Texte intégral
Intervention du Premier ministre, M. Alain Juppé, à la clôture de la table ronde des chefs d'entreprise
(Kazan, 16 février 1996)
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi, Monsieur le Président, au nom de toute la délégation qui m'accompagne aujourd'hui à Kazan, de vous dire combien nous avons été sensibles à la cordialité de votre accueil qui est bien dans la grande tradition d'hospitalité du peuple tatar.
Vous nous aviez rendu visite, il y a quelques années déjà, en France, c'était à l'automne de 1994. Aujourd'hui, Monsieur le Président, c'est une manière de vous rendre cette visite, et je suis très heureux des entretiens que nous avons pu avoir ce matin.
En venant ici, nous avons voulu donner à notre coopération, d'abord, une dimension politique. Nous avons évoqué la manière dont le Tatarstan est parvenu à régler ses relations avec la Fédération de Russie depuis le traité de 1994.
Vous venez de souligner, à juste titre, que ces relations doivent aussi prendre une dimension culturelle et mon rapide voyage à Kazan se terminera, cet après-midi, par un passage à l'université où j'aurai l'occasion d'aborder cet aspect de nos relations. Je peux d'ores et déjà dire que, grâce aux efforts de tous et notamment du gouvernement de Kazan, nous allons pouvoir procéder à la signature d'un accord prévoyant l'ouverture d'une Alliance française à Kazan ainsi que l'ouverture d'un Centre de langue française, qui seront dotés d'antennes paraboliques permettant de capter les chaînes francophones, et ainsi contribuer à la meilleure connaissance de notre langue que le Président de votre Conseil d'Etat pratique avec beaucoup de maîtrise.
La table ronde qui vient d'être animée par le ministre délégué français chargé des Finances et du Commerce extérieur et par le ministre tatar a été, bien entendu, consacrée à la troisième dimension de ces relations entre la France et le Tatarstan, qui est la dimension économique.
Le Tatarstan dont vous m'avez expliqué, Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, qu'il avait, dès 1995, renoué avec la croissance, ce qui n'est pas le cas, hélas ! de toutes les Républiques de la Fédération de Russie, se situe désormais au premier rang de ces Républiques avec lesquelles la France entretient des relations économiques étroites. Je m'en félicite et l'importante délégation d'hommes d'affaires conduite par M. Freyche, vice-président du patronat français, qui m'accompagne aujourd'hui, ici, à Kazan, témoigne de notre volonté d'aller plus loin.
Les entreprises françaises vont signer aujourd'hui deux contrats dans des domaines qui constituent des priorités pour le Tatarstan : l'industrie sucrière, d'une part, et le contrôle du trafic aérien, d'autre part. Ces deux accords vont évidemment contribuer à renforcer les liens entre la France et la République du Tatarstan.
Mais, je viens de le dire, il faut aller plus loin et je voudrais souligner que les entreprises françaises sont prêtes à devenir partenaires du Tatarstan dans de nombreux autres secteurs que M. Galland a d'ailleurs, tout à l'heure, énumérés. Je voudrais y venir d'un mot.
L'économie du Tatarstan est, vous nous l'avez dit, entreprenante et ouverte. Elle a dû procéder à une reconversion qui, comme toutes les reconversions, est douloureuse, mais ses perspectives sont désormais encourageantes et positives. Elle présente de multiples opportunités d'échanges, par exemple, dans l'industrie sucrière où, au-delà de l'opération qui va être signée aujourd'hui, un programme d'assemblage local de matériels betteraviers, mis en place depuis plusieurs années, est un excellent exemple de coopération industrielle qu'il convient d'élargir.
Je voudrais également évoquer le réseau téléphonique. Alcatel est une société française qui se situe au tout premier rang mondial en matière d'équipements téléphoniques. Nous soutenons les efforts qu'elle déploie au Tatarstan pour l'installation de 180.000 lignes téléphoniques.
Troisième domaine à privilégier, l'exploration pétrolière. La Société Total a déjà investi 10 millions de dollars depuis 1991 pour développer, en association avec la Société tatare Tatneft, le site pétrolier de Romachkino et envisage d'y investir à nouveau, au cours des prochaines années, plusieurs dizaines de millions de dollars. A cet égard, je me félicite de la décision prise par les autorités russes, grâce à votre soutien, Monsieur le Président, d'exonérer en 1995 la Société Total des taxes relatives aux exportations de pétrole. Cette décision a permis à l'entreprise de dégager les moyens nécessaires pour continuer à investir dans le champ pétrolier de Romachkino.
Je compte sur votre appui, Monsieur le Président, pour maintenir la viabilité de ce projet au cours des prochaines années et permettre ainsi la réalisation du programme d'investissement envisagé.
Les entreprises françaises souhaitent développer avec le Tatarstan une véritable coopération industrielle. J'évoquais avec vous, Monsieur le Premier ministre, ce matin, les projets de la société Eurocopter qui envisage de produire au Tatarstan, en association avec l'usine des hélicoptères de Kazan, le motoriste Klimov de Saint-Pétersbourg et le Bureau d'Etudes Mil, un hélicoptère lourd, le MI-38, destiné au marché civil mondial. Je suis confiant dans la mise en uvre rapide de ce projet auquel la France apporte tout son soutien. Cette coopération industrielle franco-tatare et franco-russe - qui pourrait, qui plus est, contribuer à la reconversion de votre industrie d'armement - revêt un caractère, à mes yeux, tout à fait exemplaire. Elle se situe dans un secteur de haute technologie où nos deux industries sont complémentaires.
Les petites et moyennes industries françaises, elles aussi, investissent au Tatarstan, au- delà des investissements réalisés par des grands groupes que j'ai cités tout à l'heure. Une PME française, Auxitrol, produit au Tatarstan des capteurs destinés aux avions russes et occidentaux. De même, une autre PME, Dolcino, se propose d'ouvrir une filiale à Kazan pour commercialiser des produits agro-alimentaires et des équipements électriques.
Ce voyage, commencé il y a deux jours maintenant à Moscou, a été pour nous l'occasion de signer avec la Russie plusieurs accords bilatéraux qui intéressent la République du Tatarstan. Je voudrais en signaler trois :
- Un accord pour l'ouverture d'une nouvelle ligne de crédit, d'un montant de 1 milliard et demi de francs, qui pourra être utilisée dès que la Russie aura conclu ses négociations avec le Fonds monétaire international sur une facilité de financement élargi. Et nous avons évoqué tout à l'heure, Monsieur le Premier ministre, des projets qui pourraient être imputés sur cette ligne de crédit et qui sont prêts à démarrer - Un accord-cadre de financement dans le secteur pétrolier.
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- Un accord dans le secteur de l'énergie qui concerne donc très directement le Tatarstan. Ces accords doivent contribuer à clarifier le cadre des interventions de nos entreprises au Tatarstan comme dans le reste de la Fédération de Russie et constituer un soutien réel à leurs efforts.
Voilà, Monsieur le Président, quelques points que je voulais souligner et qui montrent combien notre coopération est déjà active et combien elle peut se développer à l'avenir.
C'est, pour les entreprises françaises et pour le gouvernement français, une manière concrète de rendre hommage à l'action que vous avez menée depuis plusieurs années, avec une sagesse que tout le monde se plaît à reconnaître, et qui vous a permis de concilier aussi harmonieusement que possible la nécessaire modernisation de votre économie, où vous avez déjà beaucoup fait, et la préservation des équilibres sociaux fondamentaux sans laquelle il n'y a pas de cohésion sociale et donc pas de progrès économique.
Nous savons, Monsieur le Président, que d'ici quelques semaines vous serez soumis à la dure discipline du suffrage universel, comme il convient dans une démocratie. Je ne crois pas que le suspense soit extraordinairement fort, mais enfin les urnes ont toujours leur mystère.
Permettez-moi, sans m'immiscer dans la vie politique interne au Tatarstan, de vous dire tout simplement, au nom de toute ma délégation : merci pour votre accueil, et bonne chance !.
Conférence de presse conjointe du Premier ministre, M. Alain Juppé, avec le président de la République du Tatarstan, M. Mintimer Chaimiev
(Kazan, 16 février 1996)
Q - M. Juppé, pourquoi avez-vous choisi de venir à Kazan ?
R - J'ai effectivement choisi le Tatarstan, en accord avec le Président Chaïmiev et les autorités de Moscou, bien entendu. Pourquoi ? D'abord, parce que le Président Chaïmiev s'est rendu en France en septembre 1994 et qu'il était bien normal que nous lui rendions sa visite pour marquer toute l'importance que la France attache à ses relations avec Kazan.
Et puis il y a, à notre visite, deux autres raisons de fond :
- La première, c'est que la façon dont le Tatarstan a évolué depuis quelques années nous paraît tout à fait exemplaire. Sous l'impulsion du Président Chaïmiev, le Tatarstan a su développer avec Moscou un système de relations original qui lui donne une large autonomie au sein de la Fédération et ceci nous apparaît très intéressant et sans doute exemplaire.
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- La deuxième est que nous avons, d'ores et déjà, avec le Tatarstan, des relations économiques très étroites. De nombreuses entreprises sont présentes, des contrats ont déjà été signés. Deux nouveaux contrats l'ont été aujourd'hui. L'un avec la Société Sucden pour un programme sucrier et l'autre, avec la Société Thomson, pour la couverture de l'aéroport de Kazan.
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La table ronde qui a été animée ce matin par les ministres montre que les possibilités de développement de nos relations sont considérables pour les prochaines années et c'est aussi cela que nous avons voulu montrer et renforcer en venant aujourd'hui à Kazan.
Q - (Sur les Français célèbres ayant visité Kazan, Louis Pasteur, Alexandre Dumas,
etc...)
R - Je ne suis pas sûr d'être tout à fait digne des éminentes personnalités qui m'ont
précédé ici à Kazan et au Tatarstan. Mais en venant ici, j'avais le même sentiment qu'elles. La curiosité, et un peu plus que la curiosité, l'hospitalité légendaire, séculaire du Tatarstan bien connue en France, et je savais que je serais ici accueilli avec beaucoup de cordialité. De ce point de vue-là, je n'ai pas été surpris, et j'en remercie à nouveau le Président Chaïmiev, le Premier ministre Moukhametchine, et le Président du Conseil d'Etat, M. Likhatchev, avec qui j'ai eu des entretiens tout à fait importants ce matin.
J'ai parlé tout à l'heure de la dimension politique de mon voyage, de sa dimension économique. Je voudrais profiter de votre question pour insister sur la troisième dimension, si je puis dire, qui est la dimension culturelle. Il y a, au Tatarstan, même si cela peut surprendre parfois les Français qui voient ce pays ou cette République de bien loin, une tradition culturelle. J'ai été très sensible au geste qu'a eu à mon égard le Président Chaïmiev, en me remettant des documents qui montrent qu'au XIXème siècle d'éminents savants français fréquentaient ou en tout cas étaient liés à l'université de Kazan, qui est une université tout à fait prestigieuse. Eh bien, nous souhaitons là aussi développer ces relations.
M. l'ambassadeur de France en Russie, M. Morel, vient de signer un accord portant création d'un Centre de langue française à Kazan. Nous allons également ouvrir une Alliance française à Kazan. Et le gouvernement français a offert deux antennes paraboliques qui permettront ici de recevoir la chaîne de la francophonie, TV5. Vous voyez que cela aussi compte dans les relations d'amitié que le Tatarstan et la France peuvent développer. Il n'y a pas que les affaires, même si les affaires c'est important. Comme le dit M. Galland : "Nous avons ici 8 % de parts de marché" alors que, sur l'ensemble de la Russie, nous sommes à peine au-dessus de 3 %. Je crois que l'objectif que nous pourrions nous fixer, c'est de faire partout en Russie aussi bien qu'au Tatarstan.
Q - Allez-vous découvrir d'autres lieux en Russie ?
R - Je rappelle que c'est le quatrième voyage que je fais en Russie depuis le printemps 1993, à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Nijni-Novgorod, aujourd'hui à Kazan. Il me reste mille choses à découvrir en Russie et si mon emploi du temps me le permet, je le ferai bien volontiers.
J'évoquais tout à l'heure les discussions politiques que nous avions eues, le Président Chaïmiev et moi-même. Je voulais simplement ajouter sur ce point que j'ai été particulièrement intéressé par ses propositions de recherche de solutions en Tchétchénie. Je crois qu'il y a là des idées qui peuvent permettre d'avancer dans la voie d'une solution pacifique dont j'ai déjà dit à plusieurs reprises, hier, que la France la souhaitait ardemment.
Q - Vis-à-vis de la Russie, dans quel cadre se place votre déplacement à Kazan ?
R - Ma visite se place dans le cadre des relations que le Traité de 1994 a instauré entre la Fédération de Russie et la République du Tatarstan.
Q - Pensez-vous que des étudiants tatars pourraient venir étudier en France ?
R - Les étudiantes et les étudiants tatars sont les bienvenus dans les universités françaises. Je vais vous dire, je n'en ai pas encore rencontré beaucoup. Je les verrai tout à l'heure en fin de journée, mais les contacts que j'ai pu avoir m'ont montré que la population tarare était tellement sympathique que cela remettrait peut-être un petit peu de bonne humeur dans nos propres universités. Donc, tout le monde y gagnerait.
Q - Quelle importance donnez-vous à votre visite à Kazan ?
R - Oui, ce voyage est important. Il est important d'abord par sa signification politique.
Nous avons voulu en vous rendant visite, Monsieur le Président, rendre hommage à la sagesse avec laquelle vous avez conduit la République du Tatarstan dans cette difficile période de transition. Il est important aussi sur le plan culturel. Les références culturelles entre nous sont nombreuses. Vous nous avez parlé d'Alexandre Dumas, de Louis Pasteur, de bien d'autres. Il faut aussi penser à l'avenir et plusieurs décisions que nous avons prises ce matin vont redonner à la culture et à la langue françaises toute la place que vous souhaitez lui voir occuper ici au Tatarstan.
Enfin, ce voyage est important sur le plan économique et nos travaux ont montré que, au-delà des accords signés ce matin, de très nombreux projets peuvent, demain, voir le jour et marquer toute l'importance que nos entreprises attachent au développement de votre pays.
Discours du Premier ministre, M. Alain Juppé, à l'université de Kazan
(Kazan, 16 février 1996)
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le Recteur,
Mesdames et Messieurs les professeurs,
Chers amis,
Je suis très heureux de me trouver à Kazan dans votre université, au cur du centre intellectuel et culturel de la République du Tatarstan. Je sais que ce sentiment est partagé par l'ensemble de la délégation qui m'accompagne, par le ministre du Commerce extérieur de la République française, M. Galland, les députés et les sénateurs qui ont suivi ce voyage avec moi, M. l'Ambassadeur de France, nos épouses et les nombreux chefs d'entreprise qui sont venus travailler avec nous tout au long de cette journée.
C'est un réel bonheur pour moi de pouvoir m'adresser à vous en français. A vous, enseignants, étudiants, élèves francophones et amis de la France, dans cette capitale qui symbolise plus de huit siècles d'une histoire particulièrement riche.
Monsieur le Recteur a bien voulu m'inviter à vous rencontrer dans son université et je l'en remercie très vivement. Je ne puis, à cet instant, oublier qu'il y a 138 ans, en septembre 1858, votre prédécesseur, M. le Recteur, faisait alors les honneurs de son université à Alexandre Dumas, l'un de nos plus célèbres écrivains et l'un des auteurs français les plus lus en Russie.
Alexandre Dumas a laissé aux lecteurs français ses descriptions de Kazan, de son histoire, de ses monuments. Il avait été frappé par ce qu'il avait appelé "la fraternité entre la cathédrale et la mosquée". Et je viens d'être frappé du même sentiment après avoir moi-même visité mosquée et cathédrale, ici, à Kazan.
Le Tatarstan n'est donc pas inconnu des Français. Mais ma présence dans ce haut lieu de la culture tatare n'a pas pour but simplement de rappeler un passé glorieux. Je voudrais plutôt évoquer avec vous, professeurs et étudiants, ce que nous pouvons faire ensemble pour construire l'avenir.
Pour vous parler de francophonie, permettez-moi de ne pas vous tenir le discours convenu et diplomatique que vous attendez ou que vous craignez, peut-être, de la part du Premier ministre français. J'aimerais plutôt vous faire partager une conviction. Plus de 250 millions de personnes, plus de 250 millions d'hommes et de femmes à travers la planète parlent la langue française qui est utilisée dans une cinquantaine d'Etats. La francophonie est un espace de fraternité humaine et de solidarité politique au sens le plus noble du terme. C'est une façon de concevoir la vie dans notre monde moderne, de plus en plus menacé d'uniformité. C'est un instrument essentiel pour éviter une sorte de nivellement linguistique et culturel dont le risque s'accroît.
Ce risque menace, bien sûr, les francophones eux-mêmes mais également tous ceux qui, à travers la planète, utilisent d'autres langues importantes. La richesse des langues, leur diversité, l'échange entre des cultures différentes, la solidarité entre les civilisations sont indispensables pour sauvegarder la richesse de la communauté humaine.
Dans ce contexte, la francophonie doit permettre de forger des outils communs de dialogue, de partage culturel, mais aussi de maîtrise des sciences et des technologies.
La francophonie est enfin le vecteur de valeurs telles que les Droits de l'Homme, la démocratie, le respect d'autrui, le respect des cultures. Elle apporte à tous un supplément d'âme puisqu'il ne saurait y avoir de véritable liberté sans le respect des identités culturelles et linguistiques. Et je sais qu'ici, au Tatarstan, vous en êtes profondément convaincus.
Je savais aussi, avant de vous rendre visite, que vous aviez déployé de nombreux efforts en faveur de la langue et de la culture françaises. J'ai pu en prendre la pleine mesure tout au long de la journée que je viens de passer parmi vous. Permettez-moi de souhaiter une pleine réussite à la toute nouvelle Alliance française de Kazan et de remercier à cette occasion les promoteurs de cette initiative particulièrement bienvenue. Je pense à notre compatriote, M. Govrier, qui vit ici depuis de nombreuses années et à son épouse, et aussi à tous les amis de la France. Ils sont nombreux ici, je le sais.
Je tiens à vous apporter, dès aujourd'hui, au nom du gouvernement français, une contribution pour seconder les efforts que vous avez vous-mêmes engagés. Je souhaite que notre action se développe selon les deux priorités fondamentales, qui sont l'enseignement du français au Tatarstan et le renforcement de notre coopération culturelle.
Les enseignants sont appelés à jouer, évidemment, un rôle essentiel. J'en vois devant moi un très grand nombre. Je saisis cette occasion pour vous dire, Mesdames,
Mesdemoiselles, Messieurs les professeurs, ma profonde estime pour votre travail et mon admiration pour votre dévouement à cette université, parfois depuis de très longues années.
Je suis heureux de vous annoncer aujourd'hui, en accord et avec le concours des hautes autorités de la République du Tatarstan, que nous allons ouvrir à Kazan un centre de langue et de culture françaises dirigé par une personnalité tatare. L'accord a été signé ce matin même par l'ambassadeur de France.
La France souhaite en faire un lieu de travail et de rencontre pour les enseignants
français, pour tous les francophones et les francophiles de cette ville. Nous allons équiper ce centre d'une antenne parabolique qui permettra de recevoir TV5, la chaîne télévisée de la francophonie. Je souhaite qu'une autre antenne soit installée à l'Institut pédagogique de Kazan qui uvre tout particulièrement au développement de la langue française, et que je tiens également à remercier.
Comme vous le constatez, la France entend vraiment développer les relations culturelles et de coopération avec votre République. Aujourd'hui, nous franchissons de nouvelles étapes afin d'être plus présents, plus accessibles, plus disponibles. Nous réussirons si nous avons la volonté commune de partager nos richesses intellectuelles et culturelles.
C'est ce que nous voulons désormais faire chez vous, avec vous, avec vous tous, à Kazan et dans votre République du Tatarstan. Je vous remercie chaleureusement, au nom de la France, de ce que vous faites pour le maintien, la diffusion, le rayonnement de notre langue et de notre culture. C'est vraiment pour le Premier ministre français un grand moment de joie que d'être ici au milieu de professeurs et d'étudiants tatars, qui comprennent notre langue et qui, maintenant, sont prêts à m'interroger, je l'espère, aussi en français. Je suis prêt, bien entendu, à répondre à vos questions en vous disant encore merci pour la gentillesse et la chaleur de votre accueil.
Q - Je voudrais vous remercier pour les livres que vous avez offerts aux enseignants de français de Kazan et de la bibliothèque de l'université d'Etat.
Monsieur le Premier ministre, je sais que demain, à Bordeaux, vous présidez un Conseil sur le développement. Quelles questions allez-vous aborder ?
R - Il est vrai que je vais inaugurer ce soir une ligne aérienne dont je ne connais pas la périodicité future, qui est Kazan-Bordeaux. Et je serai, demain, dans ma ville, la ville dont je suis maire pour présider notamment une réunion sur le développement. La France est l'un des tout premiers pays, peut-être même, puis-je dire, le premier pays à se battre encore aujourd'hui sur la scène internationale pour que les pays riches puissent continuer à manifester leur solidarité envers ce qu'on appelle "les pays en développement". Je pense tout particulièrement aux pays d'Afrique.
Cette aide au développement n'a plus aujourd'hui bonne cote sur la scène internationale et il faut toute l'énergie qui est la nôtre, aussi bien au sein de l'Union européenne que, par exemple, au sein du G7, c'est-à-dire la réunion des grands pays industrialisés que la Russie pourra rejoindre prochainement, nous l'espérons - en tout cas en France - pour continuer à défendre cette thèse du développement qui est tout simplement une uvre de justice, de solidarité et d'intérêt mutuel entre les pays développés et ceux qui sont en cours de développement.
Voilà en quelques mots, pour éviter de vous infliger un long discours, l'un des sujets que j'aborderai demain. Je précise aussi qu'un maire s'intéresse à tous les problèmes quotidiens de sa ville que demain j'aurai des réunions plus, puis-je utiliser une expression française, j'espère que vous la comprendrez, "au ras des pâquerettes", pour m'occuper des problèmes quotidiens de ma ville.
Q - Monsieur le Premier ministre, ici, vous vous occupez des problèmes industriels et dans votre délégation, il y a beaucoup d'industriels français. Mais il y a beaucoup de problèmes humanitaires et c'est pourquoi la chaire d'histoire des temps modernes et d'histoire des temps nouveaux a préparé un projet de coopération scientifique avec les universités françaises. Croyez-vous que les perspectives de coopération dans les domaines de l'histoire et des sciences humaines seront développées ?
R - Vous avez raison de dire que, à l'occasion de mon voyage, j'ai étudié avec les autorités de la République du Tatarstan aujourd'hui et, hier, avec les autorités de la Fédération de Russie, tous les moyens de resserrer la coopération économique entre la France et la Russie. Et nous avons ensemble beaucoup de choses à faire. Je n'en prendrai que deux exemples :
Ce matin, nous avons signé un accord avec une grande entreprise française qui s'appelle Thomson pour la couverture aérienne du Tatarstan et de l'aéroport de Kazan. Et nous avons signé un autre accord avec une entreprise française qui s'appelle Sucden pour développer la production de betteraves à sucre ici au Tatarstan.
Vous allez me dire que nous sommes loin des préoccupations universitaires mais la France, sur la scène internationale, est un des pays qui développent également à côté de leurs relations économiques une coopération culturelle, technique, scientifique, extrêmement importante. Et c'est avec beaucoup d'attention que je vais, dans cet esprit, examiner le projet que vous m'avez remis. Je n'aime pas beaucoup, on me le reproche parfois, faire des promesses sans être sûr de pouvoir les tenir. Alors, je ne vais pas vous promettre qu'on va donner une suite immédiate à votre proposition, mais je peux vous promettre, en tout cas, qu'on va l'étudier et que si c'est possible nous essaierons de développer cette coopération à laquelle, en France, nous tenons beaucoup.
Q - On parle beaucoup de la crise mondiale dans tous les domaines de la vie. Comment pouvons-nous surpasser cette crise ?
R - J'allais dire que si nous avions la soirée et une partie de la nuit pour en parler, cela vaudrait mieux. Mais en quelques mots très simples, je voudrais essayer de vous faire partager ma confiance dans l'avenir. Certes, les temps sont difficiles pour beaucoup de pays, ici, en Russie où vous avez traversé une transition difficile qui n'est pas terminée, nous avons nos propres problèmes en France, mais que de progrès aussi. Il y a des continents entiers qui, aujourd'hui, se développent à une vitesse formidable. Nous pensons à toute l'Asie, à toute la Chine, à l'Amérique latine, peut-être demain à l'Afrique. Nous pensons aussi aux progrès de la démocratie partout dans le monde, et d'abord en Russie, qui est devenue un Etat de droit et un pays à maturité démocratique.
Alors, la vie quotidienne est difficile, je le sais, mais avec le savoir, avec la connaissance, avec l'enthousiasme qui doit exister au cur de tout étudiant, même des étudiants prolongés, je crois que nous avons plus de raisons d'être optimistes que pessimistes.
Q - Nous savons que c'est votre troisième visite en Russie et la première en qualité de Premier ministre. C'est votre deuxième visite en province. Vous êtes déjà allé à Nijni- Novgorod, maintenant c'est Kazan. Nous sommes très touchés par votre audace et votre volonté de découvrir la Russie. Je voudrais demander : quels changements avez-vous pu constater en Russie et particulièrement en province ?
R - D'abord, une petite précision, c'est le quatrième voyage en deux ans. Je suis allé à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Nijni-Novgorod et, aujourd'hui, à Kazan. Je n'ai pas la prétention de bien connaître la Russie en quatre voyages. Votre pays est immense et mériterait de plus longs séjours. Mais, là encore, malgré les difficultés qui sont les vôtres, malgré la chute de la production, malgré la baisse du pouvoir d'achat que vous avez connue pendant cette période de transition, sans doute un peu moins au Tatarstan que dans d'autres Républiques russes, je constate que la démocratie, l'Etat de droit sont désormais profondément ancrés en Russie, on l'a vu lors des dernières élections, on le verra, j'en suis sûr, lors des prochaines, et les perspectives de redressement économique apparaissent.
Le Tatarstan a connu en 1995 une croissance de 2 % après des années de recul. Les perspectives pour 1996 semblent meilleures encore. Et donc, en un mot, mon impression est que cela ira encore mieux en 1996.
Q - Je suis une étudiante de l'université pédagogique du département de français.
Ma question ne concerne pas le domaine politique : est-ce difficile d'être à la fois Premier ministre, père et époux ?
R - C'est vrai que c'est difficile. Mais vous savez, il y a beaucoup de gens qui travaillent beaucoup. Il y a des chefs d'entreprise qui travaillent beaucoup, il y a des professeurs qui travaillent beaucoup, il y a des hommes politiques qui travaillent beaucoup. Il est parfois difficile de tout concilier. Ce n'est pas tellement dans mon tempérament, mais je vais vous faire une petite confidence : c'est que j'habite tout près de mon bureau. Cela présente des inconvénients. Cela présente aussi un gros avantage, c'est qu'entre deux rendez-vous où, en général, je traite de problèmes difficiles, eh bien, je m'échappe chez moi et je vais voir ma petite fille, Clara, qui a trois mois, et alors je retrouve tout le moral et tout l'enthousiasme.
Q - On sait que votre femme était journaliste au journal "La Croix". Son expérience professionnelle vous aide-t-elle dans votre fonction de Premier ministre ?
R - C'est une question qu'il faut lui adresser. Je n'y répondrai pas à sa place.
Je voudrais simplement conclure en vous disant que dans ces voyages qui sont passionnants parce qu'on rencontre des gens passionnants, des problèmes nouveaux, des pays nouveaux, il y a quelque chose d'abominable, c'est le protocole, qui va nous imposer maintenant de nous séparer et de ne pas continuer cet échange de questions et de réponses que j'aurais aimé prolonger plus longtemps, et dont je vous remercie de tout coeur.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 août 2002)