Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, jeudi, vous étiez aux obsèques de Pierre Gemayel à Beyrouth. Vous avez parlé d'une tentative de déstabilisation du Liban. J'aimerais savoir si vous pensez que ce sont les Syriens qui sont responsables de ce nouvel assassinat. Et si vous pensez que, dans le contexte actuel, le tribunal international sur l'assassinat de Rafic Hariri a encore une chance de voir le jour ?
R - D'abord, permettez-moi de vous dire qu'il était important, me semble-t-il, que la communauté internationale soit présente aux obsèques de Pierre Gemayel parce que, si nous croyons au Liban, si nous croyons à cette mosaïque de confessions, si nous croyons à ce pays ami, alors il faut être là quand cela va mal. Or, aujourd'hui, je suis pessimiste après cette tentative de déstabilisation.
Q - Une tentative de déstabilisation qui vient d'où, précisément ? Est-ce que cet attentat est signé Damas ?
R - Je n'ai absolument pas à préjuger, aujourd'hui, mais cet attentat fait suite à de nombreux attentats et, dans ce contexte, chacun pourra se faire sa propre opinion.
Q - Mais votre opinion à vous, Monsieur le Ministre ?
R - Mon opinion est que je ne veux pas préjuger. Pour répondre directement à votre question, il y a une commission d'enquête internationale. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, nous avons participé à la création de cette commission d'enquête, en votant plusieurs résolutions dont la résolution 1595. Vous savez que cette commission d'enquête vient d'être prolongée de six mois. Quant au tribunal, il ne faut pas attendre la fin de la commission d'enquête, comme certains l'ont demandé, en particulier l'opposition libanaise.
Q - Justement, les Libanais sont-ils véritablement en mesure de faire passer ce projet de loi instituant ce tribunal ? Y a-t-il la moindre chance pour qu'au Liban, dans le contexte actuel, ce tribunal sur l'affaire Hariri puisse être créé ou bien est-ce qu'il faut passer par une autre procédure, peut-être onusienne ?
R - Répondons à l'intimidation, à la violence et à l'assassinat par le courage.
Q - L'intimidation syrienne, de quoi parlez-vous ?
R - Ceux qui recourent à l'intimidation parce qu'ils voudraient déstabiliser le Liban.
Q - Concrètement, c'est quoi ?
R - Je voudrais dire ce qu'est le courage. La réponse vous a été donnée il y a 24 heures par le gouvernement du Premier ministre libanais, Fouad Siniora qui, à la suite de ce lâche attentat, de ce crime odieux, a demandé à son gouvernement de plaider pour la création de ce tribunal spécial pour le Liban ; ce qu'ils ont fait de manière très courageuse et je voudrais le souligner.
Q - Ce qui implique un vote au Parlement ?
R - Vous posez la question institutionnelle. En effet, il faudrait savoir maintenant ce qui va se passer au niveau du Parlement. J'ai eu des contacts avec Nabih Berry.
Q - Quand ?
R - Le jour des obsèques de Pierre Gemayel. Je lui ai souligné l'importance de la mise en place de ce tribunal pour la communauté internationale, puisque cela a été voté à l'unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies. Je pense qu'il a parfaitement compris.
Q - Vous n'êtes pas sur la même longueur d'onde que les Britanniques qui semblent envisager, dans l'hypothèse ou les Libanais n'arriveraient pas eux-même à faire adopter ce projet de création de tribunal, d'en repasser par le Conseil de sécurité des Nations unies ?
R - Passer par le Conseil de sécurité des Nations unies est une possibilité, à une condition : qu'il y ait unanimité. Vous connaissez trop la politique internationale pour ne pas savoir qu'il faut une unanimité pour voter une résolution au Conseil de sécurité. En tout cas, il faut que personne ne s'y oppose parmi les membres permanents. Je n'ai pas aujourd'hui cette certitude.
Q - Alors, il y a le jeu de la Syrie. Il y a aussi le jeu du Hezbollah au Liban. Cet assassinat de Pierre Gemayel s'est produit alors que le Hezbollah s'apprêtait à manifester contre le gouvernement libanais. Comment qualifiez-vous le rôle du Hezbollah au Liban ? Rôle de stabilisation ou rôle de déstabilisation ?
R - D'abord, la France est l'amie du Liban et de tous les Libanais qui respectent les règles de la démocratie et qui se plient aujourd'hui aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Comme vous le savez, au début de la guerre du Liban, j'ai condamné ici même, à votre micro, le Hezbollah qui avait enlevé deux soldats israéliens, dont nous demandons la libération sans condition, le plus vite possible.
Il est important pour nous de bien expliquer que, s'il doit y avoir demain un accord au Liban, il ne peut être que politique, et cet accord politique passe par un dialogue intra-libanais. Lorsque j'entends le Premier ministre Fouad Siniora appeler au retour des ministres chiites au gouvernement, je crois que cela va dans le bon sens. La solution ne peut passer que par un accord intra-libanais. Pour le reste, je vous ai déjà dit à plusieurs reprises que nous avions condamné le Hezbollah lors de la guerre au Liban.
Q - Et la Syrie ? Quel genre de relations doit-on avoir avec la Syrie ? Est-ce un partenaire éventuel pour la paix ? Comment traiter avec la Syrie ?
R - En diplomatie, en règle générale, par définition, il faut parler avec tous les acteurs. Et la Syrie, comme vous le savez, a toujours observé le Liban avec attention. C'est un voisin du Liban. La Syrie en tant que pays ne pose pas problème. Ce sont les autorités syriennes qui posent un problème.
Q - Justement, peut-on leur faire confiance ?
R - C'est un problème de confiance. Et lorsque vous n'avez pas confiance dans un interlocuteur, vous ne pouvez pas en réalité commencer une discussion, voire une négociation.
Pourquoi ? Un de mes amis, mon homologue espagnol, Miguel Angel Moratinos, est allé voir les Syriens. Il est allé voir Bachar Al Assad. Ils ont discuté pendant une heure et demi. Il est sorti de cet entretien assez content. Miguel Angel Moratinos a même fait une conférence de presse, disant : "Nous nous sommes mis d'accord sur un certain nombre de choses". Une heure après son départ, le président syrien refaisait une conférence de presse en disant que ce n'était pas vrai. Un émissaire de Tony Blair est récemment allé voir les Syriens. Il s'est passé exactement la même chose.
Il est donc important que la Syrie coopère avec la Commission d'enquête internationale, dirigée par le juge Brammertz, et qu'elle respecte également les résolutions du Conseil de sécurité. Je pense à la résolution 1559, en particulier, sur la frontière libano-syrienne, ainsi qu'à la résolution 1595. Mais, encore une fois, si nous voulons qu'il y ait un Liban souverain, libre, uni et avec une restauration de l'Etat de droit, nous sommes quand même obligés de faire respecter la résolution 1701, pour ce qui est des survols aériens israéliens comme de l'embargo sur les armes.
Q - On y vient justement avec la situation à la frontière israélo-libanaise. Est-ce que ce climat particulièrement tendu au Liban fait peser un risque accru sur le contingent français de la FINUL qui est au Sud-Liban ?
R - Il est évident que nous devons redoubler de précautions dans ce contexte instable au Liban, vis-à-vis de nos hommes de la FINUL. Je rappelle que nous sommes pour beaucoup dans la résolution 1701, que nous la mettons en oeuvre sur le terrain, avec 1.600 hommes. Il est donc nécessaire de redoubler de précaution, en effet.
Q - Qui fait peser le plus de risques sur les soldats français, d'après vous ? Est-ce que ce sont les hommes du Hezbollah ou est-ce que c'est l'armée israélienne ?
R - L'armée israélienne n'a jamais souhaité...
Q - Il y a quand même eu une forte tension, il y a peu de temps. On a failli tirer sur des avions israéliens. Quelle est votre lecture de ce qui s'est passé entre Israël et la France au Liban ?
R - Il n'est pas question d'abattre un avion israélien.
Q - Cela a failli arriver, nous a-t-on dit.
R - Il n'est pas question d'abattre un avion israélien.
Q - Vous en êtes sûr ?
R - Il n'est pas question d'abattre un avion israélien mais de prévenir des situations qui pourraient conduire à des incidents tragiques. Il faut que cesse le survol des avions israéliens juste au-dessus des bataillons français, parce que nous avons des procédures dans ce cas, comme dans toutes les armées. Je ne peux donc pas penser un seul instant que les autorités israéliennes aient su qu'un avion israélien survolait une zone où l'armée française pouvait mettre en oeuvre les procédures pour l'abattre. L'armée française ne l'a pas fait. Il ne s'agit pas d'abattre un avion israélien. Il s'agit d'expliquer, quelle que soit la nationalité de l'avion militaire, qu'on ne doit pas pénétrer dans la zone rouge, au-dessus d'un bataillon français. J'espère que chaque personne qui m'entend ou qui me regarde le comprendra.
Q - Juste au-dessus des bataillons français, cela veut dire que, si je comprends bien ce que vous dites, les avions israéliens peuvent survoler le Sud-Liban, pour des raisons de sécurité, de reconnaissance aérienne, si ce n'est pas au-dessus des bataillons français. C'est bien cela?
R - Ce qui est évident, c'est ce que dit la résolution 1701 et que, par ailleurs, il y a des procédures que les armées mettent en oeuvre.
S'agissant de la résolution 1701, il est interdit de survoler le territoire libanais, en vertu du respect du principe de la souveraineté et de l'intégrité d'un pays. Et la France, jusqu'à maintenant, et toujours, je l'espère - y compris après les élections présidentielles, dans 10, 15 ans, 20 ans, 25 ans - se battra pour ces valeurs universelles de respect de la souveraineté, de l'intégrité, de l'unité, de l'indépendance des pays.
Il y a ensuite un autre sujet qui est celui de l'armée française, qui a ses procédures, comme l'armée américaine, comme l'armée israélienne, comme l'armée britannique. Et lorsque l'on pénètre dans la zone radar, la zone dangereuse, la zone rouge, avec une posture d'attaque, il y a des règles pour abattre les avions qui le font, quelle que soit leur nationalité. C'est ce que peut faire une armée. Vous comprendrez que le chef des armées souhaite que les procédures soient respectées.
Je l'ai dit très fermement mais aussi très amicalement à mon ami l'ambassadeur d'Israël en France. Il l'a parfaitement compris. D'ailleurs, je vois que cela ne recommence plus.
Q - Que les procédures soient appliquées, cela veut donc dire que si un avion, quelle que soit sa nationalité, survole l'armée française, il peut être abattu ?
R - Oui, c'est ce que peut faire une armée. Il ne s'agit pas d'abattre un avion israélien, mais d'expliquer que tout avion, quelle que soit sa nationalité, qui arrive dans une zone rouge au-dessus d'un bataillon français, verra appliquée une procédure, qui est celle de l'armée française. Je crois que c'est la même chose pour les Etats-Unis, pour Israël, pour les autres nations. Il n'y a pas de raison de croire que l'armée française accepterait de faire des entorses en pareil cas. Simplement il était de mon devoir d'avertir ceux qui l'avaient fait. Je pense qu'il s'agit d'un pilote qui a fait une faute personnelle et je tenais à le dire.
Q - Alors une faute personnelle. En tout cas, un général israélien est venu à Paris la semaine dernière pour expliquer aux responsables du quai d'Orsay et du ministère de la Défense les raisons de ces survols israéliens du Sud-Liban. Vous a-t-il convaincu ?
R - La résolution 1701, que nous avons co-rédigée avec les Américains et avec d'autres partenaires, que nous avons fait voter à l'unanimité le 12 août 2006, énonce un principe très simple : il faut respecter la souveraineté du Liban et il faut également respecter l'embargo sur les armes à destination des milices. Je peux comprendre que les Israéliens disent : "Nous voulons faire respecter l'embargo". Aujourd'hui, nous faisons en sorte que les deux principes soient respectés. C'est un élément fondamental.
Q - L'embargo est respecté, à votre avis ?
R - Je crois qu'aujourd'hui, des mesures très fermes sont prises, avec aussi le commandement allemand de la composante maritime de la FINUL, par une action particulière sur la frontière syro-libanaise. Aujourd'hui, des actions sont menées pour que la communauté internationale fasse un effort supplémentaire. C'est vrai que le respect de l'embargo sur les armes est un sujet majeur. Mais les deux principes doivent être respectés.
Q - Mais quand vous avez dit que des actions très directes - c'était mardi à l'Assemblée, je crois - seront prises pour empêcher la livraison d'armes à destination du Hezbollah, qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire qu'aujourd'hui, il y a de la part des Nations unies et du commandement de la FINUL, une action particulière visant à faire respecter l'embargo des armes à destination des milices.
Q - Jusqu'à l'emploi de la force contre le Hezbollah ou pas ? Vous dites :"on peut abattre des avions" . Mais peut-on utiliser la force contre le Hezbollah s'il y a des livraisons d'armes ?
R - Tout est écrit dans la résolution la résolution 1701. Nous nous sommes engagés au Sud-Liban, dans le cadre du chapitre VII de la Charte. C'est un mandat assez robuste qui permet, si jamais il y avait une attaque contre des bataillons français, je rappelle qu'un "piqué-cabré", c'est une attaque.
Q - Vous parlez des avions israéliens qui étaient en reconnaissance aérienne avec des appareils photo dans leur soute.
R - Lorsque vous êtes un bataillon français au sol, et que vous voyez un avion militaire arriver, vous ne savez pas obligatoirement s'il a un appareil photo. J'espère que tous ceux qui sont autour de nous le savent.
Ensuite, et je le répète encore une fois, l'ambassadeur d'Israël a très bien compris ce que je voulais dire. Mais l'armée française, et la FINUL en général, doivent également être respectées, et s'il y avait une attaque, quelle qu'elle soit, elle serait évidemment suivie de faits.
Q - La nouvelle de cette nuit, d'hier soir, c'est qu'il y aurait une trêve à Gaza. Est-ce que vous y croyez ?
R - S'il y a véritablement une trêve, sur le terrain, à Gaza, évidemment je m'en réjouis et la France ne peut que s'en féliciter. Je ne crois pas à une solution militaire au conflit israélo-palestinien. La seule solution, c'est la relance du processus de paix et le dialogue politique. Je pense que le statu quo actuel et les actions unilatérales ne sont pas viables. Je crois surtout que la communauté internationale ne doit pas rester silencieuse et inactive devant ce drame.
Q - Précisément, qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire que la communauté internationale, et l'Union européenne en particulier, doivent relancer le processus de paix. D'ailleurs, le conflit israélo-palestinien est le conflit phare, mais il y a d'autres conflits aujourd'hui.
Lorsque l'on parle du Liban, comme on vient de la faire à l'instant, n'oubliez pas qu'il y a douze pays européens dans la FINUL. Cela confère à l'Union européenne une responsabilité et une légitimité pour intervenir sur les dossiers de la région : je crois donc plus que jamais dans le rôle de l'Union européenne et celui de la France au sein de l'Union européenne. Le président Zapatero, le président Chirac et le Premier ministre Prodi ont récemment lancé une initiative.
Q - Vous la reprenez totalement à votre compte cette initiative italo-espagnole, ou pas ?
R - Il s'agit de propositions pour aider les parties à dépasser des blocages, sans se substituer à celles-ci, parce que la paix ne s'impose pas, elle se négocie. Je crois qu'il est important que les pays européens prennent l'initiative. On ne peut pas continuer avec un tel niveau de violence, qui a rarement été atteint depuis de nombreuses années.
Je crois, plus que jamais qu'il faut aider le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. J'espère qu'il y aura un gouvernement d'union nationale, même s'il est, au départ, plus technocrate que politique.
Q - Peut-on négocier clairement avec le Hamas ?
R - On ne peut pas négocier avec un gouvernement, fût-il d'union nationale, qui ne respecterait pas les demandes que le Quartet a faites.
Q - C'est-à-dire ? Précisez les choses.
R - C'est-à-dire la reconnaissance d'Israël, la reconnaissance des accords d'Oslo et évidemment le renoncement explicite à la violence. Ce que je veux dire, c'est que si nous avions un gouvernement d'union nationale dans les Territoires palestiniens, qui accepte implicitement ce que demande la communauté internationale, l'Union européenne devrait être la première à avoir des contacts avec ce gouvernement et même à envisager une aide directe au peuple palestinien. Pourquoi ? Parce que la seule solution, c'est de sortir de cette spirale de la violence dans laquelle nous sommes. Sinon, ce seront évidemment les extrémistes des deux bords qui gagneront.
Q - Par rapport au plan de paix et à l'initiative au départ italo-espagnole, Israël a rejeté cette initiative, est-ce que malgré cela vous pensez que cela peut aboutir ?
R - Je crois qu'il y a aujourd'hui, au sein du gouvernement israélien, un vrai débat sur la nécessité de relancer le processus de paix. Même en Israël, il y a ceux qui pensent, malgré la tension qui existe depuis la crise du Liban, qu'il est tout à fait nécessaire que le Premier ministre Olmert et le président Mahmoud Abbas puissent très vite se rencontrer pour évoquer la reprise du dialogue politique et la relance du processus de paix. C'est majeur pour la région.
Q - Vous pensez que les choses sont en train d'évoluer actuellement, qu'il y a une véritable possibilité, une ouverture pour un règlement, pour un début de règlement entre les Palestiniens et les Israéliens ?
R - Si, d'un côté, conformément aux annonces faites ce matin par le Premier ministre Olmert il y a une véritable diminution, voire la fin de cette offensive de l'armée israélienne et si, de l'autre côté, on constate de la part du président de l'Autorité palestinienne, la volonté de voir cesser les tirs de roquette palestiniens sur Israël, s'il y a un gouvernement d'union nationale, je pense que cela peut aller dans le bon sens.
Il s'agit, pour nous, d'accompagner, de consolider cette action politique de Mahmoud Abbas et d'amener tous les Palestiniens à se rassembler autour des exigences de la communauté internationale. Mais les contacts avec ce nouveau gouvernement devraient porter prioritairement sur le cas du caporal Shalit et la reprise de l'aide financière.
Q - Tant chez les Palestiniens que chez les Israéliens, on a un pouvoir politique faible au fond. Est-ce que c'est vraiment le meilleur moment pour essayer de relancer une solution politique qui demandera, quand elle verra le jour, un vrai courage et des vraies qualités d'homme d'Etat, de part et d'autre ?
R - Je pense que le moment est justement venu, parce que, s'il n'y avait pas de gouvernement d'union nationale dans les semaines et les mois qui viennent, il peut y avoir un risque de chaos dans les Territoires palestiniens. Et personne n'a rien à y gagner.
Q - On a un peu fait ce qu'il fallait pour cela en coupant l'aide du Hamas, non ?
R - Il n'a jamais été question d'aider le Hamas.
Q - Dans l'aide aux Palestiniens, il y a le gouvernement du Hamas. C'est toujours l'idée de suspendre les aides aux Palestiniens ?
R - Vous savez qu'en 2006, il n'y aura jamais eu autant d'aides européennes en faveur des Territoires palestiniens ? Leur montant atteint plus de 650 millions d'euros. La question qui est posée est la suivante : aujourd'hui le chaos ne fait le jeu que des extrémistes. Si nous voulons voir un avenir positif ou moyennement positif à moyen et à long terme dans cette région du monde, il faut tout faire pour ne pas radicaliser les populations. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours plaidé pour ce mécanisme international temporaire que le président Chirac suggère au président Abbas, via la Banque mondiale. Il commence à fonctionner pour les services de santé et les hôpitaux, car il y avait une crise humanitaire effrayante. Et, s'il y a un gouvernement d'union nationale, l'Union européenne doit être là la première à dire au monde entier : "reprenons les aides.". A l'inverse, je crois qu'il faut que les Palestiniens reconnaissent Israël. Je reconnais le droit à la sécurité d'Israël. L'Etat d'Israël existe, il faut le respecter.
Q - En ce qui concerne le fameux mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie, vous avez affirmé récemment, le 19 octobre, avoir beaucoup évolué.
R - Je pense comme tout le monde, évidemment, qu'ériger un mur est terrible, par définition. Ce que je crois, c'est que le tracé de ce mur doit absolument être discuté à deux. Les actions unilatérales ne sont pas viables.
Q - Donc ce n'est pas le mur que vous remettez en cause, c'est la façon unilatérale dont Israël l'a construit ?
R - Son caractère unilatéral et son tracé.
Q - Mais le mur lui-même ne vous choque pas ?
R - Le mur me choque. Mais j'ai dit que, depuis que je savais qu'il y avait eu 80 % d'attentats en moins, on ne pouvait pas aussi faire abstraction du droit à la sécurité; et je pense que les hommes et les femmes de bonne volonté, sur cette question, doivent s'accorder sur deux choses : oui, l'Etat palestinien doit être créé à côté de l'Etat israélien. Et ils doivent vivre côte à côte en paix. Et cela passe par quoi ? Par une confiance retrouvée. Et quand vous êtes Israélien, cela passe par quoi, la confiance ? Cela passe par la sécurité. Même si, de manière transitoire, vous avez des mesures à prendre pour assurer la sécurité. Evidemment, tout le monde est opposé à l'idée d'un mur. Des deux côtés, on ne peut pas penser que le mur est une bonne chose en lui-même. Sur le plan de la sécurité, il ne faut pas non plus oublier que les gens qui étaient en Israël pendant l'Intifada, ne savaient pas, lorsqu'ils allaient au restaurant, s'ils allaient en revenir vivants ou non.
Q - Donc cela peut se comprendre ?
R - Tout le monde est contre le mur. Je dis simplement qu'il faut regarder aussi les résultats en terme d'attentats. Voilà ce que je dis, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Par contre, sur le tracé, je suis contre, et je pense qu'il faut respecter les deux côtés.
Q - Ce qui nous conduit à parler des relations franco-israéliennes. Il y a eu un certain nombre d'incidents entre les deux pays. Ce qui s'est passé au Sud-Liban, la résolution de l'ONU condamnant les opérations militaires d'Israël dans la bande de Gaza et cette initiative de paix européenne qui a été annoncée sans concertation avec Israël et qui a été déplorée en Israël. Considérez-vous qu'il s'agit entre les deux pays d'un trou d'air ou d'une véritable crise ?
R - Les relations entre Israël et la France sont fondées sur des liens humains tout à fait étroits et anciens, sur une culture et une histoire partagée. Le dialogue stratégique a beaucoup évolué entre Israël et la France depuis trois ans. Je rappelle la visite du président d'Israël en 2004, du Premier ministre Ariel Sharon en juillet 2005 et du Premier ministre Ehoud Olmert en juin 2006. Les relations économiques ont été multipliées par deux en dix ans. 600.000 Francophones vivent en Israël. La France est quatrième partenaire d'Israël pour la recherche. Et je pourrais continuer en citant la Fondation France/Israël que j'ai moi-même co-créée il y a quelques mois.
Q - Trou d'air ou vraie crise entre les deux pays ?
R - Non. Il peut y avoir des désaccords entre nous. Mais grâce à ce partenariat stratégique, nous avons appris à parler de nos désaccords dans le dialogue, dans la concertation et dans l'explication.
Q - Mais vous parlez d'une crise ou pas entre les deux pays ?
R - Bien sûr que non.
Q - Il était question que vous vous rendiez en Israël, est-ce que cela va être fait ?
R - Bien évidemment, je me rendrai en Israël prochainement. Je reçois Mme Livni au Quai d'Orsay le 6 décembre. Nous avons des contacts permanents au téléphone. On s'est rencontré plusieurs fois durant l'année. Nous sommes les amis d'Israël. Mais lorsque vous êtes amis d'Israël, je l'ai toujours dit par exemple sur le Liban, il vaut mieux que nous puissions nous, Français, appuyer le gouvernement de Fouad Siniora, plutôt que de voir d'autres extrémistes prendre le pouvoir au Liban. De même, je préfère aider Mahmoud Abbas, plutôt que de voir des extrémistes prendre le pouvoir dans les Territoires palestiniens. C'est cela, être ami d'Israël.
Q - Vous n'avez pas vraiment répondu à la question : vous considérez aujourd'hui qu'Israël et la France vivent une crise ?
R - Je vais vous répondre : non.
Q - L'Iran, question simple. Huit Français sur dix soupçonnent l'Iran, selon un sondage Sofrès, de vouloir l'arme atomique, est-ce que vous faites partie de ces huit Français sur dix ?
R - D'abord, je ne peux pas accepter que le président iranien, M. Ahmadinejad, puisse proférer des paroles comme il le fait. J'étais d'ailleurs le premier ministre occidental à considérer comme inacceptables ses propos sur Israël.
Ensuite, je pense que seuls le dialogue, l'incitation et la fermeté doivent prévaloir, s'agissant du dossier iranien. Je m'explique : nous avons voté une résolution, la résolution 1696, qui vise à demander à l'Iran à suspendre ses activités nucléaires sensibles. Il ne le fait pas. C'est la raison pour laquelle nous menons actuellement une discussion, les Allemands, les Britanniques et nous-mêmes, et ce groupe européen a fait une proposition de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies, actuellement en discussion à New York.
Sur quoi est-elle basée ? Sur des sanctions. Des sanctions sur quoi ? Sur les questions nucléaire et balistique.
S'agissant de la question nucléaire, le président Ahmadinejad dit, que l'Iran va détenir 60 000 centrifugeuses et bientôt 100 000. Nous pensons en effet qu'on ne peut pas accepter l'idée que l'Iran puisse développer des activités nucléaires sensibles à des fins non civiles.
S'agissant de la question balistique, nous savons que l'Iran a récemment procédé à des tirs de missiles dans le cadre de manoeuvres. Il est donc important aussi, sur le plan balistique, que nous puissions disposer dans nos projets de résolutions d'un certain nombre de mesures.
Maintenant, nous souhaitons un accord le plus large possible au Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - Y compris avec la Russie et la Chine ?
R - Cela veut dire accord sur la décision de prendre des sanctions. Je peux vous dire aujourd'hui qu'il y a un accord des membres du Conseil de sécurité des Nations unies sur les sanctions vis-à-vis de l'Iran. Là où il y a discussion, c'est sur l'étendue des sanctions. Il y a quelques jours, nous avons obtenu un succès, puisqu'à l'unanimité, y compris la Chine et la Russie, nous nous sommes mis d'accord au sein de l'Agence internationale pour l'énergie atomique pour refuser une demande d'assistance technique de l'AIEA au réacteur d'Arak en Iran.
Q - Quand vous parlez de sanctions, Monsieur le Ministre, faut-il des sanctions très dures contre Téhéran pour forcer l'Iran à suspendre son programme nucléaire ?
R - Il faut des sanctions aujourd'hui, nous l'avons décidé au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais si vous voulez être efficace, il faut être uni et c'est toute la difficulté.
Q - C'est pour cela que ça traîne depuis quelques années ?
R - C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, nous avons des discussions avec les Russes, les Chinois et les Américains évidemment. Et nous essayons de voir comment on peut être unanimes- car si nous ne le sommes pas, nous perdons en efficacité- et si nous devenons trop fermes, comme les Américains le souhaitaient, à ce moment là, on perd un, deux, voire trois membres.
Q - Est-ce que ça peut traîner encore longtemps car, d'après les experts militaires, dans un certain nombre de pays, dont les experts français, il reste deux ans à l'Iran pour pouvoir mettre en place une bombe nucléaire ?
R - Je suis persuadé que l'unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies aboutira à un isolement de l'Iran et que l'Iran préférera la négociation plutôt que l'isolement. Il faut que la raison revienne chez les Iraniens. Il faut qu'ils comprennent que nous avons fait une proposition. Le président Chirac a fait sur les sanctions, à New York en septembre, la proposition de la double suspension : nous suspendons notre dynamique sur les sanctions au Conseil de sécurité des Nations unies et eux suspendent leurs activités nucléaires sensibles, y compris l'enrichissement de l'uranium.
Q - Mais sur ce dossier, on a le sentiment que les Américains préparent un changement de cap, qu'en tout cas ils se disent qu'ils n'auront pas de solution en Irak sans prendre langue avec l'Iran. Est-ce que cela ne risque pas de changer leurs positions ? Est-ce qu'on ne risque pas d'avoir une sorte d'accord au terme duquel les Iraniens accepteraient de donner un coup de main aux Américains sur l'Irak, en échange de quoi, les Américains se montreraient beaucoup plus indulgents en ce qui concerne le dossier nucléaire, par exemple ?
R - Aujourd'hui, dans la discussion que nous avons au Conseil de sécurité des Nations unies, rien de ce que vous avez dit ne me permet de répondre par l'affirmative.
Je voudrais faire deux remarques. Le 30 mai 2006, pour la première fois depuis 28 ans, par la voie de la secrétaire d'Etat, Mme Condoleezza Rice, les Etats-Unis ont accepté de donner un message que je qualifierais de positif dans le cadre du dossier nucléaire iranien. Quel était ce message ? : il disait que via les Européens ils pouvaient être amenés à parler avec les Iraniens. C'est passé un peu inaperçu à l'époque, mais c'est quelque chose d'important. Et je voudrais d'ailleurs saluer à ce moment là le courage de Condoleezza Rice sur ce dossier. Reste qu'aujourd'hui, nous avons devant nous des Iraniens, particulièrement le président Ahmadinejad, qui nous parlent de 60 000 centrifugeuses, et que nous sommes donc obligés d'être unis dans les sanctions.
Q - On passe en Irak où c'est le chaos total avec des morts tous les jours, des attentats. Comment sortir de ce bourbier ? Est-ce que la France a un rôle à jouer maintenant pour trouver, sinon un règlement, du moins un moyen d'améliorer la situation ?
R - La situation en Irak est alarmante, effroyable.
Q - Quand vous entendez le président Moubarak qui a dit ce matin qu'un retrait américain de l'Irak créerait une situation de chaos, êtes-vous sur la même longueur d'onde que lui ou pas ?
R - Il y a deux dossiers. Le premier, c'est l'Irak lui-même. Il est évident que nous sommes très proches du chaos. Les règlements de compte se multiplient. Il y a plusieurs conflits : il y a la situation traditionnelle de l'occupant et de l'occupé ; il y a des tensions entre communautés et des tensions ethniques. Cela aboutit en effet à quelque chose d'effroyable, vous avez raison de le dire. Dans ces conditions, le départ rapide, immédiat, des forces américaines, des forces internationales, pourrait entraîner un chaos encore plus grand à court terme. Mais en même temps, je ne vois pas comment les forces internationales peuvent rester durablement. Pourquoi ? Parce que la seule solution, c'est de transférer la sécurité et la justice au pouvoir irakien. Tant qu'il n'y aura pas de restauration de l'Etat de droit en Irak, vous n'aurez pas le moindre espoir.
Deuxième dossier : il s'agit des résultats des élections américaines.
Pour la première fois, on voit des élus démocrates dire qu'il faut quitter l'Irak. Et les démocrates sont majoritaires à la chambre des représentants et au Sénat.
Q - Les élections sont dans deux ans ?
R - Je crois en effet qu'il faudra trouver un calendrier de retrait de façon à pouvoir organiser ce transfert des forces de sécurité.
Q -Passons très rapidement à un autre sujet, le Rwanda et à la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda. Diriez-vous que le juge Bruguière a été trop loin?
R - Le juge Bruguière a clos une enquête qu'il a commencée en 1998 à la demande des familles de l'équipage français.
Q - Donc en mettant en cause le président rwandais.
R - Il a signé neuf mandats d'arrêt dont certaines concernent des proches du président Kagamé et des hauts représentants militaires. Il dit qu'il faudrait traduire le président Kagamé devant le tribunal pénal international sur le Rwanda. Je voudrais dire deux choses : premièrement, il s'agit d'une décision de justice.
Q - Et donc pas politique, c'est cela que vous voulez dire ?
R - Nous sommes dans un Etat de droit, nous sommes en République. Cette décision de justice, qui entraîne la responsabilité du juge Bruguière, n'a rien à voir évidemment avec une décision politique du gouvernement français.
D'autre part, je souhaite, deux choses : premièrement que la justice évidemment fasse son travail. Je crois à la justice. Deuxièmement, je regrette que la réponse rwandaise à l'enquête menée par le juge Bruguière soit de rompre les relations diplomatiques avec la France. L'ambassadeur de France au Rwanda est arrivé hier en France, tous les services français seront rapatriés dès lundi soir. C'est dorénavant la Belgique qui va représenter nos intérêts dans ce pays. Je le regrette d'autant plus que nous étions en train de relancer des relations fortes avec ce pays. Je le regrette d'autant plus qu'il y a eu des élections en République démocratique du Congo. Et que cette région des Grands Lacs commençait à connaître enfin la stabilité.
Q - Dernière déclaration sur le Rwanda : le président rwandais Paul Kagamé a affirmé hier sur I-Télé que la France était impliquée dans le génocide au Rwanda.
R - Nous avons nous, et M. Quiles vous le dira, établi une commission d'enquête. Nous n'avons pas eu peur d'établir une commission d'enquête. Une démocratie n'a jamais peur d'établir une commission d'enquête.
Q - S'agissant de l'assassinat par empoisonnement de l'ancien espion russe Litvinenko à Londres, clairement, voyez-vous derrière cela la main de Moscou ? Est-ce que vous demandez des explications à M. Poutine ?
R - Nous avons vu qu'il y avait une enquête judiciaire aussi qui était ouverte. Nous ne demandons qu'une seule chose, c'est que nous puissions connaître les criminels qui se cachent derrière un tel empoisonnement.
Q - Mais clairement, vous soupçonnez Moscou ou non ?
R - Vous vous rendez compte de la question que vous posez ?
Q - Beaucoup de gens se la posent, on n'est pas les seuls.
R - Vous rendez-vous compte de la question que vous posez et de la réponse qu'il peut y avoir ? J'espère que vous croyez à la justice internationale. Regardez le cas d'Anna Politkovskaïa. J'ai demandé à l'OSCE, et au Secrétaire général de l'OSCE qui est français comme vous le savez, que la mission "Liberté de la presse", fasse un véritable rapport. J'ai également demandé au Conseil de l'Europe de le faire. Et dans le cas dont vous parlez, je demande qu'il y ait une enquête internationale pour qu'on aille jusqu'au bout. Je crois à la justice internationale. Ou alors, c'est faire injure à la communauté internationale et en tout cas faire injure à ce à quoi nous croyons, c'est à dire la justice.
Q - On va vous poser la question autrement, avant de venir très rapidement à la politique française. Est-ce que vous excluez totalement que Vladimir Poutine soit derrière cet assassinat ?
R - Je souhaite que la justice puisse faire son travail et puisse n'être intimidée par personne et aille jusqu'au bout pour savoir qui a fait cela, qui est évidemment inqualifiable. Pourquoi ? Parce que derrière cette affaire, il y a non seulement un crime, mais au-delà du crime, il y a une atteinte à la liberté de la presse. Et la liberté de la presse, c'est une des valeurs fondamentales de toute démocratie, de tout pays, y compris d'ailleurs aussi de la Russie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 novembre 2006
R - D'abord, permettez-moi de vous dire qu'il était important, me semble-t-il, que la communauté internationale soit présente aux obsèques de Pierre Gemayel parce que, si nous croyons au Liban, si nous croyons à cette mosaïque de confessions, si nous croyons à ce pays ami, alors il faut être là quand cela va mal. Or, aujourd'hui, je suis pessimiste après cette tentative de déstabilisation.
Q - Une tentative de déstabilisation qui vient d'où, précisément ? Est-ce que cet attentat est signé Damas ?
R - Je n'ai absolument pas à préjuger, aujourd'hui, mais cet attentat fait suite à de nombreux attentats et, dans ce contexte, chacun pourra se faire sa propre opinion.
Q - Mais votre opinion à vous, Monsieur le Ministre ?
R - Mon opinion est que je ne veux pas préjuger. Pour répondre directement à votre question, il y a une commission d'enquête internationale. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, nous avons participé à la création de cette commission d'enquête, en votant plusieurs résolutions dont la résolution 1595. Vous savez que cette commission d'enquête vient d'être prolongée de six mois. Quant au tribunal, il ne faut pas attendre la fin de la commission d'enquête, comme certains l'ont demandé, en particulier l'opposition libanaise.
Q - Justement, les Libanais sont-ils véritablement en mesure de faire passer ce projet de loi instituant ce tribunal ? Y a-t-il la moindre chance pour qu'au Liban, dans le contexte actuel, ce tribunal sur l'affaire Hariri puisse être créé ou bien est-ce qu'il faut passer par une autre procédure, peut-être onusienne ?
R - Répondons à l'intimidation, à la violence et à l'assassinat par le courage.
Q - L'intimidation syrienne, de quoi parlez-vous ?
R - Ceux qui recourent à l'intimidation parce qu'ils voudraient déstabiliser le Liban.
Q - Concrètement, c'est quoi ?
R - Je voudrais dire ce qu'est le courage. La réponse vous a été donnée il y a 24 heures par le gouvernement du Premier ministre libanais, Fouad Siniora qui, à la suite de ce lâche attentat, de ce crime odieux, a demandé à son gouvernement de plaider pour la création de ce tribunal spécial pour le Liban ; ce qu'ils ont fait de manière très courageuse et je voudrais le souligner.
Q - Ce qui implique un vote au Parlement ?
R - Vous posez la question institutionnelle. En effet, il faudrait savoir maintenant ce qui va se passer au niveau du Parlement. J'ai eu des contacts avec Nabih Berry.
Q - Quand ?
R - Le jour des obsèques de Pierre Gemayel. Je lui ai souligné l'importance de la mise en place de ce tribunal pour la communauté internationale, puisque cela a été voté à l'unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies. Je pense qu'il a parfaitement compris.
Q - Vous n'êtes pas sur la même longueur d'onde que les Britanniques qui semblent envisager, dans l'hypothèse ou les Libanais n'arriveraient pas eux-même à faire adopter ce projet de création de tribunal, d'en repasser par le Conseil de sécurité des Nations unies ?
R - Passer par le Conseil de sécurité des Nations unies est une possibilité, à une condition : qu'il y ait unanimité. Vous connaissez trop la politique internationale pour ne pas savoir qu'il faut une unanimité pour voter une résolution au Conseil de sécurité. En tout cas, il faut que personne ne s'y oppose parmi les membres permanents. Je n'ai pas aujourd'hui cette certitude.
Q - Alors, il y a le jeu de la Syrie. Il y a aussi le jeu du Hezbollah au Liban. Cet assassinat de Pierre Gemayel s'est produit alors que le Hezbollah s'apprêtait à manifester contre le gouvernement libanais. Comment qualifiez-vous le rôle du Hezbollah au Liban ? Rôle de stabilisation ou rôle de déstabilisation ?
R - D'abord, la France est l'amie du Liban et de tous les Libanais qui respectent les règles de la démocratie et qui se plient aujourd'hui aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Comme vous le savez, au début de la guerre du Liban, j'ai condamné ici même, à votre micro, le Hezbollah qui avait enlevé deux soldats israéliens, dont nous demandons la libération sans condition, le plus vite possible.
Il est important pour nous de bien expliquer que, s'il doit y avoir demain un accord au Liban, il ne peut être que politique, et cet accord politique passe par un dialogue intra-libanais. Lorsque j'entends le Premier ministre Fouad Siniora appeler au retour des ministres chiites au gouvernement, je crois que cela va dans le bon sens. La solution ne peut passer que par un accord intra-libanais. Pour le reste, je vous ai déjà dit à plusieurs reprises que nous avions condamné le Hezbollah lors de la guerre au Liban.
Q - Et la Syrie ? Quel genre de relations doit-on avoir avec la Syrie ? Est-ce un partenaire éventuel pour la paix ? Comment traiter avec la Syrie ?
R - En diplomatie, en règle générale, par définition, il faut parler avec tous les acteurs. Et la Syrie, comme vous le savez, a toujours observé le Liban avec attention. C'est un voisin du Liban. La Syrie en tant que pays ne pose pas problème. Ce sont les autorités syriennes qui posent un problème.
Q - Justement, peut-on leur faire confiance ?
R - C'est un problème de confiance. Et lorsque vous n'avez pas confiance dans un interlocuteur, vous ne pouvez pas en réalité commencer une discussion, voire une négociation.
Pourquoi ? Un de mes amis, mon homologue espagnol, Miguel Angel Moratinos, est allé voir les Syriens. Il est allé voir Bachar Al Assad. Ils ont discuté pendant une heure et demi. Il est sorti de cet entretien assez content. Miguel Angel Moratinos a même fait une conférence de presse, disant : "Nous nous sommes mis d'accord sur un certain nombre de choses". Une heure après son départ, le président syrien refaisait une conférence de presse en disant que ce n'était pas vrai. Un émissaire de Tony Blair est récemment allé voir les Syriens. Il s'est passé exactement la même chose.
Il est donc important que la Syrie coopère avec la Commission d'enquête internationale, dirigée par le juge Brammertz, et qu'elle respecte également les résolutions du Conseil de sécurité. Je pense à la résolution 1559, en particulier, sur la frontière libano-syrienne, ainsi qu'à la résolution 1595. Mais, encore une fois, si nous voulons qu'il y ait un Liban souverain, libre, uni et avec une restauration de l'Etat de droit, nous sommes quand même obligés de faire respecter la résolution 1701, pour ce qui est des survols aériens israéliens comme de l'embargo sur les armes.
Q - On y vient justement avec la situation à la frontière israélo-libanaise. Est-ce que ce climat particulièrement tendu au Liban fait peser un risque accru sur le contingent français de la FINUL qui est au Sud-Liban ?
R - Il est évident que nous devons redoubler de précautions dans ce contexte instable au Liban, vis-à-vis de nos hommes de la FINUL. Je rappelle que nous sommes pour beaucoup dans la résolution 1701, que nous la mettons en oeuvre sur le terrain, avec 1.600 hommes. Il est donc nécessaire de redoubler de précaution, en effet.
Q - Qui fait peser le plus de risques sur les soldats français, d'après vous ? Est-ce que ce sont les hommes du Hezbollah ou est-ce que c'est l'armée israélienne ?
R - L'armée israélienne n'a jamais souhaité...
Q - Il y a quand même eu une forte tension, il y a peu de temps. On a failli tirer sur des avions israéliens. Quelle est votre lecture de ce qui s'est passé entre Israël et la France au Liban ?
R - Il n'est pas question d'abattre un avion israélien.
Q - Cela a failli arriver, nous a-t-on dit.
R - Il n'est pas question d'abattre un avion israélien.
Q - Vous en êtes sûr ?
R - Il n'est pas question d'abattre un avion israélien mais de prévenir des situations qui pourraient conduire à des incidents tragiques. Il faut que cesse le survol des avions israéliens juste au-dessus des bataillons français, parce que nous avons des procédures dans ce cas, comme dans toutes les armées. Je ne peux donc pas penser un seul instant que les autorités israéliennes aient su qu'un avion israélien survolait une zone où l'armée française pouvait mettre en oeuvre les procédures pour l'abattre. L'armée française ne l'a pas fait. Il ne s'agit pas d'abattre un avion israélien. Il s'agit d'expliquer, quelle que soit la nationalité de l'avion militaire, qu'on ne doit pas pénétrer dans la zone rouge, au-dessus d'un bataillon français. J'espère que chaque personne qui m'entend ou qui me regarde le comprendra.
Q - Juste au-dessus des bataillons français, cela veut dire que, si je comprends bien ce que vous dites, les avions israéliens peuvent survoler le Sud-Liban, pour des raisons de sécurité, de reconnaissance aérienne, si ce n'est pas au-dessus des bataillons français. C'est bien cela?
R - Ce qui est évident, c'est ce que dit la résolution 1701 et que, par ailleurs, il y a des procédures que les armées mettent en oeuvre.
S'agissant de la résolution 1701, il est interdit de survoler le territoire libanais, en vertu du respect du principe de la souveraineté et de l'intégrité d'un pays. Et la France, jusqu'à maintenant, et toujours, je l'espère - y compris après les élections présidentielles, dans 10, 15 ans, 20 ans, 25 ans - se battra pour ces valeurs universelles de respect de la souveraineté, de l'intégrité, de l'unité, de l'indépendance des pays.
Il y a ensuite un autre sujet qui est celui de l'armée française, qui a ses procédures, comme l'armée américaine, comme l'armée israélienne, comme l'armée britannique. Et lorsque l'on pénètre dans la zone radar, la zone dangereuse, la zone rouge, avec une posture d'attaque, il y a des règles pour abattre les avions qui le font, quelle que soit leur nationalité. C'est ce que peut faire une armée. Vous comprendrez que le chef des armées souhaite que les procédures soient respectées.
Je l'ai dit très fermement mais aussi très amicalement à mon ami l'ambassadeur d'Israël en France. Il l'a parfaitement compris. D'ailleurs, je vois que cela ne recommence plus.
Q - Que les procédures soient appliquées, cela veut donc dire que si un avion, quelle que soit sa nationalité, survole l'armée française, il peut être abattu ?
R - Oui, c'est ce que peut faire une armée. Il ne s'agit pas d'abattre un avion israélien, mais d'expliquer que tout avion, quelle que soit sa nationalité, qui arrive dans une zone rouge au-dessus d'un bataillon français, verra appliquée une procédure, qui est celle de l'armée française. Je crois que c'est la même chose pour les Etats-Unis, pour Israël, pour les autres nations. Il n'y a pas de raison de croire que l'armée française accepterait de faire des entorses en pareil cas. Simplement il était de mon devoir d'avertir ceux qui l'avaient fait. Je pense qu'il s'agit d'un pilote qui a fait une faute personnelle et je tenais à le dire.
Q - Alors une faute personnelle. En tout cas, un général israélien est venu à Paris la semaine dernière pour expliquer aux responsables du quai d'Orsay et du ministère de la Défense les raisons de ces survols israéliens du Sud-Liban. Vous a-t-il convaincu ?
R - La résolution 1701, que nous avons co-rédigée avec les Américains et avec d'autres partenaires, que nous avons fait voter à l'unanimité le 12 août 2006, énonce un principe très simple : il faut respecter la souveraineté du Liban et il faut également respecter l'embargo sur les armes à destination des milices. Je peux comprendre que les Israéliens disent : "Nous voulons faire respecter l'embargo". Aujourd'hui, nous faisons en sorte que les deux principes soient respectés. C'est un élément fondamental.
Q - L'embargo est respecté, à votre avis ?
R - Je crois qu'aujourd'hui, des mesures très fermes sont prises, avec aussi le commandement allemand de la composante maritime de la FINUL, par une action particulière sur la frontière syro-libanaise. Aujourd'hui, des actions sont menées pour que la communauté internationale fasse un effort supplémentaire. C'est vrai que le respect de l'embargo sur les armes est un sujet majeur. Mais les deux principes doivent être respectés.
Q - Mais quand vous avez dit que des actions très directes - c'était mardi à l'Assemblée, je crois - seront prises pour empêcher la livraison d'armes à destination du Hezbollah, qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire qu'aujourd'hui, il y a de la part des Nations unies et du commandement de la FINUL, une action particulière visant à faire respecter l'embargo des armes à destination des milices.
Q - Jusqu'à l'emploi de la force contre le Hezbollah ou pas ? Vous dites :"on peut abattre des avions" . Mais peut-on utiliser la force contre le Hezbollah s'il y a des livraisons d'armes ?
R - Tout est écrit dans la résolution la résolution 1701. Nous nous sommes engagés au Sud-Liban, dans le cadre du chapitre VII de la Charte. C'est un mandat assez robuste qui permet, si jamais il y avait une attaque contre des bataillons français, je rappelle qu'un "piqué-cabré", c'est une attaque.
Q - Vous parlez des avions israéliens qui étaient en reconnaissance aérienne avec des appareils photo dans leur soute.
R - Lorsque vous êtes un bataillon français au sol, et que vous voyez un avion militaire arriver, vous ne savez pas obligatoirement s'il a un appareil photo. J'espère que tous ceux qui sont autour de nous le savent.
Ensuite, et je le répète encore une fois, l'ambassadeur d'Israël a très bien compris ce que je voulais dire. Mais l'armée française, et la FINUL en général, doivent également être respectées, et s'il y avait une attaque, quelle qu'elle soit, elle serait évidemment suivie de faits.
Q - La nouvelle de cette nuit, d'hier soir, c'est qu'il y aurait une trêve à Gaza. Est-ce que vous y croyez ?
R - S'il y a véritablement une trêve, sur le terrain, à Gaza, évidemment je m'en réjouis et la France ne peut que s'en féliciter. Je ne crois pas à une solution militaire au conflit israélo-palestinien. La seule solution, c'est la relance du processus de paix et le dialogue politique. Je pense que le statu quo actuel et les actions unilatérales ne sont pas viables. Je crois surtout que la communauté internationale ne doit pas rester silencieuse et inactive devant ce drame.
Q - Précisément, qu'est-ce que cela veut dire ?
R - Cela veut dire que la communauté internationale, et l'Union européenne en particulier, doivent relancer le processus de paix. D'ailleurs, le conflit israélo-palestinien est le conflit phare, mais il y a d'autres conflits aujourd'hui.
Lorsque l'on parle du Liban, comme on vient de la faire à l'instant, n'oubliez pas qu'il y a douze pays européens dans la FINUL. Cela confère à l'Union européenne une responsabilité et une légitimité pour intervenir sur les dossiers de la région : je crois donc plus que jamais dans le rôle de l'Union européenne et celui de la France au sein de l'Union européenne. Le président Zapatero, le président Chirac et le Premier ministre Prodi ont récemment lancé une initiative.
Q - Vous la reprenez totalement à votre compte cette initiative italo-espagnole, ou pas ?
R - Il s'agit de propositions pour aider les parties à dépasser des blocages, sans se substituer à celles-ci, parce que la paix ne s'impose pas, elle se négocie. Je crois qu'il est important que les pays européens prennent l'initiative. On ne peut pas continuer avec un tel niveau de violence, qui a rarement été atteint depuis de nombreuses années.
Je crois, plus que jamais qu'il faut aider le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. J'espère qu'il y aura un gouvernement d'union nationale, même s'il est, au départ, plus technocrate que politique.
Q - Peut-on négocier clairement avec le Hamas ?
R - On ne peut pas négocier avec un gouvernement, fût-il d'union nationale, qui ne respecterait pas les demandes que le Quartet a faites.
Q - C'est-à-dire ? Précisez les choses.
R - C'est-à-dire la reconnaissance d'Israël, la reconnaissance des accords d'Oslo et évidemment le renoncement explicite à la violence. Ce que je veux dire, c'est que si nous avions un gouvernement d'union nationale dans les Territoires palestiniens, qui accepte implicitement ce que demande la communauté internationale, l'Union européenne devrait être la première à avoir des contacts avec ce gouvernement et même à envisager une aide directe au peuple palestinien. Pourquoi ? Parce que la seule solution, c'est de sortir de cette spirale de la violence dans laquelle nous sommes. Sinon, ce seront évidemment les extrémistes des deux bords qui gagneront.
Q - Par rapport au plan de paix et à l'initiative au départ italo-espagnole, Israël a rejeté cette initiative, est-ce que malgré cela vous pensez que cela peut aboutir ?
R - Je crois qu'il y a aujourd'hui, au sein du gouvernement israélien, un vrai débat sur la nécessité de relancer le processus de paix. Même en Israël, il y a ceux qui pensent, malgré la tension qui existe depuis la crise du Liban, qu'il est tout à fait nécessaire que le Premier ministre Olmert et le président Mahmoud Abbas puissent très vite se rencontrer pour évoquer la reprise du dialogue politique et la relance du processus de paix. C'est majeur pour la région.
Q - Vous pensez que les choses sont en train d'évoluer actuellement, qu'il y a une véritable possibilité, une ouverture pour un règlement, pour un début de règlement entre les Palestiniens et les Israéliens ?
R - Si, d'un côté, conformément aux annonces faites ce matin par le Premier ministre Olmert il y a une véritable diminution, voire la fin de cette offensive de l'armée israélienne et si, de l'autre côté, on constate de la part du président de l'Autorité palestinienne, la volonté de voir cesser les tirs de roquette palestiniens sur Israël, s'il y a un gouvernement d'union nationale, je pense que cela peut aller dans le bon sens.
Il s'agit, pour nous, d'accompagner, de consolider cette action politique de Mahmoud Abbas et d'amener tous les Palestiniens à se rassembler autour des exigences de la communauté internationale. Mais les contacts avec ce nouveau gouvernement devraient porter prioritairement sur le cas du caporal Shalit et la reprise de l'aide financière.
Q - Tant chez les Palestiniens que chez les Israéliens, on a un pouvoir politique faible au fond. Est-ce que c'est vraiment le meilleur moment pour essayer de relancer une solution politique qui demandera, quand elle verra le jour, un vrai courage et des vraies qualités d'homme d'Etat, de part et d'autre ?
R - Je pense que le moment est justement venu, parce que, s'il n'y avait pas de gouvernement d'union nationale dans les semaines et les mois qui viennent, il peut y avoir un risque de chaos dans les Territoires palestiniens. Et personne n'a rien à y gagner.
Q - On a un peu fait ce qu'il fallait pour cela en coupant l'aide du Hamas, non ?
R - Il n'a jamais été question d'aider le Hamas.
Q - Dans l'aide aux Palestiniens, il y a le gouvernement du Hamas. C'est toujours l'idée de suspendre les aides aux Palestiniens ?
R - Vous savez qu'en 2006, il n'y aura jamais eu autant d'aides européennes en faveur des Territoires palestiniens ? Leur montant atteint plus de 650 millions d'euros. La question qui est posée est la suivante : aujourd'hui le chaos ne fait le jeu que des extrémistes. Si nous voulons voir un avenir positif ou moyennement positif à moyen et à long terme dans cette région du monde, il faut tout faire pour ne pas radicaliser les populations. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours plaidé pour ce mécanisme international temporaire que le président Chirac suggère au président Abbas, via la Banque mondiale. Il commence à fonctionner pour les services de santé et les hôpitaux, car il y avait une crise humanitaire effrayante. Et, s'il y a un gouvernement d'union nationale, l'Union européenne doit être là la première à dire au monde entier : "reprenons les aides.". A l'inverse, je crois qu'il faut que les Palestiniens reconnaissent Israël. Je reconnais le droit à la sécurité d'Israël. L'Etat d'Israël existe, il faut le respecter.
Q - En ce qui concerne le fameux mur de séparation entre Israël et la Cisjordanie, vous avez affirmé récemment, le 19 octobre, avoir beaucoup évolué.
R - Je pense comme tout le monde, évidemment, qu'ériger un mur est terrible, par définition. Ce que je crois, c'est que le tracé de ce mur doit absolument être discuté à deux. Les actions unilatérales ne sont pas viables.
Q - Donc ce n'est pas le mur que vous remettez en cause, c'est la façon unilatérale dont Israël l'a construit ?
R - Son caractère unilatéral et son tracé.
Q - Mais le mur lui-même ne vous choque pas ?
R - Le mur me choque. Mais j'ai dit que, depuis que je savais qu'il y avait eu 80 % d'attentats en moins, on ne pouvait pas aussi faire abstraction du droit à la sécurité; et je pense que les hommes et les femmes de bonne volonté, sur cette question, doivent s'accorder sur deux choses : oui, l'Etat palestinien doit être créé à côté de l'Etat israélien. Et ils doivent vivre côte à côte en paix. Et cela passe par quoi ? Par une confiance retrouvée. Et quand vous êtes Israélien, cela passe par quoi, la confiance ? Cela passe par la sécurité. Même si, de manière transitoire, vous avez des mesures à prendre pour assurer la sécurité. Evidemment, tout le monde est opposé à l'idée d'un mur. Des deux côtés, on ne peut pas penser que le mur est une bonne chose en lui-même. Sur le plan de la sécurité, il ne faut pas non plus oublier que les gens qui étaient en Israël pendant l'Intifada, ne savaient pas, lorsqu'ils allaient au restaurant, s'ils allaient en revenir vivants ou non.
Q - Donc cela peut se comprendre ?
R - Tout le monde est contre le mur. Je dis simplement qu'il faut regarder aussi les résultats en terme d'attentats. Voilà ce que je dis, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Par contre, sur le tracé, je suis contre, et je pense qu'il faut respecter les deux côtés.
Q - Ce qui nous conduit à parler des relations franco-israéliennes. Il y a eu un certain nombre d'incidents entre les deux pays. Ce qui s'est passé au Sud-Liban, la résolution de l'ONU condamnant les opérations militaires d'Israël dans la bande de Gaza et cette initiative de paix européenne qui a été annoncée sans concertation avec Israël et qui a été déplorée en Israël. Considérez-vous qu'il s'agit entre les deux pays d'un trou d'air ou d'une véritable crise ?
R - Les relations entre Israël et la France sont fondées sur des liens humains tout à fait étroits et anciens, sur une culture et une histoire partagée. Le dialogue stratégique a beaucoup évolué entre Israël et la France depuis trois ans. Je rappelle la visite du président d'Israël en 2004, du Premier ministre Ariel Sharon en juillet 2005 et du Premier ministre Ehoud Olmert en juin 2006. Les relations économiques ont été multipliées par deux en dix ans. 600.000 Francophones vivent en Israël. La France est quatrième partenaire d'Israël pour la recherche. Et je pourrais continuer en citant la Fondation France/Israël que j'ai moi-même co-créée il y a quelques mois.
Q - Trou d'air ou vraie crise entre les deux pays ?
R - Non. Il peut y avoir des désaccords entre nous. Mais grâce à ce partenariat stratégique, nous avons appris à parler de nos désaccords dans le dialogue, dans la concertation et dans l'explication.
Q - Mais vous parlez d'une crise ou pas entre les deux pays ?
R - Bien sûr que non.
Q - Il était question que vous vous rendiez en Israël, est-ce que cela va être fait ?
R - Bien évidemment, je me rendrai en Israël prochainement. Je reçois Mme Livni au Quai d'Orsay le 6 décembre. Nous avons des contacts permanents au téléphone. On s'est rencontré plusieurs fois durant l'année. Nous sommes les amis d'Israël. Mais lorsque vous êtes amis d'Israël, je l'ai toujours dit par exemple sur le Liban, il vaut mieux que nous puissions nous, Français, appuyer le gouvernement de Fouad Siniora, plutôt que de voir d'autres extrémistes prendre le pouvoir au Liban. De même, je préfère aider Mahmoud Abbas, plutôt que de voir des extrémistes prendre le pouvoir dans les Territoires palestiniens. C'est cela, être ami d'Israël.
Q - Vous n'avez pas vraiment répondu à la question : vous considérez aujourd'hui qu'Israël et la France vivent une crise ?
R - Je vais vous répondre : non.
Q - L'Iran, question simple. Huit Français sur dix soupçonnent l'Iran, selon un sondage Sofrès, de vouloir l'arme atomique, est-ce que vous faites partie de ces huit Français sur dix ?
R - D'abord, je ne peux pas accepter que le président iranien, M. Ahmadinejad, puisse proférer des paroles comme il le fait. J'étais d'ailleurs le premier ministre occidental à considérer comme inacceptables ses propos sur Israël.
Ensuite, je pense que seuls le dialogue, l'incitation et la fermeté doivent prévaloir, s'agissant du dossier iranien. Je m'explique : nous avons voté une résolution, la résolution 1696, qui vise à demander à l'Iran à suspendre ses activités nucléaires sensibles. Il ne le fait pas. C'est la raison pour laquelle nous menons actuellement une discussion, les Allemands, les Britanniques et nous-mêmes, et ce groupe européen a fait une proposition de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies, actuellement en discussion à New York.
Sur quoi est-elle basée ? Sur des sanctions. Des sanctions sur quoi ? Sur les questions nucléaire et balistique.
S'agissant de la question nucléaire, le président Ahmadinejad dit, que l'Iran va détenir 60 000 centrifugeuses et bientôt 100 000. Nous pensons en effet qu'on ne peut pas accepter l'idée que l'Iran puisse développer des activités nucléaires sensibles à des fins non civiles.
S'agissant de la question balistique, nous savons que l'Iran a récemment procédé à des tirs de missiles dans le cadre de manoeuvres. Il est donc important aussi, sur le plan balistique, que nous puissions disposer dans nos projets de résolutions d'un certain nombre de mesures.
Maintenant, nous souhaitons un accord le plus large possible au Conseil de sécurité des Nations unies.
Q - Y compris avec la Russie et la Chine ?
R - Cela veut dire accord sur la décision de prendre des sanctions. Je peux vous dire aujourd'hui qu'il y a un accord des membres du Conseil de sécurité des Nations unies sur les sanctions vis-à-vis de l'Iran. Là où il y a discussion, c'est sur l'étendue des sanctions. Il y a quelques jours, nous avons obtenu un succès, puisqu'à l'unanimité, y compris la Chine et la Russie, nous nous sommes mis d'accord au sein de l'Agence internationale pour l'énergie atomique pour refuser une demande d'assistance technique de l'AIEA au réacteur d'Arak en Iran.
Q - Quand vous parlez de sanctions, Monsieur le Ministre, faut-il des sanctions très dures contre Téhéran pour forcer l'Iran à suspendre son programme nucléaire ?
R - Il faut des sanctions aujourd'hui, nous l'avons décidé au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais si vous voulez être efficace, il faut être uni et c'est toute la difficulté.
Q - C'est pour cela que ça traîne depuis quelques années ?
R - C'est la raison pour laquelle aujourd'hui, nous avons des discussions avec les Russes, les Chinois et les Américains évidemment. Et nous essayons de voir comment on peut être unanimes- car si nous ne le sommes pas, nous perdons en efficacité- et si nous devenons trop fermes, comme les Américains le souhaitaient, à ce moment là, on perd un, deux, voire trois membres.
Q - Est-ce que ça peut traîner encore longtemps car, d'après les experts militaires, dans un certain nombre de pays, dont les experts français, il reste deux ans à l'Iran pour pouvoir mettre en place une bombe nucléaire ?
R - Je suis persuadé que l'unanimité du Conseil de sécurité des Nations unies aboutira à un isolement de l'Iran et que l'Iran préférera la négociation plutôt que l'isolement. Il faut que la raison revienne chez les Iraniens. Il faut qu'ils comprennent que nous avons fait une proposition. Le président Chirac a fait sur les sanctions, à New York en septembre, la proposition de la double suspension : nous suspendons notre dynamique sur les sanctions au Conseil de sécurité des Nations unies et eux suspendent leurs activités nucléaires sensibles, y compris l'enrichissement de l'uranium.
Q - Mais sur ce dossier, on a le sentiment que les Américains préparent un changement de cap, qu'en tout cas ils se disent qu'ils n'auront pas de solution en Irak sans prendre langue avec l'Iran. Est-ce que cela ne risque pas de changer leurs positions ? Est-ce qu'on ne risque pas d'avoir une sorte d'accord au terme duquel les Iraniens accepteraient de donner un coup de main aux Américains sur l'Irak, en échange de quoi, les Américains se montreraient beaucoup plus indulgents en ce qui concerne le dossier nucléaire, par exemple ?
R - Aujourd'hui, dans la discussion que nous avons au Conseil de sécurité des Nations unies, rien de ce que vous avez dit ne me permet de répondre par l'affirmative.
Je voudrais faire deux remarques. Le 30 mai 2006, pour la première fois depuis 28 ans, par la voie de la secrétaire d'Etat, Mme Condoleezza Rice, les Etats-Unis ont accepté de donner un message que je qualifierais de positif dans le cadre du dossier nucléaire iranien. Quel était ce message ? : il disait que via les Européens ils pouvaient être amenés à parler avec les Iraniens. C'est passé un peu inaperçu à l'époque, mais c'est quelque chose d'important. Et je voudrais d'ailleurs saluer à ce moment là le courage de Condoleezza Rice sur ce dossier. Reste qu'aujourd'hui, nous avons devant nous des Iraniens, particulièrement le président Ahmadinejad, qui nous parlent de 60 000 centrifugeuses, et que nous sommes donc obligés d'être unis dans les sanctions.
Q - On passe en Irak où c'est le chaos total avec des morts tous les jours, des attentats. Comment sortir de ce bourbier ? Est-ce que la France a un rôle à jouer maintenant pour trouver, sinon un règlement, du moins un moyen d'améliorer la situation ?
R - La situation en Irak est alarmante, effroyable.
Q - Quand vous entendez le président Moubarak qui a dit ce matin qu'un retrait américain de l'Irak créerait une situation de chaos, êtes-vous sur la même longueur d'onde que lui ou pas ?
R - Il y a deux dossiers. Le premier, c'est l'Irak lui-même. Il est évident que nous sommes très proches du chaos. Les règlements de compte se multiplient. Il y a plusieurs conflits : il y a la situation traditionnelle de l'occupant et de l'occupé ; il y a des tensions entre communautés et des tensions ethniques. Cela aboutit en effet à quelque chose d'effroyable, vous avez raison de le dire. Dans ces conditions, le départ rapide, immédiat, des forces américaines, des forces internationales, pourrait entraîner un chaos encore plus grand à court terme. Mais en même temps, je ne vois pas comment les forces internationales peuvent rester durablement. Pourquoi ? Parce que la seule solution, c'est de transférer la sécurité et la justice au pouvoir irakien. Tant qu'il n'y aura pas de restauration de l'Etat de droit en Irak, vous n'aurez pas le moindre espoir.
Deuxième dossier : il s'agit des résultats des élections américaines.
Pour la première fois, on voit des élus démocrates dire qu'il faut quitter l'Irak. Et les démocrates sont majoritaires à la chambre des représentants et au Sénat.
Q - Les élections sont dans deux ans ?
R - Je crois en effet qu'il faudra trouver un calendrier de retrait de façon à pouvoir organiser ce transfert des forces de sécurité.
Q -Passons très rapidement à un autre sujet, le Rwanda et à la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda. Diriez-vous que le juge Bruguière a été trop loin?
R - Le juge Bruguière a clos une enquête qu'il a commencée en 1998 à la demande des familles de l'équipage français.
Q - Donc en mettant en cause le président rwandais.
R - Il a signé neuf mandats d'arrêt dont certaines concernent des proches du président Kagamé et des hauts représentants militaires. Il dit qu'il faudrait traduire le président Kagamé devant le tribunal pénal international sur le Rwanda. Je voudrais dire deux choses : premièrement, il s'agit d'une décision de justice.
Q - Et donc pas politique, c'est cela que vous voulez dire ?
R - Nous sommes dans un Etat de droit, nous sommes en République. Cette décision de justice, qui entraîne la responsabilité du juge Bruguière, n'a rien à voir évidemment avec une décision politique du gouvernement français.
D'autre part, je souhaite, deux choses : premièrement que la justice évidemment fasse son travail. Je crois à la justice. Deuxièmement, je regrette que la réponse rwandaise à l'enquête menée par le juge Bruguière soit de rompre les relations diplomatiques avec la France. L'ambassadeur de France au Rwanda est arrivé hier en France, tous les services français seront rapatriés dès lundi soir. C'est dorénavant la Belgique qui va représenter nos intérêts dans ce pays. Je le regrette d'autant plus que nous étions en train de relancer des relations fortes avec ce pays. Je le regrette d'autant plus qu'il y a eu des élections en République démocratique du Congo. Et que cette région des Grands Lacs commençait à connaître enfin la stabilité.
Q - Dernière déclaration sur le Rwanda : le président rwandais Paul Kagamé a affirmé hier sur I-Télé que la France était impliquée dans le génocide au Rwanda.
R - Nous avons nous, et M. Quiles vous le dira, établi une commission d'enquête. Nous n'avons pas eu peur d'établir une commission d'enquête. Une démocratie n'a jamais peur d'établir une commission d'enquête.
Q - S'agissant de l'assassinat par empoisonnement de l'ancien espion russe Litvinenko à Londres, clairement, voyez-vous derrière cela la main de Moscou ? Est-ce que vous demandez des explications à M. Poutine ?
R - Nous avons vu qu'il y avait une enquête judiciaire aussi qui était ouverte. Nous ne demandons qu'une seule chose, c'est que nous puissions connaître les criminels qui se cachent derrière un tel empoisonnement.
Q - Mais clairement, vous soupçonnez Moscou ou non ?
R - Vous vous rendez compte de la question que vous posez ?
Q - Beaucoup de gens se la posent, on n'est pas les seuls.
R - Vous rendez-vous compte de la question que vous posez et de la réponse qu'il peut y avoir ? J'espère que vous croyez à la justice internationale. Regardez le cas d'Anna Politkovskaïa. J'ai demandé à l'OSCE, et au Secrétaire général de l'OSCE qui est français comme vous le savez, que la mission "Liberté de la presse", fasse un véritable rapport. J'ai également demandé au Conseil de l'Europe de le faire. Et dans le cas dont vous parlez, je demande qu'il y ait une enquête internationale pour qu'on aille jusqu'au bout. Je crois à la justice internationale. Ou alors, c'est faire injure à la communauté internationale et en tout cas faire injure à ce à quoi nous croyons, c'est à dire la justice.
Q - On va vous poser la question autrement, avant de venir très rapidement à la politique française. Est-ce que vous excluez totalement que Vladimir Poutine soit derrière cet assassinat ?
R - Je souhaite que la justice puisse faire son travail et puisse n'être intimidée par personne et aille jusqu'au bout pour savoir qui a fait cela, qui est évidemment inqualifiable. Pourquoi ? Parce que derrière cette affaire, il y a non seulement un crime, mais au-delà du crime, il y a une atteinte à la liberté de la presse. Et la liberté de la presse, c'est une des valeurs fondamentales de toute démocratie, de tout pays, y compris d'ailleurs aussi de la Russie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 novembre 2006