Conférence de presse de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur les missions de la FINUL au Liban, le maintien de la paix en République démocratique du Congo et en Côte d'Ivoire, le dossier du Darfour soudanais et sur la question du nucléaire iranien, à New York le 20 octobre 2006.

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Circonstance : Déplacement aux Etats-unis, du 18 au 21 octobre-entretiens avec le Secrétaire général des Nations unies et le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, à New York le 20 octobre 2006

Texte intégral


Mesdames et Messieurs, merci d'abord de votre présence
Je viens de rencontrer successivement M. Guéhenno, Secrétaire général adjoint aux Opérations de Maintien de la paix et le Secrétaire Général M. Kofi Annan. Cette rencontre intervient après le déplacement que j'ai fait à Washington puis à Yorktown, à l'occasion de la célébration du 225ème anniversaire de la bataille de Yorktown et finalement de la naissance du nouveau monde et de ce qui se traduit par la mise en oeuvre de valeurs que nous partageons qui sont celles de la liberté et de la démocratie.
Avec M. Guéhenno, au Département des Opérations de Maintien de la paix, j'ai assisté à une séance de débriefing sur ce qui se passe au Liban, avec une vidéo conférence avec l'état-major qui est aujourd'hui à Naquoura. Avec le Secrétaire général, nous avons fait un tour des différents théâtres d'opérations sur lesquels l'ONU est engagée et où la France intervient également. Nous avons parlé du Liban, nous avons parlé de la Côte d'Ivoire, nous avons parlé du Congo et nous avons également évoqué la situation au Darfour et au Tchad. C'est donc un très vaste tour d'horizon qui nous a permis de confirmer la très grande convergence d'analyses entre le Secrétaire général de l'ONU et la France et également d'envisager des modifications et des améliorations du travail qui peuvent être faites par les forces de l'ONU.
Je pense qu'il est maintenant plus intéressant que je réponde à vos questions au lieu de vous faire un long exposé.
Un récent rapport du comité d'action sur les mines terrestres indique que les dispositifs déposés par les Israéliens ont sérieusement affecté l'accès à l'eau, détruit les lignes électriques, etc. Que peut faire la France pour soulager les souffrances des Libanais ?
Michèle Alliot-Marie : Vous connaissez les liens très anciens et très étroits de la France avec le Liban. C'est ce qui nous a amenés à intervenir très tôt, deux jours après le début de la crise, à la fois pour aider à l'évacuation des ressortissants français, étrangers, franco-libanais et libanais mais aussi pour apporter une aide humanitaire aux populations libanaises en termes de médicament, d'eau, de groupes électrogènes. Ensuite, dès la fin des hostilités, nous sommes également intervenus pour aider à la reconstruction avec en particulier des ponts métalliques installés par les militaires français du génie pour remplacer les ponts qui avaient été détruits par les bombardements. Aujourd'hui, nous sommes dans le Sud, dans le cadre de la FINUL et nous participons au déminage et à la dépollution d'un certain nombre de terrains. J'ai moi-même assisté à une opération de dépollution dans un village situé à une vingtaine de kilomètres de Naquoura. Ce sera un travail énorme car les zones qui ont subi ces bombardements sont extrêmement étendues. Les militaires français vont y participer mais il faudra bien entendu que d'autres nations y participent aussi. Nous pouvons également aider les militaires libanais par des équipements de protection pour ce type d'action.
Malgré les progrès considérables réalisés depuis la résolution 1701 il y des violations de l'espace aérien du Liban par Israël. Le Général Pellégrini a dit clairement hier que si les moyens diplomatiques ne suffisaient pas, il a suggéré soit une nouvelle force soit de nouvelles règles d'engagement. Avez-vous discuté de ce sujet avec l'OMDP et avec M. le Secrétaire général ?
Oui, nous avons parlé de cela. D'autre part, dans la vidéo conférence, le commandement français de Naquoura nous a indiqué que depuis 48 heures et sans doute après les protestations qui sont venues de différents endroits sur les violations, il n'y avait plus eu de violation de l'espace aérien libanais. Ce que je veux préciser à nouveau, c'est que nos forces ont des moyens de réponse sol-air mais que ces moyens sont destinés à nous protéger en cas d'attaque. C'est dans le cadre de la légitime défense qu'ils peuvent être utilisés. Ceci dit, je rappelle qu'effectivement ces violations de l'espace aérien sont extrêmement dangereuses. Elles sont dangereuses d'abord parce qu'elles peuvent être vécues et ressenties comme hostiles de la part de forces de la coalition qui pourraient être amenées à répliquer dans le cadre de la légitime défense et ce serait un incident très grave. D'autre part, il faut bien voir aussi que ces violations d'espace aérien fragilisent la résolution. Elles sont ressenties comme des éléments qui peuvent servir de prétexte à certains pour eux-mêmes ne pas respecter la résolution. C'est la raison pour laquelle il nous paraît indispensable que ces violations de l'espace aérien cessent.
Avez-vous tenté de convaincre les Israéliens sur le Liban par la voie politique, je veux parler tout particulièrement des sorties aériennes ? Avez-vous eu recours à la voie politique en premier lieu car je comprends que le Président Lahoud et d'autres parties au Liban, y compris des membres du gouvernement, sont opposées aux survols aériens français pour remplacer les survols israéliens car ils y verraient une attitude colonialiste de votre part.
Je n'ai pas entendu parler de cela à aucun moment. Et au contraire, lorsque je suis allée au Liban, j'ai constaté de la part des autorités politiques libanaises, comme dans la presse, comme de la part de la population, un accueil des forces, des militaires français extrêmement positif et pas simplement à Beyrouth mais également sur le trajet et dans la région du Sud.
Dans votre tour d'horizon, vous avez mentionné le Congo et le Tchad. Je me demandais ce que l'Union européenne ou le ministre allemand de la Défense avait bien pu dire pour que l'Union européenne quitte la RDC fin novembre, après les élections. Partagez-vous cet avis ? Sur le Tchad, on dit que les Français ont lâché une bombe, en tout cas quelque chose, près des rebelles. J'imagine qu'on s'est servi de l'arme psychologique à défaut d'une arme militaire. Pouvez-vous m'expliquer dans quelle mesure une bombe est une arme psychologique ?
D'une façon générale, je considère que l'une des caractéristiques des interventions des forces européennes - de la défense européenne - doit être leur caractère limité dans le temps, et donc la préparation de la relève par d'autres institutions. En ce qui concerne la République Démocratique du Congo, nous avons eu à faire face à une difficulté qui a été le report des élections puisque la résolution a été élaborée en pensant que les élections auraient eu lieu initialement au mois de juin et qu'elles n'ont eu lieu que plus tard. C'est ce qui explique la petite difficulté que nous avons aujourd'hui qui n'est qu'une petite difficulté puisque la fin normale du mandat est le 30 novembre alors que le président sera mis en place le 10 décembre. En fait, c'est un problème un peu théorique dans la mesure où il est prévu que les forces allemandes comme françaises quittent la RDC à partir du 30 novembre. Cela veut dire que pendant un certain temps, le temps de démonter toute l'organisation, elles seront encore présentes sur place. Cela prend en effet à peu près un mois pour terminer une opération. Donc c'est un problème, mais théorique.
Sur la Côte d'Ivoire, que répondez-vous à ceux qui demandent aux forces Licorne de quitter le pays ? Et pouvez-vous nous dire à quoi servent ces forces aujourd'hui ? Enfin, pouvez-vous nous donner un schéma général du redéploiement des forces françaises sur le continent africain: Tchad, Gabon, Sénégal? Sommes-nous dans une dynamique de réduction ?
En ce qui concerne la Côte d'Ivoire, vous savez, moi à la limite, je serais très heureuse de retirer les militaires, j'en ai beaucoup à l'extérieur. Le problème, c'est que la force Licorne est là pour soutenir la force de l'ONU et que les pays qui font partie de l'ONUCI ont expressément demandé que Licorne soit là pour les soutenir. Il y aurait un grand risque que ces pays se retirent si nous retirions Licorne. Or, nous savons très bien que si tous ces pays se retiraient aujourd'hui, les affrontements recommenceraient parce que le problème politique de la Côte d'Ivoire n'a pas été réglé puisque les élections n'ont pas eu lieu. C'est la raison pour laquelle nous sommes là et nous souhaitons aussi que les élections aient lieu le plus vite possible. Nous le souhaitons pourquoi ? Non pas parce que la France aurait encore des intérêts économiques en Côte d'Ivoire. Nous avons très peu de ressortissants en Côte d'Ivoire et nous n'avons quasiment plus d'intérêts économiques en Côte d'Ivoire. Mais nous estimons que les Ivoiriens ont avec les Français des liens historiques importants, qu'ils sont venus souvent combattre à nos côtés, que nous avons des liens. Et d'autre part, nous pensons également qu'une partition de la Côte d'Ivoire en deux serait dramatique pour le pays, mais aussi pour tout le sous-continent parce que les systèmes ethniques font que vraisemblablement les crises se multiplieraient dans tout le sous-continent à partir de la Côte d'Ivoire. C'est la raison pour laquelle nous avons effectivement une présence en application de la résolution des Nations unies dans l'unique but de permettre à la Côte d'Ivoire de retrouver une situation de stabilité et d'arriver à des élections présidentielles dont nous souhaitons qu'elles soient démocratiques et transparentes.
Madame le Ministre de la Défense, vous avez, comme le général Pellégrini mis l'accent sur le recours à ces missiles à des fins exclusives d'auto-défense. Toutefois, lorsque l'on a demandé au Général Pellégrini d'être plus précis dans le cas où tous les efforts diplomatiques auraient échoué s'il recommandait l'usage de la force pour mettre un terme aux survols israéliens, il a répondu que cela serait soumis à un retour de la question aux Nations Unies et plus précisément que cela dépendrait d'une redéfinition des règles d'engagement par le Conseil de sécurité. Madame le ministre, excluez-vous le recours à la force pour faire cesser ces survols ? Et vous en tenez-vous à l'auto-défense pour l'usage de vos missiles ?
Au Darfour, faute d'accord de la part du gouvernement soudanais de laisser entrer les forces des Nations unies, la France accueillerait-elle favorablement le vote d'une résolution par l'Assemblée générale sur la responsabilité de protéger ?
En ce qui concerne le Liban, je le répète encore une fois, et effectivement le général Pellégrini l'a précisé, les missiles sol-air que nous avons sont destinés uniquement à l'auto-protection et ne sont pas utilisés autrement. Pour le reste, je pense que dans un premier temps, et avant une nouvelle résolution, l'essentiel, c'est une action diplomatique qui fasse comprendre à Israël que c'est contre son propre intérêt que ces violations de l'espace aérien libanais ont lieu. Je crois que c'est d'abord ce qu'il faut faire.
En ce qui concerne le Darfour, c'est une situation très préoccupante puisque nous voyons que les violences ont effectivement encore recommencé. Ce que considère la France au Darfour, c'est d'abord que l'Union africaine n'a pas échoué. L'Union africaine s'est investie, avec le soutien d'un certain nombre de pays européens, avec aussi le soutien de l'OTAN, notamment pour le transport des troupes. Mais il lui était impossible de réussir dans la mesure où les deux parties voulaient continuer à se battre. Aujourd'hui, nous pensons qu'il faut, avant qu'une force de l'ONU puisse se déployer, qu'il y ait un accord du Soudan. Sinon, on va se retrouver dans la même situation. S'il n'y a pas un accord des parties, la force de l'ONU n'a pas de possibilité d'intervenir. Ce que soutient la France, c'est d'abord toute action qui peut permettre une cessation de la violence à la fois parce que les populations locales en souffrent, et deuxièmement parce que les migrations de population depuis le Darfour vers le Tchad en fuyant les massacres risquent de déstabiliser aussi le Tchad.
Je me suis rendue il y a deux ans dans les camps de réfugiés : il est vrai que vous avez là des milliers et des dizaines de milliers de personnes qui créent un déséquilibre dans une région où il y a peu pour vivre et où les gens sont finalement presque moins nombreux que ceux qui sont dans les camps. C'est une raison pour laquelle le Darfour est une préoccupation majeure à laquelle nous devons contribuer pour essayer de faire entendre raison aux différentes parties et pour la solutionner. Je crois qu'une rencontre est prévue dans les tous prochains jours pour essayer de faire comprendre au Président Béchir qu'il doit accepter cela : ce sont des chefs d'Etats africains qui vont essayer de le convaincre. Et j'espère qu'ils réussiront.
Sur l'Iran, où en est le projet de résolution préparé par la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne. Est-il prêt à être présenté aux 5 membres permanents ? Quel type de sanctions prévoyez-vous de proposer dans le cadre de cette résolution ? Quel est le calendrier ? Combien de temps allez-vous laisser à l'Iran cette fois pour cesser l'enrichissement avant que les sanctions entrent en vigueur ?
Sur l'Iran, nous pensons qu'il est important d'essayer de faire avancer les négociations diplomatiques. Le problème, c'est qu'il est souvent très difficile de parler avec l'Iran : quand les sanctions approchent un peu trop, il y a une avancée diplomatique de la part de l'Iran. Et puis, le lendemain ou trois jours après, alors que l'on pense qu'effectivement on va entrer dans les discussions, il y a de nouveau une marche-arrière de la part du Président ou du gouvernement iranien. Nous pensons qu'il faut aller le plus loin possible, mais montrer que ce n'est que dans la mesure où il y a des avancées, que nous acceptons de suspendre la marche vers les sanctions.
Là aussi, je crois que des contacts doivent être pris dans les tous prochains jours pour dire que si l'Iran montre effectivement sa bonne volonté, la France et ses partenaires sont prêts à suspendre la procédure devant le Conseil de sécurité. Mais, la condition, c'est qu'il y ait effectivement des avancées.
Je vous remercieSource http://www.defense.gouv.fr, le 26 octobre 2006