Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à France 2 le 23 octobre 2006, sur la grève à la SNCF, le dialogue social, le droit du travail et le licenciement.

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Média : France 2

Texte intégral


Bonjour à tous, bonjour B. Thibault.
Bonjour.
Q- Hier, la nouvelle patronne de la SNCF, A.-M. Idrac, a jeté un beau pavé dans la mare, elle a parlé de "Mur de Berlin", elle a parlé de "Guerre froide", s'agissant des négociations dans les chemins de fer. Vous n'avez pas encore réagi. Comment vous réagissez ?
R- Il y a eu des réactions de la part des organisations syndicales professionnelles...
Q- Mais vous, non.
R- Eh bien vous m'en donnez l'occasion. Je crois que Madame Idrac a complètement déraillé, et pardonnez-moi l'image, mais s'agissant...
Q- Ça tombe mal à la SNCF ?
R- S'agissant d'une présidente de la SNCF, c'est plutôt gênant. Elle est confrontée à l'annonce d'un mouvement de grève, si les choses ne changent pas à l'intérieur de l'entreprise. Je pense que la période n'est pas à remettre de l'huile sur le feu, mais plutôt d'examiner concrètement les revendications qui sont objet de litige et de perspective de grève, si elle ne souhaite pas négocier davantage.
Q- Cela dit, est-ce que ce n'est pas, quand même, exact, qu'à la SNCF, le dialogue social a toujours été difficile et en général se termine par des grèves ?
R- Dès lors que vous avez une grande majorité des organisations syndicales de la profession qui se mobilisent ensemble pour poser un certain nombre de problèmes, je parts du principe que c'est plutôt la direction qui a un problème plutôt que le dialogue social en général. C'est bien de la direction que doivent venir les efforts et les réponses permettant d'éviter les situations de conflit.
Q- Est-ce que les choses ont changé depuis le départ de L. Gallois et l'arrivée d'A.-M. Idrac à la tête de la SNCF, ça fait quelques mois ?
R- Eh bien manifestement oui, au moins par les déclarations de sa présidente, à quelques semaines d'un mouvement de mobilisation. La manière d'appréhender un rendez-vous de ce type est tout à fait différente, c'est évident.
Q- Il y a une grève prévue, vous le disiez, le 8 novembre. Il y en aura d'autres ?
R- Ah, je ne sais pas, mais si on est dans ce climat là, je ne sais pas si Madame Idrac souhaite être le relais, à son niveau, d'autres déclarations qui ont été faites sur les régimes spéciaux de retraites, où les cheminots, et d'autres, ont été montrés du doigt et vont sans doute l'être, dans une campagne présidentielle qui essaie, pour une part des candidats potentiels, de mettre les salariés et une partie des Français les uns contre les autres ; si madame Idrac veut être de cette partie là, il faut qu'elle s'attende à des tensions de plus en plus difficiles à l'intérieur de son entreprise.
Q- Justement, sur ces régimes de retraites spéciaux, dont la SNCF bénéficie, est-ce que sur ce point, vous, à la CGT, vous êtes d'accord pour dire "on peut discuter" ?
R- Il y aura, de toute façon, de nouvelles discussions à avoir, sur l'ensemble des régimes de retraite, tant la dégradation est réelle. La semaine dernière, les retraités manifestaient parce que leur situation se dégrade, la réforme de 2003 a dégradé la situation. Donc nous n'allons pas, pour ce qui nous concerne, nous laisser embarquer dans une discussion de deuxième niveau, à savoir qui laisserait entendre aux Français qu'il suffirait de revoir les principes applicables aux régimes spéciaux pour considérer que l'avenir de l'ensemble des retraités se trouverait amélioré.
Q- Mais, est-ce qu'il est normal qu'il y ait des salariés, par exemple à la SNCF, qui aient de meilleures retraites que les autres ? De meilleures conditions de retraite que les autres ?
R- Chacune des situations a des spécificités et il est donc un peu court de vouloir opposer les catégories entre elles, il y a des avantages et des inconvénients à chacun des statuts et des situations. Mais le moment venu, la CGT comme d'autres syndicats, nous ferons valoir notre approche sur cette question.
Q- Vous serez prêts à vous battre là-dessus, clairement.
R- S'il le faut, si le fait de discuter de l'avenir des retraites voulait dire de nouvelles étapes de dégradation des conditions faites aux salariés ayant fait leur carrière, eh bien la CGT, mais ce n'est pas un scoop, répondra naturellement présente, de nouveau.
Q- Alors, aujourd'hui, vous allez rencontrer, avec d'autres syndicats, le Medef, le patronat. Il s'agit de discuter, on ne sait pas, d'ailleurs, exactement sur quoi, il n'y a pas d'ordre du jour particulier. Qu'est-ce que vous avez envie de dire à L. Parisot, la patronne du Medef, aujourd'hui ?
R- Eh bien nous allons essayer de mieux comprendre ce qu'est sa démarche, ce qu'est la démarche de l'ensemble des organisations patronales, parce que je remarque d'ailleurs que...
Q- C'est bien de se rencontrer a priori....
R- nous sommes invités par le seul Medef et non pas par les trois organisations patronales reconnues. Nous avons vu qu'il y avait eu un peu de dissonance, d'ailleurs, entre eux, une absence de cohérence.
Q- Mais l'idée de se rencontrer, c'est une bonne chose ?
R- Bien évidemment, mais je vous ferais remarquer que ça fait sept ans qu'il n'y a pas eu de rencontre entre les premiers dirigeants des organisations syndicales et les organisations patronales. Alors, une des questions peut être posée, de savoir pourquoi maintenant et pour faire quoi ? C'est de cela dont il va falloir, déjà discuter. Nous y allons...
Q- Alors, vous, vous voulez parler de quoi ?
R- Nous y allons avec l'objectif d'obtenir des "négociations" - on nous parle de "délibération sociale" - non, il s'agit d'avoir des "négociations". Pour modifier concrètement des situations, il faut obtenir des négociations avec les employeurs, c'est le premier point. Des négociations sur quoi ? Pour nous, l'urgence est à faire reculer la précarité au travail et la précarité du travail. Je ne suis pas sûr, à l'heure qu'il est, j'ai même un peu la conviction que ce n'est pas du tout l'état d'esprit des employeurs, puisque madame Parisot...
Q- Alors, vous, vous parlez de précarité, mais en général les employeurs parlent de flexibilité. Est-ce qu'il y a un accord possible sur les termes ?
R- Si on a des objectifs qui sont totalement divergents, je pense que ce genre de rencontre n'aura pas de suite ou il sera très difficile d'envisager des suites.
Q- Une des idées de L. Parisot, c'est cette idée de divorce à l'amiable, c'est-à-dire que l'on pourrait se séparer, entre le salarié et son patron, par un accord à l'amiable. Est-ce que ça, ça vous paraît une bonne idée ?
R- On n'est ni marié ni pacsé avec son employeur, je suis désolé, on n'est pas dans un rapport d'égal à égal.
Q- Non mais, est-ce que l'on est obligé de se fâcher pour se séparer quand on a un contrat de travail ?
R- Mais il ne s'agit pas de se fâcher, il s'agit simplement de rappeler que le contrat de travail permet de gérer un rapport de subordination. L'employeur et le salarié ne représentent pas deux parties égales, c'est la raison pour laquelle, de tout temps, il a été question de concevoir des droits collectifs permettant de protéger les salariés, d'encadrer le pouvoir qu'ont les employeurs, et...
Q- Mais ça, ce n'est pas un frein à l'emploi, comme le dit le patronat ?
R- Non, non, non. Le patronat continue de prétendre que la flexibilité et la précarité sont sources de création d'emploi alors que ça fait plus de 20 ans que l'on peut faire la démonstration maintenant, parce qu'il y a multiplication des précarités dans l'emploi, on peut faire la démonstration inverse, c'est qu'au contraire la précarité des emplois et la précarité dans l'emploi génèrent du chômage, de l'insatisfaction sociale bien sûr, mais aussi des phénomènes qui jouent en défaveur de la croissance économique.
Q- L. Parisot réclame notamment la suppression de la durée légale du travail, autrement dit la fin des 35 heures. Est-ce que là-dessus, il y aura une bagarre ?
R- Ce n'est pas la première fois que le patronat le réclame, je crois qu'il le réclame depuis la décision du gouvernement de monsieur Jospin, à l'époque, d'instituer les 35 heures. On se souvient même que le Medef est né, cette organisation est née pour prendre le relais du CNPF, après la décision politique d'instituer les 35 heures dans notre pays. Je rappellerai tout simplement que les 35 heures demeurent une revendication syndicale pour toutes les organisations présentent en Europe.
Q- Sur le dialogue social que le président de la République a voulu instituer, où est-ce qu'on en est ?
R- Eh bien je remarque que le texte en préparation est en train de prendre du retard, ce qui m'inquiète, mais pire encore, je remarque qu'il y a des actes qui ne sont absolument pas conformes au discours du président. On dit vouloir améliorer le dialogue social, on dit vouloir plus de négociations et moins de lois, et dans le même temps, je remarque que lorsque nous obtenons gain de cause, par voie de justice - je pense à la décision du Conseil d'Etat qui a cassé les modalités d'application des 35 heures ou des modalités permettant de contourner les 35 heures...
Q- ...Dans l'hôtellerie.
R- Dans l'hôtellerie, cafés, restaurants - j'entends dire que le président du groupe de l'UMP entend venir au renfort de la partie patronale en faisant adopter très rapidement un amendement au texte de loi sur la Sécurité sociale, ce qui n'a rien à voir, pour contredire une décision de justice. Il ne peut pas y avoir, de ce point de vue-là, des déclarations et des attitudes qui sont en contradiction avec des déclarations du président de la République.
Merci B. Thibault.
Merci.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 octobre 2006