Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement républicain et citoyen, sur "LCI" le 27 novembre 2006, sur sa candidature à l'élection présidentielle 2007, ses rapports avec le parti socialiste, les parrainages et le vote utile.

Prononcé le

Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- S. Royal est investie, c'est fait, elle a souhaité que vous la rejoigniez le moment venu. Alors le moment est-il venu ?
R- Je n'ai pas vu que mon nom ait été prononcé lors de cette cérémonie du sacre.
Q- Cela fait quelques jours.
R- Soyons clairs, je suis candidat, demain a lieu mon meeting de lancement à Jappy dans le 11ème arrondissement de Paris à 19h30. Donc je vais développer mes thèmes de campagne que j'ai déjà annoncés. Trois priorités, vingt chantiers et d'abord, réorienter la construction européenne. Je dirais simplement que le débat doit s'ouvrir bien évidemment et il doit s'ouvrir au fond.
Q- Vous êtes indifférent à ce qu'elle dit, vous n'écoutez personne au PS en ce moment, vous ne négociez pas ?
R- Il n'y a pas de négociation depuis le mois de juin. Mais j'écoute ce qui se dit. Pour le moment, on est encore quand même dans une certaine généralité de propos.
Q- Est-ce qu'elle vous a appelé après sa désignation par les militants, est-ce que vous avez parlé avec S. Royal ?
R- Non, après sa désignation, je crois qu'elle a parlé à très peu de monde et je comprends quelle ait beaucoup de problèmes, beaucoup d'obstacles à surmonter, c'est difficile.
Q- On la voit soucieuse des problèmes d'insécurité, on la voit attentive au sentiment national, on la voit partisane de l'autorité dans l'éducation. On a l'impression qu'elle a une part d'elle qui est "chevènementiste". Qu'est-ce qui vous sépare de S. Royal ?
R- Il n'y a pas que cela. Effectivement, on l'a accusée d'avoir viré à droite parce qu'elle avait rejoint les thématiques qui ont été les siennes il y a quelques années et même quelquefois, il y a très longtemps, dans l'Education nationale. Mais je crois qu'il n'en est rien. Par exemple, on a besoin d'une école forte pour les enfants des couches populaires. Maintenant, la question de l'Europe est centrale, c'est un gros paquebot l'Europe, comment la réorienter ? Voilà le premier sujet de débat et peut-être de divergence.
Q- Alors, elle rassemble, elle, es partisans du oui et du non au référendum du 29 mai 2005.
R- Oui et le projet du PS mentionne clairement un nouveau traité constitutionnel, page 88. Moi je pense que ça n'est pas du tout ça qu'il faut faire parce que ce n'est pas la priorité. Il y a trente nations en Europe, entre trente nations, entre trente peuples, on ne fait pas une Constitution. Il faut réorienter l'Europe sur le plan économique. Comment organiser la relance, comment la financer et quelle vision a t-on de ce problème là ? C'est de cela qu'il faut parler. Et puis naturellement, de l'industrie : comment éviter le délitement du tissu industriel, les délocalisations.
Q- Vous êtes prêt à une rencontre avec S. Royal et son entourage pour mettre tout ça sur une table et discuter sur le fond.
R- Ecoutez, nous sommes ouverts au débat, si elle le souhaite, bien entendu. Et j'ajoute qu'il faudra parler aussi des problèmes de l'énergie, parce qu'on peut être très favorable aux économies d'énergies, aux énergies renouvelables, à la biomasse, je le suis, mais on ne peut pas faire l'impasse sur le nucléaire qui ne rejette pas de gaz à effet de serre et qui est quand même un atout formidable pour la France.
Q- Elle est pour la fusion EDF-GDF elle par exemple, cela vous va ?
R- Je pense que c'est une vision qui date d'il y a quelques années. Je pense que malheureusement il y a eu une certaine libéralisation des marchés de l'énergie faite par les socialistes, à Lisbonne et Barcelone, et aujourd'hui, nous nous trouvons avec des concurrents étrangers en France et les entreprises comme EDF ont pris des positions par exemple en Italie. Il faut aller vers deux grands acteurs énergéticiens à capital public, en tout cas où la puissance publique a la majorité. Je pense que ce serait plus moderne que de vouloir revenir à une solution qui aurait eu ma préférence il y a une dizaine d'années.
Q- Est-ce que le Parti socialiste peut vous empêcher d'avoir les 500 signatures nécessaires à votre candidature ?
R- Je crois que ça lui est très difficile parce que il y a quand même 36.600 maires dont beaucoup n'ont pas la carte du Parti socialiste.
Q- Et combien avez-vous de signatures aujourd'hui ?
R- Un peu plus de 300.
Q- Et vous êtes optimiste ?
R- Ecoutez cela rentre bien depuis que j'ai fait acte de candidature, publiquement, il y des gens qui me soutiennent par sympathie, je dois dire.
Q- Pourquoi êtes-vous contre les 500 signatures données à J.-M. Le Pen ? Souhaitez-vous qu'il ne les ait pas ? Il a fait 4,8 millions de suffrages en 2002.
R- Je ne raisonne pas comme ça. Je dis que les maires ont un rôle de filtre démocratique. Comment veulent-ils que le débat politique s'organise en France ? Je crois que le vote Le Pen est très largement un vote de rejet. Ce n'est pas un vote pour Le Pen, c'est donc un vote perdu, qui par exemple a fait réélire Chirac à 82 %. Et Le Pen n'est pas quand même un candidat comme les autres, c'est lui qui a eu une phrase : "Les chambres à gaz sont un détail de l'histoire". Je pense que ce mot là révèle une philosophie qui n'est pas compatible avec son existence dans l'arc démocratique.
Q- Alors vous avez bien dit que si un nouveau "21 avril" menaçait, vous retireriez
votre candidature ?
R- Je n'ai pas dit ça, je n'ai pas employé le mot "retrait". J'ai dit que je demanderais une concertation entre tous les candidats de gauche et je demanderais à chacun de prendre ses responsabilités.
Q- Quand vous voyez Le Pen dans les sondages être à 17, 18, parfois 20 %, vous ne vous dites pas que le moment est venu de provoquer cette concertation ?
R- Ecoutez, je sais comment marchent les sondages, je sais qu'on applique des coefficients de correction qui peuvent être de trois à quatre pour Le Pen, donc je me méfie beaucoup de ces sondages qui font partie d'une intoxication générale sur le thème du "vote utile", de "l'effet Le Pen", ce sont les "rabatteurs", les "serre-files"... On ne peut voter en principe que pour l'UMP ou le PS. "En dehors de ça, point de salut !"
Q- Vous ne craignez pas justement ce vote utile qui pourrait écrabouiller tous les petits candidats, comme on les appelle, au soir du premier tour ?
R- Le vote utile c'est le contraire du vote républicain, du vote en conscience et je pense que les citoyens devraient quand même pouvoir se prononcer au fond et ne pas être enfermés par avance dans des solutions toutes faites. Il me semble que le vote utile aboutit finalement à l'aplatissement total du débat. On ne peut plus débattre du fond. Les questions que j'ai évoquées tout à l'heure passent à la trappe.
Q- Le fond par exemple ce sont les valeurs, les valeurs de gauche. C. Allègre vient de dire que vous les portiez. Est-ce que vous lancez un appel aux jospinistes pour qu'ils vous rejoignent ?
R- Non, je ne veux pas intervenir dans les affaires intérieures du Parti socialiste, c'est déjà assez compliqué comme ça, et puis je les connais bien. Donc, tout cela, je n'interviens pas. Mais je veux rappeler que si le Parti socialiste avait voulu abolir la loi qui fait que seuls les deux candidats arrivés en tête au premier tour peuvent se maintenir au second, il aurait pu déposer une proposition de loi. Et le Gouvernement, l'UMP, s'il l'avait voulu, il aurait pu également changer cette petite disposition de la Constitution. Aucun ne l'a voulu, parce que c'est la manière de maintenir leur duopole sur la vie politique qui leur permet de confisquer la presque totalité des financements publics et des temps d'antenne alors qu'ils font à eux deux, à peine 25 % des inscrits en 2002.
Q- Benoît XVI se rend demain en Turquie. A-t-il été provocateur dans ses propos sur la violence et l'islam ?
R- Peut-être n'a-t-il pas été très adroit, parce que toute religion mérite d'être restituée dans son contexte. Et si vous lisez la Bible, il y a des passages terribles. Bon, on décode, on prend cela dans un contexte général et puis je dirais que même quand on va chercher dans certains Evangiles, par exemple l'évangile de Saint Mathieu, on trouve des choses quand même assez bizarres, par exemple sur les Juifs.
Q- Chacun ses violences donc ?
R- Sans vouloir tout mettre sur le même plan, je pense qu'une certaine exégèse est nécessaire, un certain recul historique, J. Berque, qui a traduit le Coran, a noté que le Prophète fait 44 fois appel à la raison naturelle. Quand je rencontre les musulmans, je leur dis, cet appel à la raison naturelle c'est ce que moi j'appelle "laïcité".
Q- Violence dans les stades : N. Sarkozy a annoncé des mesures.
Seront-elles efficaces ? Vous avez été ministre de l'intérieur, vous
connaissez le problème.
R- Des rodomontades qui aboutissent à des dérapages que l'on aurait pu prévenir, en se montrant plus sévère à l'égard du PSG et de ces clubs de supporters dont le comportement est absolument intolérable.
Q- S'il devait y avoir un slogan, une définition pour Chevènement 2007, ça serait quoi ?
R- "Faire rebondir la France en réorientant la construction européenne et en remettant en marche le modèle républicain".
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 novembre 2006