Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur l'aide publique au développement, à l'Assemblée nationale le 25 octobre 2006.

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Circonstance : Mission "Aide publique au développement", audition devant la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, le 25 octobre 2006

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Députés,
En tant que dernier de la législature, ce budget 2007 marque une étape importante et nous incite à une analyse rétrospective. C'est particulièrement important en matière d'aide publique au développement, puisque la période 2002-2007 a coïncidé avec une très forte augmentation des efforts consentis en la matière. Ainsi, l'engagement pris par le président de la République en 2002 de porter l'aide française de 0,3 % du revenu national brut en 2001 à 0,5 % en 2007 sera tenu. Cet objectif a été une préoccupation constante du gouvernement depuis 5 ans.
A cet égard, les chiffres sont éloquents. Nous serons passés d'une aide totale de 4,7 milliards d'euros en 2001 à 9,2 milliards d'euros en 2007.
Bien entendu, comme vous le savez, ces montants ne font pas en totalité l'objet de crédits votés par le Parlement. Vous en connaissez la raison et mon souci est d'être transparente avec vous sur ce sujet. A votre demande, nous avons depuis l'an dernier réalisé un travail considérable d'élaboration de documents synthétiques établissant le lien entre les chiffres votés par le Parlement et ceux que nous déclarons, en application de la méthodologie de l'OCDE, au titre de l'aide publique au développement. Encore approfondi cette année, ce travail montre que notre aide se décompose, schématiquement, en trois tiers :
- Un tiers relève de la mission "aide publique au développement" que nous examinons aujourd'hui ;
- un tiers voté dans le cadre d'autres missions budgétaires ;
- un dernier tiers constitué notamment d'allègements de dettes, de prêts de l'AFD ou d'interventions des collectivités locales.
L'augmentation de l'aide française concerne sur 2002-2007 toutes ces composantes. Ainsi, l'aide au développement générée sur le budget du ministère des Affaires étrangères sera passée de 1,7 milliard d'euros en 2002 à 2,5 milliards d'euros en 2007.
Vous le voyez, il s'agit là d'un effort particulièrement important, consenti alors même, vous le savez, que nous étions engagés dans le redressement de nos finances publiques.
Surtout, au-delà de l'impulsion politique vigoureuse que je mentionnais, nous avons marqué une véritable rupture de la politique française. En effet, sous la législature précédente, l'aide française avait fortement diminué, et était passée de 0,47 % en 1996 à 0,31 % en 2001.
En outre, l'objectif de 0,5 % sera atteint en 2007 sans prendre en compte la contribution de solidarité sur les billets d'avion que vous avez votée l'an dernier, et qui rapportera 200 millions d'euros en 2007, entièrement affectés au secteur de la santé. Ainsi, ni UNITAID ni la facilité financière internationale pour la vaccination, qui viennent toutes deux d'être lancées, ne sont comptabilisées dans notre effort de 9,2 milliards d'euros en 2007. L'article 42 de la loi de Finances, qu'il vous est proposé de voter, marque le soutien français à cette initiative de vaccination, qui permettra dans un premier temps de sauver la vie de 5 millions d'enfants d'ici 2015, puis ultérieurement de sauver celle de 5 millions d'adultes.
Il existe également de nombreuses autres politiques publiques qui conduisent à des transferts en faveur des pays du Sud qui ne sont pas comptabilisées dans l'aide, même si elles ont pu augmenter. Par exemple, les 110 millions d'euros supplémentaires qui seront attribués aux Anciens combattants n'entrent pas dans nos déclarations à l'OCDE.
Enfin, pour répondre par avance à une question que l'on me pose souvent, je souligne que nous ne comptons pas non plus sur les allègements de dette pour augmenter notre aide en 2007, puisque nous prévoyons que ceux-ci passeront à 2 milliards d'euros, soit 800 millions d'euros de moins qu'en 2006.
Les engagements chiffrés que je viens de citer placent la France en tête des pays européens par le volume de son aide et en tête du G8 par la part de leur richesse nationale qui y est consacrée.
Mais, bien entendu, vous le savez, au-delà des engagements chiffrés, le gouvernement a également à coeur de rendre cette aide plus efficace.
Qu'entend-on par efficacité ? Le document de politique transversale que vous avez reçu le rappelle, il s'agit de deux objectifs fondamentaux, d'ailleurs indissociables de notre aide :
- "Mettre en oeuvre les Objectifs du Millénaire adoptés par les Nations unies", qui visent à réduire la pauvreté de moitié dans le monde d'ici 2015.
- "Promouvoir le développement à travers les idées et le savoir-faire français". C'est là un objectif d'influence de consacrer des sommes importantes à des dépenses réalisées en faveur de pays étrangers.
Je ne reviendrai pas sur la réforme de notre dispositif de coopération que je vous avais décrite l'an dernier. Je voudrais simplement souligner auprès de vous qu'elle a permis les avancées importantes en matière de pilotage stratégique et de lisibilité de notre aide qui étaient attendues.
Ainsi, j'ai signé au cours de l'année écoulée une vingtaine de Documents-cadres de partenariat, les DCP, qui constituent de véritables plans d'action conclus sur cinq ans entre la France et les pays que nous aidons. Ces documents permettent de concentrer notre aide pour la rendre plus efficace et plus lisible.
Ils permettent également de la rendre plus prévisible sur le moyen terme. Mais ceci doit se faire de manière souple. C'est pourquoi j'ai demandé à nos ambassadeurs, qui sont en charge de la négociation et du suivi de l'application de ces DCP, d'en réaliser une revue annuelle. J'ai moi-même prévu de me rendre en janvier prochain au Cambodge pour examiner l'application du premier DCP que j'avais signé il y a un an.
Ces documents stratégiques que nous signons avec nos partenaires définissent les projets sur lesquels nous travaillerons dans les cinq prochaines années. Mais ils sont également l'instrument par lequel nous appliquons notre politique.
Cette politique allie en conséquence continuité et adaptation. C'est dans cet esprit que nous l'infléchissons au cours cette année 2006. Je voudrais en souligner cinq aspects :
- Premièrement, les Objectifs du Millénaire pour le Développement restent le but premier de notre politique de développement. C'est pour les atteindre que nous avons mis l'accent lors du dernier comité interministériel pour la coopération internationale et le développement, le CICID du 19 juin 2006, sur le concept de biens publics mondiaux, en établissant trois priorités : la lutte contre les maladies transmissibles, la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. La perte de ces biens publics mondiaux touchera en effet les pays les plus pauvres encore plus durement que nous.
- Deuxièmement, le développement de ces pays est la seule solution à long terme au problème des migrations incontrôlées. C'est pourquoi le CICID de juin dernier a établi un plan d'action détaillé en ce sens. Le codéveloppement constitue de ce point de vue une piste prometteuse, mais la maîtrise des flux migratoires doit surtout s'intégrer pleinement à l'ensemble de nos politiques de développement.
- Troisièmement, l'Afrique restera notre priorité avec les deux tiers de notre aide bilatérale. A la fois parce que c'est le continent qui en a le plus besoin, étant le seul risquant de ne pas atteindre les objectifs du millénaire pour le développement, mais également parce que la grande proximité qu'il a avec nous fait que nous avons intérêt, notamment pour lutter contre les migrations, à son succès. Ce succès doit se construire sur la base du secteur privé, pour lequel le dernier CICID a annoncé une initiative d'un milliard d'euros sur trois ans. C'est également pourquoi la France a été le seul pays à organiser une grande conférence lors de l'année de la microfinance en 2005, ouverte par le président de la République. Les plus grandes personnalités du secteur y avaient participé, dont Mohammed Yunus, qui vient de recevoir le prix Nobel de la paix. Tous ces efforts commencent à porter leurs fruits. Beaucoup l'ignorent, mais le taux de croissance économique du continent africain a sensiblement progressé au cours des dernières années, et atteindra 5 à 6 % par an sur la période 2005-2007.
- Quatrièmement, le développement nécessite une amélioration de la gouvernance de ces pays. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté une stratégie en la matière au sein de l'Union européenne, que nous avons examiné celle de la Banque mondiale lors de la réunion que nous avons tenue à Singapour en septembre et que nous adopterons une stratégie française en décembre dès la prochaine conférence d'orientation stratégique et de programmation, l'instance créée par le CICID qui réunit autour du ministre chargé de la Coopération l'ensemble des ministères.
- Cinquièmement, un effort particulier doit être réalisé pour notre politique bilatérale en matière de santé. Nous avons en effet très sensiblement augmenté nos contributions multilatérales à ce secteur, qui sont passées de 50 millons d'euros sur 2000-2002 à 1,4 milliards d'euros sur 2006-2008. Il convient désormais d'adapter notre politique bilatérale à cette nouvelle donne, ainsi qu'à la croissance du phénomène migratoire. Nous observons en effet une montée du nombre de migrants pour raison de santé. Parallèlement, il nous faut nous assurer qu'il y aura assez de médecins et d'infirmières pour administrer les traitements que nous prescrivons. Là encore, nous comptons le faire à l'occasion de la conférence d'orientation stratégique que je présiderai en décembre prochain.
Mesdames et Messieurs les Députés, ces orientations en matière de moyens et d'efficacité se déclinent dans le projet de budget qui vous est soumis pour 2007.
Pris globalement, il reflète l'augmentation continue de nos moyens, qui dépassent pour la première fois les 3 milliards d'euros. L'augmentation d'environ 250 millions d'euros sur 2006 est en partie financée par des dividendes de l'Agence française de développement.
Ce budget marque aussi la continuité des efforts que nous avions engagés en faveur de nos contributions multilatérales. Nous portons à 300 millions d'euros notre contribution au fonds mondial SIDA, nous augmentons de 20 millions d'euros nos contributions aux Nations unies, de 10 millions d'euros à l'Agence universitaire de la francophonie. Nous maintenons à un niveau élevé nos apports à plusieurs institutions financières : le Fonds africain de développement, dont nous sommes le premier contributeur en 2007 avec 114 millions d'euros, le Fonds européen de développement pour lequel nous prévoyons 692 millions d'euros en 2007, soit une quarantaine de millions de plus qu'en 2006, ou le fonds pour l'environnement mondial, dont nous sommes le cinquième contributeur avec 36 millions d'euros en 2007.
Sur le plan bilatéral, nous augmentons de 84 millions d'euros nos contributions aux contrats de désendettement et développement, et de plus de 50 millions d'euros le niveau des dons pour les projets du Fonds de solidarité prioritaire et de l'Agence française de développement. Sur ces dons, je voudrais souligner que nous avons fait le choix de maintenir les autorisations d'engagements à 450 millions d'euros, le chiffre historiquement élevé qu'elles avaient atteint en 2006.
Au-delà de ces 134 millions d'euros d'augmentation de nos dons bilatéraux, nous prévoyons également d'augmenter de plus de 200 millions d'euros le volume de décaissement de prêts. Ces prêts sont de nature très différente de ceux qui avaient été réalisés dans les années 1980 et 1990, qui ont conduit aux crises de surendettement que l'on connaît. Ce ne sont pas les mêmes emprunteurs, il s'agit essentiellement de pays à revenu intermédiaire comme ceux du Maghreb, ou d'entreprises publiques affichant un plan d'affaires rigoureux. Une vigilance très forte est également exercée, y compris dans un cadre multilatéral, pour s'assurer de la soutenabilité de la dette pays par pays.
Ainsi, avec plus de 300 millions d'euros [134 + 200] d'aide projet de terrain supplémentaire en 2007, on observe là les premiers effets de la politique volontariste que je vous avais présentée l'an dernier. L'augmentation de l'aide au développement a ainsi porté dans un premier temps en majorité sur des contributions multilatérales, dont les décaissements sont plus rapides. Dans le même temps, nous avons lancé de nouveaux projets bilatéraux, qui commencent maintenant à générer des décaissements et des volumes accrus d'aide bilatérale.
A quoi comptons-nous affecter cette forte augmentation de notre aide bilatérale en 2007 ? Vous le savez, dans le cadre de la LOLF, les chefs de programmes sont responsables de la bonne gestion d'enveloppes fongibles. Ceci rend délicat l'annonce dès aujourd'hui, c'est-à-dire avant l'exercice de programmation détaillée de ces crédits, de chiffrages précis. J'estime néanmoins devoir vous faire part des deux orientations fortes que je compte donner :
- Premièrement, nous devons faire un effort accru en faveur des organisations non gouvernementales. Vous le savez, le président de la République s'est engagé à doubler la part de notre aide passant par elles entre 2004 et 2009. C'est en effet important pour la visibilité de notre pays que nous puissions encourager le renforcement du secteur associatif. Bien entendu, cette augmentation sera assortie d'une exigence forte sur la qualité des projets et leur adéquation avec la politique française. C'est pourquoi je souhaite un recours accru à la mise en place d'appels à propositions.
- Deuxième orientation forte : je souhaite que nous privilégions les actions de terrain de nos ambassades plutôt que les projets conçus depuis Paris.
Engagement constant depuis 5 ans sur l'augmentation des volumes de notre aide, adaptation permanente aux besoins de notre politique de coopération, clarté et persévérance dans les objectifs, vous le voyez, Mesdames et Messieurs les Députés, ce projet de budget est dans la continuité de ceux que vous avez votés depuis le début de la présente législature, et il marque à ce titre une ambition nouvelle pour notre coopération.
Nous tenons nos engagements en matière d'augmentation de l'aide et, je tiens à le souligner, l'appui du Parlement a été à cet égard décisif. J'y vois un signe fort de l'attachement qu'a notre pays dans son ensemble à une forte générosité à l'égard des plus pauvres. C'est d'ailleurs ce que confirmait un récent sondage, dans lequel 61 % des Français soulignaient qu'il fallait augmenter l'aide aux plus pauvres même en présence de difficultés budgétaires.
Permettez-moi de faire aujourd'hui devant vous le voeu que les orientations prises depuis cinq ans donnent lieu à l'avenir à une véritable mobilisation consensuelle. Nous nous sommes engagés avec nos partenaires européens à atteindre l'objectif de 0,7 % de notre aide d'ici 2012. Cela nécessitera d'augmenter notre aide chaque année de plus de 1 milliard d'euros supplémentaire. Ce n'est qu'avec la constance des politiques que nous parviendrons à des progrès réels pour le développement du Sud, seul garant pour la prospérité et la sécurité collective sur notre planète.Source : http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 octobre 2006