Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, sur "Europe 1" le 17 novembre 2006, sur la victoire de Ségolène Royal à la primaire du parti socialiste en vue de l'élection présidentielle de 2007 et le rôle du PS comme rassembleur de la gauche.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Depuis le début, J.-M. Ayrault, vous êtes aux côtés de S. Royal. Elle a terminé sa campagne d'ailleurs chez vous à Nantes. Comment vous prenez cette victoire, ce plébiscite, comme dit H. Fontanaud ?
R- Je le prends comme une promesse, une espérance. Ce vote est si net, que les militants du Parti socialiste ont voulu créer un deuxième évènement politique. Le premier c'est la primaire, une première en France qui a été magnifiquement réussie, qui est à l'honneur du Parti socialiste. Et puis ce deuxième événement politique, suivi par des millions de français, à la télé, partout dans nos villes ou nos villages. Le vote des militants est un résultat net parce que ce vote il est déjà tourné vers les français, vers la nouvelle bataille, la principale bataille, c'est celle de l'élection présidentielle.
Q- A votre tour, J.-M. Ayrault, comment vous interprétez l'ampleur de la victoire de S. Royal ?
R- Tout le monde sait que la bataille contre la droite, contre N. Sarkozy, va être difficile, va être rude, elle sera sans complaisances et sans cadeau. Et puis les problèmes de la société française sont quand même difficiles et complexes, et pour ça il faut beaucoup de force et d'énergie. Et donner de la force et de l'énergie à notre candidate, à S. Royal, dès le premier tour du vote des militants, c'est ça le sens de la démarche ; c'est que les militants socialistes ont parfaitement compris qu'ils ne voulaient plus revivre le 21 avril, et qu'ils voulaient mettre de leur côté le maximum d'atouts, et en donnant de la force à la candidate, je pense qu'ils y contribuent.
Q- Les nouveaux militants ont tout balayé.
R- Ecoutez, ça bouscule les lignes, il faut bien le reconnaître, puisque, comme je le dis souvent, Madame S. Royal décoiffe, parfois elle bouscule, elle dérange, mais il y a une fraîcheur. C'est la politique par le réel, si vous voulez, ce n'est pas la politique par l'incantation, l'affirmation péremptoire, avec des grands principes, des grandes proclamations. C'est : je vais voir les gens, j'écoute et je vois les souffrances, je vois aussi les injustices, mais je vois aussi les potentialités, les énergies qui existent dans la société, et tout ça c'est comment remettre la France en mouvements et remettre la France vers le haut. C'est tout le défi qui nous attend.
Q- A quel moment, J.-M. Ayrault, vous avez eu, vous, l'intuition de la victoire et de cette vague en sa faveur ?
R- D'abord j'ai eu l'intuition que S. Royal était la candidate qui pouvait nous faire gagner, même si je la connais depuis pas mal d'années, quand elle était ministre de l'enseignement scolaire notamment, j'ai travaillé avec elle, notamment dans le cadre des contrats éducatifs locaux à Nantes. Mais dans la dernière période, on va dire au printemps,j'entendais mes électeurs, ceux que je côtoie, ceux qui ne parlent pas si souvent de politique que ça, qui me disaient, " c'est bien ce qu'elle dit S. Royal ", des gens qui ne parlaient pas de politique, qui en étaient éloignés, qui recommençaient à s'y intéresser, et plus ça montait, sur les questions éducatives en particulier, les questions de sécurité, liées aussi à la responsabilité familiale, comment aider les familles en difficultés, là je voyais les catégories populaires qui bougeaient...
Q- On a vu que ça a porté. Donc, depuis quand vous avez senti ça ?
R- J'ai senti ça depuis le mois de mai, et puis ça n'a pas cessé de monter. Après il y a eu les trois débats télévisés qui ont été remarquables, suivis par beaucoup de Français. Et puis là les gens, partout, ont recommencé à parler de politique. Vous savez, la France est un vieux pays politique, elle ne demande que ça.
Q- Les Français s'intéressent à la politique, contrairement à ce qu'on raconte.
R- Ah oui, moi j'en suis convaincu. Maintenant il faut qu'on soit digne de l'intérêt des Français, c'est-à-dire que quand ça n'intéresse pas, quand c'est la langue de bois, quand c'est coupé de leurs réalités ou qu'on leur raconte des salades, eh bien ils n'écoutent plus, ils ne votent plus ou alors il y a ce vote du 21 avril.
Q- Comment allez-vous rassembler ceux qui se sont affrontés pendant six semaines ? Est-ce qu'ils ont d'ailleurs un autre choix que de prendre la main qui va leur être tendue ?
R- Mais non, il faut qu'ils prennent cette main qui est tendue, parce que nous avons besoin de tout le monde, nous avons besoin de tous les talents, mais en même temps, comme je l'ai dit ces derniers jours, la netteté du vote, l'ampleur du vote, ne peut que rendre ce rassemblement facile, et personne n'ira contester le choix des militants... Les ordres venus d'en haut n'ont pas...
Q- Oui, mais par exemple, est-ce qu'elle verra, en tête-à-tête, ses concurrents d'hier ?
R- Elle est prête à le faire, elle est prête à saluer et à discuter avec tout le monde. Simplement il y a une chose qu'elle ne fera pas, c'est qu'elle ne va pas rentrer dans des dosages politiques à l'ancienne.
Q- C'est-à-dire pour les convaincre, les séduire, mais pas pour négocier, c'est ce que vous dites.
R- Ecoutez, on a à prendre en compte ce qu'il y a de meilleur de ce qui a été dit chez les uns et les autres, ça c'est sûr, ça ne peut être qu'un enrichissement pour la campagne qui viendra. Mais on n'est pas entrain de constituer des équipes en faisant des dosages et des calculs, ça serait contraire à l'éthique qu'elle s'est fixée et ce serait contraire à la manière dont les Français veulent voir la politique désormais.
Q- D. Strauss-Kahn et certains de ses proches ou L. Fabius et certains de ses proches, peuvent-ils, s'ils le veulent, participer à la campagne, dans l'équipe ?
R- Oui, je le crois, d'autant plus que, vous savez, il y aura une grande différence par rapport à 2002. En 2002, il y avait presque deux instances qui dirigeaient la campagne : il y avait "l'atelier" et puis il y avait le Parti socialiste, et souvent il y avait presque une compétition entre les deux. Ça ne marchait pas, c'était le côté usine à gaz, que j'ai dénoncée. Et puis cela ne nous a pas aidés pour mobiliser et gagner, et on a vu le résultat. Cette fois-ci, c'est autour de la direction du Parti socialiste, où tout le monde est représenté, que se fera l'animation politique de la campagne. Evidemment, S. Royal aura sa propre équipe mais cela se fera vraiment en symbiose.
Q- Je voudrais vous poser quelques questions rapides, avec des réponses rapides. L. Fabius voulait la preuve par la gauche, est-ce que son échec signifie que le Parti socialiste choisit une voie médiane entre le socialisme et la social-démocratie ?
R- Cela me paraît très compliqué tout ça. Ce que veut S. Royal et que nous voulons avec elle, c'est la gauche par la preuve et pas la gauche par la proclamation.
Q- Qu'est-ce que ça veut dire "par la preuve" ?
R- Cela veut dire par la preuve...
Q- Il y a un projet du Parti socialiste, est-ce que vous allez l'adapter, le compléter, sur la base de ce qui a été dit et entendu ?
R- Mais on l'enrichit et on l'adapte en fonction de ce qu'on entend, en écoutant les gens. Je vais prendre un exemple qui montre que le projet socialiste ne règle pas tout. On a ouvert le débat sur l'échec scolaire, la ghettoïsation de certains établissements, la carte scolaire, et moi j'ai regardé ce qu'il y avait dans le projet socialiste, il y a une phrase, qui est : la carte scolaire contribuera à la mixité sociale. Franchement, tout le monde est d'accord avec ça, simplement - c'est ce que j'appelle la politique par la preuve -, qu'est-ce que l'on fait pour aboutir à l'objectif ?
Q- Le siège de la campagne de votre candidate, est-ce qu'il sera le siège du PS ?
R- Je pense qu'elle l'a dit elle-même déjà, il y a plusieurs semaines, elle a dit que ce serait le siège du Parti socialiste.
Q- Est-ce que vous souhaitez que son état-major de campagne soit différent de la direction du Parti socialiste ?
R- Ah oui, elle aura une petite équipe autour d'elle, et puis elle va continuer à animer des réseaux avec ceux du Parti socialiste qui se sont installés partout dans le pays. Mais la direction du Parti socialiste, et F. Hollande, jouera un rôle-clé, rôle qu'il aurait d'ailleurs dû jouer en 2002, et qu'il a bien l'intention de jouer, à juste titre.
Q- Est-ce que, justement, c'est lui qui conduira, avec elle, la bataille ?
R- Il animera la bataille avec le Parti socialiste. Après, il y aura des responsabilités qui seront réparties - on n'est pas encore rendu dans ce détail. Mais il n'y aura pas du tout de clivage entre l'équipe de la candidate et l'équipe de direction du Parti socialiste.
Q- Est-ce qu'il y aura des offres à J.-P. Chevènement, aux Verts, dont la candidate est nettement dépassée par N. Hulot ? Comment vous allez faire à l'égard du parti communiste de M.-G. Buffet, s'il y a la volonté d'aller vers la gauche et de faire ce mouvement dans les six mois qui viennent ?
R- On ne peut pas gagner si toute la gauche ne s'inscrit pas dans une dynamique de rassemblement. Cela a été le cas en 1981 ; il faut retrouver cela. Cela passe par, évidemment, des gestes, des attitudes. Et je pense que S. Royal sait les faire. Par exemple, à l'égard de J.-P. Chevènement, elle a su adresser les mots qui convenaient. Maintenant, il appartient au Parti socialiste de négocier avec toutes ces formations politiques. On a réussi, et F. Hollande l'a très bien fait, avec les Radicaux de gauche. On peut le faire avec le MRC, et j'espère avec les Verts, et avec les communistes. Mais faut-il encore que chacune de ces formations - c'est vrai pour les Verts qui vont avoir leur congrès, c'est vrai pour les communistes qui n'ont pas encore vraiment décidé de leur ligne -, prennent leurs responsabilités. Mais je suis sûr que eux sentent bien qu'il se passe quelque chose dans le pays, qu'ils ne peuvent pas y être indifférents.
Q- Je vous pose une dernière question - la même d'ailleurs qu'à J.-P. Raffarin : ce matin, G. Frêche a scandalisé beaucoup dans le pays, beaucoup dans le parti. Il refuse de s'excuser : est-ce qu'il va être exclu, sanctionné ?
R- J'espère. Je l'espère, parce que je ne trouve pas les mots qui conviennent vraiment pour exprimer mon indignation et ma colère. Je me suis déjà exprimé spontanément lorsqu'il avait tenu des propos indignes à l'égard des harkis.
Q- C'est un récidiviste...
R- C'est un récidiviste, c'est quelqu'un qui n'écoute plus, qui est enfermé dans des démarches, je dirais populistes et choquantes. Il faut rester fidèle à des principes...
Q- Quand vous dites, "j'espère qu'il sera ou exclu ou sanctionné", si vous vous dites "espérer", cela veut dire que...
R- Vous savez, nous avons des règles au sein du Parti socialiste, et je ne vois pas comment on peut en rester là par un simple rappel à l'ordre, parce que là, il a dépassé les bornes. Je fais partie de ceux - mais je sais que nous sommes très nombreux et certainement majoritaires -, pour dire maintenant, ça suffit !
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 novembre 2006