Texte intégral
Q- Vous serez jeudi à Matignon, à l'invitation du Premier ministre, en compagnie des autres représentants des centrales syndicales, et aussi du Medef, pour une conférence consacrée aux revenus et à l'emploi - c'est son titre officiel. En fait, il sera beaucoup question du pouvoir d'achat. L'idée générale, c'est qu'il n'y a pas assez de pouvoir d'achat, que depuis plusieurs années, notamment du passage à l'euro, celui-ci a diminué. Or qu'est-ce qu'il faut faire, selon vous, B. Thibault ? Que direz-vous lors de cette conférence pour résoudre ce sentiment qu'il n'y a pas assez d'argent dans la poche des Français ?
R- Le Premier ministre a annoncé cette conférence, vous vous en souvenez peut-être, relativement tôt, à la rentrée. Il a même, je crois, un peu devancé le risque de mécontentement très, très important qui risquait de s'exprimer. D'où cette annonce nous renvoyant en fin d'année. En même temps, chacun voit bien le contexte dans lequel nous allons avoir cette conférence.
Q- Un contexte préélectoral, vous voulez dire ?
R- Oui. Ce n'est pas à quelques mois des échéances - qu'A. Duhamel a rappelées, que chacun connaît amplement maintenant - que nous allons pouvoir aborder, malheureusement, quelques débats d'ordre structurel sur la politique industrielle, sur la politique fiscale. Bref, sur de l'action publique en profondeur permettant ou pas d'intégrer du pouvoir d'achat, d'intégrer des actions favorables à l'emploi.
Q- Donc, cela ne sert pas à grand-chose, cette conférence, d'après vous ?
R- Si, on va se saisir de toutes les opportunités.
Q- Qu'est-ce que vous allez y dire ?
R- Nous allons y aller pour obtenir des mesures concrètes et des mesures d'application rapide. Autrement dit, ce n'est pas la peine que le Gouvernement nous renvoie à ce qu'il fera d'ici... Au-delà de cinq, six mois, cela ne sera plus pertinent, chacun le comprend bien. Donc, nous y allons pour obtenir des mesures concrètes en matière de pouvoir d'achat. Naturellement, la revendication du SMIC à 1.500 euros, pour ce qui est de la CGT, sera toujours d'actualité jeudi. Nous voulons obtenir, et nous avons bien du mal, des négociations dans les branches professionnelles. Et de ce point de vue-là, je rappelle que malgré, déjà, les pressions qu'avaient dit vouloir engager le Gouvernement, il y a encore plusieurs dizaines de branches professionnelles où le premier niveau de rémunération dans les grilles est inférieur au niveau du Smic ; c'est inacceptable. Nous aimerions bien revenir sur la diminution qui a été décidée par ce Gouvernement dans la rémunération des heures supplémentaires dans les petites entreprises. C'est à la fois un Gouvernement où certains de ses membres disent qu'il faut accepter de travailler plus pour gagner davantage, et dans la foulée, c'est lui qui a décidé de diminuer la rémunération pour les heures supplémentaires. Il faut donc une série de mesures rapides, d'application immédiates, pour le pouvoir d'achat. Et sur l'emploi, là aussi, nous avons un argument supplémentaire, c'est le rapport qui va servir de référence, en quelque sorte, aux discussions que nous aurons jeudi. Que dit ce rapport ?
Q- Quel rapport ?
R- Celui du Centre d'études des revenus et des coûts, qui est présidé par M. Delors. Il met en évidence ce que les syndicats n'ont cessé de dire dans ce pays depuis plusieurs années : la précarité dans l'emploi est le levier principal qui explique la perte de pouvoir d'achat, au-delà de l'instabilité sociale que cela représente. C'était présent lors de la négociation sur la convention dans l'indemnisation du chômage. C'était présent lorsque les syndicats ont contesté des décisions CPE et CNE. Au passage, nous allons demander d'interrompre le recrutement en contrat "Nouvelles embauches", forme précaire d'emploi.
Q- Tout ce que vous dites, B. Thibault, vous savez bien que tel que vous l'exposez, par exemple sur le pouvoir d'achat, ce n'est pas L. Parisot qui accédera à vos demandes. Elle évoquera elle-même les difficultés des entreprises dans la concurrence internationale. On connaît tout cela, donc cela ne va pas servir à grand-chose.
R- Si le Gouvernement fait une conférence pour que cela ne serve à rien, je pense que tous les Français s'en apercevront.
Q- Oui, mais en même temps, si vos demandes sont aussi éloignées de ce que vos partenaires veulent donner, fatalement, si personne ne fait un pas vers l'autre, il n'y a pas d'accord.
R- Mais quel pas voulez-vous que les salariés, aujourd'hui, acceptent de faire, dès lors que la réalité de leur pouvoir d'achat est ce qu'elle est ? Je crois qu'il y a de moins en moins de personnes pour contester cette insatisfaction de ce point de vue-là. Nous avons fait une campagne au mois de juin, nous avons remis la question du pouvoir d'achat d'actualité à la rentrée et nous faisons une quinzaine, même si c'est un petit peu difficile, nous refaisons une quinzaine de mobilisations pour que, justement, il y ait davantage de pressions, que l'on en discute enfin et surtout que l'on prenne des mesures concrètes.
Q- Donc, au total, vous avez bon espoir que cela débouche sur quelque chose ou vous pensez que chacun va exposer...
R- Cela ne dépend pas de moi.
Q- Je comprend que cela ne dépende pas que de vous mais quel est votre espoir ? Est-ce que vous pensez que quelque chose va se passer ou alors, est-ce que c'est juste une réunion, comme il y en a eu beaucoup avant et comme on en aura après...
R- Je ne peux pas penser que le Gouvernement fasse une conférence qui s'annonce sur l'emploi et les revenus pour que cela ne débouche sur rien du tout, sur absolument rien, même si je sais bien qu'ayant voté le budget qu'il a voté, ayant pris des décisions politiques qu'il a prises durant les derniers mois, le Gouvernement va être dans la difficulté pour montrer que lui-même a sans doute accentué le diagnostic que font la plupart des salariés aujourd'hui.
Q- Et votre dialogue préparatoire avec D. de Villepin pour cette conférence, vous laisse quelque espérance ?
R- Je rencontre G. Larcher demain matin. Je vais y aller avec ce que je vous dis : des pistes d'action sur un certain nombre de sujets, qu'il s'agisse du pouvoir d'achat, qu'il s'agisse des postes de dépenses des ménages. Les transports : nous avons dit que la mesure envisagée par le Gouvernement était inefficace dans la mesure où elle n'allait pas s'appliquer à la plupart des salariés utilisant leur véhicule individuel pour aller au travail. Il y en a de plus en plus, c'est de plus en plus coûteux, et la mesure annoncée ne correspond pas à ce qui est attendu par les organisations syndicales.
Q- La conférence a lieu jeudi et vous rencontrez le ministre du travail demain. C'est-à-dire qu'il n'y a pas eu plus de préparation que ça pour l'instant ?
R- Non. Il y a des pistes lorsque vous regardez ce que sont un certain nombre de déplacements du Premier ministre aujourd'hui. On entend parler de l'emploi précaire chez les femmes ; c'est vrai que les femmes sont parmi les salariés les plus précaires, celles qui subissent les rémunérations les plus basses, les inégalités - mais ce n'est pas nouveau, nous ne cessons de le dire - de revenus à qualification égale, restent à hauteur de 20 % à 25 %. Elles ont le temps partiel contraint, et non pas le temps partiel choisi, comme on aimerait le présenter. Bref, elles sont parmi, avec les jeunes, parmi les victimes du paysage économique actuel.
Q- Il y a beaucoup de grèves à la SNCF, des grèves dans des régions ces jours-ci. N. Sarkozy, lors du débat de l'UMP, samedi, a dit : "Si je suis élu, je m'engage à faire appliquer le service minimum dans les transports publics, dès le mois de juillet". Donc, voilà un engagement d'un candidat à la présidence de la République ; cela vous inquiète-t-il ?
R- Oui, je ne sais pas parmi tous les engagements - et on n'est encore pas au poteau d'arrivée -, lesquels seront ou ne seront pas tenus de la part des candidats. Et de ce point de vue, permettez moi de dire que je suis déjà rodé à l'exercice de promesses qui ne sont pas forcément suivies d'effets.
Q- Et celles-là, cela vous intéresserait qu'elle ne soit pas suivie d'effets ?
R- S'agissant surtout de la caractéristique de la mesure, M. Sarkozy est adepte des petites carottes et des gros bâtons dans tous les domaines, dans le domaine social comme dans le reste. Cela n'est pas surprenant. Il est évident que si c'était une hypothèse qui devait voir le jour, cela veut dire que notre pays serait dans des tensions très fortes, très rapidement après les élections, dans la mesure où je ne crois pas que les Français attendent, parmi les premières mesures - on parle de juillet - qui seraient attendues, une remise en cause, d'une certaine manière, du droit de grève.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 décembre 2006