Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur "France 2" le 28 novembre 2006, sur les conditions de la réussite de Ségolène Royal après son investiture comme candidate du PS à l'élection présidentielle de 2007 : parler aux Français, mobiliser le PS, rassembler la gauche.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Revenons sur ce meeting particulier de la Mutualité, qui l'a définitivement investie et vous avez vous-même évoqué quatre conditions pour le succès ; quelle est la plus importante de ces quatre conditions ?
R- La première condition de la victoire, parce que nous avons une candidate, elle a été investie après une procédure exemplaire, mais maintenant, il faut s'adresser aux Français. La première condition pour les intéresser à ce qui va se décider sans quelques mois, c'est d'être sur des sujets qui leur paraissent les plus déterminants. Et pour nous, bien sûr qu'il y a la sécurité - on voit bien que la droite voudra en faire le thème unique -, nous n'allons pas refuser ce thème parce que la droite a échoué sur cette question mais il faudra poser d'abord la priorité du social, par rapport à la précarité, au pouvoir d'achat, la vie chère...
Q- Le pouvoir d'achat, la vie chère, c'est la façon différente de parler ? Le pouvoir d'achat c'est un peu la façon ancienne ; la vie chère, c'est le parler Ségolène, c'est ça ?
R- C'est le parler des Français eux-mêmes. Eux, ils ne calculent pas le pouvoir d'achat, ils constatent tous les mois qu'il est de plus en plus difficile d'acheter les mêmes produits pour continuer à vivre de la même façon. Donc, ça, c'est la première condition : être sur les préoccupations des Français. Et le premier sujet que nous allons mettre en avant pour l'avenir, une fois que l'on aura réglé les questions de précarité, c'est l'éducation parce que c'est ce qui permet à chacun d'avoir les mêmes chances pour accéder à une vie nouvelle. La deuxième condition de la victoire, c'est de mobiliser le Parti socialiste. Vous allez me dire que cela ne suffit pas ; heureusement. Il faut être capable d'avoir tous les socialistes derrière soi - ce sera la tâche de Ségolène - et en même temps de s'adresser aux autres. C'est la troisième condition : rassembler la gauche parce que c'est le socle à partir duquel on doit construire une majorité politique mais être capables, aussi, de ramener vers la gauche tous les Françaises et les Français qui se sont désintéressés de la politique.
Q- C'est-à-dire aller aussi bien du côté de l'UDF que du côté de la gauche antilibérale ?
R- Non, pas du coté des partis mais du côté de tous ces électeurs qui n'y croient plus, qui doutent, qui se disent "encore une fois, on va nous raconter quelles histoires pour faire quelle politique après ?". Et puis, la dernière condition, c'est d'être capables, les uns et les autres de mesurer ce que va être l'après élection. Ne rien promettre qu'on ne soit capables de tenir.
Q- Je voudrais revenir sur ces différents points. D'abord, quand vous dites "confronter nos idées, écouter, etc." ; comment cela s'articule- il avec le projet socialiste ? Cela fait partie des critiques faites à la candidate à la candidature : il y a un projet, il y a un parti, et elle, parfois, dit "non". D'ailleurs à la Mutualité, elle disait : "Si vous m'écoutez bien, si vous faites bien ce que je vous dis, si vous me suivez, je vous mènerai à la victoire". Cela doit franchement leur faire bizarre aux militants, parce qu'ils ne sont pas vraiment habitués à ce qu'on leur parle comme ça, et aux cadres encore moins - enfin, certains cadres en tout cas, ça doit leur faire bizarre.
R- Ils l'ont choisie, ils l'ont voulue. Il y a eu un vote, personne n'a été lésé ou en incapacité de faire valoir sa position. Donc nous savons qui est S. Royal mais nous savons aussi quel est le projet du Parti socialiste, elle est la candidate du projet socialiste. Mais en même temps, nous voulons avoir un dialogue avec les Français, nous avons le temps puisque notre candidate a été désignée au mois de novembre et l'élection a lieu au mois de mai. On va prendre le temps nécessaire, deux mois sans doute, pour discuter, dialoguer. Sur quoi...
Q- Donc elle a raison quand elle dit que le programme, ce n'est pas le petit livre Rouge, qu'on a le droit de...
R- C'est la base à partir de laquelle on discute avec les Français. On ne va pas leur parler de rien. Et puis, ensuite, tous ceux qui viendront vers nous apporteront peut-être une idée, une façon de changer leur vie quotidienne, une manière d'agir. Donc, à partir de là, nous, à la fin du mois de janvier, février, nous pourrons améliorer notre projet, regarder ce qu'il faut mettre comme complément, ce qu'il faut peut-être enlever ici ou là, préciser telle ou telle orientation et puis ensuite, ce sera...
Q- Tout est ouvert à nouveau ?
R- Non, tout n'est pas ouvert. Il y a les bases, il y a le socle, il y a les fondements.
Q- Oui, mais concrètement, sur les 35 heures par exemple, on sait qu'elle n'est pas absolument d'accord avec tout ce qu'il y a dans le projet. Cela veut-il dire qu'il y a des choses qui peuvent évoluer ?
R- Non, elle n'a pas dit cela. Elle a dit que les 35 heures, telles qu'elles avaient été appliquées, avaient été un progrès pour beaucoup mais une difficulté, des injustices pour d'autres. Nous, que disons nous avec elle ? Je ne fais pas de distinction entre S. Royal et le parti socialiste, elle est la candidate du parti socialiste. Mais que dit-elle avec nous ? Qu'il va falloir généraliser les 35 heures, il n'y a pas de raison que dans les petites entreprises, il n'y ait pas les 35 heures. Mais il faudra veiller à la bonne application. Donc voilà ce que nous faisons. Elle a aussi sa liberté, et je crois que c'est ce qui fait qu'elle est aujourd'hui investie par le Parti socialiste. Cela lui donne une force, une liberté, d'avoir justement une approche des mots, une façon d'agir, de faire de la politique. Et c'est ce qui a suscité l'adhésion au sein du parti socialiste mais aussi l'adhésion de beaucoup de Français qui ne sont pas socialistes. Comme je le dis souvent, aujourd'hui, pas besoin de nous adresser aux socialistes, c'est fait, adressons-nous aux Français.
Q- Comment cela va-t-il s'articuler entre le Parti et l'état-major de campagne de S. Royal ? On sait qu'elle doit annoncer dans les prochains jours qui fera partie de cet état-major ; ce ne sera pas dans les locaux du PS, ce sera à côté. Est-ce bien ou pas ? Auriez-vous préféré qu'elle reste dans les locaux ou au fond ce n'est pas très difficile, vous avez quelques occasions de la croiser et dans les couloirs et ailleurs ?
R- Le siège de la campagne est au PS. Donc il y a là toute l'organisation qui va faire la campagne de S. Royal et elle, elle a ses locaux - c'est normal - juste à côté avec son équipe très liée au PS et avec laquelle elle a la volonté de travailler, et avec son équipe et avec le PS. Tout cela va se faire en bonne intelligence dans un dispositif cohérent. A moi de veiller à ce que tout le rassemblement se fasse, à elle se s'adresser aux Français.
Q- Cela veut dire que si, par exemple, quand elle constitue son état major de campagne, vous jugez qu'il ne faut quand même prendre pas simplement le premier cercle mais tenir compte des différentes composantes, vous en parlez avec elle ?
R- Je pense qu'elle a à organiser son équipe comme elle l'entend- je dis bien "comme elle l'entend". C'est avec cette équipe là, tous les jours, qu'elle va être au travail pour mener campagne, la force étant le PS dans toute sa diversité. Donc le rassemblement, l'unité, le respect des uns et des autres, notamment de ceux qui n'ont pas voté pour elle au sein du PS, mais qui aujourd'hui sont derrière elle, c'est au PS que cela se fait.
Q- Avez-vous le sentiment que cela se calme un peu sur le front des critiques, parce qu'elle a quand même été très critiquée, très attaquée - je vous fais grâce des réflexions très machistes, etc. Est-ce que vous avez l'impression que ça se calme ou avez-vous le sentiment que cela pourrait repartir assez facilement et qu'il y a toujours un vieux fond de...
R- Non. Je crois que le débat a été utile. Il a justement permis de se dire un certain nombre de choses, d'évoquer un certain nombre de sujets. Tout a été dit, tout a été démontré ; le vote est intervenu, le rassemblement s'est effectué. Vous parliez de la réunion de dimanche : elle a montré que nous étions les uns et les autres, tous, derrière la candidate choisie.
Q- Vous avez dit dimanche que N. Sarkozy ne pouvait pas rester ministre de l'intérieur parce que c'était une sorte de conflit d'intérêt entre sa position de ministre de l'intérieur et donc d'organisateur des élections et sa position de candidat potentiel.
R- N. Sarkozy est dans l'intention d'être candidat depuis longtemps, sans doute depuis plus de quatre ans et demi. Mais là, il nous annonce - rendez-vous compte de la surprise - qu'il va sans doute être candidat à l'élection présidentielle, cette fois-ci, officiellement. On nous dit "cette semaine" ; on cherche encore la forme, on ne sait pas si ce sera sur un blog sur un fax, etc. vraiment, on ne sait pas quel sera l'instrument, mais on connaît déjà la décision. On a bien le droit, c'est la vie politique, l'UMP est une formation qui doit être représentée dans l'élection présidentielle, elle doit choisir son candidat, ça c'est son affaire. Mais il est ministre de l'intérieur, et là, il y a un problème d'incompatibilité à la fois au plan moral et au plan du fonctionnement de l'Etat. Je m'explique : ministre de l'intérieur, c'est celui qui organise l'élection, le scrutin, en l'occurrence, l'élection présidentielle, et lui, il va en être un des protagonistes ; première étrangeté. Deuxièmement, le ministre de l'Intérieur est celui qui, dans l'Etat, doit assurer la garantie de la sécurité des Français. Comment être ministre de l'Intérieur, alors que l'on sait la situation de violence dans le pays, les difficultés, d'intensité de l'insécurité, comment être ministre de l'Intérieur à temps partiel alors qu'on va être aussi président de l'UMP, candidat de l'UMP et président du Conseil général des Hauts-de-Seine ? Ce n'est pas, je crois, possible. J'ajoute un dernier élément : il y a aussi un problème de confusion. Le ministre de l'Intérieur se déplacera comme candidat, comme ministre de l'Intérieur, avec quel financement ? Avec celui des contribuables, celui de l'UMP ? Toutes ces questions sont posées, elles doivent être réglées. La seule manière, à mon sens, c'est qu'il y ait justement cette séparation. Si N. Sarkozy veut être candidat, il en a le droit ; à mon sens, il ne peut pas rester ministre de l'Intérieur.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 novembre 2006