Tribune de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, dans "Les Echos" du 9 octobre 2006, sur l'"après-pétrole", intitulée "Nul besoin de rupture pour préparer l'après-pétrole".

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Le pic d'Hubbert est-il atteint ? En 1956, le géologue américain Marion King Hubbert formulait une prévision lourde de conséquences. Le monde allait atteindre le moment où les réserves de pétrole entameraient leur épuisement inéluctable. Peu importent les discussions sur l'échéance, le monde s'est déjà installé dans la crainte de l'après-pétrole. Le pétrole représentant près de la moitié des besoins énergétiques mondiaux et 90 % des besoins de transport, sa disparition considérée comme inéluctable alimente les angoisses les plus variées et parfois les plus étranges.
Certains experts se veulent rassurants, affirmant que les réserves connues assureraient plus d'un siècle de consommation actuelle ; beaucoup sonnent le tocsin. A mon sens, aucun expert ne possède aujourd'hui une réponse indiscutable. Quitte à surprendre, cela ne me gêne pas. La responsabilité politique ne se résume pas à la précision comptable. Elle ne se confond pas davantage avec l'exaltation des peurs individuelles ou collectives. Son rôle est de tracer une perspective, de l'expliciter et de la transformer en objectif collectif.
Nous pouvons aujourd'hui préparer l'« après-pétrole » sans rupture. Pour faire face aux trois besoins que sont la production de chaleur, l'électricité, le transport, on peut trouver des solutions alternatives : biocarburants, éoliennes, capteurs solaires, géothermie par exemple. Nous pouvons renforcer les capacités de nos entreprises gazières. GDF rejoindra le peloton d'excellence de nos entreprises d'ores et déjà actrices majeures du secteur : EDF, Areva et Total. Dans le domaine de l'énergie nucléaire, l'installation du projet Iter en France s'inscrit dans la même logique de politique d'indépendance constante depuis le général de Gaulle. Reste qu'en matière d'économies, je préfère dire d'utilisation plus responsable des énergies, nous avons encore beaucoup de progrès à faire. Trop longtemps, les formules habiles ont servi de politiques et les questions écologiques ont été abandonnées à des idéologues plus ou moins masqués.
Ailleurs que va-t-il se passer ? Il y a les pays qui accumulent tous handicaps énergétiques et écologiques. Loin de moi l'idée de considérer comme négligeable leur situation, et je pense en particulier à de très nombreux pays africains. De leur développement dépendent en effet la stabilité du monde, la fin de l'utilisation du sentiment d'injustice comme ressort du terrorisme, la capacité de lutter contre des migrations massives, illégales et incontrôlables. Nous devons donc aider ces pays à faire le saut technologique nécessaire, à partir des énergies nouvelles, solaires et éoliennes notamment, pour leur donner les moyens de leur progrès économique et social.
Il y a aussi les pays producteurs de pétrole. Leur situation actuelle paraît des plus enviable, malgré parfois des excès choquants. Pourtant, ce sont ces pays et leurs populations qui supporteront au premier chef la stabilisation puis le déclin pétrolier. Nous avons tout intérêt à les aider à s'y préparer dès maintenant. Leur brutal affaiblissement déstabiliserait à son tour les équilibres financiers et économiques mondiaux, et encouragerait sans doute les tensions communautaires ou religieuses.
Ainsi quitte-t-on le terrain des menaces pour retrouver celui de la visibilité et des risques acceptés et maîtrisés, voire dominés.
Les menaces et angoisses, ce sont l'explosion du prix du pétrole, les conflits pour s'approprier ce produit devenu rare, les chantages de blocage des oléoducs ou des gazoducs, les actes terroristes pour déstabiliser les sociétés consommatrices, les catastrophes écologiques avec le recours excessif aux énergies fossiles contribuant au réchauffement climatique.
La visibilité, elle, relève d'une analyse objective de la situation : la demande d'énergie augmente, parce que le niveau de vie et la production mondiale progressent : l'Agence internationale de l'énergie prévoit un doublement de la demande d'énergie d'ici à 2050. Le malthusianisme ne répond à aucun des enjeux, qu'ils soient financiers, écologiques ou industriels. Les solutions sont obligatoirement complexes et nécessiteront des adaptations majeures sur le long terme.
Le débat politique sur l'après-pétrole doit redonner confiance dans le progrès en préparant dès aujourd'hui, sur des bases nouvelles, l'avenir.
A écouter certains, la France serait arrogante et souvent dans l'erreur. Dans le domaine énergétique, il faut lui reconnaître le mérite depuis près de cinquante ans, contre vents et marées, d'avoir mis en oeuvre une politique nucléaire dont la réussite suscite l'admiration et l'imitation. Nous nous sommes donné les moyens d'être le pays non pétrolier européen le plus indépendant pour son énergie. Aujourd'hui, entre le nucléaire et l'hydraulique, la France dispose de 95 % de sa production électrique sans gaz à effet de serre.
La France, j'en suis convaincue, a un rôle particulier à remplir dans cette triple perspective. Son savoir-faire nucléaire et la qualité de ses relations tant avec nombre de pays en développement qu'avec la plupart des membres de l'OPEP, l'incitent, sinon l'obligent, à ce rôle. Une logique d'anticipation et de dialogue équilibré est indispensable. Dans le domaine énergétique, comme dans beaucoup d'autres, l'avenir se prépare dans le rassemblement et la confiance.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 18 octobre 2006