Interview de M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, à Europe 1 le 21 septembre 2006, sur l'orientation des étudiants et l'échec scolaire et universitaire.

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Média : Europe 1

Texte intégral


Q- C'est la complainte générale sur l'état des universités françaises et leur classement sinistre dans le monde. Aujourd'hui, vous réunissez les présidents d'universités avec un petit projet. Monsieur Goulard, vous voulez mettre en place dans les universités "une orientation active" ?
R- Le problème que nous avons, c'est, en effet, l'orientation des étudiants. Beaucoup de lycéens choisissent, sans être réellement informés, et le résultat c'est que nous avons beaucoup d'échecs dans les premières années de l'université, beaucoup d'erreurs d'orientation, donc il faut faire mieux.
Q- Cela veut dire que dans les lycées, l'orientation est un échec ?
R- Cela veut dire que, les étudiants n'ont pas assez d'information et il n'y a pas un conseil personnalisé au moment précis où l'on s'inscrit à l'université. Et c'est cela que nous proposons de changer.
Q- Jusqu'ici, ils pouvaient s'inscrire n'importe où, dans l'université ou la filière de leur choix...
R- Ils pourront toujours...
Q- ...mais là, ils vont être orientés ou faut-il qu'ils s'orientent ?
R- Non, ils auront un conseil. Un lycéen qui s'inscrit à l'université, c'est un acte majeur dans sa vie, mais c'est un acte responsable. C'est généralement un jeune adulte, il fait un choix, mais encore faut-il qu'il ait une information et un conseil. Donc, ce que nous proposons aux universités, c'est de s'impliquer dans ce conseil, avec des modalités pratiques : au lieu de s'inscrire en juillet, on s'inscrit en février et, du coup, l'université peut donner un conseil au futur étudiant en lui disant : "vous êtes fait pour ces études", ou bien "il n'est pas évident que vous puissiez réussir, et "vous pourriez regarder telle autre orientation".
Q- On va essayer de préciser. Les lycéens en Terminale doivent envoyer leurs voeux en février, c'est-à-dire, avant même le bac ?
R- C'est ce que je propose aux universités, ce n'est pas une mesure obligatoire, c'est une proposition que je fais aux universités d'instaurer cette espèce de pré-inscription pour que l'on puisse donner un conseil aux lycéens.
Q- Sur quels critères les présidents d'universités, encore une fois, que vous recevez tout à l'heure, et dont on sait le rôle lors de la contestation du CPE, vont-ils faire le tri des étudiants ?
R- Il ne s'agit pas d'un tri. Il s'agit de dire à l'étudiant si son profil dans l'enseignement secondaire le prédispose à telle ou telle étude. Alors, les chiffres sont assez frappants. Prenons les études de droit : aujourd'hui,quelqu'un qui a un bac général en droit, il a presque 40 % de chance de réussir en première et deuxième année. S'il a un bac pro, il a 1,4 % de chance de réussir. Alors, cela ne veut pas dire que c'est interdit, cela veut dire qu'il faut...
Q- Vous voulez dire qu'il y a du gâchis et du gaspillage ?
R- Il y a beaucoup de gâchis, et il y a du gaspillage humain. Il y a une perte d'enthousiasme, une perte d'énergie et une perte financière.
Q- Qui dira aux lycéens "c'est la fac", "ce n'est pas la fac", "c'est l'IUT", "c'est le BTS"... ?
R- C'est lui qui choisit. Aujourd'hui, il choisit avec une information qui n'est pas encore assez fournie et avec un conseil qui est absent. Voilà ce que nous voulons modifier.
Q- Tout repose sur le lycéen, parce que l'on ne peut pas toucher à la responsabilité des enseignants.
R- Et les enseignants ont leur rôle, les enseignants du secondaire, bien sûr, mais aussi ceux du supérieur. Je crois que ceux qui sont le mieux placés pour dire à un lycéen s'il a des chances de bien réussir dans telle ou telle filière, ce sont les universités, ceux qui les accueillent.
Q- De cette manière, vous gagneriez sur combien d'échecs ?
R- C'est très difficile à dire.
Q- Dans une année à peu près ?
R- C'est très difficile à dire. Mais aujourd'hui, les 40 % de ceux qui échouent dans leur première orientation, si simplement la moitié ou le quart n'échoue plus, c'est-à-dire s'oriente mieux, ce sera un véritable succès. Parce qu'il s'agit de dizaines de milliers d'étudiants.
Q- Mais avec des décisions plus claires, plus nettes et moins ambiguës, n'auriez-vous pas moins d'échecs encore ? Puisque vous savez que c'est le quart, la moitié, en allant plus loin, vous en auriez encore moins.
R- Non, parce que c'est une question d'implication, de mobilisation, et cela ne se décrète pas. Les universités se sont beaucoup mobilisées pour leurs étudiants ; elles ont fait la révolution de la professionnalisation, révolution silencieuse. En une dizaine d'années, nos universités ont toutes, pratiquement, des formations professionnelles, elles n'en avaient pas jusqu'à présent. Elles sont capables de se mettre en marche pour...
Q- C'est normal que vous défendiez les universités, les présidents d'universités...
R- C'est normal, et c'est tout à fait légitime.
Q- Et quand on voit leur classement, on peut être inquiet. On sait qu'il y
aura beaucoup de choses à faire.
R- Mais c'est tout à fait normal.
Q- Alors, leur donnez-vous des moyens supplémentaires ?
R- Elles ont aujourd'hui des moyens supplémentaires, nous sommes dans une phase d'augmentation des moyens, de la recherche, de l'enseignement supérieur, il y a eu des créations d'emplois au budget 2006, il y en aura au budget 2007. C'est vrai qu'il y a encore des efforts à faire mais elles ont des moyens.
Q- La France, consacre 1,1% de son PIB à l'enseignement supérieur. Allez-vous demander à T. Breton et à J.-F. Copé une augmentation dans la prochaine loi de Finances ? Je note que le président des présidents d'universités, que vous allez voir ce matin, Y. Vallée, disait à Ouest France qu'il manque 3 milliards d'euros aux universités. Là, vous leur donnez une charge supplémentaire à faire.
R- Nous sommes dans une phase d'augmentation des moyens de l'université ; 3 milliards, cela ne se fait pas en un jour, ni en une année. Il faudra progressivement augmenter les moyens de l'université, nous en sommes conscients. Il faudra aussi éviter des gaspillages, nous en parlions à l'instant. Le fait que beaucoup d'étudiants s'orientent mal, fassent un an, deux ans, trois ans, sans aboutir à rien, c'est un gaspillage humain, c'est aussi un gaspillage financier.
Q- Les présidents d'universités réclament pour la plupart, une réforme de la gouvernance des universités, celle qui date de mai 68.
R- Ils ont raison.
Q- Un président est désigné par un électorat plutôt hétéroclite, un président n'a pas tellement de pouvoir, il ne peut pas prendre de vraies décisions sans une part de clientélisme. Vous dites qu'ils ont raison ; pourquoi n'agissez-vous pas ?
R- Cela relève de la loi, et c'est une loi qui est très fondamentale puisque cela remonte à 1968 et à 1984.
Q- Donc, on ne l'a pas touchée jusqu'ici ?
R- On ne l'a pas fait, on n'a pas fait cette grande réforme. Il faudra le faire. Je pense que cela devrait être un des grands sujets de l'élection présidentielle, de la campagne, parce que c'est majeur, parce que c'est politique, et parce que nos universités en ont besoin. Elles ont besoin d'avoir des conseils d'administration mieux composés, plus stables, avec plus de pouvoir pour le conseil d'administration et pour les présidents, comme cela se fait dans les grands pays au monde. Nous avons une grande réforme à faire. Toutes les réformes ne se font pas en même temps ; nous avons fait une grande réforme de la recherche, il faudra faire une grande réforme dans l'enseignement supérieur.
Q- Mais avec cette proposition mi-chèvre mi-choux, vous donnez raison à la fois à S. Royal et à N. Sarkozy qui, chacun à sa manière...
R- Tant mieux !
Q- ...réclame la vérité et la rupture, puisque vous nous dites ici que la vraie réforme est pour l'an prochain.
R- Non. L'université, l'enseignement supérieur évoluent, évoluent chaque jour et chaque année. Et nous faisons des progrès. Par exemple, l'information des étudiants : jusqu'à une date récente, un étudiant ne savait pas quel était le paysage des formations supérieures, il ne savait pas quelles étaient les réussites, les taux d'échec...
Q- Pourtant, il y a des tas organismes, avec des noms bizarres, qui s'occupent d'orientation, de la seconde à, etc...
R- Eh bien non. Ça, on l'a fait évoluer, et on a fait de vrais progrès.
Q- Quand vous dites "orientation active", n'est-ce pas une forme de sélection déguisée ? Parce que le mot fait peur !
R- Non, il faut être extrêmement clair.
Q- Dès que je dis "sélection", "tri sélectif"...
R- II faut être extrêmement clair : il ne s'agit pas de sélection, il s'agit de mieux éclairer les choix des étudiants. Ce sont eux qui feront les choix, et cela ne change absolument pas. Simplement, nous leur proposons d'avoir un conseil de la part de l'université. Ce n'est pas du tout une remise en cause de ce principe...
Q- On ne va pas jusqu'au bout, c'est du facultatif !
R- Et alors ?!
Q- C'est du facultatif !
R- Est-ce que le facultatif est condamnable ? Je ne pense pas. Je pense qu'il y a des libertés, la liberté d'inscription à l'université, cela en fait partie. Simplement, une liberté s'exerce aussi avec responsabilité, et il y a responsabilité quand il y a information complète.
Q- Vous dites : il y a des moyens qui évoluent, qui sont en train d'arriver. On leur donne davantage de moyens, il y a les crédits sur la recherche,etc. Allez-vous augmenter les droits d'inscription, qui ne sont pas élevés, quand on les compare à l'étranger ?
R- Non. Parce que...
Q- On est dans l'ambiguïté totale !
R- Mais non !
Q- Comme si on n'allait pas jusqu'au bout de ce qu'on pouvait faire...
R- Mais pas du tout, parce qu'aujourd'hui, dans l'état actuel des choses, augmenter les droits d'inscription, notamment en premier cycle, ce serait une nouvelle barrière d'accès à l'université. Or nous avons un problème d'égalité des chances que nous traitons également. Je veux dire que les choses ne sont pas si simples.
Q- Mais vous reconnaissez qu'elle n'existe pas, l'égalité des chances ?
R- C'est vrai. J'ai été un de ceux qui l'ont dit, et avec force, parce que c'est un problème républicain majeur.
Q- Mais vous dites bien que le débat sur l'université aura une place importante dans la campagne présidentielle. D. Strauss-Kahn a dit à New York - il l'a répété il y a deux jours à Europe 1 - qu'il faut mettre fin à l'hypocrisie du diplôme unique et créer une concurrence entre les établissements. Y êtes-vous favorable ?
R- Elle existe la concurrence entre les établissements.
Q- Vous savez bien que non, et pas assez.
R- Mais si, bien sûr, elle existe. Les diplômes, en effet, n'ont pas tous la même valeur. Mais il faut que nos universités soient à même de proposer des parcours d'excellence, et elles y sont disposées. Nous travaillons tous les jours à faire en sorte qu'elles le puissent.
Q- Avec une éloquence qui pourrait nous convaincre, vous nous dites souvent que l'université et la recherche françaises ont besoin d'étudiants étrangers, parce qu'ils sont utiles. Vous avez entendu avec moi, dans mon bureau, B. Béjean qui révélait qu'il y a de moins de moins d'étrangers qui viennent étudier chez nous car la France ne leur accorde pas de visas. Alors, où est la logique ?
R- Rappelons quand même que le nombre d'étudiants étrangers a pratiquement doublé en quinze ans : nous avons 250.000 étrangers.
Q- 9 % d'étudiants étrangers sont accueillis par la France, 14 % par la Grande-Bretagne, et 30 % par les Etats-Unis.
R- Il y a de bonnes et de mauvaises raisons pour lesquelles étudiants étrangers ne viennent pas en France. Les bonnes raisons, c'est quand nous nous assurons de leur niveau pour poursuivre des études en France. Et on a mis fin à des pratiques qui étaient détestables : on accepte des étudiants étrangers qui n'avaient pas le niveau requis pour suivre des études universitaires, qui venaient néanmoins en France. Cela avait des avantages budgétaires pour certaines universités, et c'était des gens qu'on conduisait à l'échec, au gaspillage, et ça c'est vraiment à proscrire. Donc, on a redressé le tir...
Q- Il faut être clair : quand ils viennent du Maghreb ou d'Afrique, on les prend soit pour d'éventuels immigrants...
R- Cela n'a rien à voir.
Q- ... soit pour de futurs terroristes ?
R- Excusez-moi, ça n'a rien à voir ! Il y a d'excellents étudiants dans tous les pays du monde. Simplement, il y a aussi partout des étudiants qui ne sont pas faits pour suivre des études exigeantes dans un pays comme la France. Donc, là-dessus...
Q- Donc, il y a une sélection à l'entrée de la France.
R- ...Nous avons redressé le tir, parce qu'il y avait des situations absolument intolérables : faire venir un étudiant africain, qui n'a pas beaucoup de ressources, suivre des études en France, alors qu'il n'est pas préparé...
Q- Cela tombe encore sur les Africains...
R- Oui, parce qu'ils sont moins riches que les Japonais et ils sont moins riches que les Américains. Mais nous maintenons notre orientation qui consiste à accueillir environ 50 % d'étudiants qui viennent du Maghreb ou d'Afrique.
Q- Vous voulez qu'on leur donne plus de visas ou pas ?
R- Mais il ne s'agit pas de leur donner des visas pour leur donner des visas, il s'agit de savoir s'ils peuvent suivre des études en France. Là où nous avons un vrai problème, c'est d'attirer des étudiants d'autres régions du monde. Mais pour ce qui concerne les étudiants asiatiques par exemple, eh bien nous sommes en croissance des effectifs. Donc, c'est un ensemble vaste, ce sont des problèmes nombreux. Il y avait certainement du travail à faire pour éviter trop d'échec. Mais il faut continuer à faire venir des étudiants étrangers en France.
Q- Goulard les appelle, Sarkozy et Douste-Blazy les refoulent...
R- Franchement, sur ce plan-là, nous avons fait des progrès. Nous avons facilité un certain nombre de formalités. On n'est pas au bout du compte mais on a créé des centres pour des étudiants en France, dans nos ambassades...
Q- Mais faudrait-il plus ou pas d'étudiants étrangers, honnêtement ?
R- Oui, la réponse est oui.
Q- Très bien. Alors, faites un effort pour qu'ils viennent, parce qu'ils enrichissent à la fois le pays et la réputation et l'image de la France à l'extérieur.
R- Mais je suis totalement d'accord.
Q- Dernière question : le Gouvernement connaît à nouveau une situation délicate dans les banlieues. L'opposition s'en prend au ministre de l'Intérieur. F. Goulard, est-ce que vous prenez ici la défense de N. Sarkozy ?
R- Evidemment ! Ce qui a été fait en matière de sécurité a été considérable, y compris en Seine-Saint-Denis. Simplement, les questions des quartiers difficiles ne se résument pas à la seule question de la sécurité. Il y a tous les problèmes sociaux, les problèmes d'éducation. Ce qui est fait par G. de Robien pour l'école, c'est considérable. Cela portera ses fruits à terme.
Q- Monsieur Goulard dit-il à Monsieur de Villepin : encore un effort, monsieur de Villepin ?
R- Pourquoi ? Mais bien sûr que nous faisons des efforts !
Q- Le villepiniste Goulard dit : "Villepin, encore un effort !"
R- Et cela tombe bien, c'est notre programme.
Dépêchez-vous, il y a encore six-sept mois !Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 septembre 2006