Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur l'action de Pierre Savorgnan de Brazza au Congo en hommage à sa mémoire et sur l'avenir des relations franco-congolaises et du partenariat entre l'Europe et l'Afrique, Brazzaville le 3 octobre 2006.

Prononcé le

Circonstance : Cérémonie de transfert de la dépouille de Pierre Savorgnan de Brazza et de sa famille à Brazzaville le 3 octobre 2006

Texte intégral

Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames et Messieurs,
C'est avec une grande émotion et la conscience de partager un moment historique que je représente la France à cette cérémonie symbolique en l'honneur de l'homme d'exception qu'a été Pierre Savorgnan de Brazza. Lui rendre hommage participe du devoir de mémoire, d'une mémoire partagée entre nos deux pays, sur lequel il nous revient de porter aujourd'hui le regard d'une histoire lucide et exigeante.
Pierre Savorgnan de Brazza, son épouse Thérèse de Chambrun et leurs quatre enfants reposeront désormais dans cette terre congolaise qu'il a découverte et tant aimée, au coeur de la ville qui porte son nom et qui fut fondée il y a 126 ans, jour pour jour, le 3 octobre 1880. La France est fière d'avoir contribué à la construction de ce monument, dont la première pierre fut posée le 5 février de l'année dernière par les présidents Denis Sassou Nguesso, Omar Bongo Odimba, et Jacques Chirac, en marge d'une réunion consacrée aux grandes forêts du Bassin du Congo.
Au moment de rendre hommage à cette figure exceptionnelle de notre histoire commune, je souhaite, pour ma part, souligner les qualités de l'homme et rappeler les valeurs qu'il a défendues pendant toute sa vie.
Car Pierre Savorgnan de Brazza fut tout à la fois un explorateur, un visionnaire et un humaniste.
Un explorateur d'abord, passionné dès son plus jeune âge par la découverte, par le voyage, et puis conquis par la beauté prenante de la terre africaine. Les atlas et les récits de voyage de la bibliothèque familiale, en Italie, ont nourri son imagination et aiguisé sa soif de découvertes, avant qu'il n'entre à l'Ecole navale et entreprenne ensuite la reconnaissance du grand fleuve Ogooué et la descente de l'Alima.
Pierre Savorgnan de Brazza fut aussi un visionnaire. En effet, sa volonté inébranlable de mener sa mission à son terme s'est toujours accompagnée du refus de la violence, de la recherche de la confiance partagée et du dialogue, qui seuls cimentent définitivement une relation constructive. Fidèle à cet objectif exigeant, son action a toujours été droite et généreuse.
Pierre Savorgnan de Brazza fut, surtout, un humaniste, sa famille vient de le dire. En administrateur soucieux de l'intérêt des populations placées sous sa responsabilité, il a voulu d'abord s'imprégner du monde qu'il découvrait, le comprendre dans sa profondeur et dans sa riche complexité. Homme de conviction, il a su ensuite s'opposer à ceux dont il avait conscience qu'ils détourneraient son oeuvre de ses principes fondateurs.
Homme d'exception, Pierre Savorgnan de Brazza l'a été par sa personnalité et ses immenses qualités humaines : la volonté de comprendre l'inconnu, le respect de l'autre, le sens de la justice et de la dignité humaine.
L'hommage de ce jour n'est pas le premier à lui être rendu. Sa mort, en 1905, souleva une immense émotion. Il eut des obsèques nationales, en présence du Premier ministre, de nombreuses personnalités et d'une foule immense.
Quarante ans plus tard, le 30 janvier 1944, le général de Gaulle a inauguré, en présence de Marthe, la fille de Pierre, le monument en hommage "à Savorgnan de Brazza et à ses compagnons", qui se trouve près de la Case de Gaulle. Ce même jour, il prononça son grand "discours de Brazzaville" dans lequel étaient posés les principes qui allaient conduire à l'autonomie puis à l'indépendance de l'Afrique francophone.
L'hommage de ce 3 octobre, qu'ont souhaité lui rendre les autorités congolaises, démontre combien le souvenir de cet homme d'exception reste fort, cent ans après sa mort.
En écrivant les premières pages de notre histoire commune, Pierre Savorgnan de Brazza a posé les fondements de l'amitié entre nos deux pays et nos deux peuples. D'autres pages allaient s'écrire, notamment dans des heures difficiles pour la France, où cette amitié allait prouver sa force. Je veux parler des années où la ville africaine dont il est le fondateur devint la capitale de la France libre. Dans une période tragique - j'étais ému d'entendre cette chanson -, la France a trouvé ici, à Brazzaville, "le refuge de notre honneur et de notre indépendance", pour reprendre les termes mêmes du général de Gaulle.
De grands noms sont associés à cette épopée : Charles de Gaulle bien sûr, mais aussi la belle figure de Félix Eboué, Philippe de Hautecloque, et tous ceux qui, avec eux, ont permis à la France de contribuer à la victoire finale contre la barbarie nazie en 1945. Si Brazzaville fut une grande capitale de la Résistance, le legs de son fondateur n'y est pas étranger. Ce rôle particulier, reconnu depuis longtemps, méritait d'être distingué.
C'est pourquoi, par un décret exceptionnel, signé le 27 septembre dernier, le président de la République a décidé de conférer la croix de chevalier de la Légion d'honneur à cette ville. C'est un geste rarissime : Brazzaville est la sixième ville étrangère ainsi distinguée, après Liège en 1914, Belgrade en 1920, Luxembourg en 1957, Stalingrad en 1984 et Alger en 2004.
Ce geste hautement symbolique a toujours été accompli par la France pour témoigner de sa profonde reconnaissance envers ceux qui ont tenu une place décisive dans son histoire, souvent en des moments où la nation elle-même était en péril.
L'immense reconnaissance de la France s'exprime par cette décoration. Elle s'exprime aussi par une mesure qu'a prise, le même jour, le gouvernement français au sujet des pensions des anciens combattants.
La France sait le rôle essentiel joué par les combattants originaires d'Afrique dans la libération de la métropole. A la demande du président de la République, le gouvernement français a donc annoncé, le 27 septembre, la revalorisation des prestations des anciens combattants de l'armée française, ressortissants des Etats autrefois placés sous souveraineté française. Engagé depuis 2002 par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, ce processus est la traduction d'une reconnaissance forte.
Chers amis, ce regard lucide sur le passé - nous le sentons bien, nous qui sommes tous, ici, fraternellement rassemblés - ce regard est d'abord le socle sur lequel il nous revient de bâtir l'avenir de la relation entre nos peuples.
Et cette relation se fonde d'abord sur la connaissance de l'autre et le respect mutuel.
Mais elle se fonde, surtout, sur la volonté partagée de continuer ensemble à tracer des perspectives pour les générations qui nous suivent. Et cette mission-là, c'est la responsabilité du seul politique.
En son temps et à sa manière, Pierre Savorgnan de Brazza fut un des grands "passeurs" de notre monde. Défricheur de routes, il sut tracer de nouvelles voies pour élargir les frontières de notre connaissance.
Le message qu'il nous lègue à tous aujourd'hui est lié à cette exigence : celle de l'invention d'un nouveau partenariat, de nouvelles relations, équilibrées, respectueuses et confiantes, entre le continent européen et le continent africain, que quatorze kilomètres seulement séparent, rappelons-le, au plus étroit de la passe de Gibraltar. Ce passé commun, cette histoire conjointe - avec leurs complexités, leurs incompréhensions, leurs déchirures parfois - nous incitent maintenant à construire un avenir partagé, pour faire face, ensemble, aux risques de fracture du monde contemporain, mais aussi à ses formidables enjeux.
Je pense ici bien sur à la "fracture sanitaire" et à l'enjeu d'une politique commune de santé. Je suis heureux que le Congo Brazzaville, comme le Gabon, aient été parmi les premiers à rejoindre l'initiative Unitaid, précisément fondée sur un enjeu mutuel et une démarche partagée.
Ainsi, la pierre posée le 5 février 2005 nous invite à bâtir une nouvelle architecture dans les relations entre l'Europe et l'Afrique. Elle ne fige pas dans le marbre le geste de l'explorateur. Bien au contraire. Elle nous invite à poursuivre son chemin, pour explorer les nouvelles routes du développement et les nouveaux horizons du partenariat.
A la fin du siècle dernier, Pierre Savorgnan de Brazza participa à la découverte géographique d'un continent encore très absent des cartes. Aujourd'hui, je suis convaincu que l'Afrique est la "nouvelle frontière" de ce XXIème siècle qui commence à peine. C'est un enjeu exceptionnel, qui exige de la communauté internationale audace, ambition et respect. Ces valeurs même qui furent celles de Pierre Savorgnan de Brazza. Tout doit être entrepris pour faire de la jeunesse, de la vitalité et de la créativité de cet immense continent une chance d'abord pour lui-même, bien sûr, mais aussi une chance pour le monde, une chance pour l'Europe, une chance pour la France.
Vive Brazzaville, vive l'amitié entre nos deux pays et nos deux peuples !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2006