Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sur France Inter le 23 octobre 2006, sur la position de la CFDT concernant le débat sur les 35 heures et sur les attentes de la CFDT concernant la rencontre syndicats/patronat sur l'assurance-chômage, le contrat de travail et la sécurisation des parcours professionnels.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : A l'invitation du MEDEF, les partenaires sociaux, CGPME, MEDEF, UPA pour les organisations patronales, CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT-FO pour les organisations syndicales, se sont réunis au siège du MEDEF le 23 octobre 2006.

Média : France Inter

Texte intégral

N. Demorand - Rencontre syndicats/patronat, aujourd'hui, au siège du Medef, à l'invitation de L. Parisot. Trois questions à l'ordre du jour ; elles sont massives : contrat de travail, sécurisation des parcours professionnels, remis à plat su système d'assurance chômage. Qu'attendez-vous de cette rencontre ?
R - Au moment où le président de la République nous propose une loi qui encourage les partenaires sociaux à ouvrir plus de dialogue social pour essayer de trouver des solutions aux problèmes posés aux salariés, on nous propose de débattre sur deux sujets centraux que sont, d'une part, l'assurance chômage - on sait très bien que beaucoup de chômeurs n'ont pas accès à l'assurance chômage - les contrats de travail, parce que la précarité se développe en France de plus en plus, l'utilisation des CDD. Donc, l'action qui nous est proposée, c'est de faire une mise à plat de ces problèmes-là, pour voir ensuite, en fonction de ce qu'on va découvrir, quelles sont les sécurités nouvelles qu'on peut construire pour les salariés face aux difficultés que je viens de citer.
Q - C'est la "délibération sociale", comme dit L. Parisot, à savoir essayer de faire un constat partagé entre partenaires sociaux ?
R - Qu'on appelle cela "délibération", "dialogue", "confrontation", peu importe le mot, l'important, c'est face aux difficultés que rencontrent les salariés, en particulier face au développement de la précarité, quelles sont les solutions que l'on va pouvoir construire pour faire en sorte qu'on ait de nouvelles sécurités dans un monde où les protections qui existent aujourd'hui ont été construites il y a quarante ans, et qui ne sont plus tout adaptées au marché du travail aujourd'hui.
Q - Un mot sur le contrat de travail. L. Parisot propose le licenciement négocié à l'amiable, "la séparabilité", comme elle dit. Donc de redéfinir les bases d'un licenciement ; qu'en pensez-vous ?
R - Tout d'abord, si l'on commence le débat par le licenciement, il ne va pas aller très loin. Cela sera inévitablement, tout de suite, un échec. Faire croire qu'une séparation puisse être positive, non, toute séparation, même à l'amiable est généralement un échec. Donc pour nous, il n'est pas question de rentrer à ce moment-là dans ce débat. Il est question de regarder comment fonctionnent les entreprises, quelle est l'utilisation des contrats de travail en particulier les plus précaires et comment fait-on en sorte que face à cette situation, les salariés aient de nouvelles sécurités pour qu'il ait moins de rupture négative, qu'il y ait le meilleur accompagnement possible pour les salariés face à un déroulement de carrière qui est de plus en plus perturbé.
Q - Vous dites qu'il faut faire de plus en plus de dialogue social, J. Chirac appelle - c'était le 10 octobre dernier - à une grande révolution culturelle en la matière. Quand on voit le contexte politique, est-ce que vous pensez que ces déclarations d'intention ont la moindre chance de porter un jour ? Je pense au débat sur les 35 heures qui est très violent, très rude... Il y a là une vraie tension politique et on ne voit pas les partenaires sociaux, on ne voit pas une table de négociation, on voit juste des prises de position des uns et des autres.
R - Vous avez raison. Entre le discours de bonnes intentions disant qu'il faut modifier la loi et faire plus de dialogue social et les déclarations de ce week-end, en particulier de monsieur Fillon sur les 35 heures, il y a un fossé énorme, une contradiction énorme.
Q - F. Fillon a dit qu'elles seraient abrogées de fait si N. Sarkozy arrive au pouvoir...
R - Oui, mais d'une part, c'est tourner le dos à l'engagement qui est qu'il n' y ait plus modification de contrat de travail ou du droit du travail sans négociation. Et puis, monsieur Fillon, il était ministre. C'est lui qui a fait la réforme des retraites, c'est lui qui a fait une loi qui assouplit les 35 heures. Et on se pose la question : comment se fait-il que ce qu'il veut faire aujourd'hui, il n'a pas été capable de le faire hier ? Tout simplement, parce qu'en filigrane, il nous dit aussi qu'il ne remettra pas en cause les 35 heures. Il y a donc une contradiction totale, il y a une démagogie extraordinaire. Je rappelle que les assouplissements pour les 35 heures ont été votés dans une loi et qu'il est possible de négocier dans toutes les branches professionnelles, puis dans les entreprises, des assouplissements pour permettre des heures supplémentaires. Mais faire croire aujourd'hui à un salarié qu'il pourra choisir de travailler plus pour gagner plus, c'est lui mentir. C'est le patron qui décide des heures supplémentaires, ce n'est jamais le salarié, et actuellement, ce que veulent faire les patrons, c'est que les gens travaillent plus mais ne pas les augmenter. C'est exactement ce qui se passe dans les hôtels cafés et restaurant actuellement.
Q - L. Parisot demande l'abrogation des 35 heures ; la droite a dit que c'était une catastrophe économique, cette loi qu'elle avait la France en retard. Qu'en pensez-vous ?
R - N'oublions pas que les 35 heures ont créé 600.000 emplois...
Q - ... Vous les défendez encore aujourd'hui ?
R - Mais bien évidemment ! Les 600.000 emplois, où passeront-ils si on supprime les 35 heures ? N'oublions pas les dizaines de milliards d'allégements de charges dont les entreprises ont bénéficié. Les entreprises ne peuvent pas dire qu'elles n'ont pas eu d'aides ! Toutes les entreprises qui sont passées à 35 heures, qui ont créé des emplois ont eu des allégements de charges. N'oublions pas que les salariés français, parce qu'il y a une réorganisation du travail, sont les salariés qui ont la productivité horaire la plus élevée d'Europe. N'oublions pas tout ce qui a été fait de positif autour des 35 heures. Qu'il faille, ça et là, aménager les 35 heures, en particulier dans les entreprises où il n'y a pas eu de négociations, bien évidemment, la CFDT est disposée à le faire, la loi le permet. Mais travaillons sur ce côté, mais ne retournons pas en arrière, ce qui serait une catastrophe. D'une part, pour les entreprises, parce que bien évidemment, on leur retirerait les allégements de charges, elles ne voudraient pas le faire, et puis surtout, les salariés les ont payées ! La modération salariale, il faudra revenir dessus. Donc, cela coûterait beaucoup plus cher de revenir que de rester et d'aménager comme cela est prévu dans la loi.
Q - Vous êtes donc pour une généralisation, comme on a pu l'entendre chez les prétendants socialistes à l'investiture ?
R - Il faut que l'on puisse, par la négociation, adapter la réduction du temps de travail en fonction de la situation des entreprises et de la taille des entreprises. Mais il n'y a pas de raison que dans notre pays, il y ait deux types d'entreprises avec deux types de salariés différents. Donc il y a des entreprises avec les mêmes droits et on adapte les droits en fonction de la situation des entreprises. C'est bien évidemment la deuxième loi Aubry, qui imposait la réduction du temps de travail d'une façon arbitraire, dans toutes les entreprises, qui pose problème, pas le fait d'avoir 35 heures.
Q - On voit en tout cas que c'est en train de devenir un thème de campagne ou de pré-campagne électorale. Comment allez-vous peser sur le débat 2007 à la CFDT ?
R - Tout d'abord, on va attendre que les partis choisissent leurs candidats. Pour le moment, je pense qu'ils font leur travail en interne et c'est très bien. Ensuite, nous avons décidé, dès qu'il y aura les candidats, d'aller les voir et leur poser les questions qui nous semblent les plus utiles dans le débat. Tout d'abord, c'est une élection présidentielle, n'oublions jamais quelle est la place de la France dans l'Europe et quelle est la place de l'Europe dans le monde. C'est-à-dire, comment voulons faire évoluer la France et l'Europe dans le cadre de la mondialisation ? Comment va-t-on répondre concrètement à ces problèmes, derrière : pouvoir d'achat, temps de travail, protection sociale, retraite. Ce sont des déclinaisons d'adaptation de notre pays, nécessaires, dans le cadre d'une mondialisation qui est de plus en plus puissante. Voilà les vraies questions qu'on va leur poser. On ne va pas attendre...
Q - Et sur les 35 heures, vous allez leur dire "n'abrogez pas !" ?
R - On va leur dire, d'une part...
Q - Ca, c'est plutôt pour les candidats de droite, quand vous irez les voir.
R - Mais ils n'abrogeront pas ! Monsieur Fillon qui était ministre, qui a fait la loi sur les 35 heures, pourquoi ne l'a-t-il pas abrogée quand il était au pouvoir ? On en a un peu marre des hommes politiques qui, quand ils sont au pouvoir, ils font une chose et quand ils ne sont plus au pouvoir, ils disent l'inverse. Donc on sait très bien qu'ils ne le feront pas. Laissons la négociation s'installer sur tous ces sujets, en particulier sur les 35 heures.
Q - Tout est parti d'une décision du Conseil d'Etat concernant les 39 heures dans le secteur de l'hôtellerie-restauration. C'était un accord de branche qui a donc été cassé par le Conseil d'Etat. Il y a un projet d'amendement, de validation législative, ce qui permettrait de passer au Parlement et de dépasser, justement, l'arrêt du Conseil d'Etat ; qu'en pensez-vous ?
R - C'est d'abord une stupidité. En dehors du fait que le président de la République s'engage pour qu'il y ait des négociations avec la loi, on ne peut pas dire que les députés UMP soient les premiers de la classe sur ce sujet ; c'est la première chose. Ensuite, si cette loi était abrogée, cet accord était abrogé, c'est qu'il est illégal ; les équivalents sont interdits en Europe. Donc ils peuvent reprendre la convention collective et la mettre dans la loi, l'Europe dira "non", parce que c'est interdit. Qu'est-ce que c'est que les heures d'équivalence ? C'est permettre, sur une durée de travail donnée, de rémunérer les salariés sur un temps de travail inférieur. Et cela, ce n'est pas possible, toutes les heures passées en entreprises doivent être rémunérées, c'est la loi européenne. Les députés peuvent faire ce qu'ils veulent, j'espère quand même qu'ils ne vont pas aller jusqu'à faire voter une loi illégale en Europe.
Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 26 octobre 2006