Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à la chaîne de télévision Al-Jazira, sur les moyens et missions de la FINUL, à Beyrouth le 19 septembre 2006.

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Circonstance : Déplacement au Liban, les 18 et 19 septembre 2006

Média : Al Jazeera

Texte intégral

Q : Madame la Ministre, vous avait parlé tout à l'heure d'une FINUL dissuasive, de quelle manière cette FINUL peut être dissuasive ?
R - Nous avons essayé de tenir compte d'expériences passées qui ont été de mauvaises expériences, c'est à dire d'expériences sous la force des Nations Unies n'avaient pas été capables de faire respecter les résolutions concernées et n'avaient pas parfois été capables de se faire respecter. Je pense à ce qui s'est passé dans l'Ex Yougoslavie, je pense à ce qui s'est passé plus récemment par exemple en République démocratique du Congo, où à l'été 2003 l'Union Européenne a été obligée d'envoyer une force pour permettre de dés-encercler la force des Nations Unies et pour rétablir la situation. Donc il n'était pas question d'envoyer une force qui serait incapable d'agir et incapable de se défendre. Alors qu'es-ce que nous avons fait. Alors la première des choses c'est que nous avons demandé à ce que soit bien précisée la traduction en termes de mission militaire de ce qu'était la résolution de l'ONU, la 1701. Autrement dit qu'est-ce que les militaires avaient à faire ? Quand un militaire est sur le terrain, il ne va pas se référer à un texte général des Nations Unies, lui, il doit savoir s'il doit faire une patrouille, où il doit la faire, ce qu'il doit faire si il est empêché par un groupe de personnes qui par exemple l'empêcheraient de passer. D'autre part, nous avons précisé et nous en particulier la France, que cette force devait être capable de se protéger et de faire respectée et c'est la raison pour laquelle nous avons demandé qu'elle puisse être équipée de matériels lourds par exemple les chars, comme les chars Leclerc, que nous allons voir, de façon général blindés, et qu'elles puissent également être capables de riposter si certains essayaient de l'attaquer. En effet, il faut savoir que très souvent les soldats des Nations Unies n'ont pas le droit, même si on leur tire dessus, de répondre avec des balles réelles. Ils utilisent ce que l'on appelle des armes non létal, c'est à dire des armes qui ne sont pas susceptibles de tuer. Nous avons tenu à ce que si on les attaque ils aient la possibilité de riposter à armes réelles. Je pense que c'est là aussi un élément dissuasif , et que c'est un élément de l'efficacité de cette FINUL.
Q : Et pour la protection des civils d'une part, il y a de l'auto défense, au cas ils rencontrent des militants du Hezbollah ?
R - D'abord je veux dire que la résolution et la protection s'appliquent à l'égard de tout le monde. La force doit être capable de se protéger s'il y a quelqu'un qui vient l'attaquer, quelle que soit la personne. D'autre part il faut bien voir les choses, la première protection, notamment l'éventuelle protection des civils, elle revient à l'armée libanaise. Aujourd'hui la FINUL n'est de par son mandat qu'un soutien de l'armée libanaise. Mais c'est l'armée libanaise qui est souveraine sur son territoire. C'est elle qui a pour but la protection à la fois des frontières, mais également de l'indépendance, de la liberté, de la souveraineté du Liban. La force de l'ONU est là pour l'aider dans cette mission et non pas de se substituer à elle.
Q : On a entendu quand même certains responsables du Hezbollah que la situation peut se détériorer au cas où la FINUL ou les forces internationales s'engagent dans des opérations militaires contre les militants du parti.
R - Ce qu'il faut bien voir c'est que les militaires de la FINUL français et également tous les autres pays, il y a un grand nombre de pays européens et non européens qui ont participé à la FINUL, sont là dans le cadre d'une mission strictement définie. Et il n'est pas question qu'ils dépassent cette mission. Et encore une fois, je vous rappelais tout à l'heure cette mission, elle est effectivement de soutenir l'armée libanaise et de faire respecter la résolution de l'ONU.
Q : Vous avez parlé du règlement des différends intérieurs dans le pays, il y a le désarmement du Hezbollah, comment cela peut s'effectuer dans l'avenir ?
R - Je dirai que c'est un problème des Libanais avant tout, et c'est le problème de la souveraineté de l'Etat libanais. Un Etat ne peut être totalement souverain que si le monopole de la force armée est détenu par ses militaires, par sa défense nationale. Lorsque sur une partie du territoire l'armée n'est pas seule à détenir le monopole des armes, alors à ce moment là il y a un problème de souveraineté qui se pose. Et c'est donc à l'Etat libanais de régler ce problème intérieur et je pense qu'il le fera.
Q : Vous avez parlé tout à l'heure d'expériences difficiles, le Kosovo, la Bosnie, même le Liban en 1983. A votre avis est-ce qu'il y a un changement entre l'année 1983 et aujourd'hui ? Car en 1983 toutes les forces internationales ont quitté le Liban suite aux attentats. Et maintenant, est-ce qu'il y a plus de garanties, il y a plus de sécurité pour les forces internationales ?
R - C'était une des conditions qui était indispensable pour le déploiement des forces internationales. Je dirai qu'il y a plusieurs éléments. D'abord, il y a ce dont je vous parlais tout à l'heure, c'est à dire quand on donne aux militaires de la FINUL des moyens lourds qui leur permettent de se protéger et des moyens juridiques qui leur permettent de réagir si elles sont attaquées. Il y a également un avantage, c'est à dire une chaîne de commandements qui a été rendue plus efficace. Souvent les problèmes de la chaîne des commandements de l'ONU, c'est qu'il peut y avoir des contradictions entre les ordres qu'il y a souvent sur le terrain et des militaires et un responsable civil et le temps de mettre tout le monde d'accord, c'est là où il peut y avoir des problèmes. Cette fois-ci nous avons obtenu effectivement que le commandant de la FINUL soit seul sur le terrain et qu'il n'y ait pas par ailleurs un représentant du Secrétaire général. De la même façon nous avons obtenu qu'à New York, ce ne soit pas dans l'ensemble de la direction des opérations de maintien de la paix que soit noyée l'opération du Liban, mais qu'il y ait un groupe de commandements qui soient spécialement dédiés à l'opération du Liban . Voilà donc sur le moyen opérationnel. Par ailleurs, ce qu'il faut bien voir aussi, c'est qu'aujourd'hui le Liban est aux yeux de toute la communauté internationale un pays très important. C'est un peu le symbole, et cela peut être l'exemple d'un pays qui sait faire vivre ensemble des communauté ayant des identités différentes, des religions différentes et il est très important pour le monde entier que cela puisse réussir au Liban parce que aujourd'hui devant la multiplications des crises inter ethniques, des crises entre les communautés, des affrontements religieux parfois. IL faut donner un espoir aux gens qui vivent dans ces pays où se développent les crises. Et cet espoir ce sera le Liban qui le portera en montrant qu'il est possible de faire vivre ( ?). Et je pense que c'est la raison pour laquelle, alors que la France a été la première à oeuvrer d'une façon très forte par l'intervention du président Chirac pour que la résolution 1701 soit prise, pour que l'arrêt des combats intervienne, que la France a également été la première pour apporter une aide humanitaire, pour également mobiliser la communauté internationale dans la nouvelle FINUL, nous constatons aujourd'hui qu'un très grand nombre de pays européens, mais également un très grand nombre de pays non européens viennent apporter aussi leur soutien à cette opération. Et le fait que la Chine par exemple ait décidé hier d'envoyer des hommes pour contribuer à cette opération des Nations Unies, je crois que cela doit être aux yeux de tous la marque de ce que toute la communauté internationale soutient ce qui est en train de se faire aujourd'hui au Liban. En ce sens, je pense que l'on est dans une situation différente de celle de 1983, et une situation qui doit donner davantage d'espoir.
Q : La Chine et la Turquie et certains pays musulmans, apparemment la France a insisté dés le début qu'il y ait une participation de certains pays musulmans dans la FINUL.
R - Tout à fait.
Q : Est ce que vous craint qu'il y ait cette confrontation qui existe entre le monde arabe et occidental ?
R - Surtout nous voulions que aux yeux des Libanais, comme aux yeux du monde, il y ait la démonstration d'un consensus. Une partie, ce n'était pas simplement l'Europe qui venait aider le Liban d'où elle est très proche, mais c'est le monde qui attend quelque chose du Liban, qui met son espoir dans le Liban et en même temps il évident que compte tenu de la composition démographique du Liban, il nous paraissait tout à fait normal qu'il puisse y avoir des gens qui sont les mieux à même d'engager le dialogue, d'engager tous les dialogues avec l'ensemble des Libanais pour bien faire comprendre que ce mouvement est général.
Q : Madame la Ministre vous avez parlé de certaines garanties, des précautions pour les forces internationales, pour les forces françaises, mais quand même il y a des craintes, un risque d'attentat surtout la France a été menacée récemment par un groupe algérien Al-Qaëda ?
R - Je crois qu'il y a effectivement deux risques dans une mission comme celle-ci pour les militaires bien sûr. Il y a le risque intérieur sur lequel je ne reviendrai pas dont nous avons parlé, c'est le risque de toute situation quand elle n'est pas définitivement réglée. Et puis il y a d'autre part, le risque du terrorisme. Vous savez le terrorisme aujourd'hui, il menace tout pays. Et il menace n'importe quel citoyen, soit dans son propre pays, soit lorsqu'il se déplace pour son métier ou même pour du tourisme. Mais les forces militaires et les forces militaires françaises, elles aussi lorsqu'elles sont à l'extérieur, qu'elles soient dans des opérations extérieures qu'elles font au Liban dans de le cadre de la force Baliste ou celle qu'elles font dans le cadre de la FINUL. Ou qu'elles soient simplement en situation de forces pré positionnées, comme dans un certain nombre de pays africains, sont potentiellement menacées parce qu'elles sont aussi un peu un symbole. Et c'est donc la raison pour laquelle nous sommes particulièrement vigilants et nous demandons aux chefs de corps qui se trouvent dans ces pays d'être particulièrement vigilants, parce que le risque est effectivement renforcé dans ces conditions.
Q : Vous croyez toujours que la situation au Liban est toujours fragile. Est-ce que vous pouvez rassurer la population ? En rentrant en France, le Président a parlé d'une situation un fragile
R - Encore une fois tant que la situation n'est pas définitivement stabilisée, il y a toujours un risque qui nous oblige tous , c'est à dire chacun des Libanais à faire très attention à ce que les choses se passent le mieux possible. C'est pas spécifique au Liban cette fragilité, c'est le cas de tout pays qui sort d'une crise . Et malheureusement on a vu dans le passé du Liban, qu'un certain nombre de fois les crises s'étaient succédé. Je crois que ce que veux toute la communauté internationale aujourd'hui c'est que la crise qui s'est passée au mois de juillet et au début du mois d'août soit la dernière et que ce superbe pays qu'est le Liban puisse se reconstruire d'une façon définitive, et justement puisse servir de modèle et d'exemple au monde et à tous les pays qui sont en crise. Nous y tenons nous, compte tenu de nos liens personnels et historiques avec le Liban, je crois que l'élément de confiance que peuvent aussi avoir les Libanais c'est le fait d'avoir autant de pays qui montrent leur volonté et leur soutien à la stabilisation et à la reconstruction du Liban.
Q :Le général Pellegrini a parlé de certaines violation de la ligne bleue, même aussi les forces israéliennes ont mis des barrières dans certains villages de la frontière. Est-ce que vous croyez qu'Israël viole la résolution 1701 ?
R - Ce que je pense, et j'en parlais hier avec le général Pellegrini, et j'en parlais ce matin aussi avec mon collègue et ami, Elias Murr, je pense qu'Israël va se retirer. Effectivement Israël attend qu'au fur et à mesure que l'armée libanaise soit en situation d'occuper les places qu'elle laisse avec le soutien de la FINUL. Mon sentiment effectivement c'est que le retrait définitif devrait se faire dans les toutes prochaines semaines.
Q : Il n'y aura pas un délai pour le retrait total ?
R - Nous allons voir. Nous souhaitons que la résolution qui prévoit ce retrait, soit totalement appliquée et rien ne me laisse penser que cela ne le sera pas.
Q : Même au Liban on a entendu parlé que les Allemands par exemple qu'ils vont être là pour garantir la sécurité d'Israël ? Qu'en pensez-vous ?
R - Ce que je pense c'est que la FINUL est dans le cadre d'une résolution qui consiste à garantir la paix et en même temps la souveraineté du Liban. C'est ce que nous sommes en train de faire. C'est ce que nous avons toujours demandé et vous savez le rôle que le Président Chirac joué pour permettre effectivement au Liban d'être souverain, de vivre en paix et de profiter de ce formidable enthousiasme et de cette énergie qui est celle des Libanais et qui leur a toujours permis , après des situations difficiles de reconstruire leur pays et d'en faire un des lieux de dynamisme économique du monde.
Q : Le président Chirac s'est engagé pleinement apparemment au Liban en envoyant des troupes, en s'engageant aussi pour la résolution mais dans quelques mois il y aura les élections en France. Est-ce qu'il y aura un changement dans quelques mois ou cela va être le même engagement avec un nouveau gouvernement, on s'attend aussi à des changements dans la politique envers le Liban ?
R - Je crois que l'attachement des Français pour le peuple libanais est équivalent à l'attachement du peuple libanais pour le peuple français et c'est cela qui est aussi un des moteurs pour les gouvernements et pour les présidents. Alors il peut y avoir des attachements personnels un peu plus forts mais je crois que l'enjeu de la stabilité du Liban est un enjeu important pour le monde entier. Avec un Liban stable, et prospère dans cette partie du monde, il y a une chance pour que se calme un peu la situation de crise permanente, de fragilité permanente de ce Moyen-Orient. Et moi je considère pour ma part que cette fragilité du Moyen-Orient est finalement son seul recours de l'instabilité mondiale actuelle. Donc je pense qu'à partir de là, tout le monde devra avoir le coeur d'aider ( ?). et j'ai bien l'intention de faire entendre ma voix sur les grands problèmes et notamment sur les problèmes de stabilité. Ils se trouve que le poids que je peux avoir dans la vie politique française me permettra aussi de faire entendre cette voix fortement et soyez assurés que je la ferai entendre aussi au bénéfice du Liban, qui est un pays que j'apprécie beaucoup.
Q : Etes-vous candidate aux présidentielles ?
R - Je vais vous faire une confidence, ce n'est pas aujourd'hui que je vous le dirai.Source http://www.defense.gouv.fr, le 27 septembre 2006