Entretien de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, avec RFI le 15 novembre 2006, sur la situation au Darfour soudanais et en Côte d'Ivoire, ainsi que sur l'aide au développement et les jeunes français.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Q - On parlera dans un instant d'un sujet qui vous tient à coeur, le Salon de la solidarité internationale que vous organisez après-demain et samedi. Mais, d'abord, je voudrais qu'on évoque la situation au Darfour dans l'est du Soudan d'où rentre tout juste Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères. L'inquiétude aujourd'hui grandit sur le risque de la régionalisation du conflit. Le président de la commission de l'Union africaine, Alfa Oumar Konaré affirmait hier, dans la colonne de nos confrères de La Croix, que, je le cite : "Ce qui se passe aujourd'hui au Tchad et en Centrafrique est la conséquence du Darfour". Comment la France, Madame Girardin peut-elle contribuer à éviter cet embrasement régional ?
R - Vous savez que nous sommes très présents dans cette région, notamment au Tchad et nous sommes effectivement très préoccupés par les risques de déstabilisation régionale de cette crise du Darfour. J'ai vu le président Konaré il y a quelques jours à Addis-Abeba et, effectivement, nous sommes tous mobilisés pour éviter cette déstabilisation régionale. Nous avons suggéré de pouvoir avoir, aux frontières du Tchad et de la Centrafrique, un déploiement de casques bleus pour essayer de contenir cette crise du Darfour qui a, à l'évidence, des conséquences régionales...
Q - Quand vous dites "aux frontières", côté tchadien et côté centrafricain ?
R - Le président Bozizé en avait déjà fait la demande il y a plusieurs semaines et nous sommes très inquiets parce que ces risques de déstabilisation régionale sont réels et je dirais que, même vis-à-vis de la République démocratique du Congo qui, vous le savez, est en train d'achever un processus électoral très important, là aussi il pourrait y avoir des risques d'extension de ce conflit.
Donc, nous surveillons la situation vraiment en permanence et nous essayons de faire en sorte que le dialogue l'emporte dans cette région et que des solutions évidemment violentes ne soient pas mises en place.
Q - Le ministre français des Affaires étrangères a discuté avec les autorités du Soudan du déploiement d'une force internationale. Est-ce qu'on peut accepter longtemps que le pouvoir soudanais s'y oppose, dans la mesure où c'est un drame épouvantable qui se déroule là-bas : 200.000 morts, deux millions et demi de déplacés depuis 2003, est-ce que, à un moment, il ne faut pas envisager d'imposer cette force internationale ?
R - Vous savez, je crois qu'il faut toujours essayer d'arriver à convaincre et que les discussions actuelles aboutissent à des compromis. Je crois qu'on finira par arriver à une solution de compromis, c'est vrai que l'Union africaine a de plus en plus de difficultés à rester au Darfour, rencontre des problèmes à la fois humains et financiers et qu'il faut d'une façon ou d'une autre soutenir davantage...
Q - ...Et cette force est considérée comme sous équipée, aussi également...
R - Absolument. Donc, il faut trouver une solution de compromis pour que l'ONU puisse intervenir dans le respect de la souveraineté soudanaise et c'est tout l'enjeu des discussions actuelles. Et la France joue un rôle effectivement important pour essayer de rapprocher les points de vue et trouver une solution en liaison avec l'Union africaine.
Q - Oui, alors la France et la Centrafrique sont aujourd'hui confrontées, le Tchad et la Centrafrique sont aujourd'hui confrontés à des mouvements de rébellion qui pourraient menacer les régimes des présidents Deby et Bozizé. Jusqu'où la France ira-t-elle pour les soutenir ? Est-ce que ce soutien peut aller jusqu'à prendre une forme militaire active ?
R - Notre position est très claire sur le soutien que nous apportons à ces pays dans le cadre des accords en matière de défense qui ont été conclus avec eux. C'est-à-dire un soutien logistique et en matière de renseignements, et il n'est pas question d'aller au-delà de ce que prévoit l'accord de défense avec ces deux pays.
Q - Brigitte Girardin, vous serez de nouveau en Côte d'Ivoire, vous y allez très souvent, vous y serez dans quelques jours pour de nouvelles discussions du groupe de travail avec le Groupe de travail international, est-ce que vous pensez que la situation va enfin pouvoir s'apaiser avec la résolution 1721 qui a été votée à la fin du mois d'octobre ?
R - Je vais effectivement aller en Côte d'Ivoire pour la douzième fois en moins d'un an, le 29 novembre prochain, je crois que nous sommes à un tournant en Côte d'Ivoire et c'est sans doute la dernière chance de sortir de cette crise. Cette résolution des Nations unies, qui a été adoptée au mois d'octobre, est une bonne résolution qui permet, je crois, si tous les partenaires ivoiriens en ont la volonté politique et répondent aux voeux de la population qui est fatiguée de cette crise, je crois que nous avons une chance à saisir, et qui est sans doute la dernière, pour sortir ce pays d'une crise qui dure depuis plus de quatre ans, et faire en sorte que se soit une solution politique qui prime et non pas une solution violente.
Q - Est-ce que vous pensez que tous les partenaires politiques en ont la volonté ?
R - Ce n'est pas évident à ce stade, mais je crois que la communauté internationale est unie sur une position de fermeté et que cette résolution doit être mise en oeuvre et nous ferons tout pour que le Premier ministre puisse exercer la mission qui lui a été confiée, c'est-à-dire mener le pays à des élections qui soient démocratiques et que les Ivoiriens puissent choisir démocratiquement, dans la liberté et dans la transparence, celui qui doit pouvoir diriger ce pays.
Q - Alors, vous organisez, je le disais, vendredi et samedi à Paris, dans les jardins de votre ministère, un Salon de la solidarité internationale. Quel est l'objectif de cette manifestation ? C'est de donner des pistes aux jeunes en particulier qui veulent s'engager dans l'humanitaire ?
R - Oui, c'est vrai que ce salon est ciblé sur la jeunesse mais, vous savez, j'ai voulu organiser ce salon dans le cadre de la Semaine de la solidarité internationale qui est un événement qui a été créé il y a neuf ans par les ONG, parce que je crois que c'est un sujet qui intéresse les Français. Regardez toutes les enquêtes d'opinion qui ont été organisées depuis un an : la troisième préoccupation des Français c'est la lutte contra la misère et la faim dans le monde ; 83 % des Français considèrent que la France joue un rôle important dans l'aide au développement ; et le dernier sondage, qui est sorti il y a quelques semaines, montre que 87 % des Français voudraient que ce thème soit un thème important dans le cadre de la future campagne pour l'élection présidentielle.
Q - Il y a du travail pour ça !
R - Il y a du travail. Merci de m'inviter pour en parler, parce que je crois que ce sujet n'est pas suffisamment évoqué et ce salon a pour but justement de sensibiliser davantage encore l'opinion publique française à ce thème du développement et surtout centré sur la jeunesse. Pourquoi ? Parce que, quand nous aidons les pays du Sud, il ne faut pas oublier qu'en Afrique plus de la moitié de la population a moins de 25 ans.
Donc, toute notre aide au développement, c'est avant tout pour donner des perspectives à cette jeunesse très nombreuse et qui est en attente de solutions. Si nous ne faisons rien, nous verrons de plus en plus les images que nous avons vues de Ceuta et Melilla, des Canaries et donc il faut absolument développer ces pays du Sud et donner des perspectives à cette jeunesse.
Deuxièmement, la jeunesse française a un engouement extraordinaire pour la solidarité internationale, c'était 30.000 jeunes en 2006, ce sera sans doute 50.000 jeunes Français qui ont envie de s'investir dans des actions de volontariat, qui veulent s'engager et cette jeunesse française est une jeunesse qui est solidaire, qui est généreuse. Moi, je reçois en permanence des lettres qui me demandent d'aider à concrétiser des actions en faveur des pays du Sud. Donc, je crois que ce salon donnera toute l'information à cette jeunesse française qui a envie de s'engager.
Et puis, troisième raison de ce thème de la jeunesse, j'ai souhaité que puissent se rencontrer tous les jeunes Français, y compris ceux qui sont issus de l'immigration. Vous savez que nous avons des jeunes issus de l'immigration qui ne connaissent pas, pour la plupart, le pays d'origine de leurs parents et qui ont envie de s'investir dans le développement de ce pays qui est le pays de leurs parents. Et je crois que cette jeunesse issue de l'immigration, il faut aussi l'aider à mener des actions pour retrouver ses racines, son identité. Et c'est aussi ce thème qui sera débattu au cours de ce salon, le thème du co-développement pour créer ces liens entre cette jeunesse française qui est diverse.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2006