Texte intégral
Cette fois, François Bayrou y croit. Le président de l'UDF est crédité par les sondages d'un score supérieur à 10% à la prochaine présidentielle. Celui qui pourrait en être l'invité surprise publie un nouveau livre, « Au nom du tiers état » (éditions Hachette littérature). Pour Le Télégramme, il explique ses raisons d'espérer et sa stratégie pour empêcher le duel annoncé entre Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy.
Votre livre est intitulé « Au nom du tiers état ». Qu'est-ce qui vous autorise ainsi à parler en son nom ?
Tout élu du peuple devrait parler au nom du tiers état. Nous sommes même élus pour représenter ce peuple sans relations. Mais, avec le temps, on a laissé se reformer un pouvoir verrouillé. Ce n'est plus, comme jadis, celui de la noblesse et du haut clergé mais le monde clos des pouvoirs politiques, économiques et médiatiques. Aujourd'hui, de plus en plus de Français ressentent cette exclusion. Et ce ne sont plus seulement les Français qui ont été tenus depuis longtemps à l'écart des centres du pouvoir : les paysans, les ouvriers, les employés modestes, les chômeurs ou les petits retraités. Ce sont aussi désormais les médecins, les chefs d'entreprises petites ou moyennes, les professions libérales. Ceux-là alimentaient naguère la société politique, par notables interposés.
Cette analyse que vous formulez sur l'évolution de la société française explique-t-elle le changement de regard que l'opinion semble porter sur vous depuis quelque temps ?
Pour les Français, le duel entre les deux partis dominants, PS et UMP, est une impasse. Les citoyens ont compris que je n'étais pas inféodé à ces partis, et pas davantage à des intérêts économiques, médiatiques ou autres. Lorsque j'ai pensé que des actes graves étaient commis dans le cadre de l'Etat, j'ai voté la censure. Lorsque j'ai eu le sentiment que les médias manquaient d'objectivité, je l'ai dit, y compris sur de puissantes chaînes de télévision. Tout cela, ces risques pris au service d'une certaine idée de la République, c'est pour les Français une garantie.
Pensez-vous être en mesure de figurer au second tour ou ambitionnez-vous simplement d'en être l'arbitre ?
Le but de mon action est d'être au second tour de la prochaine élection présidentielle pour changer la donne et faire une majorité nouvelle. En 2002, les Français ont choisi Le Pen pour faire entendre ce message de changement. Ils savent aujourd'hui que voter Le Pen aboutissait à renforcer le pouvoir en place. A partir de ce résultat de 82 % des voix, Jacques Chirac a eu les mains libres pour constituer un gouvernement de son clan, celui des 19 % qu'il avait obtenus au premier tour. Dès lors, rien ne pouvait changer. Les Français veulent échapper au choix préfabriqué qu'on veut leur imposer.
Qui préféreriez-vous affronter au second tour ? Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal ?
Je crois que le débat serait plus net si j'étais opposé à Nicolas Sarkozy. Nous aurions alors vraiment une confrontation entre deux modèles de société. Et cela au moins sur trois points : il donne une grande place à la réussite matérielle dans l'échelle des valeurs sociales, d'où la place qu'il accorde auprès de lui aux vedettes de la Bourse ou du show-biz. Pour moi, les vraies réussites n'ont rien à voir avec la célébrité ou la richesse. Ensuite, il aime à faire monter la tension entre différentes catégories de Français et, pour cela, il désigne des catégories à l'accusation publique : les juges, par exemple, ou les assistés. Nous sommes une société déjà très violente. Il est imprudent de rajouter de l'agressivité à l'agressivité. Enfin, troisième point de désaccord, le président de l'UMP affiche pour George Bush et pour l'actuel modèle américain une fascination que je ne partage pas et risque de changer l'équilibre de la politique étrangère de notre pays.
Vous sentez-vous plus proche de Ségolène Royal ?
Non, pas vraiment. Je suis profondément choqué par ses dernières déclarations. J'avais déjà été troublé quand elle avait annoncé que les entreprises de sa région qui appliqueraient la loi instaurant le contrat nouvelles embauches (CNE) seraient privées de subventions. J'avais alors trouvé incroyable que l'on puisse dire une chose pareille dans le cadre de l'Etat républicain, et mettre ainsi en cause l'autorité de la loi. Cette fois-ci, elle va encore plus loin. Son idée, naturellement impraticable mais absolument inquiétante, de constituer des jurys républicains tirés au sort pour surveiller les élus généralise la défiance là où devrait régner la confiance.
Vous n'avez pas souhaité participer au documentaire de Patrick Rotman sur Jacques Chirac. Après douze ans de présidence, quel jugement portez-vous sur son bilan ?
Jacques Chirac est un personnage extrêmement complexe. C'est quelqu'un qui a des intuitions justes. Il a eu ainsi l'intuition de la fracture sociale, qu'il a malheureusement abandonnée. Ce qu'il a fait au moment de la guerre d'Irak est important pour beaucoup de Français. Il a, en outre, résisté à la pensée unique. Mais tout ceci a été gâché par une manière de changer de cap à tout instant, et aussi par sa réticence à dire des choses profondes, à parler vraiment. C'est sans doute pourquoi il n'a pas voulu, ou su, donner à la France les impulsions qu'un président de la République a la charge de proposer. Jacques Chirac a par ailleurs colonisé l'appareil d'Etat au profit de ses proches. Or, pour moi, la préservation de l'Etat impartial (pour reprendre la formule de Raymond Barre) demeure la pierre angulaire de la République.
Quelles seront, selon vous, les questions clés de la campagne ?
J'en vois au moins deux : comment combler le gouffre entre le peuple et les pouvoirs ? Et quel avenir pour notre modèle de société, républicain et social autant que libéral, quand il est confronté à la mondialisation ?Source http://www.udf.org, le 6 novembre 2006
Votre livre est intitulé « Au nom du tiers état ». Qu'est-ce qui vous autorise ainsi à parler en son nom ?
Tout élu du peuple devrait parler au nom du tiers état. Nous sommes même élus pour représenter ce peuple sans relations. Mais, avec le temps, on a laissé se reformer un pouvoir verrouillé. Ce n'est plus, comme jadis, celui de la noblesse et du haut clergé mais le monde clos des pouvoirs politiques, économiques et médiatiques. Aujourd'hui, de plus en plus de Français ressentent cette exclusion. Et ce ne sont plus seulement les Français qui ont été tenus depuis longtemps à l'écart des centres du pouvoir : les paysans, les ouvriers, les employés modestes, les chômeurs ou les petits retraités. Ce sont aussi désormais les médecins, les chefs d'entreprises petites ou moyennes, les professions libérales. Ceux-là alimentaient naguère la société politique, par notables interposés.
Cette analyse que vous formulez sur l'évolution de la société française explique-t-elle le changement de regard que l'opinion semble porter sur vous depuis quelque temps ?
Pour les Français, le duel entre les deux partis dominants, PS et UMP, est une impasse. Les citoyens ont compris que je n'étais pas inféodé à ces partis, et pas davantage à des intérêts économiques, médiatiques ou autres. Lorsque j'ai pensé que des actes graves étaient commis dans le cadre de l'Etat, j'ai voté la censure. Lorsque j'ai eu le sentiment que les médias manquaient d'objectivité, je l'ai dit, y compris sur de puissantes chaînes de télévision. Tout cela, ces risques pris au service d'une certaine idée de la République, c'est pour les Français une garantie.
Pensez-vous être en mesure de figurer au second tour ou ambitionnez-vous simplement d'en être l'arbitre ?
Le but de mon action est d'être au second tour de la prochaine élection présidentielle pour changer la donne et faire une majorité nouvelle. En 2002, les Français ont choisi Le Pen pour faire entendre ce message de changement. Ils savent aujourd'hui que voter Le Pen aboutissait à renforcer le pouvoir en place. A partir de ce résultat de 82 % des voix, Jacques Chirac a eu les mains libres pour constituer un gouvernement de son clan, celui des 19 % qu'il avait obtenus au premier tour. Dès lors, rien ne pouvait changer. Les Français veulent échapper au choix préfabriqué qu'on veut leur imposer.
Qui préféreriez-vous affronter au second tour ? Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal ?
Je crois que le débat serait plus net si j'étais opposé à Nicolas Sarkozy. Nous aurions alors vraiment une confrontation entre deux modèles de société. Et cela au moins sur trois points : il donne une grande place à la réussite matérielle dans l'échelle des valeurs sociales, d'où la place qu'il accorde auprès de lui aux vedettes de la Bourse ou du show-biz. Pour moi, les vraies réussites n'ont rien à voir avec la célébrité ou la richesse. Ensuite, il aime à faire monter la tension entre différentes catégories de Français et, pour cela, il désigne des catégories à l'accusation publique : les juges, par exemple, ou les assistés. Nous sommes une société déjà très violente. Il est imprudent de rajouter de l'agressivité à l'agressivité. Enfin, troisième point de désaccord, le président de l'UMP affiche pour George Bush et pour l'actuel modèle américain une fascination que je ne partage pas et risque de changer l'équilibre de la politique étrangère de notre pays.
Vous sentez-vous plus proche de Ségolène Royal ?
Non, pas vraiment. Je suis profondément choqué par ses dernières déclarations. J'avais déjà été troublé quand elle avait annoncé que les entreprises de sa région qui appliqueraient la loi instaurant le contrat nouvelles embauches (CNE) seraient privées de subventions. J'avais alors trouvé incroyable que l'on puisse dire une chose pareille dans le cadre de l'Etat républicain, et mettre ainsi en cause l'autorité de la loi. Cette fois-ci, elle va encore plus loin. Son idée, naturellement impraticable mais absolument inquiétante, de constituer des jurys républicains tirés au sort pour surveiller les élus généralise la défiance là où devrait régner la confiance.
Vous n'avez pas souhaité participer au documentaire de Patrick Rotman sur Jacques Chirac. Après douze ans de présidence, quel jugement portez-vous sur son bilan ?
Jacques Chirac est un personnage extrêmement complexe. C'est quelqu'un qui a des intuitions justes. Il a eu ainsi l'intuition de la fracture sociale, qu'il a malheureusement abandonnée. Ce qu'il a fait au moment de la guerre d'Irak est important pour beaucoup de Français. Il a, en outre, résisté à la pensée unique. Mais tout ceci a été gâché par une manière de changer de cap à tout instant, et aussi par sa réticence à dire des choses profondes, à parler vraiment. C'est sans doute pourquoi il n'a pas voulu, ou su, donner à la France les impulsions qu'un président de la République a la charge de proposer. Jacques Chirac a par ailleurs colonisé l'appareil d'Etat au profit de ses proches. Or, pour moi, la préservation de l'Etat impartial (pour reprendre la formule de Raymond Barre) demeure la pierre angulaire de la République.
Quelles seront, selon vous, les questions clés de la campagne ?
J'en vois au moins deux : comment combler le gouffre entre le peuple et les pouvoirs ? Et quel avenir pour notre modèle de société, républicain et social autant que libéral, quand il est confronté à la mondialisation ?Source http://www.udf.org, le 6 novembre 2006