel ce précieux héritage anime également les responsables espagnols, qui accueilleront en 2007 à Séville, en Andalousie, la prochaine rencontre de l'Atelier culturel pour le dialogue des peuples et des cultures. Le flambeau passera ensuite à la ville d'Alexandrie en Egypte, pôle du savoir et de la connaissance, au rayonnement considérable au Moyen Age, aujourd'hui ville cosmopolite ouverte sur le monde et sur les nouvelles technologies, comme en témoigne la superbe bibliothèque récemment ouverte.
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je souhaite à chacun de poursuivre ses travaux dans les meilleures conditions. Ceux-ci devraient fin 2007 faire l'objet d'un document final. Croyez bien que nous serons attentifs au fruit de vos réflexions, et que nous apporterons à vos recommandations tout le soutien qu'elles méritent. Car, je le crois sincèrement, la culture et l'éducation sont les meilleures armes contre le choc des ignorances et le fracas des arrogances. Ce combat est le vôtre, c'est aussi celui de la France.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 septembre 2006