Texte intégral
Monsieur le Président de l'Institut du Monde arabe, Cher Yves Guéna,
Monsieur le Directeur général,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est un vrai plaisir pour moi de me trouver parmi vous aujourd'hui, pour célébrer dix siècles et plus de relations et d'échanges entre "Venise & l'Orient", pour reprendre le titre de la remarquable exposition que nous venons de découvrir, avec un grand intérêt et aussi beaucoup d'émotion.
Je tiens à cet égard à remercier et à féliciter tous ceux qui ont contribué à sa réalisation, l'équipe de l'Institut du monde arabe, bien sûr, celle du Metropolitan Museum of Art, qui accueillera l'exposition à New York à partir du mois de mars, mais aussi le Maire de Venise, M. Massimo Cacciari (prononcer Catchiari), et M. Romanelli, directeur des Musées de Venise, qui ont bien voulu laisser en dépôt pendant quelque temps plusieurs des trésors de leur ville pour les faire partager à un très large public.
L'exposition que nous venons d'inaugurer est l'histoire d'une fascination réciproque. C'est aussi, et peut-être avant tout, l'histoire d'une rencontre : celle de l'Occident européen et de l'Orient méditerranéen, celle de leurs peuples, de leurs cultures et de leurs techniques. C'est l'histoire de ce creuset magistralement décrit par Fernand Braudel, je veux parler de la Méditerranée de la fin du Moyen Age et des temps modernes.
Chacun le sait ici : ce qui fonde la richesse et la puissance de Venise, c'est d'abord le commerce et le négoce. La grandeur de la Sérénissime vient en effet des échanges commerciaux que la Cité des Doges sut entretenir avec les peuples, de l'attention qu'elle sut porter aux hommes, faisant de sa rencontre avec l'Orient l'invention d'une histoire partagée au coeur de la Méditerranée.
Bien sûr, ces relations n'ont pas empêché les chocs et les antagonismes : du temps des croisades à la bataille de Lépante, du sac de Constantinople au siège de Vienne, les heurts furent nombreux. Pourtant, si nous observons le temps long de l'Histoire, nous voyons la création d'un lieu nouveau, d'un espace continu fondé avant tout sur la connaissance mutuelle entre les peuples et les cultures de la Méditerranée.
Les arts et les techniques, d'abord, font l'objet de nombreux échanges. Dès la fin du 13e siècle, des comptoirs du Levant, de grandes villes comme le Caire, Damas, Alep, les marchands vénitiens reviennent éblouis par la splendeur des cités qu'ils découvrent et le raffinement des sociétés qu'ils fréquentent. C'est ainsi que les savoir-faire orientaux sont repris, assimilés, avant de s'intégrer à l'identité même de l'art vénitien. En retour, ce dernier suscite la fascination des artistes et des dignitaires orientaux. Les regards s'entrecroisent : Bellini peint le sultan, à Istanbul, comme il peint le doge, à Venise. Le prince vénitien et le sultan participent alors à une même dynamique d'échanges, à un univers visuel commun et pour dire vrai à un imaginaire méditerranéen alors élargi aux dimensions du monde.
Echanges des arts et des techniques, mais aussi des sciences et des savoirs. Dès le début du 16ème siècle, tous les savoirs qui font l'âge d'or des sciences arabes sont imprimés à Venise, en arabe ou en persan, avant d'être revendus aux lettrés du monde ottoman ; traités d'algèbre, d'astronomie, de géographie, d'optique, de médecine : Des traductions en latin paraissent. Le médecin que je suis ne peut manquer d'évoquer celle du fameux "Kitab" - le "Canon" d'Avicenne, dont la lecture inspirera les travaux de Vesale et de Harvey sur la circulation du sang.
On l'ignore aussi trop souvent, c'est Venise qui a posé les fondations et inventé, en quelque sorte, la diplomatie moderne. A la politique ruineuse de la canonnière, qui nuisait au commerce, Venise a substitué une diplomatie du ducat, où le premier rôle était tenu par ses ambassadeurs. Ces habiles dignitaires ont joué un rôle-clé dans la prospérité vénitienne, leurs renseignements en faisant le pouvoir le mieux informé de l'Europe du temps. En tant que Ministre des Affaires étrangères, je ne peux que souligner le rôle de ce que l'historien Frédéric Lane a appelé la "République maritime" dans la naissance de la diplomatie et du renseignement moderne.
Ainsi, pendant mille ans, Venise a été le vecteur du commerce entre l'Europe et l'Orient, le lieu aussi de tous les passages, de toutes les connaissances, de toutes les imaginations. Née au coeur d'une lagune, Venise a ainsi joué le rôle de "passeur de cultures", en même temps qu'elle organisait, dirait-on aujourd'hui, le dialogue entre des civilisations.
C'est là un message qui mérite, je crois, d'être médité, à l'heure où, dans le monde, nous observons la montée d'une fracture entre les cultures, d'une incompréhension faite d'intolérance et de ressentiment qui fragilise le sentiment d'appartenir à un espace universel commun. Le président de la République l'a souligné en ouvrant à Paris, il y a deux semaines, "l'Atelier culturel Europe-Golfe-Méditerranée" : l'hypothèse dangereuse d'un "choc des civilisations" est avant tout un "choc des ignorances".
C'est donc à nous tous qu'il appartient aujourd'hui d'organiser les conditions d'une histoire apaisée et d'une mémoire partagée. Il s'agit de tout mettre en oeuvre afin de favoriser l'éducation et la connaissance, afin de réconcilier la diversité des expressions culturelles et le message universel des Droits de l'Homme.
Je forme le voeu, à cet égard, que dans le cadre du Processus de Barcelone, qui rassemble les pays des deux rives de la Méditerranée, le volet culturel soit davantage présent et mieux développé. Il est important que des projets avancés voient le jour, dans le domaine de la traduction, de la formation, de l'enseignement, de la création audiovisuelle. Les projets d'aujourd'hui formeront les relations et les échanges de demain entre les peuples, au service d'une certaine idée de l'homme, au service également d'une certaine idée de notre avenir commun.
Le secret de l'extraordinaire réussite de Venise réside sans doute dans son rapport si singulier avec le monde, dans sa capacité au fil des siècles à être un lieu d'acculturation pour ce que Jacques Berque a appelé la "pensée des deux rives". C'est aussi, à mes yeux, l'un des legs les plus fructueux que l'ancienne République nous a transmis, par-delà les siècles. Cet héritage est précieux, les magnifiques oeuvres d'art que nous avons admirées en témoignent et en sont l'expression la plus achevée.
Au moment où, au Proche-Orient et ailleurs, l'urgence nous sollicite, je forme le voeu que les hommes de bonne volonté y trouvent l'inspiration. Il est plus que nécessaire aujourd'hui d'approfondir ce dialogue entre les cultures et entre les peuples, en partenaires respectueux des différences, mais aussi en acteurs conscients de leurs responsabilités et de leurs devoirs communs.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2006
Monsieur le Directeur général,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
C'est un vrai plaisir pour moi de me trouver parmi vous aujourd'hui, pour célébrer dix siècles et plus de relations et d'échanges entre "Venise & l'Orient", pour reprendre le titre de la remarquable exposition que nous venons de découvrir, avec un grand intérêt et aussi beaucoup d'émotion.
Je tiens à cet égard à remercier et à féliciter tous ceux qui ont contribué à sa réalisation, l'équipe de l'Institut du monde arabe, bien sûr, celle du Metropolitan Museum of Art, qui accueillera l'exposition à New York à partir du mois de mars, mais aussi le Maire de Venise, M. Massimo Cacciari (prononcer Catchiari), et M. Romanelli, directeur des Musées de Venise, qui ont bien voulu laisser en dépôt pendant quelque temps plusieurs des trésors de leur ville pour les faire partager à un très large public.
L'exposition que nous venons d'inaugurer est l'histoire d'une fascination réciproque. C'est aussi, et peut-être avant tout, l'histoire d'une rencontre : celle de l'Occident européen et de l'Orient méditerranéen, celle de leurs peuples, de leurs cultures et de leurs techniques. C'est l'histoire de ce creuset magistralement décrit par Fernand Braudel, je veux parler de la Méditerranée de la fin du Moyen Age et des temps modernes.
Chacun le sait ici : ce qui fonde la richesse et la puissance de Venise, c'est d'abord le commerce et le négoce. La grandeur de la Sérénissime vient en effet des échanges commerciaux que la Cité des Doges sut entretenir avec les peuples, de l'attention qu'elle sut porter aux hommes, faisant de sa rencontre avec l'Orient l'invention d'une histoire partagée au coeur de la Méditerranée.
Bien sûr, ces relations n'ont pas empêché les chocs et les antagonismes : du temps des croisades à la bataille de Lépante, du sac de Constantinople au siège de Vienne, les heurts furent nombreux. Pourtant, si nous observons le temps long de l'Histoire, nous voyons la création d'un lieu nouveau, d'un espace continu fondé avant tout sur la connaissance mutuelle entre les peuples et les cultures de la Méditerranée.
Les arts et les techniques, d'abord, font l'objet de nombreux échanges. Dès la fin du 13e siècle, des comptoirs du Levant, de grandes villes comme le Caire, Damas, Alep, les marchands vénitiens reviennent éblouis par la splendeur des cités qu'ils découvrent et le raffinement des sociétés qu'ils fréquentent. C'est ainsi que les savoir-faire orientaux sont repris, assimilés, avant de s'intégrer à l'identité même de l'art vénitien. En retour, ce dernier suscite la fascination des artistes et des dignitaires orientaux. Les regards s'entrecroisent : Bellini peint le sultan, à Istanbul, comme il peint le doge, à Venise. Le prince vénitien et le sultan participent alors à une même dynamique d'échanges, à un univers visuel commun et pour dire vrai à un imaginaire méditerranéen alors élargi aux dimensions du monde.
Echanges des arts et des techniques, mais aussi des sciences et des savoirs. Dès le début du 16ème siècle, tous les savoirs qui font l'âge d'or des sciences arabes sont imprimés à Venise, en arabe ou en persan, avant d'être revendus aux lettrés du monde ottoman ; traités d'algèbre, d'astronomie, de géographie, d'optique, de médecine : Des traductions en latin paraissent. Le médecin que je suis ne peut manquer d'évoquer celle du fameux "Kitab" - le "Canon" d'Avicenne, dont la lecture inspirera les travaux de Vesale et de Harvey sur la circulation du sang.
On l'ignore aussi trop souvent, c'est Venise qui a posé les fondations et inventé, en quelque sorte, la diplomatie moderne. A la politique ruineuse de la canonnière, qui nuisait au commerce, Venise a substitué une diplomatie du ducat, où le premier rôle était tenu par ses ambassadeurs. Ces habiles dignitaires ont joué un rôle-clé dans la prospérité vénitienne, leurs renseignements en faisant le pouvoir le mieux informé de l'Europe du temps. En tant que Ministre des Affaires étrangères, je ne peux que souligner le rôle de ce que l'historien Frédéric Lane a appelé la "République maritime" dans la naissance de la diplomatie et du renseignement moderne.
Ainsi, pendant mille ans, Venise a été le vecteur du commerce entre l'Europe et l'Orient, le lieu aussi de tous les passages, de toutes les connaissances, de toutes les imaginations. Née au coeur d'une lagune, Venise a ainsi joué le rôle de "passeur de cultures", en même temps qu'elle organisait, dirait-on aujourd'hui, le dialogue entre des civilisations.
C'est là un message qui mérite, je crois, d'être médité, à l'heure où, dans le monde, nous observons la montée d'une fracture entre les cultures, d'une incompréhension faite d'intolérance et de ressentiment qui fragilise le sentiment d'appartenir à un espace universel commun. Le président de la République l'a souligné en ouvrant à Paris, il y a deux semaines, "l'Atelier culturel Europe-Golfe-Méditerranée" : l'hypothèse dangereuse d'un "choc des civilisations" est avant tout un "choc des ignorances".
C'est donc à nous tous qu'il appartient aujourd'hui d'organiser les conditions d'une histoire apaisée et d'une mémoire partagée. Il s'agit de tout mettre en oeuvre afin de favoriser l'éducation et la connaissance, afin de réconcilier la diversité des expressions culturelles et le message universel des Droits de l'Homme.
Je forme le voeu, à cet égard, que dans le cadre du Processus de Barcelone, qui rassemble les pays des deux rives de la Méditerranée, le volet culturel soit davantage présent et mieux développé. Il est important que des projets avancés voient le jour, dans le domaine de la traduction, de la formation, de l'enseignement, de la création audiovisuelle. Les projets d'aujourd'hui formeront les relations et les échanges de demain entre les peuples, au service d'une certaine idée de l'homme, au service également d'une certaine idée de notre avenir commun.
Le secret de l'extraordinaire réussite de Venise réside sans doute dans son rapport si singulier avec le monde, dans sa capacité au fil des siècles à être un lieu d'acculturation pour ce que Jacques Berque a appelé la "pensée des deux rives". C'est aussi, à mes yeux, l'un des legs les plus fructueux que l'ancienne République nous a transmis, par-delà les siècles. Cet héritage est précieux, les magnifiques oeuvres d'art que nous avons admirées en témoignent et en sont l'expression la plus achevée.
Au moment où, au Proche-Orient et ailleurs, l'urgence nous sollicite, je forme le voeu que les hommes de bonne volonté y trouvent l'inspiration. Il est plus que nécessaire aujourd'hui d'approfondir ce dialogue entre les cultures et entre les peuples, en partenaires respectueux des différences, mais aussi en acteurs conscients de leurs responsabilités et de leurs devoirs communs.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 octobre 2006