Déclaration de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur la stratégie politique à adopter en vue de la préparation à l'élection présidentielle de 2007, Paris le 7 octobre 2006.

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Circonstance : Discours au Conseil national à Paris le 7 octobre 2006

Texte intégral

Dans 7 mois, presque jour pour jour, la France aura un nouveau Président de la République. Dans 7 semaines, là encore presque jour pour jour, les socialistes auront leur candidat. Je ne confonds pas les deux échéances. Mais l'une ne va pas sans l'autre ; et ce que nous avons à faire, dans 7 semaines, c'est d'anticiper la décision des Français dans 7 mois.
Nous sommes donc devant un moment important : un choix, celui ou celle qui avec nous affrontera la droite et l'extrême droite car je ne l'oublie pas, celle ou celui qui sera le prochain Président de la République. Cela dépend de nous.
Nous sommes conscients que les caractéristiques, les qualités, les talents de celui ou celle que nous choisirons compteront. C'est pourquoi le moment est grave. Mais, en même temps, nous sommes aussi lucides : une campagne aussi décisive qu'une campagne présidentielle ne se gagne pas simplement sur le talent, la qualité, la compétence de l'une ou de l'autre. La victoire sera provoquée par une force, une cohérence, un projet, une ambition collective -la nôtre.
Nous sommes, c'est vrai, dans une situation inédite. Ce n'est pas la première fois que nous avons à faire un choix militant pour désigner notre candidat à l'élection présidentielle. Il y eut 1995, mais dans des conditions et des circonstances tout à fait particulières, après une défection, dans l'urgence et sans aucun débat. Nous sommes, nous, dans un calendrier que nous avons nous-mêmes fixé ; était-il trop long, était-il trop court ? On dira qu'il était bien situé, mais que ce fut bien long pour y arriver. Sans doute y avait-il des impatiences et, si nous avions encore repoussé le calendrier, il n'est pas sûr que celles et ceux présents ici ou ceux qui ont fait défection seraient partis plus tard.
Nous en sommes là et nous avons donc une primaire devant les militants socialistes avec trois candidats que je veux ici saluer. Trois candidats qui vont aller devant nous pour faire valoir ce qui, effectivement, peut justifier une candidature à la Présidence de la République en notre nom. Nous avons tous, ou presque tous, nos préférences qui tiennent à notre histoire ou à des cheminements singuliers ; mais ces préférences ne peuvent pas être présentées comme des divisions. On peut préférer l'une à l'autre ou l'un aux autres, sans pour autant celle ou celui que nous n'aurons pas choisi. Nous savons bien, les uns et les autres, que même la préférence ne va pas de soi et que certains auraient peut-être préféré quelqu'un qui n'est pas présent dans la compétition. Nous sommes conscients qu'il va falloir faire un choix et il devra être éclairé, à travers une procédure qui va démontrer les capacités de nos candidats à être demain choisi par nous et Président de la République, si les Français le décident.
C'est la raison pour laquelle nous avons voulu qu'il y ait des débats ; des débats qui doivent être à la fois facteur de clarté et source de respect. La clarté doit se faire sur les conceptions mêmes des institutions, de la politique, du parti, sur les priorités, sur la vision et sur les caractéristiques liées à chacune et à chacun -et c'est normal lorsqu'il s'agit de choisir une personnalité. Mais, si cela doit être clair, cela doit aussi être respectueux. Je ne le dis pas là comme un garant qui veut éviter les débordements ou les dérives ; je le dis au nom de l'intérêt collectif.
Respect d'abord du projet ; nous avons tous voulu que notre candidat soit le candidat du projet -en même temps, si aujourd'hui chacun salue le projet, j'en tire presque compliment pour celles et ceux et en premier lieu le Premier secrétaire qui l'ont proposé ; je les en remercie bien chaleureusement. En même temps, je suis conscient qu'un projet tout seul ne pourrait pas se présenter librement à l'élection présidentielle. Il fallait bien qu'il y ait, à un moment, une incarnation.
Respect des militants, de leur vote ; cela veut d'abord dire de ne pas considérer aujourd'hui que le vote est acquis. Au nom de quoi ? Au nom de sondages -que je regarde comme vous ? Je ne considère pas ces sondages comme une dictature, mais pas non plus comme une indication de notre propre décision, car chacun en son âme et conscience fera le choix qui lui paraîtra le meilleur, sans pour autant être inattentif à l'égard de l'électorat. Mais, le respect du vote c'est aussi d'être capable, une fois le vote prononcé, de se mettre tous ensemble derrière celui ou celle qui aura été choisie. C'est la condition essentielle si l'on veut gagner.
Respect des candidats, parce que toute critique sur le fond est acceptable ; toute contestation d'une position est légitime ; mais toute mise en cause d'un candidat en tant que tel n'est pas un affaiblissement de l'autre, c'est une mise en cause de la capacité du Parti à diriger le pays ; c'est donc un affaiblissement du candidat, si c'est celui qui est affaibli qui est choisi, dans la campagne pour la victoire. C'est pourquoi, comme Premier secrétaire, mais aussi comme militant, nous ne pouvons accepter qu'un argument entre nous, socialistes, puisse à un moment être utilisé par la droite pour disqualifier celui ou celle qui sera choisie par nous.
Il faudra ensuite se rassembler, car c'est la condition de la victoire. Il y aura de l'honneur à se rassembler derrière celui ou celle qui aura gagné car, convenons-en, après tant de mois, tant de débats, celui ou celle qui sortira de ce processus ne sera pas sorti-e de nulle part. Il ne sera pas sans capacité pour convaincre. Mais, pendant ces 7 semaines qui nous séparent du choix que nous avons à faire, nous ne devons pas suspendre le temps du combat politique. Nous ne sommes pas seuls, entre socialistes, réglant une question pour nous en dehors de la vie des Français. Tout ce que nous dirons dans nos débats sera forcément lié aux préoccupations, aux exigences de nos compatriotes. Nous devons, dans ce moment où élus, militants auront à débattre, mener le combat contre la droite, rassembler la gauche et convaincre les Français.
Un programme de démolition mené jusqu'à son terme
La droite, dans ces prochains mois, va hélas continuer d'agir et d'agir mal. C'est un programme de démolition qu'elle continue de mener jusqu'à son terme.
D'abord, c'est la casse du service public de l'énergie qui va sans doute léser les intérêts stratégiques du pays ; s'il y a eu un vote à l'Assemblée nationale, le destin de ce texte n'est pas encore scellé : il est au Sénat ; il y aura des recours devant le Conseil constitutionnel. Et, si nous n'obtenons pas gain de cause par la voie du Parlement, par la voie du Conseil constitutionnel, nous continuerons la bataille contre ce démantèlement du service public de l'énergie.
Ensuite, il y a la défense du contrat de travail. Un texte est encore en discussion à l'Assemblée nationale qui, à travers la participation, l'intéressement, est une nouvelle fois en train de tuer ce qui est l'idée même du contrat de travail, c'est-à-dire la contrepartie étant le salaire et non pas simplement l'intéressement, non pas simplement la récompense, non pas simplement l'arbitraire. Là encore, il faudra donner tout le sens au contrat de travail.
Puis, il y a le combat contre l'aggravation des injustices fiscales : dans le projet de budget, 5 milliards d'euros de cadeaux fiscaux au moment même où la dette publique continue à s'aggraver. On distribue à crédit des cadeaux fiscaux qu'il faudra rembourser pour les générations futures.
Combat contre la déstabilisation de la protection sociale. Jamais les déficits des régimes de retraite n'ont été aussi élevé, à un moment même où l'on a remis en cause des droits fondamentaux.
Henri Emmanuelli disait que ce que fait Nicolas Sarkozy aujourd'hui n'est pas de l'ordre de la maladresse, de l'erreur, de l'excès. C'est vrai. C'est une stratégie qui est fondée sur la provocation pour mettre les seuls sujets qui, à ses yeux, assureraient la victoire de la droite au coeur de la prochaine campagne : la sécurité, l'immigration. Et, dès lors que, aux Tarterets puis aux Mureaux, la police est convoquée aux heures des journaux télévisés, il n'y a pas de hasard, il n'y a pas de coïncidence. La presse -même si je respecte son indépendance et qu'elle devrait faire attention à la manière dont elle peut être utilisée- aujourd'hui est un argument pour le Ministre de l'Intérieur pour qu'aux journaux de 20 h ne figurent que ces images-là.
Il y aussi la volonté de célébrer à sa façon l'anniversaire triste, terrible même, des événements de Clichy sous bois et de ce qu'ils ont déclenché. Cet affrontement ne fait pas peur au Ministre de l'Intérieur, il le recherche. Il le légitime, il le provoque, il l'attend. Et, là aussi, il faudra beaucoup de courage chez les maires de banlieue qui feront face à cette exaspération, à cette tentation du conflit pour permettre que la paix civile et la tranquillité publique soient préservées. C'est pourquoi le Parti socialiste réunira tous les maires socialistes de banlieue pour, de façon unanime, nous préparer nous aussi à ce moment hélas tragique de l'anniversaire des événements de Clichy et de banlieue.
Je veux aussi évoquer l'immigration. Nous avons salué le courage et l'action du maire de Cachan, Jean-Yves Le Bouillonnec. Ces événements-là nous convainc aussi que la société française, travaillée certes par le populisme et l'extrémisme, est capable -comme elle l'a montré sur la question des enfants scolarisés en situation irrégulière- de se mobiliser et de faire reculer le Ministre de l'Intérieur. Regardons donc Cachan pour ce que c'est : une défaite de Nicolas Sarkozy et une victoire des forces de la générosité, de l'humanité et du droit.
Notre priorité sera aussi le rassemblement de la gauche
Nous pourrions considérer que ce qui se passe ici suffit pour faire gagner, que le choix d'un candidat puis la mobilisation des socialistes autour de lui engageraient la dynamique. Elle sera là, oui. Et, en même temps, nous ne pouvons pas gagner l'élection présidentielle si la gauche elle-même n'est pas convaincue que nous portons son avenir et qu'elle est capable de se rassembler autour de nous.
C'est la raison pour laquelle nous devons regarder ce qui se passe à gauche à la fois avec confiance et inquiétude. Confiance, car nous sentons au plus profond de l'électorat de gauche ce besoin d'unité, cette volonté de gagner, cette exigence de battre la droite. Et peu, à gauche, ou dans l'autre gauche -celle qui se veut plus à gauche que nous- pourrons y résister. Mais, il y a de l'inquiétude lorsque l'on voit encore cette revendication à l'identité, au particularisme de chacune de ces formations de gauche, à la volonté de ne pas s'arrimer à nous, de peur de perdre leur singularité ou leur présence devant les électeurs.
Nous devons plus que d'autres reprendre le chemin de l'union, de l'unité, du rassemblement. Il faudra le faire avec tous les sacrifices qui sont appelés de nous ; au premier tour, je continuerai avec vous et quoi qu'il en coûte, à faire en sorte qu'il n'y ait pas de candidat radical de gauche à l'élection présidentielle, pas de candidat du MDC. On peut considérer que c'est bien peu et que cela ne comptera pas ; mais est-on sûr aujourd'hui que notre présence au second tour est acquise ? Est-on sûr que l'extrême droite n'est pas au même niveau et peut-être même au-dessus de celui de 2002 ? Je ne prendrai aucun risque, au nom du Parti socialiste, contre le rassemblement de la gauche.
Restent le Parti communiste et les Verts qui veulent avoir un candidat. Respectons ce choix ; mais faisons en sorte, s'ils ne veulent pas entendre parler d'accord de gouvernement -encore que si l'on gagne ils viendront peut-être au gouvernement et je le souhaite ; il vaut donc mieux faire des accords avant plutôt qu'après. Je fais d'ailleurs observer qu'en 1981, aucun accord de gouvernement n'avait été signé avant la victoire de F ; Mitterrand ; en 1997, il n'y avait pas d'accord de gauche plurielle qui a été signé avant la victoire de L. Jospin. C'est peut-être ce qui explique les difficultés que nous avons eues après. Il n'est pas facile de reconstituer des accords non préparés à l'avance-, qu'au moins on se mette ensemble sur des convergences possibles, sur des propositions communes sur le pouvoir d'achat, l'emploi, le logement, l'écologie. Rien ne nous empêche, sur certaines questions de répondre de la même manière, même si nous avons nos différences pour présenter des candidatures différentes à l'élection présidentielle. Permettons au moins le report au second tour dans des conditions qui permettront la victoire.
Il y a l'autre gauche, l'extrême gauche, la gauche de la gauche... Qu'importe le nom ! Il y a une bataille amicale à engager avec elle. Elle est simple, mais elle doit être permanente de notre part : ils ont le droit de présenter autant de candidatures qu'il leur plaira à l'élection présidentielle ; néanmoins, nous ne leur donnerons pas de parrainage car nous ne voulons pas en être coresponsable. Ils ont le droit de se présenter, de ne pas vouloir gouverner avec nous ; mais ils n'ont pas le droit devant leurs propres électeurs de ne pas appeler à battre la droite et jusqu'au bout, il faudra les mettre devant cette responsabilité. Ils devront dire qu'ils veulent battre la droite jusqu'au bout, et s'ils ne veulent pas la battre, qu'ils l'annoncent à leurs propres électeurs.
Conclusion
Il nous faudra convaincre les Français. Pour convaincre les Français dans une élection présidentielle ou une élection nationale, les ressorts sont connus : on gagne une élection hélas sur la peur de l'autre et sur l'espoir de nous-mêmes.
Il se trouve qu'il y a des raisons d'avoir peur des autres et j'espère qu'il y a des raisons de susciter une espérance en nous.
Il y a des raisons d'avoir peur d'une victoire de la droite en 2007 après ce qui s'est produit depuis 2002.
Oui, il y a des raisons d'avoir peur quand on sait que le candidat est sans doute le Ministre de l'Intérieur d'aujourd'hui.
Oui, il y des raisons d'avoir peur quand le mot « rupture » n'est plus utilisé par rapport à Jacques Chirac, mais par rapport au modèle républicain ou au pacte social.
Oui, il y a des raisons d'avoir peur de la menace de l'extrême droite. Oui, il y a des raisons d'avoir peur de la contagion même de ses idées et de celles de la droite.
Que fait le Ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy ? C'est de faire en sorte que l'extrême droite puisse voter pour lui au premier tour ? Possible ; mais c'est surtout au second tour qu'il pense ! Faisant d'ailleurs la même erreur que beaucoup de ses prédécesseurs : en voulant chasser sur les terres de l'extrême droite pour en récolter quelques suffrages, il l'a renforce et peut, par là même, en être lui-même la victime.
Convaincre aussi de l'espoir que nous pouvons soulever à travers le projet du Parti socialiste. Il faut être sûr de nos convictions de gauche et je crois que le projet y répond. Mais le projet aborde tous les sujets de la vie quotidienne des Français, aucun n'est mis à l'écart. Nous ne devons pas avoir, là encore, quelque scrupule à ne pas parler de ce que vivent les Français : la violence, l'insécurité, la peur... Tout cela fait partie aussi de notre rapport à la société. Et, si nous écartions ces sujets-là au prétexte qu'ils ne seraient pas les nôtres, nous donnerions crédit aux autres pour en répondre.
Depuis 2002, aussi bien sur la question de l'insécurité que sur la question de l'immigration, la droite a échoué : la violence progresse, la pression migratoire est toujours aussi forte. Nous devons donc répondre aussi sur ces sujets-là, mais avec des réponses de gauche.
« Ce que nous avons à préparer c'est le premier tour de l'élection présidentielle, pas le second »
J'énonce là une loi tellement simple, mais tellement évidente qu'elle doit être à l'esprit de tous ceux et de toutes celles qui seront dans les débats : ce que nous avons à préparer c'est le premier tour de l'élection présidentielle, pas le second. Le premier tour, c'est de faire le plus de voix possible et ne pas se limiter en ne prenant que les socialistes. IL faut prendre tous ceux qui peuvent venir dès le premier tour, mais le faire sur notre projet socialiste.
Nous avons la confirmation que le Parti ne manque pas de talents ; je veux rassurer tout le monde, ils ne se limitent pas à trois. Mais, c'est bien d'être sûrs d'en avoir au moins trois. Nous savons bien que nous sommes dans une étape tout à fait essentielle pour gagner, mais c'est le Parti socialiste qui doit être la force motrice ; il y en aura un ou une qui sera nécessairement en avant, parce qu'il y en aura un ou une, si nous gagnons, qui sera Président de la République, mais une présidence différente puisque socialiste, une présidence qui assure l'autorité et capable de partager le pouvoir.
Il faut de l'ambition et jamais une ambition, même individuelle, n'est illégitime lorsqu'elle est au service d'une cause. La seule ambition que nous portons tous est notre idéal et celui-là, nous voulons le faire gagner. Et, quoi qu'il en coûte, il sera victorieux de l'étape des primaires du 16 ou du 23 novembre.
François Mitterrand est beaucoup cité dans ces moments-là, mais c'est normal : c'est tout de même le seul qui ait gagné une élection présidentielle pour le Parti socialiste.
François Mitterrand disait : « Il faut aimer la France » ; il vaut mieux lorsque l'on se présente à ses suffrages, mais cela se démontre aussi. « Il faut aimer les Français et les Françaises », sûrement ; mais il ajoutait « il faut être aimable pour être aimés ».
Chers camarades, soyez donc aimables dans les prochaines semaines et les prochains mois si vous voulez être aimés des Français.
Source http://www.parti-socialiste.fr, le 20 octobre 2006