Texte intégral
Monsieur le Secrétaire général, Cher Philippe Faure,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Monsieur le Président de l'Institut du Monde arabe, Cher Yves Guéna,
Monsieur le Recteur, Cher David, si vous me le permettez,
Mesdames, Messieurs, Chers Amis,
Je suis heureux de vous accueillir ce soir au repas de rupture du jeûne organisé, pour la deuxième année consécutive, au Quai d'Orsay, à l'occasion du mois du ramadan, mois de partage et de fraternité. Ce rendez-vous devient ainsi pour nous une occasion privilégiée de rencontre, d'écoute, et d'échanges, un moment de convivialité, où nous partageons "le pain et le sel", selon une expression arabe aux résonances bibliques.
Pour le ministre des Affaires étrangères que je suis, ce ne sont pas tant les aspects relatifs au culte qui me concernent au premier chef, mais la dimension culturelle, au sens le plus large du terme. Elle est aujourd'hui inséparable de l'action dans le champ des relations internationales avec l'irruption, de façon parfois irrationnelle, des enjeux culturels dans le domaine politique. Lors de l'inauguration à l'Elysée le 13 septembre dernier de l'Atelier culturel, le président de la République a souligné l'enjeu majeur du dialogue entre les peuples, dans un monde menacé d'un "divorce entre les cultures". A plus d'une reprise, dans d'autres occasions, le président a fustigé ce qu'il appelle à juste titre le choc, non pas, des civilisations mais le "choc des ignorances".
Comment expliquer l'exacerbation des tensions que nous constatons de nos jours ? J'aimerais à cet égard vous écouter, échanger avec vous, vous qui êtes familiers des "deux rives", vous, que vous soyez diplomates, intellectuels, artistes, ou hommes de religion. Sommes-nous vraiment, comme le voudraient les extrémistes de tout bord, face à un choc entre l'Islam et l'Occident ? Les choses sont en vérité plus complexes, les réalités religieuses et sociales plus diversifiées.
L'Occident n'a aucune difficulté à se reconnaître dans les valeurs de concorde et de réconciliation qui sont au cœur du message de l'Islam. De même, il y a aujourd'hui, un Islam d'Occident, celui qui vit harmonieusement en Europe, intégré dans la République où les Musulmans, à l'instar des fidèles des autres religions, bénéficient d'une entière liberté de conscience, de croyances et de culte dans le cadre du principe de laïcité. A l'inverse, l'Orient n'abrite-t-il pas de multiples communautés religieuses, qui partagent les mêmes épreuves et les mêmes conflits, mais aussi les mêmes valeurs spirituelles et humanistes ?
Il est important que les responsables politiques, dans le domaine qui est le leur, remettent les choses en perspective. Il est capital de souligner, comme l'a fait le président de la République encore récemment, la nécessité "d'éviter tout amalgame entre l'Islam, qui est une grande religion respectable et respectée, et l'islamisme radical, qui est une action tout à fait différente, de nature politique".
Je peux comprendre que l'immense majorité des croyants qui ont de leur religion une conception tolérante et pacifique, puissent se sentir profondément blessés par ces amalgames, eux pour qui le mot même d'islam est à rapprocher du mot "salam", c'est-à-dire paix. "Est musulman", disait le Prophète Mohamed, "celui dont la langue et la main épargnent ses prochains". C'est ce message qu'ils retiennent, c'est cela qui compte par-dessus tout.
La paix. Voilà l'une des obligations ardentes qui nous incombent. Nous devons constamment encourager le règlement pacifique et juste des crises et des conflits qui meurtrissent depuis trop longtemps notre monde. On ne le dira jamais assez, la violence appelle la violence. Là encore, il serait factice d'établir des priorités ou des hiérarchies : la paix, les réformes, les libertés et les Droits de l'Homme, les droits politiques et économiques sont les différentes facettes d'une même réalité. Ce sont là des combats le plus souvent indissociables, des combats qu'il convient de mener de front.
La misère, j'en suis intimement persuadé, est un facteur aggravant de l'ignorance et de la violence, du fait du sentiment d'exclusion qu'elle engendre. Ali, le gendre du Prophète, disait à juste titre que "la pauvreté est un exil au sein de la patrie alors que la richesse, même à l'étranger, est synonyme de patrie".
C'est pour combattre le fléau des pandémies et pour sortir de cette logique qu'un projet comme UNITAID a vu le jour. Pour redonner une perspective de développement durable, les Nations unies ont défini la notion de Bien public mondial. Il s'agit de répondre aujourd'hui à ces "fractures" profondes à l'échelle de la planète, qui sont très souvent le creuset de l'instabilité politique. Je suis convaincu que la paix passe par la lutte contre toutes les formes d'exclusion.
Cette paix demeure aujourd'hui hypothéquée par les conflits actuels du Proche et du Moyen-Orient, mais aussi au Soudan où je compte me rendre prochainement. Ainsi en Irak, la situation demeure très préoccupante. Nous sommes particulièrement inquiets face à la recrudescence des violences et devant le risque de fragmentation du pays. Nous devons nous mobiliser aux côtés des Irakiens, en marquant notre attachement à l'unité et à l'intégrité territoriale de l'Irak. Seule la voie du dialogue politique conduira à la stabilité et à la pleine maîtrise de la souveraineté du pays et vous savez à quel point le président a toujours défendu la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance nationale du pays. Nous devons soutenir les efforts en cours, notamment ceux de la Ligue arabe, qui est à l'origine de la seule initiative actuellement de nature à contribuer au renforcement du dialogue national et incitant les voisins de l'Irak à jouer un rôle constructif.
Je sais que l'inquiétude s'accroît parmi les pays de la région sur les ambitions iraniennes en matière nucléaire. Nous devons être clairs dans le signal adressé à Téhéran, car nous attendons de ce pays les gestes nécessaires pour créer les conditions de la confiance. Il y a certes toujours place pour le dialogue, mais la reconnaissance de l'Iran comme puissance régionale implique pour ce pays une obligation : dissiper les appréhensions et travailler à la stabilité régionale, comme il convient à un pays responsable.
Les derniers événements de l'été ont par ailleurs montré la fragilité du Levant. Le Liban sait aujourd'hui qu'il peut compter sur le plein appui de la France dans son effort de reconstruction économique et d'édification d'un Etat souverain, indépendant et démocratique. La tenue d'une conférence internationale sur la reconstruction du Liban montrera l'engagement de tous et de la communauté internationale à ses côtés. Afin d'éviter à ce pays meurtri de nouvelles déconvenues, il nous faudra rester vigilant sur la mise en œuvre de la résolution 1701, qui progresse dans de bonnes conditions.
La dernière crise libanaise a mis en relief l'imbrication des conflits au Proche-Orient, de même que l'impossibilité de les régler par la voie militaire. La question israélo-palestinienne demeure au cœur de toute solution durable pour la région. Elle rend la nécessité d'agir plus urgente que jamais. Il nous faut contribuer à créer les conditions d'une relance de la dynamique de paix, qui se heurte encore principalement à l'absence de confiance entre les parties elles-mêmes.
La France et l'Europe veulent construire, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, avec les voisins du Sud de la Méditerranée, mais aussi du Proche et Moyen-Orient une véritable communauté d'Etats démocratiques et prospères. Seule la mise en œuvre de réformes équilibrées permettra une dynamique progressive d'ouverture politique, de renforcement de l'Etat de droit, de pluralisme, de croissance économique et bien sûr d'intégration régionale.
A cet égard, le Fonds monétaire international a récemment incité les cinq pays du Maghreb à renforcer leurs relations économiques pour réduire le chômage et améliorer la croissance. La France est prête à soutenir des partenariats bâtis autour de projets communs entre les pays d'Afrique du Nord, car un Maghreb uni répondrait aux attentes des peuples comme à celle des élites. Il répondrait également au souhait des voisins arabes et européens, qui espèrent voir émerger un pôle de croissance et de développement dans cette zone méditerranéenne. Nous sommes aux côtés de ces pays pour les aider, s'ils le souhaitent, à relever ce défi.
Dans le Golfe, je suis heureux de constater l'intérêt grandissant pour les nouveaux enjeux de notre époque, en termes de communication et d'échanges culturels et éducatifs. L'ouverture prochaine de l'antenne de l'université Paris-Sorbonne à Abou Dhabi, les nombreux partenariats qui se développent avec nos meilleures institutions, nos centres de recherche et nos grandes écoles constituent un pari pour l'avenir et un signe très encourageant. J'entends faire de cette nouvelle dimension de notre relation basée sur le savoir et sur l'éducation un des axes prioritaires de notre coopération tant au Maghreb qu'au Moyen-Orient.
L'Europe a justement pour ambition d'accompagner les Etats dans leur volonté de réforme, en inscrivant ses relations dans un cadre durable de coopération multilatérale, dans une dimension à la fois politique, économique et culturelle. C'est l'enjeu du partenariat euro-méditerranéen. Si le Sommet de Barcelone, l'année dernière, n'a pas comblé toutes les attentes, en tout cas pas toutes mes attentes la volonté et la détermination de mon pays demeurent entière.
Cette approche partagée et ce partenariat construit dans la confiance est le meilleur démenti que l'on puisse apporter au prétendu "choc des civilisations". Nous sommes à cet égard fiers d'avoir en France un outil exceptionnel du dialogue entre les cultures : je veux parler, ici, de l'Institut du monde arabe, dont je tiens à saluer ici le président, parmi nous ce soir. Le rayonnement que connaît l'Institut a dépassé les frontières de la France et de l'Europe, jusqu'aux rives de l'Amérique, puisque des personnalités américaines de premier plan s'y rendent en visite, et lui rend un hommage appuyé. J'ai été, pour ma part, heureux de visiter l'exposition sur "Venise et l'Orient", qui vient, après tant d'autres expositions prestigieuses, comme celle sur les sciences arabes, rappeler les ponts jetés entre nos cultures et les apports réciproques qui les ont fécondées.
Je souhaite enfin également insister sur l'importance du développement des relations entre nos sociétés civiles. Nous n'avons pas toujours été à la hauteur de nos engagements. C'est pourquoi il est urgent de soutenir les initiatives de part et d'autre et d'encourager la création de partenariats constructifs entre nos villes, nos universités, nos hôpitaux, nos ONG. Je souhaite également rendre hommage à tous ces français originaires du Sud de la Méditerranée, trait d'union naturel entre les deux rives qui contribuent activement par leur engagement à notre rapprochement et au rayonnement de la France dans le monde arabe. C'est une chance extraordinaire d'avoir ces Français issus de cette rive de la Méditerranée.
Mesdames, Messieurs,
Le système international traverse une mutation profonde : la mondialisation est une réalité économique et culturelle dont nous n'avons tiré ni toutes les conséquences, ni tous les bénéfices. Que nous soyons des représentants des Etats ou de la société civile, si nous ne voulons pas favoriser le chaos à l'échelle internationale, il nous faut réapprendre à communiquer, à construire un dialogue dans la durée. Il nous faut réapprendre à questionner les certitudes, à faire en sorte que nos histoires, nos principes et nos valeurs soient des repères utiles pour l'action et non des écueils qui nourrissent toutes les crispations.
Il nous faut, en un mot, retrouver, Monsieur le Recteur, un humanisme véritable, fondé sur des valeurs universelles, léguées à la fois par les religions du Livre et par la philosophie des Lumières : un humanisme de l'intelligence et de la raison critique, mais nourri aussi du respect de l'autre, de la générosité, et de la tolérance. C'est cet amour du prochain que résume le grand penseur Ibn Arabi lorsqu'il a dit : "je crois en la religion de l'Amour, où que se dirigent ses caravanes, l'amour est ma religion et ma foi".
Je souhaite à toutes et à tous un excellent Iftar et je vous dis en arabe "ramadane karim".
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 octobre 2006