Déclaration de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sur le rapprochement de GDF et de Suez et l'organisation du marché de l'énergie, Paris le 6 septembre 2006.

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Circonstance : Colloque GDF-Suez : quels sont les véritables enjeux ? à Paris le 6 septembre 2006

Texte intégral


Pour conclure nos échanges riches et utiles à la compréhension des enjeux que représente le rapprochement de GDF et Suez, je voudrais revenir et insister sur plusieurs points.
Tout d'abord sur les raisons qui ont motivé ce débat et le fait qu'il se tienne aujourd'hui à la confédération et non pas dans telle ou telle fédération concernée ?
La réponse à cette question est simple, elle tient à la conception du syndicalisme que défend et pratique la CFDT, un syndicalisme confédéré.
Ce dossier concerne deux entreprises l'une privée, l'autre publique qui toutes deux exercent des missions de service public. Ce qui signifie que ce dossier recouvre des réalités professionnelles différentes et plusieurs champs fédéraux au sein de la CFDT.
Ce qui veut donc dire qu'après l'écoute, l'analyse des intérêts propres à chaque entité et les positionnements des différents champs fédéraux concernés, la confédération a la responsabilité de conduire la réflexion collective, de dégager une synthèse, d'opérer et de faire partager les arbitrages nécessaires.
Il ne s'agit pas là que d'arbitrer entre des intérêts particuliers mais aussi de se prononcer sur l'avenir de services publics. Or pour la CFDT, la mission d'un service public c'est d'abord le service rendu à la population, ce doit être d'abord une priorité donnée à l'intérêt général. Et celui-ci ne peut dépendre de la seule approche du ou des secteurs professionnels concernés, du statut de l'entreprise et du statut des salariés.
En cela, notre approche se distingue de celle des autres organisations syndicales, dans lesquelles la position des gaziers, mais aussi celle des électriciens a dominé la position des confédérations alors même que les sections des différentes organisations syndicales de Suez sont, elles, plutôt favorables au rapprochement.
Nous cherchons effectivement à nous situer au delà des enjeux immédiats.
Nous pensons que la meilleure défense des intérêts des salariés passe par une démarche globale qui intègre le long terme et cherche à anticiper, une démarche qui nous conduit à revendiquer une politique énergétique qui lie dimension économique, dimension sociale et dimension environnementale, dans la perspective de ce que l'on appelle le développement durable.
C'est pour cette raison que sur ce projet de rapprochement de deux entreprises, nous ne réduisons pas notre réflexion aux seules questions du statut de l'entreprise, mais que nous voulons intégrer les questions qui touchent à la protection de l'environnement, à tout ce qui touche la régulation d'un bien public, avec les missions de service public que cela suppose en matière de prix, de sécurité d'approvisionnement.
C'est aussi pour cela que nous avons des revendications sur la façon dont le futur ensemble assurera sa responsabilité, que ce soit en matière d'innovation, de recherche, de création d'activités et de développement de l'emploi.
Nous sommes bien là dans la responsabilité de l'Etat qui doit définir les missions de service public et en garantir une application effective. Ces missions ne préjugent pas pour autant du statut de l'entreprise à laquelle elles sont déléguées comme nous l'avons affirmé à notre congrès.
Le deuxième point sur lequel je veux insister, c'est la manière dont la CFDT aborde les questions posées : sans dogmatisme mais de façon résolument pragmatique.
Cela veut dire clairement que nous voulons :
- partir des réalités et non de postulats,
- prendre en compte les enjeux européens et ne pas s'enfermer dans la seule vision franco-française
- rechercher l'intérêt général et ne pas s'arrêter au seuil de l'intérêt de telle ou telle entreprise.
L'organisation du marché de l'énergie est un sujet qui relève de la décision des chefs d'Etat européens. En 2000 à Barcelone, ils ont décidé d'un commun accord l'ouverture à la concurrence du marché du gaz et de l'électricité.
Cette décision, fruit d'un long processus européen, a été accompagnée d'un consensus, pour le moins implicite, en France entre un Président de la République de droite et un Premier ministre de gauche et sans que la majorité législative de l'époque regroupant le Parti socialiste, le Parti communiste, les Verts, le MRG, n'est manifesté son opposition.
Cette décision n'a, de fait, pas été vraiment débattue dans notre pays et nous n'en avons pas tiré toutes les conséquences.
Ce déficit d'explication et de débat sur nos engagements européens a, nous le savons, fortement pesé en 2004 dans le rejet de la constitution européenne.
Pour la CFDT il ne s'agit pas d'aborder ce dossier aujourd'hui en contestant l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie puisque la décision a été prise, (même si la fédération de l'énergie CFDT est fondée à demander un moratoire afin d'en anticiper les effets néfastes) mais bien de regarder de manière prospective quelle doit être, dans le cadre de cette ouverture du marché, l'évolution des entreprises publiques.
Comment faire en sorte que la maîtrise du marché de l'énergie en France, son indépendance énergétique, la pérennité de ces entreprises s'inscrivent dans une dynamique et une indépendance énergétique européenne ?
Cette question est vitale face aux pays producteurs quand on sait qu'à l'inverse d'EDF, producteur d'électricité, GDF n'est pas productrice de gaz pas plus que Suez d'ailleurs.
Le projet industriel que représente le rapprochement GDF-Suez ne constitue-t-il pas une double opportunité ?
- donner un avenir à Gaz de France,
- permettre à une entreprise -comme Suez- de maintenir son unité et d'amener sa complémentarité à GDF dans la création d'un groupe européen.
Le troisième point que je veux aborder : c'est précisément l'enjeu démocratique que constitue notre avenir énergétique.
Le débat public sur notre politique énergétique n'a pas eu lieu en 2000, provoqué il y a quelques mois par une OPA hostile sur une entreprise française, il constitue aujourd'hui une chance pour notre démocratie et pour l'Europe.
Le débat parlementaire qui s'ouvre demain doit aborder les problèmes de fond que je viens de citer pour éclairer les citoyens sur les choix à opérer et faire l'économie de la caricature et du dogmatisme.
Dans ce débat public auquel contribuent nos échanges d'aujourd'hui, la CFDT veut une confrontation avec les responsables politiques, les observateurs du monde économique sur les vraies questions posées sur l'avenir énergétique.
Ce débat, la CFDT le mène aussi avec les salariés des entreprises concernées comme en témoigne le travail d'information, de débat et de consultation conduit par la FCE auprès de tous les salariés de GDF.
La société française a besoin à la fois de cohésion et de transformation. De transformation pour répondre aux nouveaux défis posés par le mouvement de mondialisation, et de cohésion sociale pour prendre lucidement et positivement le train du changement.
Ce sont ces objectifs qui guident la démarche de la CFDT.
C'est pourquoi, et ce sera ma conclusion, la CFDT aborde le sujet dans toute sa complexité, à la place qui est la sienne, celle d'une organisation syndicale qui tient compte :
- de l'évolution du marché de l'énergie dans un cadre européen,
- des missions de service public et du rôle de l'Etat,
- de notre conception du développement durable et de la responsabilité sociale des entreprises dans ce domaine,
- de l'avenir des emplois et des statuts des salariés.
Cette démarche est ambitieuse et ne fait pas le choix de la facilité, elle nous interdit les réponses simplistes et démagogiques et interpelle les politiques, tous les politiques.
Nos responsables politiques reconnaissent la dimension européenne et la place du service public dans le domaine énergétique.
La CFDT a salué le travail et le compromis réalisé par le Parti populaire et le Parti socialiste européen sur la directive services. Le sens profond de ce compromis que la CFDT a soutenu est de réussir à concilier les enjeux sociaux et économiques. C'est un nouveau pas vers l'Europe que nous voulons.
- Alors, pourquoi une telle démarche réussie au niveau de l'Europe entre la droite et la gauche sur les services ne pourrait-elle être possible en France ?
- Pourquoi une même démarche ne pourrait-elle pas être engagée en Europe et déboucher sur une politique européenne dans le domaine de l'énergie et dans le domaine des Services publics d'intérêt général comme le proposent la CES et les organisations syndicales qui y sont affiliées ?Source http://www.cfdt.fr, le 29 septembre 2006