Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à France-Inter le 14 décembre 2006, sur la conférence emploi-salaires, le débat avec les partenaires sociaux et le marché du logement.

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Média : France Inter

Texte intégral


Q- Tout à l'heure, démarre à Matignon la conférence emploi-salaire, vous ouvrez le bal avec les partenaires sociaux : réunion et débat avec D. de Villepin ; qu'attendez-vous de l'entrevue ?
R- On attend deux choses : d'une part des mesures claires et assez rapides, en particulier sur le problème du logement, le problème des mutuelles santé et le problème des transports de salariés quand ils vont travailler.Et puis, on veut ouvrir un chantier important, c'est l'utilisation dans le budget de l'Etat des 23 milliards d'euros - c'est énorme - d'aide aux entreprises sur les bas salaires. Et on veut réfléchir, avec le Gouvernement, à comment faire en sorte qu'on les conditionne à des engagements des entreprises sur le problème de la précarité, sur le problème du temps partiel imposé et sur une évolution de salaire.
Q- Que demande la CFDT - on va prendre les dossiers les uns derrière les autres - sur le logement en particulier ? On sait que c'est un vrai poste budgétaire pour les Français et que les loyers filent, quand on pense à Paris ou à un certain nombre de grandes villes.
R- Le logement c'est le poste budgétaire numéro 1 des Français depuis quelques années, avant l'alimentation. Donc ça pèse énormément sur le pouvoir d'achat. Et on voit que la situation est très différente, la situation au centre-ville de Belfort ou à Paris, ce n'est pas pareil. A la campagne, selon les endroits, qu'on soit en PACA ou en Lorraine, ce n'est pas pareil non plus. Donc on veut un moratoire, c'est-à-dire qu'on dise "stop à la hausse des loyers" et que l'on réfléchisse sur des mesures, en fonction des zones d'habitation, de blocage des loyers, ou éventuellement en donnant des niveaux supérieurs à ne pas dépasser sur le coût du logement.
Q- Comment mettre en place un moratoire ? C'est un marché libre le marché du logement.
R- Marché libre ! Il y a d'autres marchés qui sont des marchés imposés, par exemple, les livres, sont au même prix partout en France.
Q- Oui, mais comment fait-on pour éviter dans un centre-ville ou dans une région à forte pression immobilière, pour limiter les loyers ?
R- Eh bien, on décide, par exemple, que pendant trois ou quatre mois on n'augmente plus les loyers et qu'on réfléchit. Et puis, on se dit, par exemple - vous parliez de Paris - qu'à Paris on bloque les loyers tant qu'on n'aura pas de construction de logements sociaux suffisante, tant qu'on n'aura pas de logements suffisants pour les étudiants, on ne dépasse pas les loyers de tant d'euro du mètre carré. A Paris, en ce moment, on en est jusqu'à 35 euros le mètre carré pour les studios des étudiants, ce n'est pas possible d'aller jusque-là ! Donc, on fixe une limite à ne pas dépasser.
Q- Et la mesure gouvernementale qui consiste à garantir les loyers justement, le paiement des loyers pour les locataires qui n'ont pas de garanties financières très sûres ?
R- Tout est prêt. Les partenaires sociaux avec le Gouvernement, avec les propriétaires, ont mis en place cette garantie des risques locatifs, c'est-à- dire une assurance. Si jamais le locataire ne peut pas payer, il y a une garantie pour le propriétaire. Il suffit de mettre en place le décret qui est bloqué pour le moment par les assurances. Puisque vous comprenez, généralement les propriétaires prennent des assurances qu'ils payent cher et là, on veut socialiser un système, et pour nous le 1 % logement, c'est-à-dire que les salariés payent tous les mois...
Q- Est-ce une bonne mesure de garantir comme ça ?
R- C'est d'abord une mesure de protection pour le salarié qui est surendetté mais aussi pour le propriétaire. Il y a beaucoup d'appartements qui ne sont pas loués parce que les propriétaires ont peur de ne pas toucher leur loyer. Donc avec cette garantie, on libère une partie des appartements, on baisse la pression sur le coût du loyer et on a déjà une première action sur l'évolution.
Q- Mais ça c'est acquis ?
R- Il faut que le Gouvernement décide de le mettre en place et ne cède pas aux lobbys des assureurs qui se font beaucoup d'argent sur les garanties pour les propriétaires.
Q- Deuxième chantiers : les bas salaires. Tout est lié, d'ailleurs, quand on a un bas salaire et des revenus en dents de scie, comment louer un logement de plus en plus cher ? On voit bien qu'il y a une cohérence entre tous ces problèmes là. Sur les bas salaires, que demandez vous et que pouvez-vous faire ?
R- Justement, c'est là que le débat de fond doit s'engager. On a 50 % des salariés qui sont en dessous des 1.500 euros, en dessous d'un SMIC et demi. Tout simplement parce que depuis des années, la seule politique de l'emploi, ce sont des allègements de charges sur les bas salaires, entre le SMIC et le SMIC et demi. Donc, résultat, les entreprises ont intérêt de garder les salariés sur des bas salaires, pour gagner ces allégements de charge. Donc on propose de réfléchir, non pas de tout
transformer, mais petit à petit de conditionner ces allégements de charges à des engagements dans les branches professionnelles, de faire des déroulements de carrière. C'est bien d'augmenter le SMIC, mais si on y reste toute sa vie, on a rien gagné pendant sa carrière. Donc faire en sorte qu'on ait des déroulements de carrière pour sortir de cette zone et toute ces classes moyennes qui se plaignent aujourd'hui, qui sont en train d'être tirées vers le bas, refaire un vrai espoir d'évolution sociale pour ces gens-là.
Q- Si on regarde les choses en perspective, vous dites, donc, que par rapport à des décennies qui nous précèdent, l'éventail des salaires entre le moment où l'on commence à travailler et le moment où on prend la retraite, cet éventail s'est fermé aujourd'hui ?
R- Oui, non seulement il s'est fermé par cette politique, depuis dix ans, d'allégement de charges sur les bas salaires, mais la différence par rapport à il y a vingt-cinq ans entre un jeune et un plus âgé, c'était à peu près 15 % entre le début et la fin de carrière, et aujourd'hui, un salarié qui a 50 ans, il y a 40 % d'écart vis-à-vis des jeunes. Donc cette politique de blocage des salaires vers le bas, ce sont surtout les jeunes qui en sont les plus victimes et en plus, on paye des salariés qualifiés autour du SMIC. Résultat : une entreprise, pour des emplois non qualifiés, embauche des salariés qualifiés et ce sont les non qualifiés qui sont exclus du monde du travail. Donc, vous voyez qu'il y a un effet en chaîne sur tout le monde.
Q- Et vous décrivez des problèmes de structure, des problèmes lourds, est-ce que vous pensez qu'à quelques mois d'une élection présidentielle, le Gouvernement a le pouvoir politique pour faire bouger les choses ? Cela vous faire rire, ce qui est déjà un élément de réponse...
R- Oui, mais ça me fait rire. La CFDT a proposé cette conférence en octobre 2005, on nous a dit : "on n'est pas prêts, c'est trop tôt". Et là, on dirait : "on est peut-être trop prêts, c'est trop tard" ? Mais alors que fait-on ? Cela veut dire qu'à chaque fois qu'on a une élection présidentielle, on ne se préoccupe pas des problèmes sociaux ? Nous, les organisations syndicales, on n'est pas sur le calendrier politique. Donc déjà, je l'ai dit, il y a des mesures immédiates qui peuvent être prises, et là le Gouvernement va le faire, et puis on peut entamer ce travail sur la réflexion des moyens de l'Etat par rapport à cette évolution salariale. Tout le travail qu'on aura engagé sera gagné pour l'avenir.
Q- Donc c'est une réunion pour la galerie ?
R- Non. Nous, nous voulons une réunion efficace sur les mesures immédiates que j'ai annoncées, et on veut un travail de fond, pour pouvoir, dans les mois prochains, prendre des décisions sur le fond, sur l'évolution des salaires dans notre pays. Et puis, après tout, la majorité qui sera élue pourra bénéficier du bon travail qu'on aura fait.
Q- Et les mois prochains, c'est quoi ? C'est plutôt après mai, juin et les échéances électorales ?
R- Non, il n'y a pas besoin de réfléchir pendant six mois, ce budget de l'Etat est voté. Le Gouvernement a choisi de réunir cette conférence après le vote du budget et nous dit : "on a des contraintes budgétaires". Si on avait fait, comme on l'avait demandé, la conférence avant, on
pouvait prendre des décisions et ensuite des solutions budgétaires. Mais je le répète : on a une masse énorme, 23 milliards d'euros d'allégement de charges, on a décidé une fois pour toute qu'elles seraient sur les bas salaires. Il y a des conséquences néfastes pour l'économie aussi, c'est à- dire que l'on ne forme pas assez les salariés et on a besoin de salariés plus qualifiés donc il y a une conséquence aussi sur l'évolution de l'économie et sur la production dans notre pays parce qu'on a besoin de salariés de plus en plus qualifiés. Donc il n'est pas interdit dans les mois qui viennent de commencer à se donner des pistes de décision et on peut prendre des décisions, le Gouvernement a la possibilité.
Q- Mais vous avez bon espoir - je repose ma question pour la troisième fois sous une autre forme - vous avez bon espoir, par exemple, que ces 23 milliards puissent être utilisés dans le sens que vous décrivez ou non ?
R- Aujourd'hui, non, la décision ne se prendra pas aujourd'hui. Donc, nous, ce qu'on veut, pour être clair c'est ouvrir le débat sur ce sujet-là aujourd'hui. Mais sur les loyers, on peut avoir une décision aujourd'hui ; sur l'aide à la mutuelle, on peut avoir une décision ; sur les transports, le Gouvernement peut remettre en cause ce qu'il a déjà fait, qui ne concernera que très peu de salariés. Et sur, par exemple, le problème des aides aux personnes qui ont des problèmes pour garder leurs enfants et qui ne payent pas d'impôt - vous savez, ce sont les emplois de service -, il peut prendre des décisions aussi aujourd'hui. Donc on peut prendre des décisions sur certains points et ouvrir des débats sur d'autres.
Q- Un dernier chiffre pour finir : 300 fois le SMIC, c'est en moyenne le salaire d'un grand patron français, cela vous inspire quoi ?
R- Cela nous inspire ce que ça inspire à tout le monde, c'est-à-dire un écart énorme entre les revenus. Donc je ne dis pas que les patrons doivent être payés au SMIC, bien évidemment mais on voit bien que... Qu'est-ce qu'on fait avec 300 fois le SMIC ? Je pense qu'on a plus que ce dont on a besoin pour vivre, même d'une façon très aisée. Mais en même temps, on voit bien qu'en réglant ce problème-là, on ne réglera pas le problème de la majorité des salariés. Quand on a 50 % de salariés qui sont en dessous de 1.500 euros, le problème des salaires des grands patrons ne suffit pas à régler ce problème.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 décembre 2006