Texte intégral
Mesdames, Messieurs les officiers stagiaires du Collège interarmées de défense,
C'est avec plaisir que je m'adresse à des officiers qui se préparent à assumer des responsabilités supérieures en France et dans des pays amis.
Le CID, à Paris, est l'école militaire de formation la plus internationale de toutes, tant par le nombre de nations représentées, que par la proportion très élevée d'officiers stagiaires non français.
L'ambition que porte la France pour l'Union européenne répond aux besoins de notre monde et aux aspirations de ses peuples.
La défense occupe une place conséquente dans ce projet.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais remettre en question quelques idées reçues.
La première idée reçue, c'est que l'OTAN et l'UE seraient des concurrentes, voire des rivales. Nombre de leurs membres appartiennent aux deux organisations, et on ne voit pas comment elles pourraient y soutenir des intérêts contradictoires.
Les nations utilisent leurs ressources dans un cadre ou dans l'autre, selon les circonstances.
Sur de nombreux théâtres d'opérations, l'UE et l'OTAN coordonnent d'ailleurs leurs efforts.
Deuxième idée reçue : l'OTAN est seule apte à mener les missions dites "de haut du spectre", laissant à l'Union européenne les crises de moindre intensité. L'intervention de l'EUFOR en RDC montre que l'Europe est crédible quand elle s'en donne les moyens.
En fait, beaucoup a été fait dans les dernières années pour construire et crédibiliser la Défense européenne.
Aujourd'hui, l'Europe de la défense existe, très concrètement(I).
Touchant à notre avenir collectif, son développement doit être assuré (II).
Pour cela, votre propre rôle dans la construction de la défense et de l'Europe est essentiel (III).
La défense européenne est une réalité.
Elle est une réalité institutionnelle.
Elle coordonne les outils dont chaque pays européen dispose pour faire face aux dangers: le terrorisme, la prolifération et la multiplication des crises régionales.
En 2003, l'Europe s'est dotée d'un document de référence, la Stratégie européenne de défense et de sécurité.
Il s'agit de mettre en oeuvre des instruments diplomatiques, civils et militaires de gestion de crises mais également des instruments économiques, humanitaires et de développement. Cet effort de cohérence des instruments dont elle dispose fait toute l'originalité et la valeur de l'apport de l'Union européenne.
La PESD, ce sont aussi des opérations.
De la Bosnie au Darfour, du Congo au Kosovo, des Balkans à la Palestine, la Défense européenne prouve son opérationnalité.
Ces opérations recouvrent des missions à caractère militaire, de façon autonome ou dans le cadre de Berlin +et des missions de police à caractère civil.
Pour mener ces opérations, l'UE dispose déjà d'outils.
Les GT 1500 sont déjà opérationnels et le seront à raison de 2 simultanément à partir du 1er janvier prochain, ce qui représentera une étape majeure dans la montée en puissance de la PESD.
La force de gendarmerie européenne complète la capacité d'action dans tout le spectre des opérations.
Avec la création de la cellule civile militaire, la montée en puissance du Centre d'opérations et la mise en place, en février 2004, du mécanisme ATHENA de financement des opérations civiles et militaires, l'Europe se dote de structures d'avenir qui lui permettent de se positionner comme un acteur crédible de gestion des crises.
En 2004, l'Union a adopté un nouvel objectif global 2010.
Evidemment, derrière l'outil militaire, il y a l'équipement. On voit mal une Europe autonome dépendant entièrement de fournisseurs extérieurs.
Il est vite apparu indispensable de rationaliser les politiques d'équipement de nos forces en adéquation avec les besoins et les priorités de la PESD. C'est tout le rôle de l'Agence européenne de défense. L'Agence contribue à l'émergence d'un marché européen des équipements de défense.
Elle participe également au renforcement du pôle recherche et technologie de la défense européenne qui nous permet de préparer l'avenir.
Cet avenir de l'Europe en matière de défense doit être préparé.
La PESD fait de l'Union européenne un acteur à part entière de la diplomatie de défense et de sécurité sur la scène internationale. La France y joue un rôle moteur.
Parallèlement aux Balkans, l'Afrique s'érige en terrain d'action privilégié de la PESD.
La construction de l'architecture africaine de paix et de sécurité est une responsabilité majeure.
Elle exige que nous renforcions considérablement les propres capacités africaines.
L'Europe doit mieux coordonner son action civilo-militaire dans le cadre notamment de la réponse aux crises humanitaires et dans le domaine de la sécurité.
L'avenir de l'Europe passe par la préparation de celui de la défense.
Le domaine spatial, même s'il s'inscrit dans une échéance plus lointaine est un pilier d'avenir de la défense européenne. Il est ce qui assurera à l'Europe une véritable autonomie d'appréciation et de décision.
La réussite d'Hélios II, de Syracuse nous incite à aller plus loin.
Depuis 2002, le domaine de la Défense est celui qui a le plus avancé et fait avancer l'Europe.
Il n'y a pas de paradoxe à cela. Au contraire, la Défense était destinée à devenir le moteur de l'Europe.
L'Union européenne se fonde sur un besoin de fonder une paix durable entre ses peuples et une défense commune.
Croire que l'Europe se fera uniquement sur la base d'un marché commun, d'une réglementation commune, d'une monnaie commune, c'est une vue de l'esprit.
L'Europe est fondée sur un partage d'intérêts, mais surtout de valeurs, de principes, de responsabilités à l'égard du monde.
Que nous reste-t-il donc à faire, dans le futur proche ?
- Les opérations et les exercices renforceront l'Europe.
Par le succès de celles-ci, nous prenons confiance en nous. Nos populations comprennent mieux le sens de nos efforts et les idéaux communs de paix et de stabilité.
- Nous ambitionnons de parvenir à une véritable politique européenne de l'armement, une politique d'avenir.
L'Agence européenne de la défense doit vivifier la base industrielle et technologique de défense (la BITD) ainsi que la recherche et technologie.
Cela suppose de la doter de financements plus importants.
- Nous devons aussi mutualiser le maximum de moyens, ce mot étant entendu au sens large.
J'ai ainsi proposé de mutualiser le soutien des A400M que plusieurs nations vont acquérir, ce qui est une façon de marquer notre solidarité à l'égard de petits pays qui font l'effort de se doter d'aéronefs.
Outre une meilleure défense à meilleur prix, cela contribuera directement à accroître les moyens aériens pour des opérations, de l'Union comme pour d'autres.
La mutualisation, sous toutes ses formes, est une voie d'avenir pour l'Europe. Elle doit s'étendre à la mise en commun de formations.
La France donne l'exemple en ce domaine. Avec nos amis allemands, nous avons créé l'Ecole franco-allemande du Tigre.
Avec nos amis belges, nous avons créé l'école franco-belge de chasse. Ces structures sont ouvertes à d'autres partenaires.
Le croisement des expériences avec vos camarades provenant d'autres cultures militaires, d'autres systèmes de formation, permet une compétence accrue, favorisant l'interopérabilité.
Le brassage des élèves s'accompagne du brassage des instructeurs.
Nous aurons des écoles véritablement européennes, lorsque nous aurons un cadre enseignant vraiment européen.
C'est pour y sensibiliser les élites civiles et militaires de nos nations que j'ai fortement soutenu la création du Collège Européen de Sécurité et de Défense à partir de la mise en réseau de nos instituts nationaux de formation de haut niveau dont l'IHEDN.
Une structure de commandement claire est nécessaire.
Nous avons fait un premier pas en instituant l'état-major de l'Union européenne.
Pour aller jusqu'au bout de la logique, il faut doter l'Union européenne d'un état-major capable de devenir un centre d'opérations permanent.
Nous pourrons ainsi envisager une défense européenne qui reposera sur une même stratégie, sur une bonne coordination des moyens, mais surtout, sur une structure d'hommes et de femmes qui partagent les mêmes aspirations de paix et de sécurité.
Votre rôle dans la construction de la défense européenne et de l'Europe est donc essentiel.
Par vos qualités, par la réalité et la complexité des situations auxquelles vous êtes confrontés, vous êtes le moteur de l'Europe.
Le monde militaire est pragmatique.
Il est ouvert sur le monde - il suffit de regarder la salle aujourd'hui pour s'en convaincre - il est habitué à travailler avec les autres.
Savoir dialoguer, vouloir dialoguer, c'est vital pour construire.
Cela existe au sein des armées de façon très forte.
En Europe, on considère essentiel que le militaire soit subordonné au politique.
Pour autant, cela n'exclut pas le dialogue, bien au contraire.
A titre personnel, j'ai ressenti la richesse et la qualité du dialogue, très fortement, avec mes subordonnés militaires. Je viens de dire au revoir au général Bentégeat, il y a 3 semaines : il pourra en témoigner.
Les situations sont réelles, les solutions sont concrètes, nous ne sommes pas dans le débat théologique.
Il y a un facteur qui explique la réussite de l'Europe de la défense. En opération, il n'y a ni concurrence, ni logique de retour sur investissement. Là, nous avons des Européens sur un sol étranger, dans des contextes parfois très durs, avec une mission commune et une communauté d'intérêt.
Je peux vous dire, pour l'avoir vécu personnellement, que, loin de l'Europe, les gens que nous côtoyons savent que l'Europe unie existe.
Voilà pourquoi je n'hésite pas à dire, avec force et conviction, que vous êtes au coeur de la construction de l'Europe.
Parce que l'identité de l'Europe est en train de naître, qu'elle donnera naissance à un patriotisme européen, qui complètera et enrichira le patriotisme national que nous connaissons aujourd'hui.
Cela suppose que vous repreniez le flambeau, chacun au niveau qui sera le sien.
Cela suppose que vous voyiez les enjeux de l'Europe de la défense, pour vous, que vous soyez Européen, bientôt Européen, ou ami et allié de la France.
Conclusion
Baden-Powell a dit : "L'ambition de faire le bien est la seule qui compte". Loin d'être péjoratif, ce mot d'ambition appelle à vouloir de grandes choses, à s'organiser pour les atteindre, et à s'en servir avec mesure.
Aux Français parmi vous, je voudrais donner la consigne suivante : Montrez-vous fiers d'être Français, mais ne soyez pas crispés. L'Union européenne que nous voulons bâtir n'est pas une plus grande France, il faut bien le comprendre.
En revanche, comme tout mariage réussi, il faut à la fois de la passion, et de la raison.
La raison ne manque pas : la France sait très bien que, seule, elle ne peut influer sur le destin du monde. Mais il faut aussi de la passion, car les grandes choses ne se font pas sans passion.
C'est un peu le reproche que je fais à ceux qui veulent cantonner l'Europe dans un marché commun, un simple espace juridico-financier. Non, comme beaucoup de Français, je crois vraiment qu'il doit y avoir une dimension sentimentale, j'ose le mot. L'Europe ne se réduit pas à un espace d'institutions et de réglementations. C'est avant tout l'Europe des hommes, des femmes et des enfants qu'il s'agit de bâtir.
Cette Europe veut être une force pour la paix. Cela suppose aussi d'être une force, tout court.
Elle veut se doter des moyens, des structures, des habitudes, qui lui permettront d'agir, au profit de la paix et de la sécurité dans le monde.
C'est une noble ambition. Elle est à notre portée, si nous y travaillons, et surtout, si nous cessons de douter de nous.
Ce que je veux que vous sachiez tous, c'est que l'Europe est une chance pour le monde, pas une menace, un rival, un has-been.
L'Europe mérite mieux que cela. Je le dis avec d'autant plus d'ardeur que je vois cette jeunesse devant moi, dans cet amphithéâtre.
C'est vous qui aurez à la bâtir, sur les fondements que je viens de vous décrire.
Vous êtes militaires, alors je ne vous dirai pas: "Bonne chance", mais : "En avant!".
Je vous remercie.Source http://www.defense.gouv.fr, le 25 octobre 2006