Texte intégral
Q- Semaine sociale chargée. Demain, à l'assemblée, discussion du projet de loi sur la modernisation du dialogue social, conférence de presse commune dans la matinée entre la CGT et la CFDT sur la
représentativité syndicale. Et pour vous, tout à l'heure, rencontre avec G. Larcher, ministre du Travail, pour préparer la Conférence sur l'emploi et les revenus du 14 décembre. On va commencer par là : qu'allez vous dire tout à l'heure, ou demander à G Larcher ?
R- D'abord insister sur la nécessité d'accroître le pouvoir d'achat, des salaires et prestations sociales, c'est une question de dignité, aucun complexe à avoir en la matière, c'est de l'efficacité économique aussi : plus de consommation, c'est plus d'activité et plus d'emplois. Et puis, à chaque fois que les salaires augmentent, les recettes des régimes de protection sociale augmentent également. Donc cela fait trois raisons qui plaident pour qu'il y ait une augmentation du pouvoir d'achat.
Q- Si ce n'est que cela se décrète pas par décret, justement.
R- Tout à fait, ce n'est pas par décret, justement. Il y a deux cas de figure : il y a les agents de l'Etat, et là c'est le Gouvernement qui est employeur, donc je rappelle tout simplement qu'en augmentation collective, ils auront cette année 0,5 % et un point d'indice, cela veut dire qu'il n'y a pas de maintien du pouvoir d'achat. Donc là, c'est le Gouvernement qui est maître en la matière et nous demandons à ce qu'ils rouvrent les négociations. Dans le secteur privé, c'est à la fois, les négociations au niveau des branches. Le Smic a augmenté au 1er juillet, il y a déjà 84 branches qui ont des minima conventionnels inférieurs au SMIC, donc on demande rapidement l'ouverture de négociations dans les branches. Dans les entreprises, je rappelle que la bonne revendication, ce n'est pas simplement le maintien du pouvoir d'achat, l'indice des prix, c'est aussi les gains de productivité. Donc il y a une marge qui doit s'ouvrir en la matière.
Q- Vous croyez vraiment qu'il y a des marges ?
R- Oui. Dans les entreprises, cela varie selon la situation des entreprises mais il y a aussi des entreprises où nous signons des accords, fort heureusement d'ailleurs. Mais il y a aussi des entreprises qui ont de bons résultats financiers et où les marges de négociation de salaire sont très faibles. Donc il faut pousser à la négociation de salaire. C'est un des points que nous allons demander. Nous allons demander également à ce qu'il y ait des indices du coût de la vie. Aujourd'hui, il y a l'indice Insee des prix, personne ne conteste cet indice sauf que ce n'est pas un indice du coût de la vie et que cela ne reflète pas l'augmentation des coûts de la vie pour les salariés et pour les ménages d'une manière générale. Ce n'est pas très dur à faire, cela existait dans le temps, il y a une dizaine d'années cela existait, c'est tellement parlant, qu'à l'époque le Gouvernement les avait supprimés. Donc des indices du coût de la vie. On demande aussi à ce que la prime transport que nous avions demandée, que le Gouvernement a mis en place mais, par contre, dont les modalités ne nous conviennent pas, et notamment le fait qu'elle ne soit pas obligatoire. Donc cela fait, sur le pouvoir d'achat, trois pistes importantes que nous allons demander.
Q- Le dialogue social fonctionne-t-il aujourd'hui en France ?
R- Il ne fonctionne pas plus mal qu'ailleurs. Il faut arrêter de dire aussi - et je ne dis pas que c'est ce que vous dites - mais il faut arrêter de dire qu'il n'y a qu'en France que cela ne marche pas. Il y a des difficultés partout, notamment dans tous les pays européens, c'est dû à la politique économique menée tant au niveau national qu'au niveau européen. Ces difficultés existent, maintenant, cela pourrait s'améliorer et je pense que le projet de loi pour la modernisation du dialogue social...
Q- En débat à l'assemblée demain...
R- ...devrait améliorer les choses, à la fois en obligeant à la consultation avec les interlocuteurs sociaux et en permettant aux syndicats et au patronat de se saisir de thèmes de négociation.
Q- Donc l'incapacité à dialoguer ou le dialogue difficile entre les partenaires sociaux et le Gouvernement, il va falloir passer par la loi pour fluidifier les choses ?
R- On aurait pu s'en passer si les choses marchaient normalement.
Q- Mais pourquoi elles ne marchent pas alors ?
R- Parce qu'il y a eu le CPE, tout simplement, et que pendant le CPE on a vu tout le contraire : c'est le Gouvernement qui a décidé sans consulter. Là, il s'impose - lui et les gouvernements suivants - la consultation. C'est une chose - entre nous, je suis d'accord -, qui devrait être normale, on ne devrait pas avoir besoin d'une loi pour ça. Mais dans la limite où cela ne se faisait pas, qu'il y ait une loi, cela va préciser les choses.
Q- C'est une loi pour la galerie ou c'est une loi qui vous semble importante ?
R- Non, je crois que c'est une étape importante. Cela devrait mettre de l'huile dans les rouages, notamment par la consultation obligatoire et par la possibilité de se saisir de thèmes de négociation. Donc cette loi va dans le bon sens en tous les cas, c'est évident.
Q- Pourquoi n'êtes-vous pas à la conférence de presse CGT-CFDT de tout à l'heure, vous n'avez pas été invité ?
R- Ce n'est pas que je n'ai pas été invité c'est que nous ne partageons pas les mêmes positions sur les questions de représentativité. Nous sommes d'accord, à Force ouvrière, pour revoir les critères de représentativité, maintenant, avant de supprimer quelque chose, il faut savoir par quoi on le remplace.
Q- Cela veut dire que n'êtes pas d'accord ?
R- Non, parce que dans le texte qui a été voté au Conseil économique et social, il y a tout et son contraire. Donc je n'aime pas les choses ambiguës, donc à partir de là, nous ne sommes pas sur la même longueur d'onde.
Q- Texte qui dit, en gros, essayons de revoir la représentativité des syndicats, parce que c'est un vrai problème - c'est même un serpent de mer depuis des années. Ils sont déjà si faibles en France, les syndicats, si en plus ils ne sont pas représentatifs, alors quoi...
R- Il faut relativiser deux choses : "sont si faibles"... Oui, il y a un taux de syndicalisation plus faible en France, personne ne le nie, par rapport à l'Allemagne, au Danemark ou d'autres pays. Ceci étant, le modèle que nous avons construit, le modèle républicain que nous avons construit avec un minimum d'égalité de droit, fait aujourd'hui qu'avec un taux de syndicalisation plus faible - mais c'est historique - les droits réels des salariés français sont aussi bons qu'en Allemagne ou au Danemark. Ils peuvent bouger sur tel ou tel point mais ils sont aussi bons. C'est ce que j'appelle "le modèle républicain" : on a essayé de garantir à chaque fois un minimum d'égalité de droit entre tous les salariés. Il faut savoir, par exemple, que la France est le pays où la proportion de salariés couverts par une convention collective est la plus importante au monde : 97,7 % des travailleurs français sont couverts par une convention collective. Donc, relativisons.
Q- Et donc préférons le statu quo ?
R- Non, nous ne sommes pas pour le statu quo à FO, ce que l'on a expliqué, c'est que l'on est d'accord pour revoir les critères. Maintenant, si l'on passe à un système électif pour mesurer l'audience des syndicats, quel est le type d'élection qu'il faut utiliser ? Nous, nous considérons que nous n'avons peur de personne. Ceux que nous représentons, ce sont à la fois les salariés du privé, les salariés du public, les chômeurs et les retraités. Donc à partir de là, il faut un scrutin qui représente cet ensemble de personnes. Le seul scrutin qui existe, à ma connaissance, ce sont les élections à la Sécurité sociale, où votent effectivement le privé, le public, les chômeurs et les retraités. D'autres sont sur d'autres positions. A partir du moment où l'on n'est déjà pas d'accord sur quel critère ou quel thermomètre il faut utiliser, qu'il y a des ambiguïtés... C'est pour cela, d'ailleurs, que nous n'allons pas à cette conférence de presse parce que nous avons des divergences.
Q- Mais CGT et CFDT semblent au contraire aborder assez sereinement cette échéance de réformes, annoncées tout de même depuis si longtemps, de la représentativité syndicale ?
R- Il n'y a pas que la représentativité, c'est un élément.
Q- Vous avez peur de perdre des plumes dans cette affaire ?
R- Non. Si nous avions peur de perdre des plumes, nous dirions "statu quo". Or nous nous n'avons aucune crainte pour FO en la matière. Vous savez, si un critère de 5 % était retenu, cela veut dire que peut-être, demain, il y aurait plus d'organisations syndicales. C'est là que je dis que c'est le bal des hypocrites ce dossier. Parce que le non-dit, ce que tout le monde a dans la tête, c'est combien de syndicats demain ? Alors discutons en : est-ce que l'on veut plus d'organisations syndicales ? On peut considérer, comme je dis, que plus on est de fous plus on rie, mais c'est tout à fait relatif ce genre de chose, cela peut faciliter les employeurs dans les entreprises - je pense aux entreprises - à reconstituer des syndicats maison. Donc il faut être prudent, on discute de ce genre de choses. Nous sommes pour changer les critères mais pas les remplacer par n'importe quoi. Et il y a un deuxième élément qui est important aussi, c'est ce qu'on appelle l'accord majoritaire. A savoir que, pour qu'un accord soit valable, il faut que ceux qui le signent représentent la majorité des salariés. Cela peut paraître de bon sens, sauf que la démocratie sociale n'est pas un copier-coller de la démocratique politique. On n'est pas en situation de décision, on est en négociation, on a des interlocuteurs en face de nous, et quand on parle d'accord majoritaire, cela se justifie uniquement s'il y a des accords dérogatoires, cela veut dire des accords qui peuvent être dérogatoires au code du travail ou à des accords nationaux. Nous voulons poser le problème globalement, on ne discute pas seulement de l'accord majoritaire, on discute aussi des accords dérogatoires et de la nécessité de revenir à ce que les juristes appellent "la hiérarchie des normes".Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 décembre 2006