Texte intégral
Q- ...Quel est le sujet social qui doit dominer la campagne ? C'est la question que vous voulez poser aux auditeurs de RMC, je crois ?
R- Oui, parce qu'il me semble que pour le moment, cette campagne électorale, qui a à peine commencé, on en est aux candidats à la candidature, n'a pas abordé suffisamment les sujets sociaux et, pour moi, le sujet principal au niveau social c'est l'emploi, la formation, c'est-à-dire quelle construction on fait pour l'emploi de ceux qui sont au travail aujourd'hui, mais aussi pour les jeunes qui vont y rentrer demain.
Q- On va demander aux auditeurs de RMC de se prononcer, on va en parler. Vous savez qu'on a un manifeste, qui est mis en place... C'est très simple, avec 20 Minutes, on demande aux auditeurs de faire des propositions sur tous les sujets de l'actualité, ça dure 30 semaines et au bout de 30 semaines, on remettra ce manifeste officiellement à tous les candidats à l'élection. Alors, en matière d'emploi, justement, on est au coeur de la question, puisque cette semaine, on parle d'emploi dans ce manifeste. Donc on va en parler tout à l'heure, F. Chérèque. Tout de suite l'actualité : le projet de budget 2007 prévoit de ne pas remplacer 15.000 postes de fonctionnaires laissés vacants après des départs à la retraite. C'est ce qu'il faut faire ?
R- Le Gouvernement pose très mal la question. En tout cas aborde très mal le sujet.
Q- Pourquoi ?
R- Ce qu'il faut faire pour la CFDT, nous, nous n'avons pas de position dogmatique, savoir s'il faut remplacer les fonctionnaires poste par poste, mais on est face à, comment dirais-je une nouveauté : 40 % des fonctionnaires vont partir à la retraite dans les 10 ans qui viennent.
Q- Ce qui est énorme !
R- C'est énorme.
Q- 5 millions de fonctionnaires en France !
R- Oui, c'est énorme, mais il faut en profiter pour avoir le bon débat. C'est-à-dire qu'est-ce qu'on veut rendre comme service aux citoyens français ? Qu'est-ce que l'Etat doit fournir comme prestations aux Français ou aux personnes qui vivent dans notre pays ? Est-ce que qu'il faut renforcer les moyens de la justice ? Monsieur Sarkozy critique le Tribunal deBobigny, on voit bien qu'il manque de moyens. Est-ce qu'il faut renforcer ou pas ? Ou est-ce qu'il faut continuer à avoir une justice, je dirais à deux vitesses selon les départements ? On sait que la France est en retard en terme de formation et que l'avenir de l'emploi, je le disais à l'instant, c'est en particulier la formation. Donc la question c'est : est-ce qu'il faut renforcer la formation à l'école ? Est-ce qu'il faut répartir mieux les moyens ? Est-ce qu'il faut en mettre plus à certains endroits moins à d'autres ? Il faut d'abord se poser ces questions-là, et ensuite, débattre du nombre de fonctionnaires à mettre en face. Et puis, à ce moment-là, on décide s'il faut augmenter ou diminuer le nombre de fonctionnaires.
Q- Pour vous, c'est un effet d'annonce ?
R- Oui, c'est un effet d'annonce, avant les élections. Mais c'est le résultat tout simplement des décisions budgétaires que le Gouvernement a prises : on baisse les impôts, donc on baisse les moyens, donc on a moins de fonctionnaires.
Q- Mais il faut désendetter la France, F. Chérèque ?
R- D'abord, et là vous avez raison, d'abord. Mais pour désendetter la France, il ne faut pas baisser les impôts...
Q- Oui, il faut que l'Etat réduise ses dépenses ?
R- Oui, mais attendez, le Gouvernement, ce qu'il a fait en principal, pour le moment, c'est baisser les impôts. Et il a fait surtout des cadeaux aux personnes qui sont dans les hautes tranches de revenus, c'est-à-dire ceux qui gagnent le plus, qui vont avoir le plus, comment dirais-je de retour, parce que c'est eux qui auront la baisse d'impôt la plus importante, moins sur ceux qui n'en paient pas, bien évidemment, on est dans une logique là. Donc d'abord désendetter la France, c'est un élément important ; il y a le débat sur l'excédent budgétaire qui arrive dans notre pays, 5 milliards d'euros. A la CFDT, on est très clair, il faut désendetter la France, mais en même temps, il faut aussi investir dans l'avenir. Donc investir dans l'avenir, c'est surtout investir dans la jeunesse. Et on voit bien qu'on a un énorme problème avec la jeunesse...
Q- Mais F. Chérèque, au-delà de l'effet d'annonce des 15.000 suppressions de postes de fonctionnaires, il y a 5 millions de fonctionnaires en France. C'est vrai qu'il y a moins de fonctionnaires en France que dans les pays nordiques. Mais il y en a plus qu'en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Italie. 25 % à peu près de la population active en France. Le problème, c'est que dans certains secteurs publics, il y a trop de fonctionnaires et dans d'autres pas assez. C'est une répartition, il faut revoir la répartition. Il y a des rigidités incroyables F. Chérèque ?
R- C'est exactement ce que je vous dis.
Q- Oui, mais je sais, mais comment faire pour briser ces rigidités ?
R- Comment faire ? Mais ces rigidités, elles doivent pouvoir être levées à partir du moment où on sait que 40 % des fonctionnaires partent à la retraite dans les dix ans qui viennent. Donc c'est maintenant...
Q- Donc, vous dites "profitons-en" ?
R- Mais bien évidemment. La CFDT n'est pas sur une démarche dogmatique en disant "il faut laisser le même nombre de fonctionnaires au même endroit, en fonction de ce qui se passe aujourd'hui". On dit, nous, on va même assez loin, par exemple sur l'école, puisque demain, il y a un mouvement de l'Education nationale, par rapport à cette suppression...
Q- Qu'est-ce que vous dites d'ailleurs ? On rentre et même pas un mois après, ça y est c'est une première grève, franchement ! Qu'est-ce que vous en pensez, F. Chérèque ?
R- Moi, je comprends que ça pose un problème aux familles. D'ailleurs, j'ai rencontré des enseignants hier, qui sont dans ce mouvement-là, ont aussi une certaine difficulté de faire comprendre ce problème-là à leurs collègues de travail. Mais en même temps, mettez-vous à leur place ! On critique l'école, on dit : "Il y a tous les ans 150.000 jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification". C'est énorme. On a le taux d'échec le plus élevé en Europe et, à côté, on a sans réfléchir du tout sur la répartition des moyens, sur la façon dont on va faire une priorité, soit dans les lycées, soit les collèges, soit dans le supérieur, sans réfléchir à ces problèmes-là, on supprime des fonctionnaires de l'enseignement sans du tout débattre des moyens qu'il faut mettre. Donc, comment voulez-vous que les enseignants puissent comprendre ? D'un côté, ils sont critiqués parce que les résultats ne sont pas bons, et de l'autre côté, on leur enlève des moyens.
Q- Pourquoi y a-t-il, par exemple, 20.000 professeurs sans poste ? 20.000 enseignants sans poste dans ce pays ?
R- Ces chiffres, ils sortent comme ça, un petit peu du chapeau. Alors qu'est-ce que c'est que ces 20.000 sans poste ? Nous, on est prêts à faire la clarté sur ces postes-là. Il n'y a pas de problème, alors il y a vraisemblablement là-dedans des postes...
Q- 20.000 enseignants qui n'enseignent pas !
R- Il y a vraisemblablement dans ces postes... Moi, puisque aujourd'hui, vous dites "on parle franchement", il y a vraisemblablement des postes qui sont des heures de délégation syndicale, et ça, dans le secteur privé, les délégués du personnel, les comités d'entreprise, c'est des heures de fonctionnement qui ne sont pas les personnes au travail directement. Ils occupent leur activité syndicale. Donc comme l'Education nationale est une entreprise - une entreprise ! Excusez-moi - une administration de plus d'un million de personnes, inévitablement, il y a du droit syndical. Vraisemblablement, il y a certains postes qui sont utilisés à des charges qu'il ne faut pas, mais il faut regarder les choses.
Q- Mais dites-moi, c'est une entreprise l'Education nationale, une entreprise publique, mais c'est une entreprise, non ?
R- Mais attendez, moi, je n'ai pas de rejet sur le mot "entreprise". Simplement, c'est une administration dans le sens où c'est l'Etat qui rend service aux citoyens, donc ce n'est pas du tout le même type de gestion qu'une entreprise.
Q- Vous deviez avoir une réunion, hier, avec le MEDEF et les autres
syndicats ? C'était hier ou avant-hier ? Ça devait avoir lieu avant-hier :
remise à plat de l'Assurance chômage, contrat de travail, sécurisation
des parcours professionnels, vous deviez aborder tous ces sujets non ?
R- On va le faire, je l'espère.
Q- Nous aussi, nous tous.
R- Oui, je l'espère, parce que vous voyez bien que sur ces trois sujets-là, on est au coeur du débat social. Remise à plat de l'assurance chômage, c'est réfléchir, regarder quels sont les défauts de ce système. On voit bien qu'il y a 40 % des chômeurs qui ne sont pas indemnisés. Donc comment on fait pour qu'ils soient plus équitables, en particulier ceux qui sont les plus précaires ? Réfléchissons sur la façon de les accompagner pour qu'ils retrouvent plus rapidement un emploi. Le contrat de travail, on voit bien qu'il y a de plus en plus de précarité, je viens de le dire : 200.000 emplois créés depuis le début de l'année, 70 % de contrats à durée déterminée. Donc on détourne la législation sur le contrat à durée déterminée. Donc faisons, là aussi, une mise à plat, pour voir comment on peut faire évoluer ces contrats de travail, pour qu'ils soient mieux adaptés au marché du travail. Et puis la sécurisation des parcours professionnels, pour nous, c'est : comment on fait en sorte qu'un jeune qui rentre dans l'emploi, soit mieux accueilli dans l'entreprise avec une meilleure formation ? Comment on fait en sorte que lorsqu'on a un licenciement, on est licencié, on anticipe sur le problème, c'est-à-dire qu'on ait une formation avant ou bien qu'on soit mieux accompagné quand on a un licenciement ? Comment on fait en sorte qu'un salarié qui a 55 ans, qui est souvent rejeté du travail, on puisse anticiper et qu'il puisse y avoir un travail adapté à sa formation, à son expérience, à ses capacités physiques. C'est ça pour nous la sécurisation des parcours professionnels. Faire en sorte qu'on ait, je dirais, une activité positive tout le long de la vie professionnelle. Donc ces sujets-là, ce sont des sujets que se posent les salariés et je crois qu'il serait quand même utile que les syndicats et le patronat puissent se rencontrer, pour faire une mise à plat, avant, puisqu'on est encore sur une négociation, avant peut-être un jour décider d'une négociation.
Q- F. Chérèque, donc on interroge nous, les auditeurs et les lecteurs de 20 Minutes, sur les solutions contre le chômage et on leur demande : faut-il baisser les charges des entreprises, responsabiliser davantage les chômeurs, mettre en place une concurrence totale, entre l'ANPE et les entreprises privées chargées de trouver du travail aux chômeurs ? Vous êtes favorable à cette concurrence totale ?
R- Mais cette concurrence, elle existe.
Q- Elle existe, elle commence à exister.
R- Elle existe, c'est la loi qui l'a définie. Mais nous, notre objectif c'est de réfléchir - et c'est ce qu'on est en train de faire avec l'UNEDIC - faire des expériences, pour - là, on a décidé de le faire avec 40.000 chômeurs...
Q- Oui, ça marche apparemment.
R- Oui, mais d'accompagnement avec des entreprises privées ou publiques - le sujet n'est pas là - pour voir comment on fait mieux. Le sujet, ce n'est pas de mettre en concurrence le public et le privé, ça, à la limite c'est une démarche plutôt idéologique. Le sujet, c'est de faire les choses le mieux possible pour que le chômeur puisse retrouver un travail, le plus rapidement possible, dans la qualification qui est la sienne. C'est ça l'objectif, c'est remettre le chômeur au centre du système pour qu'on lui donne le meilleur service possible. Et à partir de ce moment-là, on peut, je crois, faire des expérimentations comme on le souhaite.
Q- Est-ce que l'idée par exemple, pour inciter les chômeurs à retrouver du
boulot, d'inciter les chômeurs à plus de mobilité géographique en leur
accordant une incitation financière, c'est une bonne idée ?
R- Mais ça existe.
Q- Ça existe déjà, oui, c'est vrai.
R- Ça existe, non mais c'est une bonne idée...
Q- Ça existe, mais ce n'est pas connu.
R- Ce n'est pas connu. Mais peut-être, je vais vous dire même, on a un budget qui n'est pas totalement dépensé à l'UNEDIC sur ce point-là. Ce qui veut dire qu'il faut peut-être le faire mieux connaître et peut-être proposer, l'améliorer, puisque certainement, il y a des personnes qui accepteraient de bouger pour trouver un emploi.
Q- Est-ce qu'on doit faire aussi, comme dans certains pays, supprimer les allocations après trois offres refusées par exemple ?
R- Mais il y a des règles là aussi. Il y a des règles : un chômeur ne fait pas ce qu'il veut. C'est-à-dire que pour pouvoir, je dirais être dans une démarche positive - parce que l'objectif n'est pas de sanctionner les personnes, c'est dans une démarche positive - il faut là aussi, mettre les moyens pour que les chômeurs soient reçus tous les mois et qu'on les suive régulièrement, qu'on leur propose des formations ou des retours à l'emploi. On ne peut pas proposer des règles comme ça, qui viendraient de je ne sais où, sans mettre un système qui aide la personne à retrouver un emploi et on voit bien qu'à chaque fois qu'on fait un meilleur accompagnement des chômeurs, ils vont plus vite au travail ; et bien évidemment, c'est positif pour eux.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 septembre 2006