Texte intégral
Bonjour, J.-L. Borloo.
Oui, bonjour !
Q- Les chiffres du chômage sont tombés jeudi soir dernier : une légère augmentation après plusieurs mois de baisse. Quelle est votre explication ?
R- Sur les mois de baisse, 320.000 chômeurs de moins, à peu près autant de créations d'emploi. Je crois simplement qu'il y a plusieurs phénomènes. Le premier, dans une société en mutation rapide, on a mis des moyens importants pour s'adapter à cette situation. Ce sont, en gros, former, informer sur différents métiers, faire l'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi, améliorer les relations entre l'offre et la demande. C'est développer l'alternance, les contrats de professionnalisation, l'apprentissage. J'ai été d'ailleurs stupéfait de lire dans le Parisien la semaine dernière, que l'apprentissage qui était une voie bonne pour 32 % des jeunes était passé à 95 % des jeunes - je ne sais pas si vous avez vu ce sondage absolument spectaculaire. Donc tous ces éléments de développement - le logement, qui crée des emplois massifs dans la construction et puis l'énorme programme de services à la personne, qui est la révolution de demain, bref - voilà ce qui explique dans l'ensemble la baisse. Alors, après, au mois le mois, on en a vu en janvier, on en aura d'autres, parce que sur trente jours, il est tout à fait évident que vous ne pouvez pas avoir systématiquement des baisses. Il ne faudrait pas qu'on ait trois ou quatre mois de suite en palier, ça ce serait préoccupant.
Q- C'est une hypothèse, c'est possible.
R- Vous savez, en matière d'emploi, il n'y a qu'à bosser, améliorer nos dispositifs et puis continuer dans cette démarche-là. Il n'y a pas de remède par ailleurs miracle et on ne va pas mettre un cierge tous les matins.
Q- Est-ce que vous êtes aidé par la démographie dans ces chiffres du chômage ?
R- Non, malheureusement pas.
Q- Les générations du baby-boom partant à la retraite ?
R- Vous avez vu que l'INSEE a rectifié une position assez largement partagée, tout d'un coup on s'est retrouvé avec 150.000 actifs de plus au mois de juillet. Comme quoi, les vacances apportent des informations complémentaires. Non, la France est un des pays d'Europe, un des rares pays d'Europe où la population active continue à progresser et à progresser de manière assez significativement. Nous aurons d'ailleurs une étude plus précise à la fin du mois pour savoir où nous en sommes réellement dans ce domaine.
Q- Il y a des travaux d'économies, je pense notamment aux travaux d'un D. Cohen, par exemple, qui montrent que les cycles de croissance sur ces dernières décennies, J.-L. Borloo fonctionnent toujours de la même manière. C'est-à-dire qu'il y a des embellies ponctuelles de deux, trois ans, quatre ans au mieux qui permettent donc l'embellie mais qui ne sont pas durables. L. Jospin a bénéficié d'une période de ce genre, la France bénéficie aujourd'hui d'une autre période de ce genre. Vous êtes donc plus chanceux qu'efficace dans la lutte contre le chômage, bonne conjoncture ?
R- Oh, écoutez, j'espère être chanceux. Surtout quand on exerce des responsabilités pour les autres, il vaut mieux avoir du pot. Ecoutez, moi je dois être très très chanceux : le Valenciennois va mieux, le logement, on est en train de tripler la production de logements sociaux. Quant au logement tout court, on passe de 270.00 permis de construire à 550.000. J'ai beaucoup de chance. Je suis arrivé ministère de l'Emploi, après quatre ans et demi d'un chômage de masse dont on avait le sentiment qu'il était inexorablement en hausse, de 25.000 chômeurs de plus par mois. Je crois que la tendance lourde, elle était un peu cassée, mais je vais vous donner mon sentiment de fond sur ce point. Les économistes, parfois, pas tous, se trompent. Il y a une idée qui consiste à dire : la croissance, qui est une espèce, un truc pour la première page de livres économistes, crée de l'emploi. Je vais vous dire c'est l'inverse.
Q- La croissance détruit de l'emploi, c'est ça que vous dites ?
R- La croissance crée l'emploi ! Moi je vous dis c'est l'emploi qui crée la croissance. En réalité, c'est quoi la croissance ? C'est la performance des groupes humains. Lorsque les groupes humains sont performants, c'est-à-dire qu'ils ont une formation adaptée, ils peuvent assumer les mutations, ils sont parfaitement préparés, votre système est plus performant. Et si votre système est plus performant, il crée de la croissance. Oh je ne dis pas qu'il n'y a pas d'autres facteurs de croissance exogènes par ailleurs, mais ça c'est un sujet absolument majeur. Et indiscutablement, nous sommes dans un pays qui à la fois avait un chômage de masse et en même temps une crise du recrutement dans certains secteurs, et ça ce n'était pas acceptable.
Q- Parlons de ce groupe humain qu'on appelle la France, J.-L. Borloo. On voit, dans ce livre par exemple qui va sortir dans quelques jours, "L'état des inégalités en France" publié chez Belin - on le doit à l'Observatoire des inégalités - qu'un certain nombre d'indicateurs sur la précarité, sur le travail pauvre, eh bien ces indicateurs-là sont hausse. Est-ce que le ministre de la Cohésion sociale que vous êtes pense que le travail parvient aujourd'hui à intégrer et à créer du lien ou est-ce que les formes de précarité qui se développent vont dans le sens contraire ?
R- Elles vont trop dans le sens contraire à mon goût. Vous savez, les problèmes d'inégalité ne sont pas que des chiffres et des statistiques. Il y a une inégalité quand on met une heure quarante pour aller travailler pour 1.150 euros ; quand le temps de travail est un temps de travail parcellarisé, quatre heures le matin, quatre heures en fin d'après-midi ; lorsqu'on vit de la violence autour de soi. Nous sommes dans une société qui est, de ce point de vue-là, dure, dure. Et cette dureté est renforcée par le sentiment qu'il y a un peu moins de communauté de destin qu'avant. Que selon la couleur de la peau, selon son origine géographique, on n'est pas tout à fait dans le même bateau, en tous les cas pas sur le même pont du même bateau. Moi c'est ce qui me frappe le plus, c'est pour cela que j'adore ce mot de "cohésion sociale", mais vous savez, c'est quelque chose d'extrêmement difficile à tisser comme liens. Le point le plus préoccupant dans tout ça, c'est le cumul. Quand vous cumulez la difficulté de trouver un logement, la difficulté de trouver un travail et que, autour de vous, votre propre famille ou vos proches sont dans la même situation, là, les inégalités sont terribles. En gros, ce pourquoi il faudrait lutter, en priorité absolue, c'est sur le cumul, pas seulement le cumul des mandats, mais le cumul des handicaps.
Q- Est-ce que le modèle social français est à réformer d'urgence d'après vous ?
R- Non, il est absolument à faire tourner, beaucoup mieux que nous le faisons. Moi je crois que l'action... La réforme pour la réforme, en gros c'est ne pas savoir pourquoi cela ne va pas trop bien et comment on pourrait améliorer le dispositif. C'est quand même un aveu de faiblesse et parfois un peu de paresse intellectuelle. On n'a pas réformé de manière massive le logement social ? On triple la production. Donc c'est simplement mieux faire marcher les dispositifs. Si déjà on avait l'humilité de se dire : voilà, on a ça, on va bien faire tourner, on améliorerait pas mal notre pays.
Q- D'après la Fondation Abbé Pierre, 1,4 millions de personnes sont en atteinte de logement social et seulement 10 % des 400.000 logements sociaux locatifs qui ont été construits s'adressent aux plus démunis. Votre réaction à ce chiffre, J.-L. Borloo ?
R- La réaction c'est que je suis scandalisé que dans les années 90, on ait construit que 38 à 42.000 logements sociaux par an et je suis heureux que l'on passe la barre, ou on va flirter avec la barre des 100.000. Il nous faudra encore 3 ou 4 ans...
Q- Vous ne contestez pas les chiffres en tout cas de la Fondation Abbé Pierre ?
R- Non, je conteste les chiffres de 10 % sur le plafond de ressources, on est à 52 %, mais ça j'allais dire ce n'est pas le sujet principal. Le sujet principal, c'est qu'il y a eu une décennie scandaleuse en matière de logements en France.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 octobre 2006
Oui, bonjour !
Q- Les chiffres du chômage sont tombés jeudi soir dernier : une légère augmentation après plusieurs mois de baisse. Quelle est votre explication ?
R- Sur les mois de baisse, 320.000 chômeurs de moins, à peu près autant de créations d'emploi. Je crois simplement qu'il y a plusieurs phénomènes. Le premier, dans une société en mutation rapide, on a mis des moyens importants pour s'adapter à cette situation. Ce sont, en gros, former, informer sur différents métiers, faire l'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi, améliorer les relations entre l'offre et la demande. C'est développer l'alternance, les contrats de professionnalisation, l'apprentissage. J'ai été d'ailleurs stupéfait de lire dans le Parisien la semaine dernière, que l'apprentissage qui était une voie bonne pour 32 % des jeunes était passé à 95 % des jeunes - je ne sais pas si vous avez vu ce sondage absolument spectaculaire. Donc tous ces éléments de développement - le logement, qui crée des emplois massifs dans la construction et puis l'énorme programme de services à la personne, qui est la révolution de demain, bref - voilà ce qui explique dans l'ensemble la baisse. Alors, après, au mois le mois, on en a vu en janvier, on en aura d'autres, parce que sur trente jours, il est tout à fait évident que vous ne pouvez pas avoir systématiquement des baisses. Il ne faudrait pas qu'on ait trois ou quatre mois de suite en palier, ça ce serait préoccupant.
Q- C'est une hypothèse, c'est possible.
R- Vous savez, en matière d'emploi, il n'y a qu'à bosser, améliorer nos dispositifs et puis continuer dans cette démarche-là. Il n'y a pas de remède par ailleurs miracle et on ne va pas mettre un cierge tous les matins.
Q- Est-ce que vous êtes aidé par la démographie dans ces chiffres du chômage ?
R- Non, malheureusement pas.
Q- Les générations du baby-boom partant à la retraite ?
R- Vous avez vu que l'INSEE a rectifié une position assez largement partagée, tout d'un coup on s'est retrouvé avec 150.000 actifs de plus au mois de juillet. Comme quoi, les vacances apportent des informations complémentaires. Non, la France est un des pays d'Europe, un des rares pays d'Europe où la population active continue à progresser et à progresser de manière assez significativement. Nous aurons d'ailleurs une étude plus précise à la fin du mois pour savoir où nous en sommes réellement dans ce domaine.
Q- Il y a des travaux d'économies, je pense notamment aux travaux d'un D. Cohen, par exemple, qui montrent que les cycles de croissance sur ces dernières décennies, J.-L. Borloo fonctionnent toujours de la même manière. C'est-à-dire qu'il y a des embellies ponctuelles de deux, trois ans, quatre ans au mieux qui permettent donc l'embellie mais qui ne sont pas durables. L. Jospin a bénéficié d'une période de ce genre, la France bénéficie aujourd'hui d'une autre période de ce genre. Vous êtes donc plus chanceux qu'efficace dans la lutte contre le chômage, bonne conjoncture ?
R- Oh, écoutez, j'espère être chanceux. Surtout quand on exerce des responsabilités pour les autres, il vaut mieux avoir du pot. Ecoutez, moi je dois être très très chanceux : le Valenciennois va mieux, le logement, on est en train de tripler la production de logements sociaux. Quant au logement tout court, on passe de 270.00 permis de construire à 550.000. J'ai beaucoup de chance. Je suis arrivé ministère de l'Emploi, après quatre ans et demi d'un chômage de masse dont on avait le sentiment qu'il était inexorablement en hausse, de 25.000 chômeurs de plus par mois. Je crois que la tendance lourde, elle était un peu cassée, mais je vais vous donner mon sentiment de fond sur ce point. Les économistes, parfois, pas tous, se trompent. Il y a une idée qui consiste à dire : la croissance, qui est une espèce, un truc pour la première page de livres économistes, crée de l'emploi. Je vais vous dire c'est l'inverse.
Q- La croissance détruit de l'emploi, c'est ça que vous dites ?
R- La croissance crée l'emploi ! Moi je vous dis c'est l'emploi qui crée la croissance. En réalité, c'est quoi la croissance ? C'est la performance des groupes humains. Lorsque les groupes humains sont performants, c'est-à-dire qu'ils ont une formation adaptée, ils peuvent assumer les mutations, ils sont parfaitement préparés, votre système est plus performant. Et si votre système est plus performant, il crée de la croissance. Oh je ne dis pas qu'il n'y a pas d'autres facteurs de croissance exogènes par ailleurs, mais ça c'est un sujet absolument majeur. Et indiscutablement, nous sommes dans un pays qui à la fois avait un chômage de masse et en même temps une crise du recrutement dans certains secteurs, et ça ce n'était pas acceptable.
Q- Parlons de ce groupe humain qu'on appelle la France, J.-L. Borloo. On voit, dans ce livre par exemple qui va sortir dans quelques jours, "L'état des inégalités en France" publié chez Belin - on le doit à l'Observatoire des inégalités - qu'un certain nombre d'indicateurs sur la précarité, sur le travail pauvre, eh bien ces indicateurs-là sont hausse. Est-ce que le ministre de la Cohésion sociale que vous êtes pense que le travail parvient aujourd'hui à intégrer et à créer du lien ou est-ce que les formes de précarité qui se développent vont dans le sens contraire ?
R- Elles vont trop dans le sens contraire à mon goût. Vous savez, les problèmes d'inégalité ne sont pas que des chiffres et des statistiques. Il y a une inégalité quand on met une heure quarante pour aller travailler pour 1.150 euros ; quand le temps de travail est un temps de travail parcellarisé, quatre heures le matin, quatre heures en fin d'après-midi ; lorsqu'on vit de la violence autour de soi. Nous sommes dans une société qui est, de ce point de vue-là, dure, dure. Et cette dureté est renforcée par le sentiment qu'il y a un peu moins de communauté de destin qu'avant. Que selon la couleur de la peau, selon son origine géographique, on n'est pas tout à fait dans le même bateau, en tous les cas pas sur le même pont du même bateau. Moi c'est ce qui me frappe le plus, c'est pour cela que j'adore ce mot de "cohésion sociale", mais vous savez, c'est quelque chose d'extrêmement difficile à tisser comme liens. Le point le plus préoccupant dans tout ça, c'est le cumul. Quand vous cumulez la difficulté de trouver un logement, la difficulté de trouver un travail et que, autour de vous, votre propre famille ou vos proches sont dans la même situation, là, les inégalités sont terribles. En gros, ce pourquoi il faudrait lutter, en priorité absolue, c'est sur le cumul, pas seulement le cumul des mandats, mais le cumul des handicaps.
Q- Est-ce que le modèle social français est à réformer d'urgence d'après vous ?
R- Non, il est absolument à faire tourner, beaucoup mieux que nous le faisons. Moi je crois que l'action... La réforme pour la réforme, en gros c'est ne pas savoir pourquoi cela ne va pas trop bien et comment on pourrait améliorer le dispositif. C'est quand même un aveu de faiblesse et parfois un peu de paresse intellectuelle. On n'a pas réformé de manière massive le logement social ? On triple la production. Donc c'est simplement mieux faire marcher les dispositifs. Si déjà on avait l'humilité de se dire : voilà, on a ça, on va bien faire tourner, on améliorerait pas mal notre pays.
Q- D'après la Fondation Abbé Pierre, 1,4 millions de personnes sont en atteinte de logement social et seulement 10 % des 400.000 logements sociaux locatifs qui ont été construits s'adressent aux plus démunis. Votre réaction à ce chiffre, J.-L. Borloo ?
R- La réaction c'est que je suis scandalisé que dans les années 90, on ait construit que 38 à 42.000 logements sociaux par an et je suis heureux que l'on passe la barre, ou on va flirter avec la barre des 100.000. Il nous faudra encore 3 ou 4 ans...
Q- Vous ne contestez pas les chiffres en tout cas de la Fondation Abbé Pierre ?
R- Non, je conteste les chiffres de 10 % sur le plafond de ressources, on est à 52 %, mais ça j'allais dire ce n'est pas le sujet principal. Le sujet principal, c'est qu'il y a eu une décennie scandaleuse en matière de logements en France.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 octobre 2006