Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, présidente du RPR, à Europe 1 le 24 janvier 2001, sur le climat social face aux retraites et à la réduction du temps de travail et sur les relations entre le RPR, l'UDF et Démocratie libérale pour les investitures en vue des élections municipales.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach Il y a de l'agitation sociale dans l'air avec deux grandes manifestations de rue prévues. L'une, demain et l'autre, le 30. Le Medef y a mis du sien avec, dit-on, une sorte d'ultimatum et de brutalité qui divisent les patrons. Quel est votre avis ?
- "Nous sommes effectivement dans une situation sociale difficile. Il suffit de prendre l'avion, le train, ou de recevoir du courrier pour s'apercevoir qu'il y a des grèves un peu partout. Pourquoi ? On peut effectivement se poser la question. Parce que des catégories entières de Français s'aperçoivent que des réformes indispensables pour notre pays - que ce soit dans le domaine de la fiscalité, des retraites, de l'éducation, du fonctionnement de l'Etat - ne sont pas faites et ne seront pas faites, parce que monsieur Jospin pense essentiellement à l'élection présidentielle et qu'il ne veut mécontenter personne. Les gens s'aperçoivent aussi qu'il y a un certain nombre de mesures prises et qui ont des effets pervers. C'est, par exemple, le problème de l'application des 35 heures qui se traduit par de nombreuses grèves, là aussi."
C'est à la faute à Jospin ?
- "C'est la faute d'une méthode qui est à la fois autoritaire et irresponsable, C'est-à-dire qui fait passer des intérêts électoraux particuliers devant des intérêts généraux des Français."
Mais en ce moment, n'êtes-vous pas en train d'exiger de L. Jospin qu'il règle en un an, et si près des élections, tous les problèmes difficiles que la droite n'a pas su résoudre quand elle a gagné toute pimpante en 1995 ?
- "D'abord, je ferai remarquer que monsieur Jospin est au Gouvernement depuis 5 ans ; que nous lui demandons ces réformes depuis ..."
Trois ans et demi ...
- "Oui, depuis un peu plus de trois ans et demi. Donc, que nous lui demandons ces réformes depuis longtemps ; qu'elles ont été annoncées, qu'il les a lui-même annoncées et qu'il a ensuite reculé parce qu'il a une majorité divisée qui ne lui permet pas d'avancer en gardant son unité."
Tandis que l'opposition est unie ? Mais on en reparlera tout à l'heure ...
- "Tandis que l'opposition est certainement beaucoup moins divisée sur les idées de fond que les socialistes, les communistes ou les Verts qui, par exemple, sont complètement opposés, que ce soit sur le nucléaire, sur les salaires, les impôts ou les retraites."
Le Medef réclame pour négocier l'accord sur les retraites complémentaires, que les syndicats acceptent l'allongement de la durée des cotisations. Sur ce point, êtes-vous d'accord avec le Medef ?
- "Nous avons sorti hier, au RPR, un projet sur les retraites. En disant en particulier qu'il faut beaucoup plus de souplesse, qu'il faut également tenir compte de la pénibilité d'un certain nombre d'emplois, et enfin qu'il est nécessaire de permettre à chacun des salariés du privé de bénéficier de ce qui est accordé aux fonctionnaires et aux salariés du public, c'est-à-dire la capacité de se faire en épargne un complément de retraite déductible des impôts."
Donc, la retraite à 60 ans est un acquis social mais n'est en aucun cas un tabou ?
- "Absolument. Il faut réintroduire de la souplesse. C'est ce que demandent les Français. C'est une façon moderne d'aborder les problèmes du temps de travail."
Quand le Premier ministre se montre auprès des siens, comme hier, fier des trois ans et demi à Matignon, de ses résultats économiques, - la baisse du chômage etc. -, quand il promet aux socialistes de bien utiliser 2001 et d'en profiter cette année pour réformer, vous le croyez ou pas ?
- "Monsieur Jospin est toujours très fier de lui, depuis longtemps. Je ne suis pas sûr que la réalité..."
De ses résultats...
- .".. que la réalité corresponde à cela et en tout cas, sur les réformes, nous regardons et nous ne voyons rien venir pour les raisons que je vous ai expliquées, parce qu'il n'a pas une majorité unie."
"Les stars" de la droite : vous avez dîné hier ensemble ...
- "Ce ne sont pas des "stars", mais des gens qui se connaissent bien, qui s'aiment bien et qui ont envie de travailler ensemble."
"Qui, s'aiment bien" ? Alors ils se châtient bien parce ce qu'ils s'aiment bien... On sait qu'une hirondelle ne fait pas le printemps. Est-ce qu'un tel dîner de têtes peut déclencher le printemps de la droite ?
- "Je crois que nos électeurs attendent une marque forte d'union."
Depuis longtemps.
- "Depuis longtemps. Cette union, j'essaie d'y travailler depuis que je suis arrivée à la tête du RPR. Je dois dire que je l'ai faite pendant de long mois un peu seule, je me réjouis aujourd'hui de voir de très grandes personnalités prêtes à participer à cette opération."
Cette union est pour quand ? Comment s'organise-t-elle ? Et à quelles conditions ? On va essayer d'être concrets.
- "Pour être concret, il faut dire : l'union, pourquoi ? L'union, c'est pour conforter des choses qui existent aujourd'hui et qui marchent bien entre les partis. D'autre part, pour améliorer des choses qui ne marchent pas bien. Qu'est-ce qui marche bien ? Par exemple, les investitures. Nous avons fait l'union sur les investitures, avec l'UDF et DL. Nous y avons travaillé pendant plusieurs mois. Nous arrivons aujourd'hui à ce que sur les 289 villes de plus de 30 000 habitants, il y ait moins de 10 primaires. C'est la première fois qu'on arrive à un tel résultat ; c'est notre résultat, celui d'une volonté d'union. Deuxièmement, sur la construction du projet : depuis des mois, nous travaillons sur le projet concret que nous proposerons aux Français pour mettre en place un autre type de société en France, plus moderne et mieux adaptée à leurs besoins. Là aussi, nous le faisons de deux façons : au sein du RPR, que ce soit sur les retraites, on vient d'en parler, sur la décentralisation, sur la sécurité la semaine prochaine. Nous travaillons en associant nos partenaires de l'opposition sur ces projets forts. Et ensuite ..."
J'écoute avec attention votre discours : tout va bien ? C'est une énumération de points qui vont bien.
- "Non pas du tout. Les deux points qui vont bien, ce sont premièrement les investitures - cela marche très bien entre nous et nous avançons - et deuxièmement la construction du projet. Qu'est-ce qui ne marche pas ? Nous n'avons pas réussi à ce jour à mettre fin aux rivalités de personnes et aux ambitions personnelles. Nous n'avons pas réussi à mettre fin aux petites phrases - c'est ce que nous reprochent nos électeurs -, ces petites phrases entre nous qui occultent finalement nos critiques de ce qui en va pas dans l'action du gouvernement et nos propositions fortes. Et enfin, nous n'avons pas réussi à mettre fin à un certain nombre de votes à l'Assemblée nationale ou au Sénat qui ne sont pas cohérents entre les trois partis de la majorité sur des problèmes de fond. Effectivement, l'union doit nous permettre d'avancer."
On va essayer de jouer à l'exercice de N. Sarkozy dans son livre "Libre." Est-ce qu'on peut être libre aux fonctions où vous êtes ? On peut dire les choses telles qu'on les pense ?
- "J'ai toujours dit les choses telles que je les pensais, que cela plaise ou non. Et je trouve que dans la responsabilité qui m'a été confiée par mes militants, je dois continuer à le faire."
Hier F. Bayrou était absent. Vous ne l'avez pas invité ?
- "J'espère que F. Bayrou a été invité. Ce n'était pas moi qui invitait, c'était un groupe de jeunes parlementaires soucieux d'union avec qui je travaille depuis quatre ans. J'ai regretté effectivement d'être le seul chef de parti élu par les militants qui était présent."
Est-ce que vous pensez, comme votre porte-parole du RPR, P. Devedjian, que votre intérêt à tous c'est qu'il y ait au premier tour en 2002 un candidat centriste ?
- "Vous n'empêcherez jamais quelqu'un qui veut se présenter à une élection présidentielle de le faire. On le constate. Essayons simplement que les choses se passent bien et qu'il y ait une sorte de code de bonne conduite."
Donc, vous n'y êtes pas hostile ?
- "Pourquoi voulez-vous que je sois hostile à quelque chose que je ne peux pas empêcher de toute façon ? En revanche, ce que je voudrais empêcher, ce sont les attaques personnelles. Parce que la différence entre la gauche et nous est que la gauche va avoir plusieurs candidats - un candidat pour les verts, un pour les communistes, un pour RCV- ils vont se disputer sur des idées, mais il n'y aura probablement peu d'attaques personnelles. Ce que je ne voudrais pas, c'est que chez nous, comme nous sommes plus proches sur les idées, le débat se limite à des attaques personnelles."
F. Bayrou vous répondra sans doute sur ce ton-là. On essaye d'être toujours, comme dit Sarkozy, "libre." Aujourd'hui, est-ce que vous dites que P. Séguin sera maire de Paris ?
- "Tout à fait. Il peut être maire de Paris. Nous avons choisi un candidat d'envergure. La situation est difficile et elle l'a toujours été mais nous avons choisi un candidat d'envergure dans lequel les Parisiens peuvent reconnaître le besoin de fierté de la capitale. C'est une forte personnalité. Je souhaite qu'il soit élu et je pense qu'il le sera."
Est-ce que vous n'êtes pas tous atteints du syndrome de docteur Coué ?
- "Non, je ne crois pas."
Lui dit qu'il a un moral d'acier, qu'il va gagner. Et puis le 5ème va tomber, le, 13ème, le 14ème, le 18ème arrondissement et on dit bientôt le 9ème arrondissement. La dynamique est plutôt à gauche.
- "Vous utilisez peut-être des boules de cristal. Moi, j'essaie simplement d'utiliser les réalités de terrain. Des campagnes électorales, j'en ai fait un certain nombre, j'en ai suivies un certain nombre. Il y a ce qui se passe au début de la campagne - et nous sommes au début de la campagne, les listes ne sont même pas annoncées - et ce qui se passe pendant la campagne. L'avantage de ces sondages est qu'ils nous permettent de voir qu'elle est l'opinion dans un arrondissement à un moment donné et on ne fait pas exactement la même campagne selon que l'on se trouve..."
A trois semaines, vous voyez une dynamique Séguin ? Vous voyez une victoire de Séguin ?
- "Elle est tout à fait réalisable. C'est la volonté de P. Séguin et j'espère effectivement pour Paris et pour les Parisiens que nous y arriverons."
S'il gagne, c'est lui. S'il perd, qui est-ce ? Lui ?
- "En tout état de cause, chacun dans une élection municipale - comme dans une élection présidentielle d'ailleurs, c'est la même chose car ce sont des élections très personnelles - à la responsabilité de la campagne qu'il fait. C'est normal."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 24 janvier 2001)