Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du MEDEF à RTL le 15 décembre 2006, sur la conférence sur l'emploi et les revenus, les relations avec les partenaires sociaux, la politique fiscale et la croissance économique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


Q- Vous avez participé, hier, à la conférence sur les revenus et l'emploi ; et résultat, selon une opinion qui paraît dominante : bof, bof, bof... Vous partagez ?
R- Je crois que ce type de conférence est tout à fait utile. Cela ne veut pas dire que ça soit suffisant, bien évidemment.
Q- Utile à quoi ?
R- C'est utile parce qu'il est tout à fait nécessaire d'échanger, de confronter les opinions des uns et des autres sur une situation que tout le monde juge, à la fois complexe mais aussi fragile. Or, vous savez, on n'arrivera pas à trouver les bonnes solutions si les principaux acteurs politiques, économiques et sociaux de notre pays n'ont pas, au préalable, un diagnostic le plus largement partagé possible.
Q- Mais il est partagé le diagnostic ! On sait qu'il y a un problème de pouvoir d'achat, qu'il faut faire quelque chose. Et quand on sort d'une réunion comme ça, justement, le problème c'est que rien n'est décidé.
R- Vous avez raison. Nous sommes tous d'accord sur le constat et les chefs d'entreprise les premiers. Vous savez, les chefs d'entreprise ne sont pas en marge de la société, ils sont au coeur de la société. Ils voient bien qu'il y a là des poches de pauvreté, qu'il y a là des situations extrêmement fragiles pour certains de leurs salariés. Ils en sont tout à fait conscients. Mais même si le constat est effectivement partagé, le diagnostic au sens de : quelles sont les causes, quels sont les facteurs qui expliquent cette situation ? Alors là, il y a des divergences de vue, il y a des divergences d'analyse qui sont assez grandes. Il faut absolument faire en sorte - et peut-être que la campagne électorale, aussi, pourra y contribuer - que ces divergences s'atténuent et deviennent des convergences.
Q- Là, vous parlez de l'analyse des causes. Mais nous, au fond, quand cette conférence s'est nouée, puis s'est présentée, on s'est dit que c'était des réponses que les uns et les autres chercheraient à apporter. Ce n'est pas l'analyse des causes.
R- Oui, mais c'est peut-être l'erreur que nous faisons depuis des dizaines d'années. Nous sommes tellement soucieux de dire qu'il faut des réponses concrètes. Je sais très bien que beaucoup de gens, hier, se disaient : mais concrètement, qu'est-ce que cela va changer pour moi demain ? C'est cette impatience, d'une certaine façon, qui nous empêche de traiter les problèmes de fond, qui nous empêchent de voir que ce sont des réformes fondamentales de structure, mais aussi des réformes dans notre mode de raisonnement qui nous permettraient de faire avancer significativement la situation. Je voudrais juste vous donner un exemple, soyons concret. Vous savez, j'entends beaucoup de gens dire : "Dans ma famille, dans les années 60, dans les années 70, c'était mieux. On avait un niveau de vie qui nous semblait beaucoup plus favorable". Eh bien oui, ces gens-là ont tout à fait raison. Souvenez-vous, dans les années 60 ou 70 - je le rappelle pour nos jeunes auditeurs qui ne peuvent pas le savoir -, la croissance de notre pays était supérieure à celle des Etats-Unis. Quand on le dit aujourd'hui, cela semble incroyable qu'on ait, nous, les Français, une croissance supérieure à celle des Etats Unis ! Et du coup, nous avions tous un niveau de vie qui, par rapport aux moyens de consommation de l'époque, nous semblait beaucoup plus favorable, beaucoup plus heureux. Tant que nous n'arriverons pas à construire - parce que ça se construit - une croissance économique soutenue, forte, pérenne, nous n'arriverons pas à faire en sorte qu'effectivement, le niveau de vie des plus modestes, des plus démunis, des classes moyennes, puisse enfin décoller, puisse enfin leur donner un accès plein et entier à la vie moderne. Alors, la vraie question, c'est comment on fait pour avoir beaucoup plus de croissance ?
Q- Vous, vous parlez de la croissance, beaucoup évoquent aussi un mauvais partage des richesses. Il y a vingt ans - c'est le Premier ministre qui le rappelait -, 11 % des salariés français étaient au SMIC ; 17 % aujourd'hui. Les salaires des patrons - une étude de Proxinvest l'a encore dit hier - sont importants : les 120 premières entreprises de France voient leur titulaire, donc leur responsable, leur patron, toucher 3 millions d'euros par an. Et le rapport du CERC a aussi montré que dans le partage entre revenus et dividendes versés aux actionnaires, que c'était les dividendes qui prenaient le pas aujourd'hui sur l'investissement. Un mauvais partage des richesses, ça existe ça aussi en France.
R- Eh bien, je vais vous dire : je crois que voilà typiquement l'erreur de raisonnement dans lequel nous avons tous tendance à tomber. La question n'est pas celui du partage. Les richesses, ce ne sont pas un gâteau aux dimensions totalement définies, délimitées. Les richesses, c'est au contraire quelque chose qui est en permanence en mouvement. Et le niveau de vie des plus modestes augmentera si les richesses de tout le monde augmentent. Ne faisons pas sur la question des richesses la même erreur de raisonnement que sur la durée du travail. Donc, bien sûr, qu'il y a des écarts de revenus. Oublions, s'il vous plaît, cinq minutes, les salaires des patrons du CAC 40. Le CAC 40, comme son nom l'indique, cela ne représente que quarante entreprises.
Q- Oublions-les parce que ça nous arrange ?
R- Mais non, oublions-les parce que ce n'est pas le coeur du problème,parce que le coeur du problème, c'est comment je fais pour, encore une fois, accroître les richesses de tout le monde. Et ça, je ne peux le faire que si j'augmente la croissance dans notre pays. Mais comment elle s'augmente cette croissance ? Par plus de compétitivité pour les entreprises. Or ce que l'on oublie de dire, c'est que les taux de marge des entreprises françaises n'ont cessé de baisser ces dix dernières années. Comment expliquons-nous que le résultat des entreprises françaises est en moyenne de 30 % inférieur à celui des entreprises allemandes ? Parce qu'il y a sur le dos, si je puis dire, des entreprises françaises, une pression fiscale qui n'existe nulle part ailleurs au monde, nulle part ailleurs au monde ! C'est-à-dire qu'il y a - et l'un de vos auditeurs l'a dit tout à l'heure - une charge, un fardeau dans les charges sociales, dans les taxes, qui est à peine tenable et qui ne permet plus aux entreprises de dégager les marges de manoeuvre pour augmenter les salaires de ses employés, pour investir dans l'avenir, notamment dans la recherche et l'innovation.
Q- C'est ce que dit Johnny. Il a raison, alors, d'aller en Suisse ? Trop de charges, trop d'impôts...
R- Je vais vous donner un chiffre : le prélèvement obligatoire sur l'ensemble des entreprises françaises représente 280 milliards d'euros. Personne ne peut comprendre ce que veut dire cette masse, mais on va la comparer au même indicateur en Allemagne : en Allemagne, c'est 220 milliards, c'est-à-dire 60 milliards de moins. Or l'Allemagne c'est une fois et demi la France.
Q- Donc, c'est Johnny qui a raison !
R- Donc, il faut absolument...
Q- Vous comprenez que Johnny Hallyday s'en aille. Cela veut dire
quelque chose pour vous ?
R- Je pense qu'il y a une émigration dont personne ne parle aujourd'hui, sinon par des symboles nationaux comme J. Hallyday, que nous n'avons jamais connue dans l'histoire de notre pays. Je ne regarde pas simplement ceux qui ont des hauts salaires : regardez tous nos jeunes talents qui sortent des écoles de commerce ! Les meilleurs élèves sont en train de partir à l'étranger pour faire une carrière. Est-ce qu'il ne faut pas se poser des questions à partir de là ?
Q- J'ai lu sur le site du Point, qui rapporte une assemblée générale que vous avez animée mardi, du groupement des professions de service. Et l'un des participants dit ceci -c'est le site du Point qui le rapporte - : "L. Parisot a répété plusieurs fois qu'elle faisait un boulot de dingue, qu'elle avait une vie de dingue. C'est un peu inquiétant". C'est lourd, la charge de présidente du Medef ?
R- Cette personne qui a rapporté ces propos manque d'humour. Ce sont des journées tout à fait énormes mais absolument passionnantes. Je crois qu'il y a beaucoup de potentiel dans notre pays. Si l'on arrivait à regarder les choses non pas par le petit bout de la lorgnette mais avec plus d'ouverture d'esprit, et une plus grande ambition, je crois qu'on pourrait à nouveau être un pays phare dans le monde.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 décembre 2006