Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur le montant et les priorités de l'aide publique au développement, à l'Assemblée nationale le 31 octobre 2006.

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Circonstance : Discussion en séance publique sur la mission "Aide publique au développement", à l'Assemblée nationale le 31 octobre 2006

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Députés,
La période 2002-2007 a coïncidé avec une très forte augmentation des efforts consentis par notre pays en matière d'aide publique au développement. Alors que celle-ci ne représentait que 0,3 % du revenu national brut en 2001, elle atteindra 0,5 % en 2007, conformément à l'engagement pris par le président de la République. Ainsi, notre aide a progressé régulièrement, passant de 4,7 milliards d'euros en 2001 à 9,2 milliards d'euros en 2007.
L'augmentation de l'aide française concerne sur 2002-2007 toutes ses composantes. Ainsi, l'aide au développement générée sur le budget du ministère des Affaires étrangères sera passée de 1,7 milliards d'euros en 2002 à 2,5 milliards d'euros en 2007. Il ne s'agit donc pas, je cite un de vos rapporteurs, M. Emmanuelli, "d'artifices budgétaires" ni "d'augmentation essentiellement due aux augmentations de prêts". Il faut voir les choses en face, l'augmentation de l'aide française est réelle depuis 2002, et c'est bien une véritable rupture de la politique française qui s'est produite à cette date, puisque, sous la législature précédente, cette aide avait fortement diminué et était passée de 0,47 % en 1996 à 0,31 % en 2001.
Il est par ailleurs exact que notre aide est portée en partie sur d'autres missions du budget de l'Etat. J'ai d'ailleurs été particulièrement vigilante à vous donner toute l'information sur ces dépenses qui sont réalisées sur le budget de l'Etat et concourent à l'aide publique au développement. Je ne reviendrai pas en détail sur chacune de ces dépenses, mais me concentrerai sur la plus importante, que l'on appelle les "écolages", c'est-à-dire l'accueil gratuit d'étudiants étrangers en France. Cette gratuité est une caractéristique de notre système universitaire. Je souhaiterais que l'on se garde de toute polémique en la matière ; car s'il est vrai que le nombre d'étudiants étrangers a fortement augmenté en France ces dernières années, c'est à la suite d'une politique constante lors des deux dernières législatures. J'y vois la preuve d'un consensus politique au sein de notre pays qu'en matière de flux migratoires, l'approche ne peut être purement sécuritaire. Cet accueil d'étudiants étrangers était aussi, vous vous en rappelez, un aspect important de la loi sur l'immigration que vous avez votée en mai dernier.
Afficher le chiffre de ces écolages, c'est également pour le gouvernement faire acte de transparence. Cette transparence est récente, puisque c'est sous la présente législature qu'elle a été introduite, à la suite d'un travail difficile de recensement. Mais c'était important, car je crois utile que vous sachiez, lorsque vous votez les crédits des universités françaises, qu'environ 8 %, soit 900 millions d'euros, serviront à former des migrants qui viennent étudier en France pour y acquérir des compétences essentielles à leur pays d'origine.
Par ailleurs, pour répondre à M. Loncle, la part des allègements de dette dans notre aide représente un montant décroissant, en réduction de 800 millions d'euros entre 2006 et 2007. Nous ne comptons donc pas sur eux pour réaliser notre objectif de 0,5 % en 2007.
Ces annulations sont d'ailleurs tout à fait bénéfiques pour le développement, qui oserait en douter ? Prenons un seul exemple, le Nigeria. Voilà un pays qui dispose d'importantes ressources pétrolières, et qui se passe volontiers de l'aide internationale. C'est justement grâce à ces allègements de dette que le gouvernement nigérian a prévu d'augmenter les dépenses de santé et d'éducation des plus pauvres de 1 milliard d'euros par an.
Je pourrai également évoquer les contrats de désendettement développement pour lesquels la France réaffecte les allégements de dette directement à des projets de développement, comme au Cameroun.
J'ai par ailleurs noté, M. Godfrain, les propositions que vous faites en matière de suivi des annulations de dette. Je partage votre conviction concernant l'importance de ce sujet, tant pour les contribuables français qui fournissent des efforts financiers importants que pour les pays débiteurs pour qui les annulations de dette représentent une aide précieuse.
Le gouvernement a d'ores et déjà engagé des efforts pour fournir au Parlement une information plus complète et plus détaillée sur ce sujet, comme votre rapport le souligne. Nous souhaitons continuer dans cette voie.
J'approuve vos deux propositions concrètes :
- la création d'un groupe de suivi permanent composé de parlementaires et qui se réunirait régulièrement.
- La création d'un forum Parlement/ONG/Pays bénéficiaires qui travaillerait sur certains thèmes précis.
Pour conclure sur le chiffrage de notre aide, je vous rappelle que l'objectif de 0,5 % sera atteint en 2007 sans prendre en compte la contribution de solidarité sur les billets d'avion que vous avez votée l'an dernier. Il en va de même de tous les transferts, y compris budgétaires, non comptabilisés dans l'aide publique au développement. Je pense en particulier aux 110 millions d'euros supplémentaires qui seront attribués aux anciens combattants.
Sur la contribution sur les billets d'avions, je voudrais souligner que sa mise en place a déclenché une dynamique internationale. L'introduction de nouveaux prélèvements ne va de soi dans aucun pays, et c'est déjà un succès qu'à peine quelques mois après l'instauration, depuis le 1er juillet, de sa version française, 45 pays se soient engagés sur cette voie. Je souhaite vivement que cette mobilisation diplomatique française sans précédent se poursuive dans la durée.
La France est ainsi en tête des pays européens par le volume de son aide et en tête du G8 par la part de leur richesse nationale qui y est consacrée. Il convient de le faire savoir et de rendre notre effort plus visible sur le terrain. C'est pourquoi, une préoccupation majeure du gouvernement est que toutes les actions financées par la France soient regroupées sous un logo unique, quel que soit le canal qu'elles empruntent. Je présenterai ce logo lors de la semaine de la solidarité internationale le 17 novembre prochain.
Mais, bien entendu, vous le savez, au-delà des engagements chiffrés, le gouvernement a également à coeur de rendre cette aide plus efficace.
Qu'entend-on par efficacité ? Le document de politique transversale que vous avez reçu le rappelle, il s'agit de deux objectifs fondamentaux :
"Mettre en oeuvre les Objectifs du Millénaire adoptés par les Nations unies", qui visent à réduire la pauvreté de moitié dans le monde d'ici 2015.
"Promouvoir le développement à travers les idées et le savoir-faire français". C'est là un objectif d'influence de consacrer des sommes importantes à des dépenses réalisées en faveur de pays étrangers.
Ces deux objectifs sont aussi ceux de la partie culturelle de l'aide au développement. Je note que certains d'entre vous s'interrogent sur l'inscription de ce type de crédits dans notre aide. C'est pourtant ce que prévoient les règles de l'OCDE, et c'est justifié sur le fond :
Premièrement, l'aide culturelle contribue au développement. La production artistique est une source de revenus directe pour les plus pauvres, mais également un moyen de renforcer l'identité des peuples et de contribuer indirectement à leur développement économique. C'est d'ailleurs pourquoi nous nous sommes engagés à développer ce type de coopération à l'occasion de la récente signature de la convention de l'UNESCO sur la diversité culturelle.
Deuxièmement, la coopération culturelle vise comme le reste de notre aide au développement un objectif d'influence, qu'il est aisé de percevoir. A cet égard, la promotion de la langue française partout dans le monde est bien, M. Myard, un objectif essentiel pour nous.
Je ne reviendrai pas sur la réforme de notre dispositif de coopération que je vous avais décrite l'an dernier. Je voudrais simplement souligner auprès de vous qu'elle a permis les avancées importantes en matière de pilotage stratégique et de lisibilité de notre aide qui étaient attendues.
Ainsi, j'ai signé au cours de l'année écoulée une vingtaine de documents cadres de partenariat, les DCP, qui constituent de véritables plans d'action conclus sur cinq ans entre la France et les pays que nous aidons. Ces documents permettent de concentrer notre aide pour la rendre plus efficace et plus lisible.
Ils permettent également de la rendre plus prévisible sur le moyen terme. Mais ceci doit se faire de manière souple. C'est pourquoi j'ai demandé à nos ambassadeurs, qui sont en charge de la négociation et du suivi de l'application de ces DCP, d'en réaliser une revue annuelle. J'ai moi-même prévu de me rendre en janvier prochain au Cambodge pour examiner l'application du premier DCP que j'avais signé il y a un an.
Cette politique allie en conséquence continuité et adaptation. C'est dans cet esprit que nous l'infléchissons au cours cette année 2006. Je voudrais en souligner cinq aspects :
- Premièrement, les Objectifs du Millénaire pour le développement restent le but premier de notre politique de développement. C'est pour les atteindre que nous avons mis l'accent lors du dernier comité interministériel pour la coopération internationale et le développement, le CICID du 19 juin 2006, sur le concept de biens publics mondiaux, en établissant trois priorités : la lutte contre les maladies transmissibles, la lutte contre le changement climatique et la préservation de la biodiversité. La perte de ces biens publics mondiaux touchera en effet les pays les plus pauvres encore plus durement que nous.
- Deuxièmement, le développement de ces pays est la seule solution à long terme au problème des migrations incontrôlées. C'est pourquoi le gouvernement en juin dernier a établi un plan d'action détaillé en ce sens. Le codéveloppement constitue effectivement, M. Guibal, une piste prometteuse. En réponse à votre demande sur le transfert d'épargne des migrants, je peux vous apporter les précisions suivantes.
Nous souhaitons tout d'abord diminuer le coût de transfert de l'épargne des migrants, notamment en favorisant la concurrence entre opérateurs et en utilisant les nouvelles technologies comme par exemple le mandat électronique. J'espère aussi être en mesure de lancer avant la fin de l'année un site Internet de comparaison des frais des transferts, qui correspond à une demande des associations de migrants et qui, grâce à la transparence accrue du marché qui en résultera, aura un impact sur les coûts.
Un autre axe d'effort consiste à orienter l'épargne des migrants vers des investissements productifs.
La création en juin de cette année d'un compte d'épargne codéveloppement au bénéfice des travailleurs étrangers résidant en France dont vous avez été, M. Godfrain, l'un des promoteurs, répond à cet objectif.
La création d'une mutuelle d'épargne et de crédit au Sénégal et au Mali permet également l'accès des migrants à des prêts se situant entre micro-crédit et prêt bancaire classique, et qui font aujourd'hui défaut.
- Troisièmement, l'Afrique restera notre priorité avec les deux tiers de notre aide bilatérale. Son développement doit se construire sur la base du secteur privé, pour lequel le dernier CICID a annoncé une initiative d'un milliard d'euros sur trois ans. Tous ces efforts commencent à porter leurs fruits, puisque le taux de croissance économique du continent africain progresse et atteindra 5 à 6 % par an sur la période 2005-2007.
- Quatrièmement, le développement nécessite une amélioration de la gouvernance de ces pays. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté une stratégie en la matière au sein de l'Union européenne, que nous avons examiné celle de la Banque mondiale lors de la réunion que nous avons tenue à Singapour en septembre et que nous adopterons une stratégie française avant la fin de l'année.
- Cinquièmement, je suis d'accord avec vous, Mme Martinez, un effort particulier doit être réalisé pour notre politique bilatérale en matière de santé. Nous avons en effet très sensiblement augmenté nos contributions multilatérales à ce secteur. Il convient désormais d'adapter notre politique bilatérale à cette nouvelle donne, ainsi qu'à la croissance du phénomène migratoire. Là encore, nous adopterons une nouvelle stratégie avant la fin de l'année, et c'est bien notre intention d'augmenter également notre aide bilatérale en la matière.
S'agissant de la fixation d'objectifs de performance en matière de santé que vous évoquez également, Mme Martinez, elle a fait l'objet d'un examen approfondi et n'a pas été écartée par principe. Elle se heurte cependant à la difficulté, voire l'impossibilité, de construire des indicateurs d'impact et de performance à l'échelle de l'action d'un seul pays donateur, compte tenu notamment de la complexité des politiques et des actions de santé et de la multiplicité des intervenants.
Enfin, Mme Martinez, je partage vos préoccupations face aux risques nouveaux de régression des droits des femmes que l'on observe de plus en plus. Je souhaite que toutes nos actions de coopération prennent désormais en compte systématiquement la question de l'égalité des sexes, ce que l'on appelle "le genre". L'expérience montre en effet que cette démarche contribue à renforcer l'efficacité de notre aide.
J'ai crée comme vous l'avez rappelé, un groupe de travail chargé de la mise en place de cette approche nouvelle qui vise à inclure la promotion de la femme et l'égalité des sexes dans les programmes de coopération et à mettre en oeuvre une évaluation effective de cette politique.
Je m'efforce également de sensibiliser les acteurs non étatiques à cette question du genre et de renforcer dans ce but l'appui aux ONG, aux collectifs et aux collectivités territoriales qui doivent pouvoir intégrer cette dimension dans leur action de coopération.
Mesdames et Messieurs les Députés, le projet de budget qui vous est soumis pour 2007 reflète l'augmentation continue des moyens de cette politique, qui dépassent pour la première fois les 3 milliards d'euros. L'augmentation de ces crédits est en partie financée par un versement de dividendes de l'Agence française de développement.
Ce projet de budget reflète également les objectifs de notre aide, notamment l'équilibre entre aide multilatérale, pour laquelle nous poursuivons les efforts engagés, et aide bilatérale, pour laquelle un effort accru est réalisé.
Nous augmenterons bien nos contributions au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme de 75 Meuros. Nous resterons premiers contributeurs au Fonds européen de développement et au Fonds africain de développement. Et nous porterons nos contributions aux Nations unies de 50 millions d'euros en 2004 à 110 millions d'euros en 2007, dont 90 millions d'euros de contributions non affectées et 20 millions d'euros de contributions affectées.
Ainsi, avec des dotations supplémentaires de 84 millions d'euros pour les contrats de désendettement et développement et de plus de 50 millions d'euros pour les dons pour les projets du Fonds de solidarité prioritaire et de l'Agence française de développement, nous augmentons cette aide bilatérale de plus de 130 millions d'euros.
Nous prévoyons également d'augmenter de plus de 200 millions d'euros le volume de décaissement de prêts, en étant bien entendu très sélectifs pour éviter les crises de surendettement que l'on a connues dans le passé.
Ainsi, avec plus de 300 millions d'euros d'aide bilatérale supplémentaire pour nos projets de terrain en 2007, on observe là les premiers effets de la politique volontariste que je vous avais présentée l'an dernier. L'augmentation de l'aide au développement a ainsi porté dans un premier temps en majorité sur des contributions multilatérales, dont les décaissements sont plus rapides. Dans le même temps, nous avons lancé de nouveaux projets bilatéraux, qui commencent maintenant à générer des décaissements et des volumes accrus d'aide.
S'agissant spécifiquement des autorisations d'engagement, je m'étonne, M. Emmanuelli, qu'un membre de la Commission des finances comme vous regrette que leur niveau ne soit pas encore supérieur à ce qu'il est. La diminution des AE que vous observez entre 2006 et 2007 est essentiellement apparente, et reflète le fait que plusieurs opérations exceptionnelles, par exemple celles que nous réalisons tous les trois ans pour reconstituer les fonds multilatéraux financiers, ont été réalisés en 2006. Si l'on écarte ces éléments exceptionnels, nous avons maintenu nos engagements au niveau, déjà élevé, atteint en 2006. Par souci de rigueur budgétaire, nous avons en revanche accru les crédits de paiement correspondant à ces AE.
Dans le cadre de cette aide bilatérale, je voudrais mettre en avant trois priorités :
- premièrement, nous prévoyons de faire un effort particulier en faveur des organisations non gouvernementales.
- Deuxièmement, nous prévoyons également de privilégier les projets mis en oeuvre par nos ambassades, comme vous le souhaitez M. Lassalle.
- Troisièmement, comme beaucoup d'entre vous l'ont demandé lors de mon audition en commission, nous prévoyons de renforcer les moyens humains. Au total, après deux décennies de décroissance, nous aurons stabilisé nos effectifs d'assistance technique à 1300 dès 2006, et nous prévoyons une augmentation de 2200 à 2500 des volontaires dès 2007.
Vous le voyez, Mesdames et Messieurs les Députés, nous tenons nos engagements en matière d'augmentation de l'aide et, je tiens à le souligner, l'appui du Parlement a été à cet égard décisif. J'y vois un signe fort de l'attachement qu'a notre pays dans son ensemble à une forte générosité à l'égard des plus pauvres. C'est d'ailleurs ce que confirmait un récent sondage, dans lequel 61 % des Français soulignaient qu'il fallait augmenter l'aide aux plus pauvres même en présence de difficultés budgétaires.
Permettez-moi de faire aujourd'hui devant vous le voeu que les orientations prises depuis cinq ans donnent lieu à l'avenir à une véritable mobilisation consensuelle. Nous nous sommes engagés avec nos partenaires européens à atteindre l'objectif de 0,7 % de notre aide d'ici 2012. Cela nécessitera d'augmenter notre aide chaque année de plus de 1 milliard d'euros supplémentaire. Je note votre souci de programmer sur le long terme cet effort, Mme Martinez, M Godfrain et M. Loncle, un souci que bien sûr, je partage. Et c'est bien pour cette raison que j'ai souhaité que les DCP deviennent un véritable outil de programmation de notre aide sur une durée de 5 ans. Car ce n'est qu'avec la constance des politiques que nous parviendrons à des progrès réels pour le développement du Sud, seul garant pour la prospérité et la sécurité collective sur notre planète.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 novembre 2006