Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à "Sud Ouest" le 2 décembre 2006, sur l'annonce de sa candidature à l'élection présidentielle de 2007 et sur la nécessité d'un président de la République "capable de rassembler les Français de bonne volonté et lucides au-delà des camps".

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Circonstance : Annonce par François Bayrou de sa candidature à l'élection présidentielle de 2007, à Serres-Castet (Pyrénées-Atlantiques) le 2 décembre 2006

Texte intégral

« Sud Ouest ». Pourquoi avoir choisi le village de Serres-Castet pour annoncer votre candidature ?
François Bayrou. Parce qu'il est au coeur de la circonscription que je représente depuis vingt ans à l'Assemblée nationale, et aussi parce que c'est un admirable balcon sur les Pyrénées, la ville de Pau et la plaine du gave.
De surcroît, et même si c'est anecdotique, c'est le village d'origine des Bayrou.
« Sud Ouest ». Surtout, c'est loin de Paris !
François Bayrou. Pour moi, c'est un geste important. C'est l'entrée dans une campagne qui doit être scellée par un acte solennel. On doit le lier avec tout ce que l'on est, avec son histoire, ses amis. J'avais examiné l'idée de faire cette déclaration à Paris, mais j'ai pensé que ce serait moins sincère, moins authentique et moins fort si je le faisais dans un lieu anonyme, moins empreint de souvenirs et d'amitié.
« Sud Ouest ». En Béarn, vos amis que nous avons contactés vous en sont tous reconnaissants, mais vous serez loin aussi de l'UDF, le parti que vous avez sauvé de la destruction en 2002 ?
François Bayrou. La campagne présidentielle doit se faire au-delà d'un parti, elle s'adresse à tous les Français, pas seulement aux adhérents et aux militants. Il est très important qu'un courant de pensée soit présent et actif dans une campagne présidentielle. Mes amis de l'UDF sont fiers, je crois, de ce que nous avons fait ensemble, mais ils savent bien désormais que cela s'adresse à tous les Français. Cela d'autant plus que l'heure est marquée par le besoin d'adopter une démarche qui ne soit ni partisane ni clanique.
Il est très important que l'on puisse dépasser les frontières habituelles des partis et des camps.
« Sud Ouest ». Aujourd'hui, vous ne vous situez plus ni à droite, ni dans la majorité actuelle ?
François Bayrou. Toute élection présidentielle permet de constituer une majorité présidentielle. Je suis certain depuis longtemps qu'aucun des problèmes qui se posent à la France n'a la moindre chance d'être résolu si nous restons dans l'affrontement entre le PS et l'UMP.
Au contraire, je pense qu'il faut un président de la République capable de rassembler les Français de bonne volonté et lucides au-delà des camps.
« Sud Ouest ». Vous pensez en trouver dans les deux camps ?
François Bayrou. En France, il y a des gens de bonne foi à droite, des gens de bonne foi à gauche, au centre ou chez les écologistes. Nous avons besoin de toutes ces sensibilités pour que le pays se redresse. On ne le redressera pas avec une partie des Français contre les autres, parce que l'une comme l'autre sera minoritaire.
La majorité nouvelle que je souhaite sera une majorité d'union qui tiendra compte des principales sensibilités démocratiques. Ma démarche reconnaît qu'il y a des valeurs de droite, de gauche ou du centre qui sont importantes et justes.
On a besoin de l'esprit d'entreprise, de la fermeté de l'Etat, de la solidarité et de la tolérance. Ces idées appartiennent à des camps différents, et toutes sont nécessaires.
« Sud Ouest ». Vous vous déclarez deux jours après Nicolas Sarkozy, qui n'a pas parfaitement réussi le lancement de sa campagne. Pensez-vous mieux faire ?
François Bayrou. (Rires) En tout cas, dans mon esprit, il n'y a pas de stratégie marketing. Je parle aux Français depuis mon pays. Tout est vrai, authentique, dans cette démarche, et je compte lui donner du contenu.
« Sud Ouest ». Les sondages montrent que Jean-Marie Le Pen peut figurer à nouveau au second tour en 2007.
François Bayrou. Je ne me contente pas de le regarder et il ne m'hypnotise pas. Je le prends au sérieux et j'écoute ce qu'il dit.
C'est terrible pour la France. On pourrait, par exemple, repérer les étrangers et les renvoyer parce qu'il prétend que tous les maux viennent de leur présence. Il prétend aussi que l'on pourrait sortir de l'Europe, supprimer l'impôt sur le revenu.
Prises au sérieux, ces idées sont porteuses d'une immense crise nationale.
« Sud Ouest ». Le vaste succès de Ségolène Royal au PS n'est-il pas une façon de renouveler le débat politique ?
François Bayrou. La présentation de la démocratie participative qu'elle a faite et qui consiste à écrire son programme avec des sondages ne correspond pas à ma vision de la politique. La France a besoin qu'on lui propose un chemin courageux, pas qu'on la mène dans le sens de l'opinion. On sait ce que cela nous a coûté.
S'il avait fallu aller dans le sens de l'opinion, il n'y aurait jamais eu de 18 Juin. Les grandes idées sont rarement celles qui sont plébiscitées au départ par les sondages.
« Sud Ouest ». Parmi les grandes idées, vous mettez l'Europe. Aura-t-elle une place dans votre discours ?
François Bayrou. La crise européenne est l'une des plus importantes auxquelles la France doit faire face. On a l'impression que parmi les dirigeants, personne n'y croit plus. Qu'elle est devenue une affaire juridique ou économique. Or, l'Europe n'est pas cela. Elle consiste à peser ensemble sur l'histoire du monde, et ce n'est pas du tout ce que l'on fait. Elle est compliquée, technocratique, alors qu'elle devrait être l'affaire des citoyens, qui devraient y trouver protection et influence.
« Sud Ouest ». Vous aurez donc un mot pour l'Europe à Serres ?
François Bayrou. Le contraire m'étonnerait !
« Sud Ouest ». La rupture, c'est vous ou Sarkozy ?
François Bayrou. Le mot de rupture utilisé par quelqu'un qui est au pouvoir depuis cinq ans m'apparaît comme un abus de langage. Y ajouter l'adjectif tranquille quand on s'appelle Nicolas Sarkozy, on aurait pu trouver mieux.
Propos recueillis par Jean-Pierre Deroudille
source http://www.udf.org, le 4 décembre 2006