Interview de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, à RTL le 31 octobre 2006, sur les chiffres du chômage et l'abandon du CV anonyme.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- On devrait commencer par un "cocorico", après la publication des chiffres du chômage. Et moi, je vais vous dire les choses différemment : j'ai l'impression que vous avez un gros problème avec les chiffres du chômage, c'est qu'ils sont formidables - 30.400 chômeurs de moins en septembre -, on est sous la barre symbolique des 9 %, on est à 8,8 % de chômeurs en France. Tout ça, c'est super mais le problème, c'est que les Français ne le ressentent pas comme ça. Et on a entendu, tout à l'heure, cette auditrice qui, je crois, est assez emblématique.
R- Je crois que les Français commencent à le ressentir. Je vais vous livrer un autre témoignage qui est celui d'une assemblée de maires d'un département auquel je participais. Vous savez que les maires reçoivent chaque mois le relevé de ceux qui sont au chômage dans leur commune, de la part de l'Agence nationale pour l'emploi, et les maires voient la liste diminuer, le nombre de pages diminuer dans toutes les communes, sur tout le territoire, y compris dans les communes qui ont des zones urbaines sensibles, ce qui est notre priorité d'action, en tous les cas, depuis que nous avons mis en place, avec J.-L. Borloo, le Plan de cohésion sociale.
Q- Que disent les maires ?
R- Il y a moins de monde inscrit au chômage - je rappelle que les règles d'inscription au chômage sont toujours les mêmes - et ce sont les chiffres qui sont les chiffres du Bureau international du travail. Donc nous n'avons pas changé de méthode. Depuis vingt mois, j'ai tout entendu : que ce serait l'augmentation des radiations, que c'était la démographie qui était en baisse. En fait, on crée des emplois dans le secteur marchand : + 200.000 en une année. Le secteur non-marchand contribue au retour vers l'emploi, ce sont les contrats du Plan de cohésion sociale. Voilà pourquoi nous avons une baisse très significative sur les chômeurs de longue durée et de très longue durée, et puis un meilleur accompagnement du demandeur d'emploi. C'est très simple : si on rapproche d'une semaine le temps entre l'offre d'emploi et la demande d'emploi, on a 60.000 chômeurs de moins. C'est donc le meilleur fonctionnement du service public de l'emploi.
Q- Les radiations, parlons-en ! Là aussi - puisqu'on va jouer témoignage contre témoignage, ce matin - conversation, ce week-end tranquillement autour d'un déjeuner dans mon jardin avec une jeune femme qui travaille à l'ANPE. L'ordre lui a été donné de multiplier les radiations et d'être rentable sur la radiation. Je suis désolé...
R- Oui, écoutez...
Q- ...Et c'est ce qui se dit partout.
R- L'ordre, en tous les cas, n'est pas suivi puisque le nombre de radiations n'a pas bougé et il m'étonnerait que le directeur général de l'ANPE ait donné un tel ordre. Je le dis parce que chaque lundi, nous animons, avec J.-L. Borloo, une réunion autour de l'emploi, et je n'ai jamais entendu ce type d'ordre. En tous les cas, la réponse chiffrée est très claire : il n'y a pas plus de radiations qu'avant.
Q- Le problème du chômage, en fait, c'est qu'il a beau baisser, si l'on a son fils au chômage, on pense que le chômage ne baisse pas.
R- Mais c'est normal, c'est naturel.
Q- Donc, ça, politiquement, ce n'est pas facile à gérer.
R- Non, tant que vous aurez des difficultés pour les jeunes à entrer dans l'entreprise, tant que nous n'aurons pas réglé le problème des plus de 50 ans, les seniors, tant que nous n'aurons pas reconduit vers l'emploi ceux qui en ont été longtemps exclus, voilà pourquoi nos priorités vont aller aussi sur la consolidation d'un certain nombre d'emplois, que ce soit les emplois discontinus, que ce soit l'emploi à temps partiel, la qualité de l'emploi. En tous les cas, à ceux qui disaient que le nombre de contrats précaires augmentait, il y a moins de contrats précaires qu'il n'y en avait début 2002. La réponse, aujourd'hui, ce sont aussi des emplois de qualité. C'est ce à quoi nous travaillons.
Q- Concernant les quartiers difficiles que vous appelez, vous, "zones sensibles", "quartiers sensibles", vous confirmez, ce matin, ce qu'a dit votre ministre de tutelle, monsieur Borloo, hier soir à la télévision : la baisse est deux fois supérieure, par exemple, à Clichy sous- Bois, qu'elle ne l'est dans la moyenne de la France ? Les gens vont avoir du mal à vous croire !
R- Oui, mais c'est vraiment notre priorité. Quand j'ai des quartiers où j'ai 40 %-45 % des moins de 26 ans au chômage, ça, c'est une vraie priorité. Voilà pourquoi nous sommes en train de bâtir progressivement en France des indicateurs pour les communes ayant des zones urbaines sensibles. Je peux vous dire qu'à Epinay-sur-Seine, en une année, pour les moins de 26 ans, c'est moins 22 %, que c'est moins 28 % à Clichy sous- Bois, c'est-à-dire deux fois plus vite qu'ailleurs. Mais il reste des endroits où la baisse est très faible. Je vais vous citer deux endroits qui me préoccupent : Grigny par exemple, ou Roubaix dans le Nord. Voilà pourquoi il nous faut conduire ces efforts mis en place à la fois par le Plan d'urgence pour l'emploi et le Plan de cohésion sociale : parcours d'accès à la vie active, formation des jeunes, action pour le recrutement. Tout cela, ce sont des actions que nous allons conduire dans les semaines qui viennent. Voilà pourquoi jusqu'au bout, M. Giesbert, nous serons dans l'action parce que cette priorité-là doit être ressentie par les Français mais pas simplement pour faire "cocorico". Le "cocorico" ne m'intéresse pas. Moins de jeunes au chômage, moins de seniors sur le bas côté du chemin...
Q- Mais pourquoi les bus flambent, si ça va tellement mieux dans les banlieues ?
R- Parce que ça ne va pas tellement mieux ; nous sommes sur le chemin du mieux. Mais j'ai été longtemps le rapporteur de la politique de la ville, nous avons mis depuis longtemps beaucoup de moyens sur la politique de la ville. Mais je crois que jamais on a autant concentré de moyens qu'au travers du dispositif de rénovation urbaine, d'action pour l'emploi. Nous nous consacrons à faire que ces quartiers réintègrent pleinement les principes de la République. C'est en tous les cas notre volonté au pôle de Cohésion sociale, et une volonté partagée par le Gouvernement.
Q- Je me dis, en vous écoutant, qu'il est plus payant, peut-être, politiquement, d'avoir l'idée des jurys citoyens que de faire baisser le chômage.
R- En tous les cas, l'idée des jurys citoyens est une idée à laquelle je préfère la démocratie représentative et les élections.
Q- Mais ce n'est pas la question que je vous ai posée.
R- Faire baisser le chômage, c'est une action de tous les jours...
Q- Oui, mais c'est politiquement assez ingrat, puisque le dernier chômeur dira : "Tant que je ne suis pas concerné, il n'a pas baissé".
R- Oui mais, j'allais dire, ce que nous conduisons avec J.-L. Borloo, ce n'est pas la recherche de la gratitude, c'est simplement la mission pour laquelle le président de la République nous a demandé d'entrer au gouvernement.
Q- Il y a un sujet qui a beaucoup touché nos auditeurs, ils se sont beaucoup manifestés au standard pour le faire savoir : c'est l'abandon du CV anonyme. Cela avait séduit pas mal de gens, l'idée qu'un CV anonyme permettrait notamment aux Maghrébins et aux Noirs d'intégrer le monde du travail sans a priori. Et puis, alors, les décrets d'application, paraît-il, ne viendront pas.
R- Si, nous aurons des décrets d'expérimentation du CV anonyme, comme l'ont souhaité les partenaires sociaux, car nous sommes un singulier pays...
Q- Attendez : il y a une loi qui a été votée ! Nos députés, la démocratie représentative à laquelle vous croyez, nos députés ont voté l'instauration du CV anonyme. Pourquoi est-ce que vous n'appliquez pas la loi votée ?
R- Surtout nos sénateurs, parce que cela s'est passé au Sénat. J'ai simplement dit - et cela figure dans le rapport de la commission mixte paritaire - qu'il était important que nous prenions en compte les conclusions de la négociation des partenaires sociaux. Le dialogue social, le résultat d'une négociation doit être pris en compte. Le CV anonyme n'est pas enterré, il sera expérimenté et en fonction des résultats de l'expérimentation, nous verrons dans quelles conditions il sera généralisé. Mais vous savez, la lutte contre la discrimination c'est autre chose encore que le CV anonyme, c'est l'accueil dans l'entreprise des jeunes, des moins jeunes, des handicapés. Il y a un classement mondial des pays discriminants et paradoxalement, c'est en Suède qu'on a le sentiment le plus fort de la discrimination ; la France se situe à mi-chemin. Il n'empêche que la discrimination, c'est inacceptable. C'est le sens d'un combat que nous menons avec les plates-formes de la vocation...
Q- Vous ne répondez pas à ma question...
R- Mais, je vous ai répondu : expérimentation.
Q- Ma question était : quand une loi est votée par l'assemblée nationale et le Sénat, et entérinée au final, pourquoi n'est-elle pas appliquée ? Pourquoi le Gouvernement s'autorise-t-il à ne pas publier les décrets qui vont avec ?
R- Il publiera le décret issu de la loi qui prendra en compte la demande des partenaires sociaux d'une expérimentation.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 3 novembre 2006