Déclaration de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur l'aide publique internationale en faveur des pays en voie de développement dans les domaines de la santé publique, la scolarisation, la lutte contre la corruption, le développement de l'énergie, la réduction de la pauvreté, Singapour le 18 septembre 2006.

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Circonstance : La 74e Réunion du Comité ministériel conjoint des Conseils des Gouverneurs de la Banque et du Fonds sur le Transfert de ressources réelles aux pays en développement à Singapour le 18 septembre 2006

Texte intégral

Après une année 2005 marquée par des engagements ambitieux de la communauté internationale en faveur de l'augmentation de l'aide publique au développement, l'année 2006 me semble avoir tenu une grande partie de ses promesses. Ces engagements ne sont pas restés lettre morte et ont été mis en oeuvre ou sont en passe de l'être. L'initiative d'annulation de la dette multilatérale a été mise en oeuvre au Fonds monétaire international comme à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement ; elle permettra de libérer 55 milliards de dollars pour le développement. De même, le projet de contribution internationale sur les billets d'avion est devenu une réalité en France et dans plusieurs autres pays. Le gouvernement français a d'ailleurs décidé que ses recettes, estimées à 200 M euros par an, financeront la facilité internationale d'achat de médicaments UnitAid, qui sera lancée demain aux Nations Unies à New York. Parallèlement, la facilité financière internationale pour la vaccination, dont la France est le second contributeur, émettra son premier emprunt obligataire avant la fin de l'année. Enfin, des progrès considérables ont été faits sur le mécanisme de promesses d'achat de vaccins (AMC) et devraient mener au lancement d'un pilote avant la fin de l'année.
Ces résultats encourageants ne sont cependant pas encore suffisants, nous en sommes tous conscients. Le premier défi reste sans aucun doute l'augmentation de l'aide, en particulier en Afrique sub-saharienne où nous devons redoubler d'efforts pour atteindre les objectifs fixés au sommet du G8 de Gleneagles. Le rapport de la Banque mondiale sur l'initiative Fast Track l'illustre clairement en soulignant les besoins importants qu'il reste à prendre en charge sur le terrain, avec plus de 100 millions d'enfants non scolarisés à travers le monde, et les besoins de financement qu'il nous faut combler.
Mais nous devons aussi redoubler d'efforts pour assurer une efficacité maximale des flux d'aide, comme nous y invite l'ordre du jour de notre réunion. Aux côtés de la feuille de route que nous donne la Déclaration de Paris de 2005 sur l'efficacité de l'aide, la gouvernance et la lutte contre la corruption sont évidemment au coeur de cette problématique, de même que la préservation de la soutenabilité de la dette des pays pauvres. Dans ces deux domaines, nous avons besoin d'une stratégie claire et de règles fiables, pour guider l'ensemble de la communauté internationale et organiser la coordination des différents acteurs.
La corruption ou le déficit de gouvernance ne sont certes pas des enjeux spécifiques aux pays en développement, mais ils y sont sans doute plus sensibles. Non seulement parce que ces phénomènes prospèrent sur les situations de pauvreté, mais aussi parce qu'ils constituent une entrave inacceptable aux efforts de réduction de la pauvreté. Sans garanties dans ce domaine, les bailleurs hésitent en effet à apporter leur aide, craignant un détournement des flux, ou bien choisissent des modalités d'intervention lourdes et contraignantes. Ils refusent de recourir aux systèmes pays, écartent le soutien budgétaire au profit d'approches projets pas toujours adaptées, et multiplient les dispositifs de supervision et de contrôle qui accaparent des administrations nationales déjà en manque de capacités.
Si ce cercle vicieux doit être brisé comme nous y invite la nouvelle stratégie proposée par la Banque mondiale, il est avant tout nécessaire de faire en sorte que les premiers concernés partagent cette volonté et s'approprient cette stratégie. Renforcer la préparation des projets et mieux intégrer la problématique de la corruption en amont est une nécessité. De même, de nouveaux outils de supervision ou de sanction des comportements de fraude ou de corruption peuvent être développés comme le propose la Banque mondiale. Mais ces mesures auront surtout pour effet de réduire les risques propres de la Banque mondiale sans influencer réellement la qualité de l'environnement en termes de gouvernance. En outre, même s'ils sécurisent les conditions d'intervention de la banque, ils risquent aussi de perturber et de ralentir son activité, en alourdissant ses procédures internes et en entraînant davantage d'abandons de projets. Pour peser réellement sur les conditions de gouvernance et construire des Etats à la fois solides, efficaces et responsables, la Banque mondiale doit maintenir un engagement fort aux côtés de ses partenaires et définir avec eux des stratégies concertées et adaptées aux différents contextes. Ce sont les modalités d'intervention et les canaux d'acheminement de l'aide qui doivent être ajustés en fonction des risques de corruption et de la qualité de la gouvernance, et non le volume des allocations, qui aujourd'hui prend d'ailleurs largement en compte le facteur gouvernance. La tentation du retrait même partiel ne servira pas aussi efficacement la cause de la lutte contre la corruption que le renforcement des capacités administratives, l'amélioration de la gestion des finances publiques ou l'assainissement du climat des affaires.
Par ailleurs, la Banque mondiale ne peut agir seule dans ce domaine. Son mandat comporte des contraintes et son levier d'action dépend du poids financier variable qu'elle représente dans les pays partenaires. Elle doit donc mieux se coordonner avec les autres acteurs, qu'il s'agisse des banques régionales de développement ou des bailleurs bilatéraux, qui disposent parfois de davantage de marges de manoeuvre.
Enfin, il est essentiel que cette stratégie repose sur des règles claires et un processus de décision impartial, adossé à des critères et indicateurs transparents. Sans cela, les décisions de la Banque seront contestées et la cohésion de ses actionnaires pourrait être entamée. Il est donc indispensable de préserver le consensus en donnant un rôle central au conseil d'administration dans la mise en oeuvre de cette stratégie et dans la validation des décisions les plus sensibles. C'est la protection la plus efficace qui puisse être apportée à la banque en tant qu'institution, et c'est également la meilleure garantie de flexibilité et d'équité de traitement des pays.
Le travail engagé par la Banque mondiale pour renforcer son action en matière de gouvernance et de lutte contre la corruption mérite donc d'être salué et d'être poursuivi. Nous espérons que cette stratégie pourra être achevée et approuvée par les actionnaires avant la fin de l'année.
Les questions de dette dont nous devons débattre renvoient elles aussi à la problématique plus générale de l'efficacité de l'aide. Quelle serait en effet l'efficacité des annulations de dette de l'an dernier si elles ne sont pas additionnelles et intégralement compensées ? Les ressources des institutions financières internationales se trouveraient vite asséchées, et les pays « bénéficiaires » seraient alors confrontés à un retrait progressif de ces institutions, en particulier en Afrique. Il sera donc nécessaire de veiller à ce que ces annulations restent additionnelles et de faire en sorte que tous les créanciers prennent leur part des annulations de dette des pays pauvres très endettés, y compris les créanciers commerciaux. De même, quel serait l'impact de ces annulations de dette si nous ne parvenons pas à prévenir l'accumulation d'une nouvelle dette insoutenable ? Les nouvelles marges de manoeuvre que nous avons dégagées se trouveraient à défaut vite absorbées par un nouveau fardeau financier au détriment de l'investissement dans les infrastructures, l'éducation ou les systèmes de santé, nécessaires à la réalisation des objectifs du millénaire. Il nous faut donc définir des règles claires et partagées, pour s'assurer que l'ensemble des acteurs du développement agit dans un cadre commun sans pour autant limiter arbitrairement les ressources des pays en développement. La vertu des règles doit être conjuguée avec la flexibilité et la souplesse qu'exige la variété des situations nationales.
Les mesures approuvées en juillet dernier dans le cadre de l'AID sont à cet égard un premier pas très important. Elles permettront de renforcer la coordination des bailleurs en diffusant plus largement le cadre d'analyse et de viabilité de la dette. Elles devraient dissuader les pays bénéficiaires des annulations de dette de recourir à de nouveaux prêts non concessionnels dont l'accumulation pourrait rapidement conduire à un endettement insoutenable. Enfin, elles introduiront davantage de transparence dans le système en obligeant les pays emprunteurs à déclarer ex ante les emprunts qu'ils envisagent de souscrire.
Pour autant, ces mesures n'ont pas résolu tous les problèmes et le renforcement du cadre d'analyse et de viabilité de la dette sera au menu de nos réflexions communes dans les prochaines semaines et les prochains mois. Au-delà de l'amélioration des outils d'analyse ou de la prise en compte des chocs extérieurs dans les analyses de viabilité, il nous faut en effet mieux tenir compte des nouveaux risques qui pèsent sur la dette des pays pauvres, en particulier vis-à-vis des financements non concessionnels. Cette réflexion doit être menée avec tous les acteurs du développement, pour parvenir à un consensus sur la maîtrise du rythme de ré-endettement de ces pays, y compris la dette domestique et privée, sans pour autant dessiner un cadre trop rigide qui ne tiendrait pas compte de la variété des situations nationales. Nous devons construire ensemble un instrument qui pourra servir de référence à l'ensemble des bailleurs, et qui structurera les politiques de prêt.
Il nous faut également nous adapter à un contexte politique qui a changé avec l'apparition de nouveaux acteurs du développement. Il y a peu grands bénéficiaires de l'aide, de grands pays émergents ont rejoint la communauté des bailleurs. C'est là une excellente nouvelle, et nous devons en tirer les conséquences. Cependant, si ces pays sont parfois devenus des bailleurs importants, ils ont aussi besoin du soutien des institutions financières internationales pour leur développement, pour réduire les inégalités, et pour les aider à prendre en charge le financement des biens publics mondiaux tels que le changement climatique et la promotion des énergies propres. La Banque mondiale doit être soutenue, à cet égard, dans sa volonté de renforcer son action dans les pays à revenu intermédiaire. Mais il nous faut maintenant envisager les grands pays émergents à la fois comme des bailleurs et comme des récipiendaires de l'aide publique au développement, et construire avec eux une véritable relation partenariale. Cela suppose que les pays à revenu intermédiaire s'intègrent pleinement dans la communauté des bailleurs et assument leurs responsabilités vis-à-vis des pays les plus pauvres, notamment en prenant une plus grande part au financement des institutions multilatérales de développement comme l'AID. Ce nouveau partenariat doit conjuguer solidarité et réciprocité.
Les questions énergétiques et la lutte contre le changement climatique constituent un terrain privilégié pour le développement de ce nouveau partenariat avec les grands pays émergents et plus globalement les pays à revenu intermédiaire. Ces questions ont pris cette année une place importante dans les débats internationaux, et je me félicite que la Banque mondiale s'affirme aujourd'hui comme un pilier de la finance carbone et un acteur majeur des questions climatiques. Elle occupe d'ailleurs déjà cette place, notamment depuis l'engagement qu'elle a pris en 2004 d'accroître de 20% par an ses financements dans les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique jusqu'en 2009. Mais il est important qu'elle capitalise cette expérience et qu'elle entraîne davantage les autres banques de développement dans son sillage, en partenariat avec le Fonds pour l'environnement mondial.
La nouvelle version du cadre d'investissement en énergie, remaniée pour tenir compte des discussions du comité du développement d'avril et du G8 à Saint-Pétersbourg, répond à nombre des défis énergétiques et climatiques que nous avons à relever pour asseoir le développement durable des pays en développement. Comme la Banque, nous devons réaliser que le changement climatique n'est pas seulement une question énergétique mais bien une question de développement. C'est pourquoi le pilier accès à l'énergie a toute sa place dans la stratégie proposée, en particulier pour mieux tenir compte des enjeux spécifiques à l'Afrique.
Enfin, je voudrais conclure en soulignant que même plus stable et plus efficace, l'aide publique au développement ne pourra suffire à la réduction de la pauvreté. Nous devons donner aux pays à faible revenu les moyens d'alimenter eux-mêmes leur processus de développement, en favorisant leur insertion dans les échanges internationaux. De ce point de vue, la Conférence ministérielle de l'OMC à Hong Kong a débouché sur des résultats significatifs, dont les pays les moins avancés risquent de perdre le bénéfice si la suspension actuelle des négociations devait se prolonger. La France a d'ailleurs déjà fait part de son ouverture sur ce sujet et nous souhaitons vivement que nos partenaires rejoignent l'Union européenne qui a mis en oeuvre de l'initiative « Tous sauf les Armes ».
L'aide au commerce, dans ce contexte, revêt une grande importance. Elle est une condition essentielle pour que la dynamique du commerce international se matérialise réellement par l'essor et la diversification du commerce extérieur des pays concernés. Il nous faut dès aujourd'hui aider au renforcement des capacités commerciales, en évaluant plus précisément les coûts d'ajustement auxquels les économies en développement devront faire face, et en développant les politiques d'accompagnement nécessaires. Les institutions financières internationales ont évidemment un rôle essentiel à jouer dans ce domaine. Par ailleurs, l'aide au commerce a toujours été en dehors de l'« engagement unique » de Doha et il n'y a aucune raison pour que la suspension des négociations efface les engagements financiers annoncés l'an dernier. Le groupe de travail de l'OMC a d'ailleurs rendu des recommandations opérationnelles sur le renforcement du cadre intégré d'assistance aux PMA, qu'il nous appartient de mettre en oeuvre rapidement. Le rapport présenté par la Banque mondiale va dans ce sens et mérite d'être soutenu. Il suggère également de renforcer la coopération régionale sur des projets liés au commerce, ce qui suppose de financer davantage de projets régionaux, notamment au niveau des banques régionales de développement. Enfin, il est indispensable de conjuguer cet effort avec un soutien renforcé au développement du secteur privé.
Source http://www.imf.org, le 30 octobre 2006