Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, avec France Inter et l'AFP, sur la perspective d'une adhésion de la Turquie à l'Union européenne et le génocide arménien, à Bruxelles le 9 octobre 2006.

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Circonstance : Session de sensibilisation des parlementaires aux questions européennes, à Bruxelles (Belgique) le 9 octobre 2006

Média : France Inter

Texte intégral

Q - Que pensez-vous de la mise en garde de M. Olli Rehn comme quoi la loi qui prévoit des sanctions risquait d'avoir des conséquences graves vis-à-vis de la Turquie et notamment serait contre-productive et pourrait ralentir le processus de dialogue et de réformes ?
R - Je voudrais surtout rappeler un certains nombre d'éléments concernant le génocide arménien. La réalité historique est ce qu'elle est - bien sûr tragique, chacun le sait - et c'est d'abord aux historiens de travailler sur l'histoire, d'abord aux historiens. D'autre part, d'un point de vue politique, il est certain que la Turquie devrait poursuivre le travail de mémoire engagé, travailler sur son passé comme d'autres pays l'ont fait, et comme elle commence à le faire. Donc, il faut l'encourager à poursuivre. Et puis je souhaite rappeler aussi que le président de la République, qui s'est exprimé récemment, n'a pas ajouté une nouvelle condition aux négociations d'adhésion mais a indiqué que la Turquie serait bien inspirée de faire ce travail. Je vous le redis de la même façon, et je crois que c'est évident.
Vous m'interrogez sur la loi : il y a déjà une loi en France concernant le génocide arménien ; alors faut-il une deuxième loi ? Je pose la question. A titre personnel, je m'interroge. Je m'arrêterai là, mais nous avons déjà une loi sur le génocide arménien.
Q - Et au niveau européen ?
R - Eh bien les conditions de la négociation n'ont pas changé. Il y aura dans cette négociation beaucoup à faire de la part de la Turquie pour respecter ses engagements et l'Union et ses Etats membres respecteront les leurs. Il me semble que, comme vient de vous le dire le président de la Commission, nous sommes dans une phase où le rythme des réformes s'est ralenti en Turquie, où il convient de lui tendre la main en lui disant que le chemin est tracé et qu'elle s'est engagée dans cette perspective et qu'il faut, pour atteindre l'objectif, continuer. Et continuer à bon rythme.
Q - Beaucoup d'observateurs et d'acteurs impliqués dans cette négociation pensent que la France fait tout ce qu'elle peut pour ralentir le processus et que ce projet de loi est encore une pierre, un obstacle sur la route de la Turquie vers l'Union européenne ?
Est-ce que vous pouvez répondre à ces critiques ?
R - Je crois qu'elles ne sont pas fondées. La France a fait partie des Etats membres qui, à l'unanimité, je vous le rappelle, ont décidé l'ouverture de négociations avec la Turquie, avec pour objectif l'adhésion. Le chemin sera long, il suppose encore beaucoup d'efforts de la part de la Turquie. Nous considérons qu'une Turquie moderne, démocratique, qui aurait rejoint pleinement les valeurs européennes serait dans l'intérêt de l'Europe, ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. Les négociations ne font que commencer. Il appartient à la Turquie de poursuivre son objectif et de mener les réformes qui doivent la conduire à reprendre l'acquis communautaire.
Q - Vous pensez, comme M. Olli Rehn, que la nouvelle loi peut envenimer les relations avec la Turquie ? Il y a déjà le problème chypriote qui va poser des problèmes à la fin de l'année, et ce problème du génocide arménien ne va-t-il pas poser un autre problème ?
R - La question de Chypre est d'une autre nature puisque Chypre fait partie des 25 Etats membres de l'Union européenne que la Turquie aspire à rejoindre.
Pour ce qui concerne l'Arménie, c'est surtout un travail qui concerne les historiens. Je considère, je l'ai dit, que la Turquie doit se pencher sur son passé, qu'elle a commencé à le faire et qu'il lui faut poursuivre son devoir de mémoire.
Quant à la loi, nous en avons une et est-il nécessaire d'en avoir une autre ? Poser la question, c'est y répondre en partie. Ce n'est pas une condition supplémentaire dans les négociations d'adhésion, c'est une réflexion d'ordre général. D'autres pays ont su faire un travail sur leur passé, c'est le cas pour notre pays, c'est le cas pour d'autres partenaires. Nous posons la question amicalement, je crois qu'elle est juste au regard de l'histoire. La réponse est avant tout dans les mains de la Turquie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2006