interview de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, à RFI sur l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union européenne, à Bucarest le 30 novembre 2006.

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Circonstance : Déplacement en Roumanie, le 30 novembre 200-

Média : Radio France Internationale

Texte intégral


Q - Madame la Ministre, merci d'être venue dans le studio de RFI à Bucarest. La France a donc décidé d'ouvrir son marché du travail aux travailleurs roumains et bulgares dès le 1er janvier 2007, au contraire de ce qu'ont fait d'autres pays européens, qui n'ont pas ouvert leurs marchés par crainte d'un déferlement de Roumains et de Bulgares. Vous aviez parlé tout à l'heure d'un choix politique. Pourquoi cette décision ?
R - Bonsoir et merci de votre invitation. Merci aussi de me permettre de parler directement aux Roumains à l'occasion de cette visite que j'ai effectuée ici, avec beaucoup de plaisir, quelques semaines avant l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne. Nous avons fait le choix de traiter les Roumains et les Bulgares à égalité avec les pays qui nous avaient rejoints il y a deux ans. C'est un choix politique qui marque la confiance que nous avons dans la capacité de la Roumanie à rattraper le temps perdu. Et puis, c'est aussi le choix de la cohérence et de la simplicité. Tout le monde sera traité de la même manière. C'est mieux ainsi. Nous avons des besoins sur le marché de travail qui ne sont pas toujours remplis. Et, ici, il y a des hommes et des femmes bien formés qui souhaitent connaître d'autres moyens de travailler, de nouveaux emplois. La demande et l'offre se rencontrent de façon maîtrisée et progressive. Je n'ai pas d'inquiétude, cela se passera bien.
Q - Est-ce que vous avez fait un peu de publicité pour la Roumanie et la Bulgarie, est-ce que ces deux pays doivent faire de la publicité ? Je dis cela parce qu'il y a eu en France et dans d'autres pays européens la crainte du plombier polonais, il y a quelques années. Est-ce que vous n'avez pas peur que cette crainte réapparaisse ?
R - Honnêtement, non. C'était une crainte qui n'était pas justifiée, il faut le dire. Il y a eu beaucoup de polémiques, à l'occasion de la campagne référendaire que notre pays a connue il y a bientôt deux ans. Le référendum est derrière nous, l'avenir est devant nous. Donc, essayons d'avancer en ayant des idées claires et les pieds sur terre à l'égard de ce que nous voulons faire. Et que voulons-nous faire ? Une Europe unie dans la paix, dans la démocratie, dans la solidarité, et, ce qui est remarquable, c'est que nous arrivons à progresser. Je veux être à la fois confiante et positive dans notre capacité collective à réussir ce grand projet européen commun.
Q - La Roumanie et la Bulgarie vont donc rejoindre l'UE le 1er janvier 2007. Dans le débat interne, on se pose beaucoup de questions sur ce que l'Europe va apporter à la Roumanie. Mais qu'est-ce que la Roumanie peut apporter à l'Europe ? Qu'est-ce que vous attendez de la Roumanie, et de la Bulgarie, évidemment ?
R - Je sais que pour la Roumanie, comme pour la Bulgarie, la date du 1er janvier 2007 est une date non seulement symbolique, mais une date historique importante. Nous les accueillons les bras ouverts, bien volontiers. C'est dans l'intérêt de l'Europe, comme de l'ensemble de nos pays, de réussir l'unification de la famille européenne. Et, en effet, je pense comme vous que la Roumanie va apporter à l'Europe son expérience, son histoire, ses espaces, son peuple. Nous avons déjà beaucoup de choses en commun. Nos cultures se sont souvent mêlées, nos architectes, nos penseurs, nos écrivains se sont beaucoup fréquentés. Notre proximité a toujours été forte. Nous avons suivi de près les événements de 1989, nous vous avons accompagnés dans votre marche vers l'Union européenne. Et tout ce que la Roumanie peut nous apporter, c'est aussi son expérience dans la région, c'est son regard particulier, son apport à notre réflexion commune sur les voisins, les Balkans, la Mer Noire, c'est-à-dire un certain nombre de domaines dont l'Union européenne doit se préoccuper aussi pour son avenir. Ce sont des domaines où la Roumanie est bien placée, peut-être mieux que d'autres pays, mieux que la France, qui est plus loin, pour comprendre quelles sont les évolutions de ces régions.
Q - Vous avez dit aujourd'hui, Madame la Ministre, que vous espériez que la Roumanie sera un partenaire fiable et solide de la France pour une vision ambitieuse d'une Europe politique et solidaire. Pourtant la Roumanie s'est avérée jusqu'à présent un pays pro-atlantiste convaincu, peut-être le meilleur allié des Etats-Unis de George Bush dans la région. Est-ce que vous pensez qu'après l'adhésion à l'Europe, la Roumanie va développer un réflexe européen plus important ?
R - J'en suis persuadée. Je fais partie des responsables politiques qui ne voient pas d'opposition entre l'Alliance atlantique et la défense européenne. De plus, la France est aussi membre de l'Alliance Atlantique et y apporte sa contribution sur un certain nombre de théâtres extérieurs, comme dans la coopération politique et opérationnelle. Mais, parallèlement à cela, nous construisons une Europe politique qui a une dimension extérieure, qui a une dimension de sécurité, qui a même une dimension de défense. Je vous fais observer que, d'ores et déjà, la Roumanie avait pris ses responsabilités européennes en matière de défense, puisqu'il m'est arrivé de rencontrer des soldats roumains en Bosnie-Herzégovine, qui participent à l'une des opérations européennes de sécurité et de stabilité dans ce pays. Et je suis sûre qu'à compter du 1er janvier, à compter du moment où la Roumanie sera pleinement dans l'Union européenne, elle ne pourra que progresser sur ce chemin de la politique extérieure de sécurité et de défense.
Q - Vous êtes aujourd'hui en Roumanie, bientôt vous allez être en Bulgarie, vous êtes donc à l'est de la future Union européenne élargie, et, justement, est-ce que vous pensez que l'Europe va s'élargir d'avantage, une Moldavie européenne, peut-être, une Ukraine européenne, quand, comment ?
R - Je ne l'imagine pas aujourd'hui. La France est favorable à l'élargissement qui a été mené. Je considère que l'une des grandes réussites de la construction européenne - profondément conforme à la vocation même de l'Europe qui est d'ancrer la démocratie et la liberté sur notre continent - est d'avoir fait l'élargissement, et de l'avoir fait dans de bonnes conditions. Aujourd'hui, nous avons beaucoup progressé. Nous achevons avec l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie ce qu'on appelle la cinquième vague d'élargissement. Nous sommes passés en très peu d'années de 15 à 27 et nous considérons qu'il faut faire une pause ou, plus exactement, prendre le temps d'adapter nos institutions, d'améliorer nos politiques communes, avant d'aller plus loin. Vous me posez une question plus précise qui concerne la Moldavie et un certain nombre de pays voisins. Je n'imagine pas, pour le moment, qu'il faille leur offrir, a priori, une perspective européenne, une perspective d'adhésion à l'Union européenne. C'est notre position, vous la connaissez, et ces pays la connaissent. En revanche, ce que nous devons faire pour les aider, car nous voulons les aider, c'est utiliser la politique de voisinage qui existe. Elle se traduit par des plans d'actions, des financements, des coopérations que nous menons en commun sur un certain nombre de domaines, identifiés d'un commun accord. Nous devons l'utiliser d'avantage comme un levier pour le changement de ces pays. Nous ne l'utilisons pas suffisamment.
Q - Une dernière question Catherine Colonna : avec l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'UE, la place de la francophonie sera encore plus importante dans l'Union européenne, est-ce que vous pensez que les 13 pays francophones vont savoir utiliser cet outil pour mieux défendre la francophonie ?
R - Je crois même qu'il y en a 14 qui appartiennent à la Francophonie, comme membres pleins ou observateurs. Indiscutablement, l'entrée de la Roumanie va être pour nous un renfort puissant pour qu'on parle français en Europe. J'ai pu constater toute la journée, ici, combien il est facile de s'exprimer dans notre langue. Je crois très sérieusement qu'il est important que, dans le monde que nous construisons, grâce à l'élargissement de l'Union européenne, notamment, nous ayons le sens du respect d'autrui, que nous puissions nous enrichir également par notre diversité, tout en étant capables de dégager l'intérêt général. C'est bien cela la construction européenne et cela suppose aussi la diversité. Et donc, bienvenue à la Roumanie francophone dans l'Union européenne. Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 décembre 2006