Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à "La République des Pyrénées" et à "L'Eclair des Pyrénées" du 2 décembre 2006, sur l'annonce et les raisons de sa candidature à l'élection présidentielle de 2007.

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Circonstance : Annonce par François Bayrou de sa candidature à l'élection présidentielle de 2007, à Serres-Castet (Pyrénées-Atlantiques) le 2 décembre 2006

Texte intégral

Q - Se présenter à l'élection présidentielle : est-ce une décision facile à prendre ?
François Bayrou : « C'est une décision très lourde, à titre personnel, mais aussi pour sa famille, ses amis. Il s'agit de l'aboutissement d'un effort continu. Dans l'élection présidentielle, il y a une intensité, une dureté même, qui ne se retrouvent pas dans les autres scrutins ; mais c'est le seul moyen de donner corps aux idées et aux convictions qui vous animent pour votre pays.
Ma décision est prise depuis longtemps. En France, tout est tellement centralisé, que rien ne peut changer sans le président de la République. C'est le chemin nécessaire pour aller au bout d'un engagement et pour offrir à tout un pays, un choix nouveau ».
Q - Y a-t-il quelque chose qui différencie les hommes politiques qui franchissent ce pas, de ceux qui en caressent le rêve, mais en restent au stade des intentions ?
F.B. : « Oui, je crois qu'il y a des différences. J'ai, par exemple, beaucoup regretté, il y a quelques années, que Jacques Delors ne se présente pas. Il aurait été un formidable président de la République. Au dernier moment, il a pensé qu'on l'empêcherait d'aller au bout de sa logique politique. Je crois qu'il se trompait. Car une fois élu, tout d'un coup les choses changent : le nouveau président a, entre les mains, des moyens dont il ne disposait pas la veille, et cela pour une longue période. Prononcer la phrase « je suis candidat à la présidence de la République», oui c'est quelque chose d'important et d'émouvant ».
Q - En quoi votre identité béarnaise est-elle une force dans votre ambition présidentielle et la bataille que vous allez engager ?
F.B. : « Je vais vous faire une confidence. Mon équipe a examiné l'éventualité d'une déclaration de candidature à Paris. Je comprenais les raisons qu'ils invoquaient, mais tout simplement, je n'ai pas pu. Placé devant la décision, je leur ai expliqué : 'Quelque chose d'aussi important, je ne peux le dire ailleurs que chez nous'. Cette identité béarnaise est une force. La plus vieille démocratie du monde moderne a vu le jour en Béarn, voilà mille ans. La tradition veut que les Béarnais n'enlèvent leur béret devant personne. Cette manière, de regarder l'interlocuteur quel qu'il soit, comme un égal, fait partie de notre culture. Un autre trait de caractère, c'est la capacité des Béarnais à comprendre que même si l'autre n'a pas les mêmes idées que vous, cela n'empêche pas de travailler ensemble ».
Q - Arrivez-vous à identifier le moment où, pour la toute première fois, vous vous êtes dit : « Je serai candidat à l'Élysée » ?
F.B. : « Il y a une légende tenace qui raconte que j'ai toujours eu ce rêve en tête depuis ma petite enfance, mais je crois que c'est vraiment une légende. Je ne suis pas sûr que l'enfant que j'étais avait une idée nette de ce qu'était le président de la République. En revanche, une chose est vraie : j'ai toujours voulu représenter les gens et spécialement ceux dont la voix n'était pas écoutée. Dans ma première interview, que vous pouvez retrouver dans vos archives, comme juvénile candidat à la députation en 1978, je dis en substance ceci : 'Je veux être la voix de ceux qui n'ont pas de voix'. C'était face à André Labarrère. J'avais 26 ans, aucune relation, un embryon de parti et aucun moyen financier. Et pourtant j'y suis allé. Cette idée m'habite depuis tout jeune : dans les villages, dans les banlieues, la vie des gens est dure. Et dans les grandes décisions politiques, ils n'ont aucune place ».
Q - Ségolène Royal est très attentive aux mouvements de l'opinion. Nicolas Sarkozy s'appuie sur les images de l'actualité. Quel est le ressort de votre candidature ?
F. B. : « Un président de la République est fait pour proposer une vision au pays. Je ne crois pas du tout aux programmes que l'on écrit à partir des sondages. Je trouve même cela offensant pour l'idée que je me fais de la République. Imaginez que l'on ait suivi les sondages le 18 juin 1940 : personne ne serait allé à Londres. Quand François Mitterrand a aboli la peine de mort, il n'allait pas dans le sens des sondages. Toutes les grandes décisions sont celles qu'un leader propose à un peuple qui lui a fait confiance. Je déteste cette idée selon laquelle il faudrait suivre l'opinion pour espérer, qu'en retour, elle vous aimera. Je pense au contraire qu'il faut montrer le chemin. Autre différence avec Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal : je n'aime pas que l'on dresse les gens les uns contre les autres. Je ne crois pas que la gauche seule, ou la droite seule, chacune minoritaire, puisse résoudre le moindre problème dans notre pays. Les difficultés sont aujourd'hui d'une gravité telle qu'elles exigent le rassemblement national. L'heure d'un sursaut est venue, auquel chacun, avec ses valeurs, pourra participer ».
Q - Ce que vous direz samedi matin, est-ce le fruit d'un travail collectif, ou bien l'avez-vous écrit seul, face à votre ordinateur ?
F. B. : «Tout ce que je dis ou j'écris, je le pense et l'écris moi-même. Pour samedi, je vais reprendre le texte au moins trois fois. Trouver que cela ne va pas du tout, et tout recommencer. Je ne sais pas faire autrement. C'est une oeuvre d'artisan, qui permet de donner forme à ce que vous portez. Sinon, vous faîtes comme tout le monde : vous travaillez avec des agences de communication et cela se ressent très vite ».
Q - Dans ces moments qui précédent votre candidature, avez-vous une idée, une figure qui vous trotte dans la tête ?
F. B. : «Je pense souvent à cette jeune femme, venue à une réunion publique à Pontacq en 1997 et qui m'a dit : 'J'ai 27 ans, deux enfants. Le mercredi après-midi, je fais du repassage en écoutant les questions d'actualité à l'Assemblée Nationale. Je ne comprends rien à ce que vous dites, vous les politiques'. Cette idée m'obsède : trouver les mots les plus simples et les plus justes pour des hommes et des femmes comme elle ».
Q - Une campagne électorale, c'est plein d'incertitudes. Que redoutez-vous le plus ?
F. B. : «Pardon de le dire ainsi, il n'y a rien à redouter, parce que le but c'est de l'emporter. C'est alors quelque chose d'immense pour un pays.En toute hypothèse, il ne s'agira pas d'une histoire mesquine qui viserait à préparer des arrangements. Je propose au pays un chemin qui n'a jamais été emprunté depuis longtemps. Depuis Le Mendes de 1954 et le De Gaulle de 1958.
Q - Vous annoncez votre candidature ce samedi. Pourquoi est-ce le bon moment ?
F. B. : « Il m'a semblé qu'il fallait le faire avant les fêtes. Je ne voulais pas intervenir trop tôt. Je pensais que tous les autres se déclareraient avant moi. C'est fait plus ou moins bien pour chacun d'entre eux. Et puis c'est une si jolie saison chez nous ».
Q - Des artistes s'engagent aux côtés de Ségolène Royal et de Nicolas Sarkozy. Aurez-vous, vous aussi, votre lot de rappeurs, de chanteurs et d'acteurs ?
F. B. : « Beaucoup d'artistes, de personnalités du monde de la culture viennent me voir en me disant : 'Nous voulons vous aider'. Je leur explique que je n'ai aucune intention de les montrer sur une scène comme des singes savants. En revanche, je leur dis : 'Vous avez des occasions de parole, dites ce que vous ressentez'. Ainsi chacun reste dans son rôle ».
Q - Quelles leçons tirez-vous de votre campagne de 2002 ?
F. B. : « J'ai appris que les sondages se trompent toujours. Je sais que dans une campagne, le caractère des candidats apparaît. C'est sur cela que l'on est jugé. Et tout se joue tard ».
Q - Que dites-vous à ceux qui vous annoncent que vous ne serez pas au second tour ?
F. B. : « Chaque élection présidentielle depuis 1962 a réservé ses surprises. Ce n'est pas un hasard. Les citoyens veulent garder leur pouvoir. Ils n'entendent pas que leur conduite soit guidée par les sondages et les analystes. Une fois de plus, ils ne se laisseront pas mener par le bout du nez. Pour le reste, la seule chance de remporter une course, c'est d'être sur la ligne de départ ».
Q - Dans l'église de Serres-Castet, repose le marteau de Saint-Julien, qui est réputé avoir tous les pouvoirs. À quoi aimeriez-vous l'utiliser ?
F. B. : « C'est Nicolas Sarkozy qui devrait s'en servir, car il paraît que son principal pouvoir est d'enlever la migraine ! En tout cas, ce marteau est très Béarnais. L'évêque Saint-Julien l'aurait amené à Lescar et il serait revenu tout seul à Serres-Castet. Il avait de la suite dans les idées »
Propos recueillis par Jean Marziou et Hubert Bruyère
Source http://www.udf.org, le 4 décembre 2006