Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI le 24 septembre 2006 à Paris, sur les relations franco-russes, notamment dans le domaine aéronautique avec la participation russe au groupe européen EADS et dans le secteur énergétique, le dossier nucléaire iranien, la situation au Liban et dans les Territoires palestiniens, et la polémique suscitée par la rencontre de Nicolas Sarkozy avec le président américain.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission L'Invité de RTL - La Chaîne Info - Le Figaro - RTL

Texte intégral

Q - Bonjour Monsieur le Ministre. Bienvenue dans le grand studio de RTL pour cette nouvelle édition du Grand Jury dont vous êtes l'invité. Nous parlerons tout d'abord de ce qui fait l'actualité la plus immédiate, c'est-à-dire la libération annoncée par le président yéménite des quatre otages français qui se trouvent retenus dans une région de ce pays depuis le 10 septembre. Confirmez-vous l'information ?
R - Comme tout le monde, j'ai entendu avec plaisir le président Saleh, qui vient d'être réélu, indiquer qu'il ferait en sorte, très rapidement, que les otages français soient libérés. Je viens de parler à l'ambassadeur de France avec lequel nous travaillons beaucoup, vous vous en doutez, depuis plusieurs jours sur ces sujets. Il ne me confirme pas, à la minute où nous parlons, la libération des otages.
Nous menons une double négociation depuis maintenant de nombreux jours, négociation quotidienne avec les autorités yéménites d'une part, et, d'autre part, les négociations que poursuivent les autorités yéménites avec les preneurs d'otages. Nous avons dit aux autorités yéménites de ne surtout pas employer la force.
Q - Une chose semble étrange dans cette affaire, c'est que personne ne connaît l'identité de ces otages, les familles n'en ont pas parlé, sont-ils vraiment de véritables touristes ou seraient-ils, par hasard, des vrais faux touristes ?
R - Il aurait été possible de donner leur identité, mais les familles ne l'ont pas souhaité. Je ne peux donc pas vous dire de qui il s'agit.
Q - Vous avez employé une expression un peu curieuse. Vous disiez que vous aviez passé votre temps à négocier avec les autorités yéménites. Qu'y a-t-il à négocier ? Ils n'ont rien à voir avec cette prise d'otage. Pourquoi avez-vous négocié avec ce pays ?
R - Négocier, cela veut dire rester en relation permanente et négocier sur une chose qui est importante pour nous, le fait de ne surtout pas employer la force. Ce qui nous paraît le plus important, bien sûr c'est la libération des otages, mais nous les voulons aussi sains et sauf. Chaque fois que nous les avons entendus, nous avons eu confirmation de leur part qu'ils allaient bien.
Q - Nous y reviendrons peut-être s'il y a une information nouvelle durant cette heure de dialogue.
Un autre dossier nous occupe également et immédiatement, ce sont des rumeurs, Ben Laden est-il mort ? Est-il gravement malade ? Pour être précis, Monsieur Douste-Blazy, une question toute simple : existe-t-il réellement une note de la DGSE faisant état de ces rumeurs concernant la mort de Ben Laden ?
R - A ma connaissance non, je n'ai absolument aucune indication sur ces faits.
Q - Vous n'avez pas vu de note de la DGSE ?
R - Non.
Q - Peut-être n'en étiez-vous pas destinataire alors ?
R - Peut-être, mais, à ma connaissance, M. Ben Laden n'est pas mort.
Q - C'est tout simple dit comme cela ?
R - Oui, mais c'est la vérité.
Q - Et lorsque l'on cite les services secrets saoudiens, la presse américaine fait de nouveau ce matin état de cette information, il y a bien quelque chose qui se passe tout de même.
R - Les autorités saoudiennes viennent à leur tour, il y a quelques minutes, de démentir cette information.
Q - J'ai une question pour le médecin que vous êtes, dans la note, si elle existe, les services saoudiens parlent d'une crise de typhoïde qui aurait provoqué une paralysie des membres inférieurs. En terme médical, est-ce logique ?
R - La typhoïde implique d'autres symptômes prioritairement. Sur un plan médical, ce type d'annonce me paraît, en effet, totalement anachronique, mais surtout - et je crois qu'il est important de le dire aujourd'hui - nous ne sommes absolument pas informés ni d'un problème de santé, ni du décès de Ben Laden.
Q - Angela Merkel et Vladimir Poutine se trouvaient à Paris hier. De ce sommet, on retire le sentiment que la diplomatie française est très complaisante avec la Russie, il semble que ceci se soit vérifié encore hier.
Lorsque l'on interroge le président Russe sur les rumeurs concernant le retrait d'une licence de Total qui travaille sur un champ pétrolifère ou gazier, je ne sais plus, dans le nord de la Russie, le président Poutine répond que ces rumeurs sont exagérées mais il y a tout de même des bases solides. Ne sommes-nous pas trop complaisants avec ce pays ?
R - Il nous faut bien comprendre une chose. Le président de la République l'a dit à plusieurs reprises et depuis de nombreuses années mais c'est très important. Si la Russie n'est pas stable, l'Union européenne ne le sera pas. Les relations entre la Russie et l'Union européenne sont évidemment fondamentales. Prenez un seul exemple, ce qui s'est passé entre la Russie et l'Ukraine il y a quelques mois en termes énergétiques. Un tiers du gaz de l'Union européenne provient de la Russie, et c'est d'ailleurs tout l'intérêt de construire ce pôle majeur européen qui est GDF-Suez afin que nous puissions être autonomes, en termes d'approvisionnement, afin que l'approvisionnement de notre gaz soit hétérogène.
N'oubliez pas une chose : la Russie est aujourd'hui tenue et dirigée par un homme, M. Poutine et nous avons tout à fait intérêt à avoir de bonnes relations avec lui car, encore une fois, la stabilité de l'Europe en dépend.
Q - Et ceci, quel qu'en soit le prix ? Vous venez d'utiliser un terme significatif, vous dites que "la Russie est tenue par un homme comme M. Poutine." Pour avoir de bonnes relations, l'Union européenne doit-elle passer sur un certain nombre de réalités ? Par exemple en Tchétchénie, où la façon dont Angela Merkel, élue depuis un an exactement à la tête de l'Allemagne et qui a franchement durci le regard que son pays porte sur la Russie, n'est-ce pas une manière d'avoir des relations correctes mais sans complaisance ?
R - Nous n'avons aucune complaisance. Chaque fois que je me suis rendu à Moscou, je me suis toujours exprimé, en particulier sur les Droits de l'Homme ou concernant la Tchétchénie. Nous n'avons pas eu peur de dire à nos amis Russes ce que nous pensions d'un certain nombre de sujets.
Q - C'est curieux, nous n'entendons rien de ce que vous leur dites !
R - Cela a été dit mais il me semble aussi que nous devons arrêter de donner des leçons un peu faciles à des pays qui n'ont pas connu la démocratie depuis très longtemps. Lorsque l'on parle de la Russie, nous devons être prudents et ne pas caricaturer.
Voilà un peuple qui était un empire avant la chute du mur de Berlin. Et depuis, que voit un Russe ? Il regarde différents pays qui appartenaient précédemment à cet empire prendre, petit à petit, leur autonomie, certains dans l'Union européenne et d'autres à la frontière et qui tentent d'y entrer, comme l'Ukraine ou la Géorgie.
Il faut aussi se mettre à la place du peuple russe qui constate comme une diminution de son influence. M. Poutine qui préside aujourd'hui le G8 - et le président Chirac n'y est pas pour rien - reprend une place dans le monde.
Nous avons intérêt, en tant qu'Européens à avoir un langage franc, en effet, sans complaisance, mais un langage de confiance avec la Russie qui, je vous le rappelle, joue un rôle majeur sur le plan économique, aujourd'hui.
Q - Vous parlez d'un langage franc, d'une relation de confiance, durant ce sommet, a-t-il été dit à Vladimir Poutine qu'il aurait au moins pu prévenir la France avant qu'une banque publique prenne plus de 5 % dans le capital de EADS ?
R - Tout d'abord, nous sommes dans une économie de marché et il est normal qu'il y ait des actionnaires qui vont et qui viennent dans une entreprise.
Q - Trouvez-vous normal, dans cette amélioration des relations entre Paris et Moscou, que le chef de l'Etat russe n'ait pas au moins averti la France ?
R - Vous ne pouvez pas à la fois dire qu'il y a une économie de marché et en même temps que...
Q - Mais les banques publiques, l'économie de marché... !
R - Non, EADS se trouve dans une économie de marché, vous pouvez dès demain acheter une action dans cette entreprise.
Q - Vous êtes d'accord qu'il y a un pacte d'actionnaires entre les Allemands et les Français ?
R - Justement, ce qui est important, c'est qu'à aucun moment, les 5,02 % que cette banque russe a achetés ne remettent en cause le pacte franco-allemand d'actionnaires. Ce pacte définit l'équilibre franco-allemand, il n'est absolument pas remis en cause.
Q - Dans une industrie aussi stratégique que celle-là, tout de même, l'irruption d'intérêts qui ne sont pas forcément destinés à être amicaux pour la France ne vous pose-t-elle aucun problème ? N'est-ce pas un peu perturbant ? L'économie de marché a bon dos, l'Etat est actionnaire directement, c'est un groupe qui a des industries de défense tout à fait stratégiques, est-ce banal, normal, qu'un pays étranger prenne une participation dans un groupe comme celui-là ?
R - Il ne faut pas se tromper sur ce qui nous attend demain : regardez ce que nous ferons avec EADS en Chine, où nous allons construire une usine d'assemblage de A320 et c'est le Toulousain que je suis qui le dit. Nous demandons aux Chinois par ailleurs d'acheter au moins 150 appareils qui seront fabriqués à Toulouse. Avec des puissances comme la Russie, l'Inde, la Chine ou le Brésil demain, nous avons tout à fait intérêt à ouvrir à la fois notre capitalisme et notre économie de marché à condition d'avoir confiance et de pouvoir passer des marchés avec ces pays.
Q - Avez-vous confiance en ce pays ?
R - Je pense et c'est ce que M. Poutine a dit hier, que nous pourrions avoir des relations réciproques sur le plan aéronautique. Sachez que la Russie est l'un des pays où l'aéronautique est la plus développée, où les chercheurs en aéronautique sont les plus nombreux et performants depuis longtemps.
Q - Ce n'est franchement pas un pays leader en la matière ! Les autres constructeurs n'y sont pas d'ailleurs !
R - Justement, les responsables de EADS vous diront qu'il y a des projets entre leur entreprise et l'industrie russe qui sont très intéressants, en particulier sur les avions régionaux.
Q - Ce ne serait pas un problème si un jour, une fois que l'Etat sera redescendu à 34 % du capital de Suez-Gaz de France, que, par exemple, Gazprom prenne 5, 10, 15 ou 20 % ? Vous semblez dire que c'est autre chose, alors, pourquoi est-ce si différent ?
R - C'est différent d'abord parce que GDF-Suez se trouve dans le monde de l'énergie. Nous passons d'un monde où il y avait des monopoles publics très structurés verticalement, à une économie de marché où il y aurait une libéralisation totale, sauf qu'elle n'existe pas aujourd'hui. Il faut donc inventer un mode intermédiaire et c'est pour cela que l'opération GDF-Suez est bonne car elle permet de créer un très grand champion en gaz naturel liquide.
Q - Est-ce moins problématique que les Russes prennent une participation dans une entreprise qui fabrique des missiles que dans une autre qui distribue du gaz ?
R - Aujourd'hui, dans le gaz, l'Etat français bénéficie d'une possibilité de blocage à l'aide de structures ou de verrous juridiques. C'est la même chose avec EADS.
Vous ne pourrez pas, demain, développer EADS face à la concurrence si vous n'avez pas de partenariats stratégiques, à la fois en termes économiques et politiques. Vous parlez de missiles. Lorsque l'on parle de défense, d'avions militaires, il faut bien vendre les produits de notre fabrication à d'autres, sinon, on se retrouve un peu seul !
Q - On rappelait tout à l'heure que le président Russe avait qualifié de "rumeurs fortement exagérées" celles qui concernent des sanctions éventuelles de la Russie à l'encontre de Total, c'est-à-dire, le refus d'une licence existante. Avez-vous obtenu des garanties ?
R - A ma connaissance, non, mais je souhaite vraiment que les bonnes relations qui existent entre la France et la Russie se traduisent, très vite, dans la possibilité pour Total de continuer son programme majeur en Russie.
Q - Parmi tous les dossiers de politique étrangère, celui qui concerne l'Iran est sans doute le plus complexe et le plus lourd pour l'avenir ?
R - Si vous souhaitez faire le point sur ce dossier, Javier Solana, qui est le représentant de l'Union européenne...
Q - De l'Union européenne et de la communauté internationale dans son entier ?
R - En effet. Javier Solana donc essaie de s'accorder avec l'Iran sur l'ouverture d'une négociation durant laquelle, d'une part, les Iraniens suspendraient l'enrichissement de l'uranium et, d'autre part, le Conseil de sécurité de l'ONU ne prendrait pas de sanctions.
Q - De combien de temps Javier Solana dispose-t-il pour faire ce travail diplomatique et pour mettre au point l'ordre du jour de la négociation ?
R - Dans les semaines qui viennent.
Q - Cela peut aller jusqu'à la fin de l'année par exemple ?
R - Non, les semaines, ce ne sont pas les mois.
Q - Alors, jusqu'à quand ?
R - Je n'ai pas à vous dire combien de semaines. Ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que l'ensemble du dossier iranien est sur la table, à la fois du côté iranien et du côté de la communauté internationale. En réalité, c'est le président Chirac qui, à l'ONU, a débloqué la situation en parlant de la double suspension que vous venez d'évoquer.
Pour nous, cette suspension signifie que nous faisons un pas énorme en arrêtant le processus des sanctions au Conseil de sécurité à l'encontre de l'Iran à la condition qu'il fasse, lui aussi, un pas qui consistera à suspendre les activités d'enrichissement qui ont été reprises depuis déjà plusieurs mois.
C'est un moment de vérité. Les Américains, les Russes et les Chinois sont d'accord avec la proposition du président Chirac, ainsi que les Européens.
Q - Le président américain a-t-il explicitement donné son feu vert et son aval à cette proposition ? Nous n'avons pas très bien compris dans cette rencontre entre George Bush et Jacques Chirac s'il y avait un parfait accord ou s'il y avait des nuances.
R - Il y a une convergence de vues totale sur deux dossiers d'actualité : le Liban et l'Iran.
Q - J'entends bien, mais concernant le processus proposé par Jacques Chirac ?
R - Absolument, il faut savoir que Javier Solana ne représente pas l'Union européenne dans cette affaire : il représente, en effet, non seulement l'Union européenne, mais également la Russie, la Chine et les Américains. C'est peut-être d'ailleurs, l'élément de politique étrangère le plus important, depuis très longtemps, dans cette région. Les Américains, par l'intermédiaire de Condoleezza Rice, ont décidé, le 30 mai dernier, de tourner la page de relations très dures entre les Etats-Unis et l'Iran en disant qu'il était possible de dialoguer avec les Iraniens, via les Européens, à condition qu'ils suspendent leurs activités nucléaires sensibles.
Q - Le 12 septembre, vous disiez que, je cite : "l'Iran aspire à se voir reconnaître un rôle régional de premier plan, sachons l'encourager à assumer ses responsabilités en apaisant les tensions." Pour l'instant, nous n'avons rien vu de tel et la seule chose que nous ayons vue, c'est effectivement que les Occidentaux, à l'initiative de Jacques Chirac, proposent de suspendre un processus de sanctions en cours, à condition que l'Iran suspende un processus de fabrication de la bombe qu'il devait suspendre le 31 août. Est-ce que tout cela n'est pas une façon de reculer sans le dire ?
R - Je comprends bien cette question et cette interrogation. Il y a deux écueils qu'il faut éviter : le premier serait d'avoir des remords et des regrets parce qu'un dialogue n'aurait pas pu se faire, avec pour conséquences le risque d'une confrontation totale entre le monde musulman et l'Occident.
Q - Cela, on l'a très bien compris...
R - Cela, nous l'avons bien compris et les Américains l'ont très bien compris également.
Q - Et l'Iran pousse son avantage en permanence, n'est-ce pas ?
R - Non, cela veut dire qu'il faut tout faire pour éviter l'écueil de ne pas avoir tout fait pour dialoguer. Oui, il faut tendre la main. Le deuxième écueil serait en effet de voir les Iraniens, de réunions en réunions, gagner du temps et finir par faire autre chose que du nucléaire civil.
Q - N'est-ce pas déjà ce qui se passe ?
R - Non, justement, je tiens à vous le dire aujourd'hui. Il y a, d'un côté, cette volonté de dialogue pour nous très importante et, ne vous y trompez pas, une fermeté absolue de la communauté internationale. Mais cette fermeté ne peut venir que d'un mot : l'unité de la communauté internationale.
Autrement dit, lorsque dans mon bureau, le 12 juillet dernier, avec Mme Rice, avec M. Lavrov, avec le Chinois, le Britannique et l'Allemand, nous décidons pour la première fois, si les Iraniens disent : "non, nous ne suspendons pas les activités nucléaires sensibles", d'envisager de prendre des sanctions contre l'Iran, au Conseil de sécurité, nous décidons ensemble.
Q - Vous parlez du 12 juillet mais rien ne s'est fait depuis alors qu'il y avait un ultimatum fixé au 31 août.
R - Nous avons décidé, le 12 juillet, que nos irions au Conseil de sécurité. Et, en effet, nous sommes allés au Conseil de sécurité, le 31 juillet. Ce que je veux souligner, c'est que les Russes, les Chinois, les Américains et les Européens ont voté ensemble le principe des sanctions.
Vous me dites que cela aurait dû être fait le 31 août et que rien ne s'est passé. Mais, avant de déclencher une confrontation pareille, j'espère que vous comprendrez que tout doit être fait sans qu'il s'agisse de "reculer". J'ai même entendu quelqu'un récemment parler de l'esprit de Munich, ce n'est pas sérieux.
Il faut tout faire pour être sûr que, du côté iranien, il s'agit bien d'une réponse négative définitive. Si la réponse est "non", je vous le dis aujourd'hui à ce micro, il y aura évidemment une nouvelle dynamique de sanctions au Conseil de sécurité. Nous avons prévenu les Iraniens qu'ils seront totalement isolés de la communauté internationale, et que les Russes, les Chinois, les Américains et les Européens seront ensemble. Et croyez-moi, quand les Iraniens ont vu, le 12 juillet, que les Russes, les Chinois, les Européens et les Américains étaient ensemble sur ce dossier, je pense qu'ils ont commencé à réfléchir.
Q - Le président de la République a fait sa proposition il y a une semaine. L'Assemblée générale des Nations unies s'est déroulée là-dessus. On imagine qu'il y a eu de nombreux contacts. Ce soir, Monsieur Philippe Douste-Blazy, vous avez l'impression que l'Iran accède à la proposition qui lui a été faite ?
R - J'ai retenu ce que disait M. Ahmadinejad - qui par ailleurs a tenu des propos absolument inqualifiables, inacceptables et scandaleux sur Israël. M. Ahmadinejad disait ce matin qu'il était prêt à parler, à négocier.
Par ailleurs, M. Solana qui a rencontré M. Larijani il y a quelques jours, a estimé que cette discussion était constructive. Pour la première fois a été abordée la question de la suspension. J'ose espérer que l'Iran saura raison garder et ne voudra pas s'isoler dans ce dossier. En tous cas l'unité et la volonté de fermeté sont totales, même s'il y a volonté de dialogue.
Q - Vous avez été en contact permanent avec les responsables iraniens depuis plusieurs années. Est-ce que vous les soupçonnez de préparer la construction de l'arme nucléaire ou est-ce que vous les croyez lorsque, par exemple, M. Khatami dit que c'est "Arham" en islam, "nous n'irons pas jusque là". Et, deuxièmement, au nom de quoi la communauté internationale peut-elle exiger de l'Iran qu'il ne construise pas l'arme nucléaire alors qu'elle tolère que d'autres pays, comme Israël ou le Pakistan, aient cette arme ? Où est la logique ?
R - La logique est très simple. L'Iran a signé le traité de non-prolifération et, dans la mesure où ce pays a signé ce traité de non-prolifération, il doit être contrôlé par l'AIEA qui est dirigée par quelqu'un de très prudent, très sûr, très calme : le Prix Nobel de la paix, M. El Baradei.
M. El Baradei, dans son dernier rapport, dit que la coopération entre l'AIEA et l'Iran est totalement insatisfaisante. Il a ajouté, d'ailleurs, il y a quelques jours, qu'il ne peut pas encore qualifier la nature exacte du programme nucléaire iranien.
Q - Quant à la sincérité des Iraniens et la destination de cette fabrication. Vous avez pu dire il y a quelques mois qu'il n'y avait pas beaucoup de doutes qu'il y ait une intention militaire.
R - C'est M. El Baradei qui dit qu'il ne peut pas qualifier la nature du programme nucléaire iranien.
Je crois que nous arrivons à un instant de vérité. Cela fait un an que l'on essaie de trouver une solution négociée à travers la voie diplomatique. Cela fait un an que l'on dit qu'il faut cesser les activités d'enrichissement de l'uranium pour commencer à se mettre à la table des négociations. Si, maintenant que le contact est établi entre M. Larijani et le négociateur de la communauté internationale, M. Solana, s'il n'y a pas une possibilité d'entente, alors je pense qu'il faut, en effet, faire attention à ce que le nombre de cascades de centrifugeuses n'aboutisse pas à une nature autre que pacifique du programme nucléaire iranien.
Q - A propos du Liban, il y a deux jours, il y a eu une manifestation impressionnante de force de la part du Hezbollah et de son chef, le Sheikh Nasrallah : plusieurs centaines de milliers de personnes dans la rue, un million dit-on. Comment est-ce que vous interprétez cette démonstration de force, ces manifestations ? Est-ce qu'elles risquent, à votre avis, de mettre en cause le processus de paix fragile qui est en cours sur la frontière nord-israélienne ?
R - Vous l'avez dit, le processus de paix est fragile, le gouvernement de M. Siniora, le Premier ministre libanais, tient, mais il est évident qu'il y a aujourd'hui une course contre la montre pour savoir qui va assurer la pleine autorité et la pleine souveraineté du Liban.
L'élément politique majeur de l'été, dans le dossier israélo-libanais, c'est la décision du Premier ministre libanais Fouad Siniora de déployer l'armée libanaise au Liban-sud. Vous vous souvenez que, depuis le retrait israélien en l'an 2000, c'étaient des milices qui tenaient le Liban-sud.
Q - Enfin, ceux qui sont forts aujourd'hui, on l'a vu encore une fois vendredi, c'est bien le Hezbollah, ce n'est pas l'armée libanaise. Est-ce que cela change le rapport de force ?
R - Je ne le crois pas. Je pense que la seule solution pour combattre le Hezbollah et son chef Hassan Nasrallah, c'est d'aider le gouvernement de Fouad Siniora. Comment peut-on aider le gouvernement de Fouad Siniora ? De deux manières : premièrement, c'est en acceptant l'idée que le président Chirac vient d'émettre à New York, d'une grande conférence internationale, avant la fin de l'année, de reconstruction du Liban à long terme. Pourquoi ? Parce qu'il faut donner au Premier ministre libanais les moyens de reconstruire le Liban et ne pas laisser croire aux habitants du sud-Liban que c'est Hassan Nasrallah qui va le faire avec de l'argent provenant de pays voisins.
Q - Lequel ?
R - Cela peut être l'Iran, essentiellement l'Iran, mais cela peut être aussi des armes pour le Hezbollah qui viennent de la Syrie. Il faut, au contraire, appuyer le gouvernement de Fouad Siniora pour qu'il puisse affirmer sa pleine autorité et la pleine souveraineté de l'Etat.
Deuxièmement, il faut porter notre attention sur la Syrie, non pas seulement car nous sommes amis avec ce pays et son peuple, mais parce que nous n'avons pas confiance dans les autorités syriennes. Pourquoi ? Parce que nous ne pouvons pas accepter d'ingérence dans les affaires libanaises de la part de la Syrie. Une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, la 1595, a été votée à l'unanimité. Elle crée une commission d'enquête qui permet d'établir qui a tué un certain nombre de personnes au Liban, dont le Premier ministre Rafic Hariri. Il faut un tribunal international.
Il y a un grand rendez-vous au Liban très prochainement : le Conseil des ministres libanais doit décider d'un statut juridique pour ce tribunal international. Cela devrait permettre, je l'espère, d'avoir une coopération plus importante de la part de la Syrie.
Q - Malheureusement dans ce que vous dites, il y a beaucoup de conditionnel et par exemple, le Premier ministre libanais a dit que les Libanais ne pouvaient pas désarmer le Hezbollah. La FINUL, de par la résolution 1701, n'a pas mandat pour désarmer le Hezbollah. M. Nasrallah a expliqué qu'il avait encore 20 000 roquettes, est-ce que cela ne signifie pas, surtout lorsque l'on entend son discours, que progressivement, peut-être demain, le Liban sera dirigé par le Hezbollah ?
R - Il y a une course contre la montre aujourd'hui pour que le gouvernement libanais impose sa pleine autorité, la pleine souveraineté du pays.
Q - Qui peut désarmer le Hezbollah ?
R - Dans l'accord politique, il y a le problème des prisonniers. Il y a le problème des fermes de Chebaa. Et il y a surtout, vous avez raison, le problème du désarmement du Hezbollah. Vous avez bien compris, après ce qui s'est passé au mois d'août, qu'il n'y avait pas de solution militaire au désarmement du Hezbollah. Les Israéliens ont essayé de désarmer le Hezbollah. Alors qu'ils connaissent chaque mètre carré du territoire, ils n'y sont pas arrivés. C'est pourtant l'une des meilleures, sinon la meilleure armée de la région.
A l'inverse, la seule solution pour désarmer le Hezbollah, c'est justement d'avoir un dialogue national inter-libanais qui fasse passer progressivement le Hezbollah d'un mouvement armé à un mouvement politique. Pourquoi est-ce j'y crois ? Parce que dans le gouvernement libanais, vous avez deux ministres proches du Hezbollah, le ministre du Travail et celui des Affaires étrangères. Ces deux ministres ont voté le soutien à la résolution 1701 qui comporte, comme vous venez de le dire, la mention du désarmement du Hezbollah. Je ne suis donc pas pessimiste à ce sujet, à une condition, c'est qu'on aide le gouvernement Siniora, que l'on aide le Premier ministre qui a tenu, pendant la guerre, à ne pas se laisser imposer un "Etat Nasrallah" dans l'Etat.
Q - Donc vous, Philippe Douste-Blazy, vous étiez à Ramallah il y a quelques jours. On pensait qu'un accord entre le président Mahmoud Abbas et le Hamas aurait pu avoir lieu, basé notamment sur la reconnaissance d'Israël et puis finalement, l'occasion semble s'être enfuie, le regrettez-vous ?
R - Je ne le crois pas. Mahmoud Abbas rencontre le Premier ministre issu du Hamas demain. Je suis persuadé qu'un gouvernement d'Union nationale est une étape majeure.
Q - Mais le Hamas est prêt à reconnaître Israël ? Il a dit le contraire.
R - Là aussi, il faut bien comprendre ce qui se passe. Le Premier ministre du Hamas, le Hamas "de l'intérieur" est prêt à accepter un gouvernement d'Union nationale à condition que le Caporal Shalit soit libéré mais aussi que le blocus israélien soit levé sur Gaza.
Les conditions de vie aujourd'hui à Gaza sont épouvantables. Je suis persuadé que c'est la solution. Ne confondez pas le Hamas qui est dans les Territoires palestiniens et le Hamas qui est en Syrie et qui n'est pas confronté aux réalités politiques des Territoires palestiniens.
Q - Nicolas Sarkozy est au Sénégal ce week-end. Il était aux Etats-Unis la semaine dernière. Il a serré la main de George Bush. Quelquefois, on se demande qui est le ministre des Affaires étrangères en France. On a tort ?
R - Comme vous y allez ! Je me trouvais aux Emirats Arabes Unis lorsque Nicolas Sarkozy était à New York pour les commémorations du 11-Septembre. Je me suis rendu ensuite à New York pendant une semaine. Je ne peux pas être à la fois à New York et au Sénégal.
Q - Il n'empiète pas sur votre territoire quelquefois ? Sur son voyage aux Etats-Unis, quand même, on s'est dit qu'il en faisait beaucoup.
R - Avez-vous vu la "une" du Washington Post il y a à peu près six ou sept mois sur la lutte contre le terrorisme ? Les Américains y estimaient que les Français étaient pratiquement les meilleurs alliés des Américains dans la lutte contre le terrorisme.
Et qui conduit la lutte contre le terrorisme en France ? Le président de la République, le Premier ministre et le ministre d'Etat, chargé de l'Intérieur. Il est donc tout à fait normal que Nicolas Sarkozy se rende aux Etats-Unis, en particulier lors de cette commémoration, également pour rencontrer des pompiers. Je pense au contraire que c'était une image assez forte et je trouve que l'on a caricaturé ce déplacement, notamment avec cette photo. Je ne vois pas pourquoi le ministre de l'Intérieur ne rencontrerait pas le président Bush.
Q - Si le président Bush rencontre tous les ministres qui passent aux Etats-Unis, il va en passer du temps.
R - Cela est plutôt bien pour notre pays si le président estime que les ministres français sont intéressants.
Q - Est-ce que le problème, c'était la photo où est-ce que vous trouvez normal que le président de l'UMP, en même temps numéro deux du gouvernement, dénonce une diplomatie arrogante de la part de la France devant le chef de l'Etat américain ?
R - Je ne pense pas du tout que cela ce soit passé comme cela. Il se trouve qu'il y a des ambassadeurs, des diplomates, des personnes qui ont assisté à tous ces rendez-vous.
Q - Parlons sérieusement, est-ce que, oui ou non, Nicolas Sarkozy aux Etats-Unis a estimé que pendant la crise de l'Irak, on aurait pu procéder autrement et que la diplomatie française avait fait preuve d'arrogance ?
R - A ma connaissance, devant le président Bush, absolument pas. Prenons un peu de hauteur. Les relations transatlantiques entre les Etats-Unis et la France sont aujourd'hui positives. Elles sont aujourd'hui empreintes de franchise, c'est vrai. Ce sont des amis. Lorsque l'on n'est pas d'accord, on le leur dit.
Q - La question que je me pose est la façon dont Nicolas Sarkozy en parle aux Etats-Unis. C'est cela qui est intéressant.
R - Lorsque le président de l'UMP, Nicolas Sarkozy, va voir M. Bush ou lorsqu'il rencontre M. Kofi Annan ou Mme Condi Rice, il ne critique pas la diplomatie française.
Q - Il donne une voix un tout petit peu différente. Est-ce que c'est quelque chose de naturel lorsqu'il est chef d'un parti politique ou est-ce que c'est un problème s'il est ministre ?
On va prendre un exemple très précis puisque l'on a longuement parlé de L'Iran dans la première partie : vous dites, vous Philippe Douste-Blazy, l'Iran est un facteur de stabilité, lui dit que l'Iran est un gage de fébrilité. Ce n'est pas la même tonalité. Alors, est-ce que c'est un problème ou pas ?
R.- D'abord, je voudrais préciser ce que j'ai dit, à Beyrouth, le 31 juillet dernier. J'ai dit à mon homologue iranien: "soit vous êtes un facteur de stabilité soit vous êtes un facteur d'instabilité, il faut choisir et il faut choisir votre camp." Voilà ce que j'ai dit. Je pense qu'il n'y a aucune différence d'approche, parce qu'il faut évidemment de la fermeté, mais il faut aussi une volonté de dialogue.
Lorsque Nicolas Sarkozy dit au président Bush et à l'ensemble de l'administration américaine que l'on n'est pas d'accord sur le dossier de l'environnement, je pense qu'il a exactement la même vision. Autrement dit, on peut être alliés et non pas alignés. C'est ce qu'a montré Nicolas Sarkozy lorsqu'il est allé à New York. Donc je pense que l'on a caricaturé les choses. Et faire passer le président de l'UMP pour quelqu'un qui tournerait totalement la page avec des dizaines et des dizaines d'années d'indépendance stratégique et diplomatique, voulue par le Général de Gaulle au début, puis par François Mitterrand, et par le président Chirac maintenant, je trouve que c'est caricatural et qu'il ne le mérite pas.
Q - La diplomatie est un métier, vous nous le montrez, Monsieur Philippe Douste-Blazy. Je voudrais vous soumettre cette phrase de Nicolas Sarkozy que le "Journal du Dimanche" rapporte aujourd'hui : "Quand je pense que ceux qui me reprochent de rencontrer Bush sont ceux qui sont à la poigne de Poutine, cela me fait doucement rigoler."
R - Je ne sais pas s'il l'a dit. Je sais que cela a été rapporté.
Q - Tout ce qu'il y a dans les journaux n'est pas faux.
R - Cela m'étonnerait qu'il l'ait dit, parce que dans la vie internationale, il y a des chefs d'Etat, des chefs de gouvernement, des oppositions, des majorités, et il est important de les respecter. Ce sont des valeurs universelles que nous portons et il est tout à fait capital de les respecter. Encore une fois, je n'ai pas vu ces propos entre guillemets.
Q - C'est entre guillemets dans le "Journal du Dimanche".
R - Il faudrait reposer la question à Nicolas Sarkozy. Mais cela m'étonnerait beaucoup que Nicolas Sarkozy ait traité le président de la Russie de la sorte.
Q - Si d'aventure il l'avait fait, vous le condamneriez ?
R - Je ne pense pas qu'il l'ait fait. Avec des "si", on fait beaucoup de choses en politique. Je suis persuadé qu'il ne l'a pas fait parce qu'il a trop le sens des responsabilités.
Q - Une réunion a eu lieu en Finlande qui réunissait les ministres de l'Intérieur et de la Justice des vingt cinq pays européens, on a noté l'absence de Pascal Clément, ministre français de la Justice et de Nicolas Sarkozy, ministre français de l'Intérieur. Ce n'est pas très bien !
R - D'abord, ils étaient représentés, mais les autres étaient tous représentés au niveau ministériel.
Franchement, moi qui vit cela au quotidien avec Catherine Colonna, on ne peut pas dire que nous sommes sous-représentés au niveau de l'Union européenne ; nous jouons un rôle majeur.
Q - Mais les deux ministres n'étaient pas là !
R - Je ne pense pas que Nicolas Sarkozy et Pascal Clément soient les moins travailleurs concernant l'Europe, je suis même persuadé du contraire.
Pour revenir à l'Europe, je voudrais juste vous dire que l'Europe a voté son budget ; elle aura certainement une Constitution dans les mois ou les années qui viennent ; surtout, l'Europe a des projets : Galileo, ITER, le nouveau moteur de recherche européen sur Internet, qui sera le pendant de Google aux Etats-Unis et également sur le plan médical, les IRM franco-allemands. Tout cela pour vous dire que faire passer l'Europe pour une machine qui est en panne, c'est aujourd'hui très mal payer les efforts des Européens qui y croient, comme moi. Si je me suis engagé en politique, c'est pour l'Europe, permettez-moi ici de vous le dire.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 septembre 2006